Chapitre 24 : L'art n'a pas besoin de mots
Japon, Tokyo, extérieur de Yuei, 24 mai 2500, 15h30
« Tiens, Shoto ? Qu'est-ce-que tu fais encore là ? »
Le bicolore, qui était appuyé contre l'arche bleue indiquant l'entrée du territoire de Yuei, se redressa, une main dans la poche du pantalon de son uniforme.
« Je t'attendais. »
« Merci, j'avais vu que tu attendais quelqu'un, mais pourquoi moi ? »
« Tu croyais que j'attendais qui ? »
« Izuku. Vous êtes amis depuis le championnat, non ? »
« Hm, c'est vrai. », admit Shoto. « Mais j'avais envie de t'accompagner à la Liones Academy. »
« Pourquoi ? »
« Tu aimes l'art, si j'ai bien compris. Tes yeux brillaient et tu souriais quand tu dessinais tout à l'heure, pendant l'entraînement. Donc, je voudrais te voir dans ton élément. Si j'accepte de me lier à toi, cela risque d'être bizarre au début, vu qu'on est quasiment des inconnus l'un pour l'autre, même si on se connaît depuis longtemps. Je dois savoir jusqu'où va ta véritable personnalité pour pouvoir anticiper en cas de problème. »
« Tu prends vraiment cette histoire au sérieux, alors que tu n'as même pas décidé si tu allais te lier ou non... », fit remarquer Mitsune, en penchant la tête sur le côté.
« Pourquoi ? Je ne devrais pas ? », l'interrogea le bicolore. « Ce lien est quelque chose de sérieux, d'après ce que Fenrir nous a expliqué l'autre jour, c'est normal que je prenne ça avec beaucoup de sérieux. »
« C'est difficile pour les non-hybrides de vraiment comprendre l'ampleur du lien. Même pour les hybrides c'est compliqué, parce qu'il faut pouvoir comprendre nos réactions animales et ce n'est pas toujours le cas. »
« Je me suis un peu documenté pendant mon temps libre. Comme je l'ai dit, c'est sérieux. Je ne veux pas m'embarquer dans tout cela sans être pleinement conscient de tout ce que cela implique. Et cela comprend aussi apprendre à te connaître dans ton élément, et cela a toujours été évident que Yuei ne l'était pas. La Liones Academy l'est déjà sans doute plus. »
« Même plus que tu ne le crois ! Mais tu fais comme tu veux, tu peux venir quand cela te chante. J'y suis jusqu'à dix-neuf heures presque tous les jours. Je fais le service au Boar Hat généralement. »
« Le Boar Hat ? »
« C'est la taverne scolaire, Meliodas en est le gérant et le propriétaire. C'est le copain d'Oneechan. C'est toujours bondé, mon aide n'est jamais de trop. Bref ! Tu peux venir quand tu veux, avec qui tu veux, même quand je n'y suis pas. La taverne ouvre à seize heures trente et ferme à vingt-trois heures en semaine. Il y aura toujours quelqu'un pour t'accueillir. Ah, d'ailleurs je vais être en retard si on continue à papoter sans se mettre en route. »
« Allons-y alors. Je te suis. »
Japon, Tokyo, Liones Academy, salle d'art numéro deux, 16h
« C'est vide. », fit Shoto.
« C'est normal, c'est la pause. »
Elle sortit de son sac de cours son ordinateur portable et l'installa sur un bureau, s'asseyant sur la chaise. Shoto alla derrière elle, s'appuyant sur le bureau derrière lui, et la regarda monter des morceaux de vidéos ensemble et rajouter des effets.
« Qu'est-ce-que tu fais ? »
« Je fais du montage. »
« Mais encore ? »
« Les examens sont bientôt. Cette vidéo est le travail de tous les élèves de seconde inscrits en musique, chant et danse, c'est cette vidéo qui déterminera leur note d'examen dans ces trois disciplines. J'avais fait le plus gros ce week-end, il ne me reste plus qu'à finaliser le tout. »
« Et pourquoi c'est à toi de la monter ? »
« Parce que cela me fait plaisir de le faire ? Les arts pour la filière artistique, c'est comme les cours héroïques pour la filière héroïque, cela représente le plus gros coefficient. C'est moi qui m'occupe du montage parce que, apparemment, le résultat final est toujours mieux que lorsque ce sont les autres élèves qui s'en occupent. Ils comptent tous sur moi, et j'aime être quelqu'un sur qui on peut compter. Je me sens utile, et je vais toujours au bout de mes projets ou de mes promesses, toujours. Hmm... voyons voir comment faire cette transition... ah ! Je sais ! »
Mitsune fit quelques manipulations sur son ordinateur, avant de lancer la partie de la vidéo qu'elle avait modifiée, pour valider ou non les changements.
