Chapitre 9: L'enfant


- Nadine, non ! Tantine, qu'est-ce que tu fais ? N'avance pas ! Ne rentre pas là-dedans.

En trois enjambées, Mélia avait rejoint Nadine qui agissait tel un automate. Les yeux fixes, la jeune femme semblait attirée par la source lumineuse comme un insecte de nuit.

Mélia lui prit la main pour l'empêcher de s'approcher davantage. Elles étaient à moins d'un mètre de l'orifice qui les aveuglait. Le sol tremblait violemment. La jeune fille essayait d'analyser le plus vite possible la situation, mais elle perdait pied. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qui se passait devant ses yeux. L'ouverture lumineuse était en mouvement. Elle se déployait et se rétractait sans harmonie en crachant une multitude de petits éclairs grésillants qui s'accrochaient partout, aux arbres, au banc de pierre, aux volets, à la voiture familiale...

L'un d'eux atteignit les deux jeunes femmes. Elles ressentirent comme une piqûre et leur corps entier fut parcouru de tremblements. L'arc électrique s'étira au point de les ceinturer comme un lasso. Puis elles furent attirées et englouties par la bouche lumineuse. Enveloppées et digérées. Le halo rayonnant disparut d'un coup.

Devant la demeure Ano, il n'y avait plus aucune trace ni de la clarté surnaturelle, ni de Mélia et de sa tante. Le calme régnait. La nuit reprit ses droits, une chouette se permit même de hululer pour se remettre de ses émotions.

Mélia et Nadine hurlaient de concert au cœur d'un tourbillon chatoyant qui les malmenait. Au départ, elles s'épaulèrent pour maîtriser la force qui les aspirait. Puis rapidement, elles furent séparées et ballotées en tous sens. Aucune idée du bas et du haut, un souffle chaud les enveloppait et les dirigeait au gré de ses envies à une vitesse faramineuse.

Dans un premier temps, Mélia lutta et essayait par tous les moyens d'agripper la main, le pied ou même les cheveux de sa tante lorsque celle-ci croisait sa trajectoire. Mais la puissance qui les manipulait était incroyable et la jeune Éther comprit qu'elle ne pouvait pas combattre ces forces, alors elle lâcha prise. À sa grande consternation, au moment où elle cessa de résister, le tourbillonnement se calma et elle fut déposée avec douceur sur un sol ferme couvert d'une brume épaisse.

- Mélia, Mélia ! Au secours ! hurlait Nadine, toujours contrôlée par le cyclone de lumière. Au secours !

La voix de Nadine était de plus en plus aigüe et sa course désorganisée dans les airs paraissait s'accélérer encore. Mélia ne parvenait même pas à la suivre du regard. Elle passait de droite à gauche ou de haut en bas, virevoltait, puis effectuait une piquée suicidaire avant d'être entrainée dans une remontée vertigineuse in extrémis. Ce que vivait la tante de Mélia était absolument intolérable, le plus impressionnant grand huit du monde n'arrivait pas à la cheville des voltiges de Nadine.

- Ne lutte pas ! Laisse faire, ça va s'arrêter ! lui criait Mélia, les, yeux au ciel sans vraiment réussir à la localiser.

Mais la voix de la jeune Éther ne portait pas dans les hautes sphères où Nadine se débattait. Une ultime accélération eut raison de son exceptionnelle résistance. Elle perdit conscience, ce qui eut pour effet de transformer les bourrasques frénétiques en douces expirations qui la déposèrent mollement sur le sol.

Mélia se précipita vers sa tante qui se faisait engloutir par la brume mauve.

- T'es où ? Ça va ?

Aucune réaction, puis un toussotement répondit aux appels désespérés de la jeune Éther. Enfin, une voix fébrile résonna tout près de Mélia.

- Là, je suis là ! Aide-moi !

Une main s'agitait à quelques mètres. La jeune fille eut vite fait de dégager les volutes violines qui recouvraient le corps de Nadine.

- Mais qu'est-ce qui nous est arrivé ? demanda tantine en crachant quelques bouffées de cette brume aussi épaisse que du coton. Je crois que je vais vomir !

Elle se pencha sur le côté et évacua le contenu de son estomac.

- Je ne comprends pas, s'étonna Mélia agenouillée auprès de Nadine. Cela ressemble un peu à l'Ethérie. Mais tout est vide. Il n'y a rien !

