Chapitre 12: Invasion
Téodor maugréait. Cela faisait des jours qu'il attendait le retour de Briac. Décidément, c'était une bien mauvaise idée d'avoir voulu l'initier. Comme si un Péragore pouvait soudain capter toutes les valeurs des Ostendes ! Encore une idée de la gamine. Rinata passait tout à sa petite-fille et lui, comme un idiot, passait tout à Rinata. Il aurait dû s'opposer à ça. Briac n'allait jamais sortir de l'Oritis, Mélia lui en voudrait et en plus il aurait perdu son temps. Il avait tant de choses à gérer en ce moment.
L'Ethérie était en danger. La Faille faisait des siennes tous les jours, les différentes zones souffraient. En plus, la menace des Indésiratas était bien tangible. Maintenant qu'ils expérimentaient sur des Ostendes capturés pour comprendre le fonctionnement des Ingénis, Téodor craignait qu'à tout instant, l'un d'eux s'infiltre en Ethérie comme avait réussi à le faire Daniel.
Et il y avait cette alarme, ce son régulier qui se déclenchait dans son cerveau depuis quelques heures. C'était comme si Anastasia l'appelait. Mais le signal était douloureux et ça lui faisait peur. Est-ce que son amie allait bien ? Y avait-il eu une nouvelle catastrophe en Ethérie ?
Il devait rejoindre les siens de toute urgence, il en était sûr. Et il était coincé là, avec ce gamin qui ne voulait plus sortir. Il avait déjà envisagé de partir plus d'une fois et de laisser Briac à son sort. Après tout c'était le fils de Jason le Tallec, un Péragore de la pire espèce ! Son rejeton ne pouvait pas différer tant que ça des allégeances du paternel. Mais à chaque envie de fausser compagnie à son Prudens, le visage de Mélia s'était imposé à lui.
— Peste de cette gamine, éclata-t-il pour la énième fois de la journée ! Pourquoi a-t-elle flashé sur ce maudit Péragore ? Dans quoi, elle nous embarque encore ! Elle ne fait jamais rien comme les autres !
Il n'allait pas rester là à méditer encore des jours entiers, alors que le monde était en train de s'effondrer. Le paradoxe, c'était qu'il ne pouvait emprunter le passage de l'Ethérie pour aller chercher cet âne bâté de Briac, ce passage lui était exclusivement réservé. Mais qu'il ne pouvait pas non plus décider de quitter les lieux sans sceller définitivement le sort du garçon puisque l'initiateur de l'Oritis était le seul qui pouvait maintenir l'Ouverture. Si Téodor partait avant le retour de Briac, celui-ci ne pourrait plus jamais sortir du monde éthéré dans lequel il vivait son épreuve.
Après un énième soupir, Téodor reprit sa position de méditation favorite, assis, le dos droit, les plantes de pieds face à face, les deux mains sur le cœur.
Il ne sursauta pas quand il entendit le « plop » d'extraction de l'Ouverture. Un sourire étira sa moustache. Enfin ! Il n'ouvrit même pas les yeux pour demander un brin moqueur :
— Alors gamin, tu as eu ta dose, tu retournes chez les Indésiratas ?
— Ah ! pour ça, j'ai eu ma dose, une bonne dose, répondit la voix de Briac. J'ai profité de tout, en charmante compagnie, il faut dire. Ah ! Et je vous ramène un cadeau, pour vous remercier de votre patience !
La voix était railleuse et curieusement enjouée.
— Charmante compagnie ? Un cadeau ? répéta le Maître en ouvrant un œil ahuri.
Le Péragore lui tendait une pierre. Non pas une pierre ! Par les Éthers originels ! Briac avait trouvé un cylindre ! Mais qu'avait fichu ce couard là-bas dedans ? Et pourquoi la gamine et sa tante riaient-elles comme deux nigaudes ?
La gamine ? Mais que...
Jamais Téodor ne s'était relevé aussi vite d'une séance de méditation. On aurait même pu dire qu'il avait voltigé comme propulsé par un ressort qui n'attendait que ça : envoyer le Maître se faire voir ailleurs.
Le petit homme tremblait, sa mâchoire canine claquait et ses yeux s'étrécirent comme ceux d'un reptile.
— Mince, s'inquiéta Mélia, le choc a été trop violent. Maître, ça va ?