« Tu travailles encore p'tite renarde ? »
La blonde leva le nez de son écran et vit Meliodas entrer dans la salle.
« Salut ! Oui, j'étais en train de terminer la vidéo, elle est presque finie. »
« Déjà ? Mais tu n'as eu les différentes prises qu'il y a quatre jours... »
« J'avais du temps à tuer quand j'ai tenu compagnie à Izuku. »
« Eh bien, eh bien, tu es vraiment une bête de travail, je ne comprends toujours pas comment Izuku a réussi à te convaincre de dormir l'autre fois ! »
« Oh ça va, hein... quand je pense que je l'ai mordillé comme un morceau de viande... »
Elle secoua la tête de dépit, alors que Meliodas avait un large sourire.
« Tu lui as bavé dessus aussi ! »
« Sérieux ?! Mais il ne m'a jamais dit ça ! Ah la honte ! », rougit Mitsune en se cachant le visage avec ses mains.
« C'est justement pour ça qu'il ne voulait rien te dire, et qu'il a demandé aux Seven Deadly Sins, Elizabeth et Fenrir de ne rien te dire. »
« Mais comme tu te fiches particulièrement des représailles d'une Kitsune, tu le lui dis quand même. Je ne sais pas si c'est courageux ou complètement idiot. »
Mitsune se retourna vers le bicolore, surprise, mais celui-ci ne broncha. Le sourire de Meliodas s'élargit.
« Tel un chevalier servant qui vole au secours de sa princesse... je crois qu'on n'a pas encore eu l'occasion de se rencontrer. Moi, c'est Meliodas ! »
« Shoto. », se présenta simplement le concerné, alors que la blonde devant lui était gênée de l'allusion de son ami.
« Enchanté de te rencontrer ! Passe à la taverne quand tu veux ! Les amis de notre p'tite renarde sont les bienvenus ! J'te ferai goûter à une bière de Vania, tu m'en diras des nouvelles. »
« Je ne suis pas majeur. »
« A Liones, les élèves peuvent boire au maximum un verre d'alcool à la taverne, s'ils ont cours le lendemain. Et puis, on a des boissons sans alcool aussi ! », rétorqua malicieusement Meliodas. « Particulièrement le cocktail Kitsune, une invention de notre chère Mitsune. »
« Ne dis pas n'importe quoi, c'était le fruit d'un accident. »
« Même ! Les clients en raffolent ! »
« Meliodas, tu devrais être à la taverne. »
« Escanor peut s'occuper du bar à ma place. »
« Tu en es le propriétaire et le gérant, prends tes responsabilités au sérieux. »
« T'es vraiment pas drôle quand tu t'y mets... bon, très bien. De toute manière, j'ai déjà révélé l'info qu'on devait garder secrète donc je file ! »
« N'oublie pas que ton titre de Dragon de la Colère n'est qu'un titre Meliodas, contrairement à mon titre de Kitsune. Attends-toi à des représailles si tu continues comme ça. »
« Mais c'est que tu sors les griffes ! Quand ils sauront tous que tu es aussi adorable qu'un chaton en réalité... »
« MELIODAS !! », cria Mitsune, plus rouge que rouge.
« Héhé ! J'y peux rien, t'es trop mignonne quand t'es gênée ! Bon, je file ! Avant que j'oublie, Arthur t'invite à déjeuner à la taverne dimanche prochain. »
« Eh bien, tu lui diras que s'il n'est même pas capable de venir m'inviter lui-même, il peut toujours courir. »
« Tu n'en as pas marre de lui mettre des râteaux ? Arthur est un gars bien. »
« Je n'ai pas dit le contraire. Mais déjà que je ne m'intéresse pas à ce genre de choses, je ne vais pas faire un effort s'il n'est même pas capable de m'inviter lui-même. »
« En même temps, t'es inaccessible comme fille. Les seules fois où il peut te parler, c'est lors des activités artistiques que vous avez en commun. Je dois vraiment te rappeler que c'est impossible de te sortir de tes élans artistiques une fois que tu es lancée ? »
« Meliodas, ma vie privée ne te concerne pas. L'art passera toujours avant l'amour. S'il n'est pas capable de faire avec, tant pis pour lui. Maintenant, laisse-moi travailler s'il te plaît, sinon je ne pourrais pas faire le service à la taverne tout à l'heure. »
« Comme tu voudras p'tite renarde ! »
Il les salua avant de sortir de la salle en chantonnant. Mitsune se remit au travail dans un soupir.