Elle se leva et osa une dizaine de pas pour explorer le monde étrange dans lequel elles avaient été projetées. Mais en quelques secondes, elle perdit déjà le contact avec Nadine qui ne s'était pas encore redressée et avait été une nouvelle fois recouverte par l'épais voile de condensation.

- Mince ! T'es où ? Nadine ? Nadine ? Je ne te vois plus ! Tu m'entends ? s'alarma la jeune fille.

Elle aperçut un membre s'agiter, un pied cette fois. À deux mains, elle pelleta de grosses quantités de brume pour dégager sa tante toute suffocante.

- Mais c'est quoi ce truc, s'agaça celle-ci quand elle retrouva son souffle ! J'étais complètement coincée là-dedans. Je rêve, dis-moi que je rêve, Mélia ! Ou plutôt dis-moi que je fais un horrible cauchemar et que je vais me réveiller au chaud dans mon lit.

- Alors on fait le même cauchemar et je ne sais pas comment me réveiller, ironisa Mélia. Non, il faut vraiment que l'on comprenne ce qu'il nous arrive et on ne devrait pas rester là. Lève-toi avant d'être une nouvelle fois recouverte de cette purée de pois !

Elles se tinrent par la main et avancèrent prudemment dans ce décor fantomatique. La brume atteignait leur poitrine et créait une sensation oppressante. Un besoin insidieux de prendre de grandes respirations.

- Il n'y a rien. Rien de rien ici, se plaignit Mélia au bout de plusieurs mètres d'une progression hasardeuse. Pas un arbre, pas une montagne, aucune maison, personne. Je ne comprends pas ce que l'on fait là.

- Je commence vraiment à avoir peur, gémit Nadine. Personne ne va nous trouver dans un endroit pareil.

- Non, d'autant plus que tout le monde semble complètement statufié dans la demeure ! Je n'ai pas réussi à réveiller Thys et mes parents n'ont pas bougé d'un pouce quand je les ai secoués.

- Oh ! lala ! Mais pourquoi il m'arrive ça encore ? J'avais assez de malheurs comme ça ! chouina Nadine.

- On va s'en sortir, ne t'inquiète pas ! l'encouragea la jeune Éther en masquant sa propre peur.

- C'est vrai que tu es la Clairvoyante, se rassura Nadine. Tu vas nous sortir de là ! Tu vas bien comprendre ce qui se passe, hein ?

Mélia ne répondit pas, elle déglutit et grimaça un sourire.

Elles marchèrent longtemps en essayant de garder un cap, ce qui était extrêmement dur sans point de repère. À trois cent soixante degrés, partout où leur regard portait, il n'y avait qu'une mer de brume violine. De quoi décourager les âmes les plus téméraires et Nadine n'était pas une âme téméraire. Elle était devenue pâle et avançait depuis quelques minutes comme un zombie. Ses yeux rougis larmoyaient et elle serrait fortement la main de Mélia.

Elles firent une pause. Elles étaient épuisées par leur longue marche et complètement assoiffées comme si l'épais brouillard qui naissait sur le sol recourait à toute l'humidité de leur corps pour se former.

- Je vais tenter d'utiliser les énergies pour disperser la brume, proposa Mélia.

- Ah ! Ben oui, grogna Nadine rendue hargneuse par les événements. Tu ne pouvais pas y penser plus tôt.

Mélia secoua la tête et se concentra sur son Ingéni. Elle avait beaucoup appris au cours de son cycle des transformations, mais elle n'avait jamais été confrontée à ce genre de situation. Elle joignit le pouce à l'index de chaque main et frotta ses doigts lentement l'un contre l'autre. Son Ingéni s'activa aussitôt et irradia une lueur blanche qui enveloppa tout le corps de la jeune fille sous tension.

Anastasia avait expliqué à ses Prudens de ne jamais opérer à l'aveugle et de toujours tenir compte des facteurs en jeu avant de prendre le contrôle des énergies terrestres. Sinon, les effets pouvaient être pires que les maux contrés. Face à la situation présente, Mélia s'appuyait sur ses cours de chimie de seconde. Le brouillard constitué de minuscules gouttelettes d'eau en suspension dans l'air est souvent dû à un refroidissement du sol qui contraste avec la chaleur de l'air ou vice versa.