Mais alors que la jeune Éther s'approchait de Téodor, celui-ci recula d'autant de pas.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce que vous faites tous là, se reprit-il ?
Jamais Mélia n'avait vu Téodor dans un tel état. Il avait perdu toute sa prestance et ressemblait à un simple vieillard apeuré.
— Je reviens de mon Oritis, vous vous rappelez ? répondit Briac qui visiblement avait envie de continuer à torturer le Maître Arcan, sans doute pour le plaisir de rabaisser un peu le petit homme qui n'avait pas été tendre avec lui.
— Ne me prends pas pour un abruti, fils de démon, clapit Téodor. Je savais qu'il ne fallait pas te faire confiance. Qu'est-ce que tu as fait ?
Briac perdit son sourire et serra les poings. Son Ingéni lança son premier éclair lumineux et gronda une menace.
Mélia décida d'intervenir avant que la situation ne dégénère inutilement.
— Maître, calmez-vous ! On va vous expliquer. Nadine et Briac sont liés depuis l'Appel réalisé par Anastasia, se dépêcha-t-elle d'annoncer avant que Téodor n'émette une protestation ou qu'il ne n'envoie valser Briac dans les airs, ce qui visiblement était l'option qu'il avait choisie. Il y a eu une Ouverture pour Nadine aussi devant la demeure Ano et je l'ai accompagnée. On a retrouvé Briac. Il avait déjà déniché le cylindre. Du coup, on a pu l'enclencher et écouter le message. Alexander était jeune et il...
— Attends, attends ! Qu'est-ce que tu racontes encore ? Pourquoi, il se passe toujours des choses incroyables avec toi ?
Le Maître reprenait doucement son calme et son apparence hautaine. Mais les traits de son visage restaient tendus et ses mèches blanches virevoltaient sur son crâne, toujours prêtes à l'attaque.
— Et moi, j'ai retrouvé Esteban, annonça Nadine avec fierté. Enfin, il est sorti de ma tête pour me guider, et c'est lui qui...
— Tantine, la coupa Mélia, on lui racontera ça après, peut-être. Ça fait déjà beaucoup là !
Nadine se rembrunit. Téodor inclina la tête, ses grosses mains aplatirent brutalement ses mèches. Il retint son souffle et considéra les trois jeunes.
— Bien, bien, bien ! D'accord !
Il pointa un doigt vers Mélia, mais son geste resta en suspens. Il grimaça. Il venait de recevoir une autre alarme. Anastasia l'alertait. Que se passait-il ? Le monde devenait fou ! L'espace d'un instant, il eut envie de renoncer. Il était trop vieux pour tout ça, il n'arrivait plus à suivre.
Mais c'était sans compter la sagacité de Mélia.
— C'est Anastasia ? demanda-t-elle. Je vous ai déjà vu réagir comme ça à ses avertissements télépathiques ! Il se passe quelque chose ?
— Je ne sais pas, bredouilla-t-il, il se passe trop de choses en ce moment.
— Allons-y ! décida Mélia soudainement inquiète pour son frère et ses parents. On vous racontera tout en chemin.
Ils s'engouffrèrent dans Tout-Douce. La R5 cahota encore plus que d'habitude, ce n'était pas dû aux nids de poule de la route, mais plutôt aux fréquents sursauts du chauffeur à l'écoute du récit du trio.
Quand ils arrivèrent à la demeure Ano, le tintamarre plaintif du moteur de Tout-Douce fit sortir précipitamment le reste de la famille.
— Ils sont réveillés, se rassura Mélia sans remarquer l'étonnement de Téodor.
À peine, eurent-ils débarqué de la voiture, qu'ils furent assaillis de questions. Sylvie était quasi hystérique.
— Mais d'où venez-vous ? Cela fait des heures que l'on vous cherche partout. On a voulu demander l'aide de Térence et Anastasia, mais impossible de les joindre et on ne peut même plus atteindre l'Ethérie.
— Comment ? s'alarma Téodor. Que dites-vous ? Vous ne pouvez pas aller en Ethérie ?
Il n'attendit pas de réponse et se précipita vers le marronnier. Il tâta l'air sous la branche la plus basse. Il ne perçut aucune vibration. Il n'y avait plus de passage ici.
— Je n'aime pas ça du tout ! grogna le Maître.