« Tout va bien ? »
« Oui, ne t'en fais pas Shoto. C'est juste que ce n'est pas la première fois qu'Arthur me propose un rencard en passant par Meliodas. »
« C'est ce que j'avais cru comprendre. Il ne te plaît pas ? »
« Comme je l'ai dit à Meliodas, tout mon coeur et mon âme est dédié à l'art. Peut-être que cela changera un jour, mais c'est comme ça pour le moment. Je ne m'intéresse pas à l'amour. »
« Tu es jeune, tu as le temps pour ça. En tout cas, je ne l'imaginais pas si petit et si jeune. »
« Ne te fie pas à son apparence, il a le même âge que nous. Les Seven Deadly Sins sont tous spéciaux, mais ils sont gentils. A Liones, tout le monde est un peu spécial, mais c'est plus drôle comme ça. »
« C'est une manière de voir les choses. »
Mitsune continua à pianoter sur son ordinateur, avant de déclarer qu'elle avait terminé. Shoto se pencha un peu en avant, intéressé.
« Tu veux voir ? », lui demanda Mitsune, comme si elle avait lu dans ses pensées.
« Pourquoi pas. »
Elle hocha la tête et lança la vidéo.
https://youtu.be/q5Zi8srra8o
« Il y a des zombies à la Liones Academy ? »
« Oui, Arthur en est un. Ce n'est pas dû à leur alter, ils descendent juste de personnes ayant servi de souris de laboratoire au début de l'ère des alters. Une mauvaise manipulation de la part des scientifiques les a transformés en zombies, et ils se sont reproduits entre eux. Avec le temps, ils ont acquis un certain pouvoir de métamorphose pour ressembler à des humains normaux, mais voilà leur véritable apparence. Le sujet de l'examen était de représenter au mieux dans un clip vidéo de chant et de danse l'esprit d'unité si cher à notre école, donc on a décidé de tourner une vidéo où les loups-garous, les zombies et les humains font la fête ensemble. Les loups-garous représentent les hybrides comme Wolfy et moi, mais il y en a très peu en seconde, seulement deux ou trois, donc la plupart des loups-garous de la vidéo sont des élèves déguisés. »
« Et toi ? »
« Tu ne m'as pas reconnu ? »
« Si, mais je pensais que tu serais avec les loups-garous, non ? »
« Peut-être, mais cela a été un choix collégiale. Plus qu'une hybride, je suis un facteur d'unité selon les élèves. C'est pour ça. »
« En tout cas, on dirait du travail de professionnel. »
« Tu exagères, mais merci ! »
Elle éteignit son ordinateur, au moment même où des élèves de seconde entraient dans la salle. Diane s'approcha rapidement de la blonde, paniquée.
« Mitsune !! Les examens sont bientôt ! »
« Oui, et alors ? Tu vas t'en sortir comme un chef, comme toujours. »
« En danse, peut-être, mais je n'ai pas ton talent pour les autres arts ! Je crois que j'ai oublié comment faire, absolument tout oublié !! Comment je vais faire ?! »
Mitsune se leva et posa doucement ses mains sur les épaules de son amie.
« Commence par respirer Diane. Tout ira bien, je te le promets. Si tu veux, plutôt que d'aller répéter avec Merlin et Jericho après, on reverra toutes les bases ensemble. Il n'y a pas à avoir peur. Même si ce sont des examens, l'art est avant tout l'expression de ce qu'il y a en nous. Aie confiance en toi, tu es une artiste extrêmement talentueuse. »
Diane inspira profondément plusieurs fois, afin de se calmer, puis hocha doucement la tête.
« D-D'accord... OK... je veux bien qu'on revoit les bases ensemble... merci Mitsune... »
Mitsune lui sourit, puis les élèves s'installèrent. Le professeur Zaratras, celui qui encadrait les cours pratiques du dessin, que ce soit à la peinture, au fusain, au crayon, au feutre etc, entra et les salua joyeusement.