La jeune fille essaya alors d'agir sur les molécules qui habituellement retiennent l'énergie des rayons du soleil pour réchauffer la planète. Elle les libéra sans difficulté d'une partie de leur fardeau et la température s'abaissa soudainement de plusieurs degrés. L'effet fut immédiat, la brume se détacha en filaments et s'éleva en recherche de chaleur. En quelques minutes, le paysage se dévoila sous les yeux des deux jeunes femmes : une vaste plaine pierreuse sur laquelle poussaient des herbes drues, quelques bosquets aussi étiraient leurs branches sèches.

- On dirait un chemin là-bas sur la droite fit remarquer Nadine.

- Peut-être... de toute façon, il n'y a rien d'autre. Allons-y.

Elles marchèrent pendant une dizaine de minutes en silence. Le paysage variait peu, les bosquets s'étoffaient toutefois et elles aperçurent au loin une masse un peu plus imposante. En s'approchant, elles furent surprises de reconnaître un arbre. Il était immense, ses branches noueuses s'étiraient dans toutes les directions et arboraient un feuillage touffu.

- Mais c'est incroyable. Il est gigantesque. Qu'est-ce qu'il fait là en plein milieu, s'extasia Mélia.

- Tout est incroyable ici, fit remarquer Nadine.

Arrivées au pied de l'arbre, elles se sentirent toutes petites. La circonférence du tronc équivalait à une ronde d'au moins vingt personnes se tenant par la main. Instinctivement, les jeunes femmes caressèrent l'écorce rugueuse avec respect. L'Ingéni de Mélia se chargea d'énergie et irradia de plaisir.

- Bon, ceci ne nous dit toujours pas ce que l'on fait ici et comment on va rentrer chez nous, râla Nadine qui fut la première à reprendre ses esprits.

- Cet arbre est peut-être une ouverture, il est si vivant, répondit Mélia, les joues en feu. Il m'a reboosté en quelques secondes. Il ne peut pas être là par hasard.

Elle se mit aussitôt à effleurer l'air à proximité du titanesque tronc avec l'espoir d'attraper un pan d'énergie qui leur offrirait une sortie de secours. Nadine, incrédule, l'imita toutefois sans y croire. Concentrées sur leur tâche, elles ne s'aperçurent pas de la présence silencieuse qui les fixait. Ce fut Nadine qui, la première, se détourna de l'arbre avec un soupir de dépit et découvrit la petite forme, face à elle. Ses jambes se dérobèrent et elle s'affaissa à genou en poussant un cri suraigu qui fit tressaillir Mélia.

Devant elles, se tenait un petit garçon blond, très pâle. Il les scrutait sans peur, sans sourire.

- Qui es-tu ? demanda Mélia dans un souffle alors que Nadine hoquetait.

L'enfant ne répondit pas, il dévisageait Mélia, sans exprimer la moindre émotion. Malgré une bouille angélique, ses yeux étaient froids et fixes.

- Mon Dieu, mon Dieu ! Ce n'est pas possible ! sanglota Nadine.

Elle tendit les bras vers l'angelot blond, tout en demeurant totalement incapable de se relever. Son corps, secoué de tremblements, ne lui répondait plus. Elle était blafarde et ses yeux écarquillés fixaient le petit garçon en déversant un flot de larmes.

- Mon petit, mon tout petit ! Que fais-tu là ? Viens voir maman ! Esteban, mon cœur d'amour, viens !

- Esteban ? chuchota Mélia pour elle-même.

Son regard passait de l'enfant immobile à sa tante quasi hystérique clouée au sol.

- Esteban ! Tu es revenu ! Approche mon ange ! sanglotait Nadine toujours incapable de prendre appui sur ses jambes.

Le blondinet ne bougea pas. Il dardait son regard sur Nadine, mais n'affichait aucune émotion.

- Ce ne peut pas être Esteban, Nadine ! Tu le sais, hein ? chuchota Mélia en s'avançant vers le garçonnet. Bonjour toi ! Comment t'appelles-tu ?

- Il ne te répondra pas, il parle seulement dans ma tête, répliqua Nadine d'une voix blanche. C'est Esteban, mon bébé. C'est celui de mes souvenirs. Je ne comprends plus rien. Je deviens folle !

Mélia avait atteint le petit. Elle lui caressa la joue et s'agenouilla à ses côtés.

- N'aie pas peur ! Dis-moi ce que tu fais ici ! Tu connais cet endroit ?

L'enfant la fixa, la tête légèrement inclinée. Puis il reposa ses yeux clairs sur Nadine. Celle-ci était parvenue à se redresser et s'approchait en titubant, le regard hagard. Arrivée à sa hauteur, elle se jeta sur lui en l'étreignant et en gémissant. Il demeura stoïque et ne manifesta aucun geste.