— Moi non plus, soupira Anthony dans son dos. Depuis que nous habitons la demeure, ce passage n'a jamais été bouché. Qu'est-ce qui se passe selon vous ?
Téodor se retourna prestement et se précipita vers sa voiture.
— Je n'en sais rien, mais j'ai peur que ce soit grave. Je vais voir si Marceline peut m'éclairer. Ne bougez pas d'ici et soyez vigilants !
— Non, on vous suit, décida Sylvie. Les enfants seront en sécurité avec vous. Il se trame quelque chose, je le sens.
Téodor rouspéta pour la forme, mais il savait que Mélia tenait sa ténacité de Sylvie et s'il ne pouvait contenir la fille, il y avait fort à parier que la mère serait encore plus coriace.
Ils ne purent pas tous s'entasser dans Tout-Douce. Téodor accepta d'embarquer Thys, Mélia et Nadine.
Briac grimpa à l'arrière de la Renault Mégane de Sylvie qui parut seulement remarquer la présence du garçon.
— Ton Oritis s'est bien passé ? demanda-t-elle pour établir conversation.
— Oui, ça va, Mélia et Nadine sont venues m'aider, répliqua-t-il en se doutant de l'effet que sa réponse allait produire.
— Quoi ? s'étrangla à moitié Sylvie en appuyant malgré elle sur l'accélérateur.
Sa voiture talonna alors dangereusement la petite R5.
— Ah ! Briac a dû commencer son récit, s'amusa Mélia dans Tout-Douce quand elle remarqua les sourcils froncés de Téodor dans le rétroviseur.
Thys aussi était estomaqué en découvrant à quoi avaient joué sa tante et sa sœur pendant la nuit. Ce qui l'agaçait le plus, c'est que Mélia n'avait pas pu le réveiller. Il aurait tellement voulu faire partie de l'aventure et voir la tête ahurie de Téodor.
Quand ils arrivèrent chez Marceline, celle-ci était dans la cour et semblait les attendre. Elle ne laissa pas Téodor parler et les fit rentrer aussitôt.
Sa maison était très lumineuse et bien décorée, aussi accueillante que sa propriétaire. La petite troupe suivit la vieille femme toujours gracile dans le salon. Une dizaine de chats s'égaillèrent à leur approche. Thys, Mélia et tantine s'installaient déjà sur les fauteuils à l'assise moelleuse pour le débriefing, mais ils constatèrent que le reste du groupe ne s'arrêtait pas ici. Anthony et Téodor déplaçaient un meuble d'un air entendu.
— Allez, les jeunes, les incita Marceline, dépêchez-vous, je ne sais pas combien de temps mon ouverture va être viable ! J'ai travaillé dessus toute la nuit quand je me suis aperçue du changement de vibration.
— Il y a un passage de secours chez Marceline, expliqua Anthony. La maison a été construite sur un nœud tellurique et c'est bien utile.
La commode déplacée libérait un escalier qui s'enfonçait d'une vingtaine de marches dans le sol. Ils s'y engagèrent tous et se trouvèrent vite coincés dans une toute petite salle, vaguement plus grande qu'un cabinet de toilette et complètement dénuée de meubles.
— Regarde, elle s'est encore rétrécie, constata la vieille femme en désignant à Téodor un coin de la pièce.
Thys n'apercevait rien, mais il se doutait que l'ouverture sur l'Ethérie devait se situer à quelques centimètres du doigt pointé de Marceline.
— Fichtre, grimaça Téodor en rentrant le ventre, mais on ne passera jamais par-là !
Même si le Maître était de petite taille, les kilos gagnés grâce à sa gloutonnerie lui arrondissaient largement la carrure.
— Moi, je peux me faufiler, proposa Mélia. Et Thys aussi, je pense !
— Vous n'irez pas tous les deux, c'est trop dangereux, plaida Sylvie en fixant Téodor.
— C'est pourtant une bonne idée, concéda le Maître. Les jumeaux peuvent s'y glisser et nous dire ce qu'ils voient sur l'autre plan. Pendant ce temps, à nous tous, nous garderons le passage ouvert pour leur permettre un retour.
— Mais, non, je ne veux pas que mes enfants risquent...