« Bonjour à tous ! J'espère que vous êtes en pleine forme pour cette heure que nous allons passer ensemble ! Mitsune, tu nous as amené un ami ? »
« Tu vas passer à la casserole Shoto... », le prévint Mitsune à voix basse.
« Hein ? »
« Et un apprenti héros prometteur qui plus est ! Parfait ! Ton jeune ami va nous servir de modèle pour le cours d'aujourd'hui ! Jeune Todoroki, approche ! »
« Hein ?!! », s'écria le bicolore.
« Héhé ! Tu as voulu m'accompagner Shoto, il va falloir assumer ! », rigola la Kitsune.
« Tu ne m'avais pas prévenu. »
« Haha ! Tu vas pas me dire que tu as peur de servir de modèle pour des élèves ? »
En riant, elle le poussa au centre de la pièce, sur l'estrade circulaire. Les tables étaient disposés en cercle autour de ce dernier.
« Mets-toi à l'aise et reste naturel ! », lui fit chaleureusement Zaratras, alors que Mitsune retournait à sa place.
« Mais j'ai jamais dit que... », tenta le bicolore, en vain.
« Cela va être tout un défi de capter l'essence même d'un héros aussi surcheaté... », commenta Jericho.
« C'est ce qui constitue le plus grand défi quand un artiste doit dessiner son modèle. », rétorqua Guila, une jeune fille de quinze ans aux longs cheveux noirs avec une frange et aux yeux bruns.
« C'est ce qui fait toute la beauté de l'art ! », s'enthousiasma Mitsune, un grand sourire aux lèvres. « Le modèle est le même pour tous, mais chaque artiste le représentera différemment ! Ah j'ai tellement hâte de me mettre au travail !! »
L'excitation évidente de la Kitsune, qui sautillait presque sur sa chaise, fit rire sa classe, habituée à ce genre de comportement. Elle rayonnait tellement que, sans vraiment savoir pourquoi, Shoto abdiqua avec un léger sourire aux coins de ses lèvres.
« Je peux faire mes devoirs ? », demanda Shoto.
« Bien sûr, du moment que tu restes naturel ! », affirma Zaratras. « Oublie qu'on est là. »
Il hocha la tête et s'assit sur la marche qui permettait de rejoindre l'estrade. Il sortit de son sac ses affaires de japonais et commença à travailler, alors que la classe démarrait leur œuvre. Mitsune commença à gribouiller sur une feuille blanche le temps de trouver des idées, puis alla chercher une grande toile et un tablier, ayant décidé de travailler avec la peinture cette fois-ci. Elle installa un support propice après avoir poussé le bureau et mis le tablier et reproduit ensuite son esquisse au crayon sur la toile.
A chaque fois que Shoto terminait une matière, il levait le regard vers sa camarade de classe, dont le visage était éclairé par un sourire apaisé et dont le regard brillait de passion. Elle s'affairait, projetant parfois de la peinture sur ses vêtements malgré son tablier, sur son visage ou ses cheveux, mais elle n'en avait visiblement que faire. Rien ne semblait pouvoir briser ce moment où elle laissait son inspiration, ses doigts, ses émotions peindre à sa façon le modèle du jour. Elle transpirait la joie et le bonheur, bien plus que lorsqu'elle était sur scène lors du championnat, du moins c'était l'impression du bicolore.
Il commençait à comprendre ce que Meliodas avait voulu dire en parlant de l'impossibilité de la sortir de ses élans artistiques. La jeune fille avait l'air tellement heureuse, tellement inspirée, que cela lui faisait mal au cœur de seulement penser à l'interrompre, alors qu'il ne la connaissait pas vraiment. Alors, il n'imaginait pas ce que c'était pour cet Arthur, qui était visiblement tombé raide dingue de la Kitsune.
Parfois, leurs regards se croisaient, et les pommettes de la blonde se teintaient d'une douce couleur rouge, encore gênée du baiser qu'il lui avait donné lors de l'incident de Hosu. Pour autant, elle ne détournait jamais le regard, et Shoto aurait presque pu croire qu'elle détaillait ses yeux plus précisément à chaque fois, ce qui avait pour effet, à lui, de rougir légèrement, le baiser encore frais dans sa mémoire, et de détourner le regard pour se replonger dans ses devoirs. Lui comme elle avaient essayé d'oublier cet étrange baiser, dénué de tout sentiment amoureux mais qui les avait retourné bien plus que de raison.