- Mon petit, je t'ai retrouvé ! Mais comment est-ce possible ? Quel est cet endroit ? Mélia, Mélia, nous sommes peut-être mortes !

La jeune Éther restait sans voix en contemplant l'enfant que sa tante enlaçait. Tout cela était totalement incompréhensible. Depuis son Oritis, elle vivait des situations extraordinaires, mais ce qui se passait en ce moment dépassait complètement son entendement. Avait-elle la faculté de voyager dans le monde des défunts ? Elle frissonna, perplexe.

- Mélia, Mélia ! Réponds-moi ! Est-ce que nous sommes mortes ? répéta Nadine.

- Mais je... Je ne sais pas ! Je ne comprends pas non plus ! Es-tu sûre qu'il s'agit bien d'Esteban ?

- Oh ! Mais ouiQu'est-ce qu'il m'avait fait peur ce jour-là ! C'est une preuve, hein ! Cette cicatrice ?

Nadine resserra son étreinte autour du corps de l'enfant. Mélia observait son menton. Vraisemblablement, sa tante ne déraisonnait pas. Les faits étaient là ! Mais que tout ceci était effrayant et complètement inexplicable !

- Je ne comprends pas, fit-elle. Ça me dépasse. Ces lieux ressemblent à l'Ethérie. Je... Je ne pense pas que l'on soit mortes. Mais je ne sais pas pourquoi ce petit apparaît ici.

- Mais parce que je le voulais, je le voulais très fort ! Anastasia Tix me l'avait pris ! Il n'était plus dans ma tête, dans mes pensées. Je désirais tant le retrouver et j'ai réussi ! se félicita Nadine.

Mélia ne trouva rien à répliquer. Elle n'avait aucune réponse aux multiples interrogations qui l'assaillaient. Elle balaya rapidement des yeux le paysage autour d'elle. À part l'imposant arbre au pied duquel elle se tenait, il n'y avait aucun repère. La brume se reformait déjà depuis quelques minutes et couvrait le sol sur une vingtaine de centimètres.

Quand Nadine relâcha le petit garçon pour le contempler avec amour, celui-ci s'écarta et se mit à marcher. Il s'éloigna de l'arbre d'un pas assuré sans un regard pour les deux jeunes femmes éberluées.

- Esteban, reviens ! Reste avec maman ! le supplia Nadine en courant derrière lui.

Mélia retint sa tante par la main.

- Attends ! On va le suivre ! Ne t'inquiète pas ! Il va peut-être nous montrer d'où il vient !

- Mais je ne veux pas le perdre encore ! C'est mon petit, mon tout petit ! gémit Nadine.

- Ne t'inquiète pas, on ne va pas le lâcher des yeux. On le suit tout simplement !

Nadine acquiesça. Elle était extrêmement pâle. Ses yeux vert sombre lui mangeaient le visage et exprimaient une détresse immense.

Elles marchèrent dans les pas de l'étrange garçonnet pendant de longues minutes. La brume épaississait et seulement les épaules et la tête de l'enfant dépassaient maintenant de ce mauve cotonneux. Quelques branches pointaient de part et d'autre du chemin qu'ils empruntaient. Les foulées étaient moins assurées, les deux femmes posaient leurs pieds à l'aveuglette avec prudence, tandis que le petit s'enfonçait dans cette mer vaporeuse.

- On va le perdre, il va disparaître, s'évaporer dans ce brouillard, s'alarma Nadine qui le talonnait au point d'effleurer sa chevelure d'une main aimante à chaque pas.

Mélia ne dit rien. Elle analysait la situation. Elle avait été réveillée en pleine nuit par un genre de tremblement de terre que seules sa tante et elle avaient ressenti. Il avait été impossible de tirer du sommeil le reste de la famille. Puis une sorte de tunnel de lumière les avait avalées et rejetées dans un monde assez semblable à l'Ethérie sans la magnifique voute céleste. Là, après avoir failli être englouties par la brume, elles avaient atteint un arbre gigantesque où les attendait un petit garçon que Nadine avait reconnu comme son fils mort. Et maintenant, celui-ci les guidait à travers un paysage morne et monotone. Quel était le but de tout cela ?