Marceline Chanfrain s'interposa dans la discussion :
— J'irai avec eux, je passe facilement vu ma petite taille et je maintiendrai l'ouverture de l'autre côté pendant leur repérage. Ne t'inquiète pas Sylvie, je veillerai sur tes enfants comme je l'ai déjà fait.
Sylvie acquiesça à contrecœur. Marceline avait sauvé Thys de l'emprise de Jason Le Tallec trois ans auparavant. C'était une Ignure de confiance et efficace.
Alors que Téodor, Sylvie et Anthony se concentraient pour garder la dernière brèche sur l'Ethérie béante, Marceline et les jumeaux s'y glissèrent avec souplesse. Briac, avant qu'on ne lui interdise, leur emboita le pas. Plus grand et plus large que Thys, il eut du mal à passer et ressentit une sorte de brûlure sur sa peau.
— C'est un électron libre, celui-là s'offusqua le Maître. Je n'en veux pas comme Prudens ! Qu'est-ce qu'il va faire là-bas ?
— Je dois y aller moi aussi ? s'informa Nadine.
— Surtout pas. Il y a assez d'abrutis dans ce trou, grogna le Maître.
La jeune femme vexée n'eut aucune répartie, elle se contenta de regarder les trois Ostendes tisser de leurs doigts une tenture invisible pour maintenir les pans du passage ouvert.
L'Ethérie était toujours aussi lumineuse. Les nébuleuses en toile de fond étincelaient de leurs milliers d'années. Une brume un peu plus dense qu'à l'ordinaire chatouilla le nez de Mélia dès son arrivée.
— Wahou ! C'est grandiose ! s'exclama Briac. Vous me l'aviez raconté, mais je n'imaginais pas à ce point-là !
— Qu'est-ce que tu fais là, toi ? l'apostropha Marceline outrée. Ta place n'est pas ici.
Thys qui connaissait Marceline Chanfrein depuis son Oritis ne l'avait jamais vue contrariée. La vieille femme s'était transformée à son entrée en Ethérie, elle était majestueuse et longiligne, ses jambes se fondaient entièrement dans la brume, elle devait bien avoir pris un mètre de haut et même son envergure avait augmenté. À côté, la mutation des jumeaux était très légère.
C'était pourtant eux que Briac regardait :
— Mais qu'est-ce qui se passe avec vos jambes ?
— Et toi ? Que t'arrive-t-il ? Tu as la peau toute rouge ? lui retourna Mélia.
— C'est à cause de son passage par l'ouverture, il a dû être compressé et ses tissus corporels ont frotté la matière en mouvement. Il est trop large, il n'aurait jamais dû venir ! s'agaça encore Marceline.
Briac prit conscience d'une démangeaison au niveau de son visage et paniqua.
— Qu'est-ce qui se passe ? C'est grave ?
Il était livide et avait perdu son assurance légendaire. Ses lèvres s'arquèrent en une grimace inquiète alors qu'il tâtait tour à tour ses joues, son menton et ses avant-bras qui commençaient à le cuire.
— Il est possible que tu perdes quelques morceaux, s'amusa à le terroriser Marceline, mais l'inflammation devrait cesser dans quelques heures. Par contre, je ne garantis rien pour ton retour.
— Je... Je suis désolé. Je vous promets que j'écouterai les Maîtres Arcans la prochaine fois, s'excusa Briac. Je voulais tellement voir l'Ethérie et j'avais peur que les entrées disparaissent pour toujours.
Marceline l'ignora et s'adressa aux jumeaux :
— Il ne faut pas perdre de temps. Allez vite en repérage, pendant que je maintiens l'ouverture. Je suis sûre que Sylvie s'inquiète déjà. Toi, Briac, tu restes avec moi ! Je t'ai à l'œil.
Le jeune Péragore acquiesça, sa peau le démangeait énormément, il n'en menait pas large et maudissait sa curiosité.
Les jumeaux s'engagèrent sur un petit sentier ignoré par la brume.
— Je reconnais où on est, affirma Thys rapidement. On se trouve très proche de l'atelier de Paulo.
La simple évocation du vieil homme lui serra le cœur. En quelques secondes, il se remémora une myriade de souvenirs aux côtés de son ami. Pauvre Paulo, victime de la Faille !
— Attends, ce n'est pas possible, protesta Mélia. Nous n'avons pas franchi la paroi de protection du Jécorum !