« J'ai fait ça pour la sauver... pas de quoi en faire tout un plat. »
« Il a fait ça pour me sauver... il n'y a pas de quoi en faire tout un plat... »
C'était ce qu'ils se disaient, en toute naïveté. Les graines étaient toutes petites, mais elles avaient été semées. Un jour, elles donneraient naissance à de magnifiques fleurs qui s'épanouiront ensemble. Ces graines ne germeraient pas en toute tranquillité, elles auraient des hauts et des bas, mais les fleurs qui en résulteraient seraient vigoureuses et résistantes à tous les défis que la nature leur réservera.
L'heure passa ainsi pour les deux élèves de Yuei, entre travail et coups d'œil adressés à l'autre. Zaratras annonça la fin du cours peu après que la cloche ait sonné, et permit à ses élèves d'entreposer leurs œuvres dans la salle pour les terminer une autre fois. Cependant, une certaine blondinette avait déjà terminé, ayant usé de son alter pour que la peinture sèche en un clin d'œil après chaque couche.
« C'est ton plus beau tableau ! », jugea Diane en passant devant. « Il est terminé ? »
« Oui ! Pourquoi ? »
« Tu as vraiment un bon coup de pinceau. », la complimenta Jericho.
« Oui, ce tableau m'enserre la poitrine de douleur et de tristesse juste en le regardant. », renchérit Guila.
Shoto se leva, ayant fini de ranger ses affaires et étant un peu curieux de voir comment un tableau de lui pouvait à ce point retourner une personne. Il prit place aux côtés des quatre jeunes filles et son souffle se coupa devant ce qu'il voyait, ses yeux hétérochromes s'écarquillant.
Sur le tableau, c'était lui, sans grande surprise, puisqu'il était le modèle de cette session d'art. Non, ce qui le choquait vraiment, c'était les émotions que le tableau transmettait. C'était tout un maelstrom de sentiments qui était visible. La peinture le représentait de face, en gros plan de sorte que le tableau ne commençait qu'à partir d'au-dessus de ses épaules. Ses deux côtés étaient bien distincts, et chacun faisait passer un message différent.
Dans son œil gris, il voyait de la tristesse, de la souffrance, de la peur, mais surtout de l'amour, du bonheur, de la joie. Dans son œil bleu, c'était tout le contraire. Cette orbe d'un bleu éclatant brillait de rage, de haine, d'accusation, comme si le spectateur était coupable de quelque chose d'affreux. Cette dualité des émotions se retrouvait dans l'arrière-plan du tableau. Du côté gauche, selon son point de vue actuel, il pouvait sans peine deviner des pics de glace, qui auraient pu paraître menaçants si une douce lueur rosée n'émanait pas de leur cœur, ne laissant que la surface de la glace dans des tons de bleu très pâle. Le rendu était doux, lumineux. De l'autre côté, il pouvait voir des flammes d'un rouge menaçant, capables de ravager tout ce qu'il y avait sur son chemin. L'arrière-plan était très sombre, seul le feu avec sa couleur agressive détonnait de ce côté lugubre, qui semblait renforcer les émotions que renvoyait l'œil bleu.
Toutes ses émotions, il ne les connaissait que trop bien. Elles étaient enfouies en lui, la seule personne un tant soit peu au courant de celles-ci était Izuku. Et pourtant, avec seulement de la peinture et un pinceau, sa camarade de classe les avait déterré avec la précision d'un médecin avec un scalpel. Elle les avait mises à jour sans difficulté, il pouvait même dire que, dans un sens, elle les avait sublimées avec le talent et la technique que seul un grand maître pouvait détenir.
Ce tableau le retournait complètement, et il se demanda presque si Izuku n'avait pas vendu la mèche sur son passé auprès de la Kitsune. Elle ne pouvait pas avoir vu tout ça, c'était impossible. Jamais il n'avait démontré la moindre émotion devant elle, aucune qui se retrouvait dans ce tableau en tout cas. Comment avait-elle pu peindre aussi facilement les sentiments qu'il terrait en lui, si ce n'est qu'Izuku avait un peu trop parlé ? Pourtant, il savait que le vert ne ferait jamais ça, ce n'était pas dans sa nature. Alors comment ? Était-il plus facile à lire que ce qu'il avait cru ?