Tous les voyages spatio-temporels qu'elle avait effectués jusqu'à présent avaient vraiment une raison. C'était pour lui communiquer des informations sur une cité ou une personne. Mais elle ne comprenait pas la signification de ce qui se passait aujourd'hui et pourquoi sa tante était-elle impliquée dans l'histoire, alors qu'elle n'avait même pas eu l'occasion de tenter son Oritis ?

Toute à sa réflexion, elle ne prêta pas attention au subtil changement de décor. La brume s'était encore densifiée et montait maintenant jusqu'à la taille des deux femmes, seules quelques mèches de cheveux de l'enfant dépassaient de cette mer cotonneuse.

- Je ne le vois presque plus, geignit Nadine. Esteban ! Attends maman, mon petit cœur ! Tu vas encore disparaître !

Mais le blondinet filait sans se soucier du ton suppliant de la jeune femme. Le voile vaporeux l'enveloppait entièrement, mais il était devenu tellement épais que la progression du garçonnet laissait une trouée derrière lui dans laquelle s'engouffraient Nadine et sa nièce.

Elles marchèrent ainsi derrière leur guide, sans but apparent, luttant contre ce brouillard vicieux qui les faisait tousser en s'engouffrant sournoisement dans leur gorge ou leur narine à chaque inspiration. Le petiot ne paraissait pas gêné.

- Je n'en peux plus ! craqua Mélia. Où est-ce que tu nous emmènes... Esteban ?

Elle avait eu du mal à prononcer le prénom de son cousin décédé. Cela lui semblait tellement incongru de dépendre d'un enfant mort depuis une bonne dizaine d'années. Évidemment, celui-ci ne lui répondit pas et ne se donna même pas la peine de lui jeter un regard.

- Il faut le suivre, objecta Nadine face à l'air buté de Mélia. Il faut le suivre, il doit bien savoir ce que l'on fait ici.

- Il ne sait rien, s'énerva Mélia. Comment pourrait-il savoir quelque chose ? Il n'est pas là, il est mort. Tout ça n'a pas de sens, Tantine ! Cet être t'a hypnotisée. Je dois être hypnotisée, aussi, ce n'est pas possible !

À peine eut-elle fini sa tirade que l'enfant s'arrêta et lui fit face.

- Ah ? s'étonna Mélia. Qu'est-ce qu'il veut ?

Elle était mal à l'aise face au regard vide. Mais elle n'eut pas loisir de s'interroger longtemps. Elle ressentit rapidement une vibration qui émanait du sol.

- Qu'est-ce qui se passe ? Oh ! Qu'est-ce qu'il se passe encore ? s'effraya Nadine en tentant d'attraper Esteban qui disparaissait une nouvelle fois dans la brume.

- On dirait un tremblement de terre ! Il ne faut pas rester là !

Les secousses enflaient sous leurs pieds et un grondement sourd exhala du sol tout autour d'elles.

- Je n'aime pas ça du tout, dit Mélia.

Elle tressaillit quand un souffle glacial lui lécha la nuque. Juste derrière elle, la terre s'était fendue et une brèche s'élargissait en aspirant fortement la brume. Il y eut un craquement sec, et la fissure ouvrit une gueule impressionnante en absorbant tout ce qu'elle rencontrait à sa portée. Par chance, Mélia se trouvait à proximité du seul arbrisseau du coin. Elle s'y agrippa et conseilla à Nadine de faire de même. Celle-ci voulut attraper son fils, mais s'aperçut qu'il avait disparu.

- Non ! Esteban ! hurla-t-elle. Esteban ! Mélia, il n'est plus là !

- Il est allé se mettre à l'abri. Et on va faire pareil ! s'exclama la jeune fille.

Son ton était décidé et elle ne donna pas l'occasion à ta tante de répliquer. Elle lui prit la main et s'arc-bouta pour l'entrainer loin de cette fissure dévoreuse. Leur fuite était chaotique. Elles étaient secouées par le sol qui grondait toujours et elles cheminaient à contre-courant d'un souffle démentiel. Mélia fut giflée par une branche arrachée qui percuta son visage. Elle poussa un cri de surprise doublé de la douleur de sentir sa pommette déchirée. Nadine lui apporta son soutien mutique en pressant plus fortement sa main. Les deux femmes baissaient la tête pour progresser, bien résolues à affronter les éléments qui se déchainaient autour d'elles.

- Par ici, cria une voix. Attrape mon bras ! Vite !

Mélia leva les yeux et aperçut une silhouette massive qui la surplombait. Une main tendue se faisait insistante. Sans une hésitation, elle la saisit sans lâcher celle de sa tante.

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