— C'est vrai, s'étonna Thys à son tour. C'est pas bon signe, ça ! S'il n'y a plus aucun rempart, le Jécorum peut être absorbé par la Faille !
— Ou attaqué par les Indésiratas, compléta Mélia dans un souffle. Il peut y avoir des envahisseurs dans les parages, on a intérêt à être discrets.
Les jumeaux lancèrent quelques coups d'œil inquiets autour d'eux et reprirent leur progression. Ils atteignirent l'atelier abandonné de Paulo. Sur l'établi, quelques rondins de bouleau semblaient attendre d'être transformés en objets d'art.
La gorge de Thys se contracta, le souvenir de Paulo était si fort, il habitait les lieux. Les mains calées du vieil homme avaient travaillé tant de belles pièces de bois sous le regard admiratif du garçon. En passant, Thys ne put s'empêcher de caresser les nœuds apparents d'une baguette de chêne, dernière œuvre inachevée de l'ébéniste de l'Ethérie.
Au contact doux du bois, il se figea et expira bruyamment. Mélia lui fit les gros yeux en plaçant un doigt sur ses lèvres.
— Mais tais-toi. Qu'est-ce qui te prend ? Thys, ce n'est pas raisonnable ! Les autres comptent sur nous et ils ne réussiront pas à nous maintenir le passage ouvert très longtemps, on doit se dépêcher.
Mais le jeune Éther n'entendait même pas les recommandations de sa sœur, l'atelier de Paulo avait réveillé brutalement un aspect de son être qu'il avait mis de côté après la mort du vieil homme.
« Tu es un grand Passeur » résonnait la voix de l'ébéniste dans tout son corps « Tu arrives à capter l'essence d'un arbre, tu peux converser avec la forêt, elle sait souvent ce que tu ne peux pas voir. »
Paulo lui avait promis qu'il l'initierait davantage à ce rôle trop méconnu de Grand Passeur, mais il n'en avait pas eu le temps. Le sourire édenté du vieil homme se mélangea au visage inquiet de sa sœur.
— Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ? Viens ! le secoua-t-elle.
— J'ai ressenti quelque chose ! Attends ! répondit-il fébrilement.
Il serrait la baguette de chêne contre lui et fut parcouru de tremblements qui montèrent à l'assaut de son tout son corps. Il fusionnait avec le morceau de bois. La sensation vertigineuse d'un étirement entre ciel et terre l'enivra. Il était arbre et la communication s'établit instantanément. Il perçut un brouhaha de plaintes, la forêt entière semblait le solliciter.
« Ils sont là. », « déséquilibre », « les êtres vides sont entrés », « déséquilibre », « ils cherchent l'énergie », « Ils détruisent », « ils ferment les portes », « déséquilibre »...
— Ah !
Thys lâcha la baguette de chêne. L'arbre qu'il était ne pouvait pas supporter le désarroi de ses congénères. L'harmonie était rompue. L'Ethérie allait se désagréger.
— Ça va ? Thys, dis-moi quelque chose, s'inquiétait Mélia à ses côtés. Tu étais en transe. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
— Ils sont là, les Indésiratas ! Ce sont les arbres qui m'ont alerté. Mèl, ça va être la fin de l'Ethérie. J'ai mal à la tête !
Sa sœur regardait tour à tour la baguette de bois et son frère. Elle décida de le croire et prit les choses en main.
— Tu dis que les Indésiratas ont envahi l'Ethérie ! On doit voir s'il y a des blessés et les amener vers l'Ouverture de Marceline, c'est leur seule chance de sortir. Tu te sens capable de continuer ?
Thys acquiesça, la souffrance du monde végétal résonnait encore en lui, il avait mal aux branches, mais ne pouvait abandonner l'espèce humaine. Il suivit Mélia en titubant, empêtré dans ses racines. Il lui fallut quelques minutes pour s'approprier entièrement son corps et retrouver toutes ses facultés.
Ils arrivèrent au centre du Jécorum en mode furtif. Le cœur martelant leur cerveau et le souffle court, ils rampaient presque dans les hautes herbes pour s'approcher de la Vreste. L'angoisse de découvrir un paysage de désolation les étouffait.
Les Indésiratas en Ethérie étaient le cauchemar de tout Ostende et il fallait que ce soit eux qui soient aux premières loges.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top