« Eh bien, on dirait que notre modèle est sans voix ! », se moqua Jericho.
« Ce n'est pas très difficile, Shoto n'est pas quelqu'un de très bavard en général. Sinon, qu'est-ce-que tu en penses Shoto ? », lui demanda Mitsune.
Ce dernier sortit de sa contemplation du tableau pour poser sur la Kitsune un regard plus troublé que ce qu'il aurait voulu. Il tenta cependant de le dissimuler en donnant son avis sur le talent évident de sa camarade de classe pour l'art, affichant l'air le plus impassible qu'il avait en stock.
« Tu es très douée, vraiment. Je n'avais encore jamais vu quelqu'un avec un si bon coup de pinceau. »
Elle le regarda dans les yeux un instant, comme si elle lisait en lui la question qu'il se posait depuis déjà quelques minutes.
« L'art n'a pas besoin de mots. »
Il haussa un sourcil, l'invitant à développer un peu plus, ce qu'elle fit.
« Les yeux sont le miroir de l'âme, ils ne peuvent jamais mentir. », expliqua-t-elle en toute simplicité.
Elle était très douée, peut-être même un peu trop. Ils ne se connaissaient quasiment pas et, pourtant, elle avait su lire en lui comme dans un livre ouvert. Elle ne savait pas pourquoi il ressentait ça, mais elle savait qu'il ressentait toutes ces émotions. Malgré toutes les barrières qu'il mettait entre lui et les gens, elle avait su tout déceler juste en le regardant dans les yeux. Elle avait su tout deviner, alors même qu'ils ne s'étaient toujours pas liés.
A moins que...
Il observa de nouveau longuement le tableau, avant de regarder sa camarade de classe. Quelque chose en lui lui soufflait que la jeune fille n'était pas si différente de lui. Le coup de pinceau était beaucoup trop précis, alors qu'elle aurait dû être chamboulée des émotions qu'elle voyait dans ses yeux. Son coup de pinceau aurait dû être un peu tremblant, mais il n'en était rien. C'était vrai qu'il ne s'y connaissait pas, mais il avait vu Mitsune chamboulée une fois, et il savait que son côté Kitsune faisait qu'elle ne ressentait pas à moitié. Si elle avait été chamboulée, cela aurait été visible. Mais non. Chaque courbe était parfaite, douce, lisse, précise. Alors, soit elle était davantage maîtresse d'elle-même quand elle créait, soit elle avait tellement peint ces mêmes émotions que cela ne l'atteignait pas plus que ça, soit...
« Mitsune, pourquoi tu aimes l'art ? », demanda-t-il de but en blanc.
Elle le dévisagea quelques secondes, avant de poser le regard sur son tableau, comme si elle refusait de croiser le sien.
« L'art, peu importe sa forme, a un réel pouvoir thérapeutique sur moi. Tu as bien vu aujourd'hui : un simple changement de look, et je deviens à peu près moi-même même dans les lieux que je hais au plus profond de moi. L'art m'aide à grandir, à me découvrir, à apprendre de mes erreurs, à panser mes blessures, aussi profondes soient-elles. L'art m'aide à beaucoup de choses, il me permet de m'exprimer sans aucune contrainte... »
... soit elle ressentait elle-même ces émotions depuis bien trop longtemps, au point de les exprimer encore et encore à travers n'importe quel support artistique.
Au fond de lui, il sentait que, c'était ça, la raison pour laquelle elle avait su si bien exprimer toutes les émotions en lui : elle-même les expérimentait depuis longtemps, trop longtemps. Il ne savait pas pourquoi, tout comme elle ne savait pas pourquoi pour lui, mais il savait qu'elle les ressentait.
« Pourquoi tu veux savoir ça ? », l'interrogea-t-elle.
Peut-être que c'était stupide. Peut-être que c'était juste ce foutu tableau qui le rendait bizarre, mais il se sentait étrangement plus léger qu'en entrant dans la salle une heure plus tôt. Peut-être que c'était juste l'habilité de la jeune artiste à déceler les émotions les plus profondément enfouies. Peut-être que c'était juste son talent qui le faisait se sentir légèrement mieux qu'avant, tout simplement. Il ne savait pas vraiment, mais il sentait qu'ils avaient tous les deux à y gagner, en plus d'une profonde complicité au vu de la puissance du lien existant entre Fenrir et Mitsune.
« J'accepte. »
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