Chapitre 9: Un goût amer
Au collège, Thys collait Mélia avec la hantise de voir Briac surgir d'un coup et achever sa victime de la veille. La jeune fille n'avait pas tout raconté à la famille. Elle n'avait parlé du rôle de Briac qu'à son frère. Quand, Cid et Théo les rejoignirent, Thys se détendit un peu et laissa quelques centimètres entre sa sœur et lui. Puis en classe, il relâcha sa vigilance et laissa sa jumelle rejoindre ses amies.
Mélia toujours survoltée pépia encore plus que d'ordinaire ce qui lui valut un avertissement de la part de monsieur Gobert, consterné par l'attitude d'une de ses meilleures élèves. Vexée, la jeune fille avait les pommettes rouge écarlate et les yeux prêts à lâcher des éclairs, mais aucun incident n'éclata même si Thys crut percevoir de légers grésillements.
— Calme toi, lui dit-il à la sortie du cours, tu es une vraie girouette, on n'entend que toi !
— Oh ! Ça va le monsieur donneur de leçon ! Lâche-moi les baskets !
— Oh ! Mais si tu le prends comme ça, ma vieille, t'inquiète, je vais te lâcher et tu te débrouilleras avec les mauvaises rencontres !
— Non ! La voix de Mélia était plaintive, je ne le fais pas exprès Thys, je suis tout excitée, je ne sais pas ce qu'il m'arrive, ne m'en veux pas.
Le jeune Ether joua de son regard vairon pour marquer à la fois sa compassion et sa satisfaction.
— T'inquiète, je m'occupe de toi, même si t'as très mauvais caractère en ce moment.
Il reçut une tape taquine sur l'épaule qui lui confirma que sa sœur avait vraiment beaucoup d'énergie en ce moment. Il se massa longuement la zone touchée.
Toute la journée, il tenta vainement de l'apaiser et vit avec soulagement arriver l'heure de la sortie. Mademoiselle Dubois, la gentille prof d'anglais, ordinairement si patiente, était à deux doigts de perdre son calme et s'apprêtait à envoyer Mélia éteindre sa fièvre linguistique dans le bureau du Directeur quand la sonnerie la délivra de son calvaire.
Les cours finissaient exceptionnellement vingt minutes plus tôt en raison de l'organisation d'un conseil de discipline regroupant tous les profs pour discuter du cas de Pierrick Lucoin, un élève de 3e qui accumulait les « colles » et les âneries en tous genres.
La dernière en date avait aussi révolté les élèves cette fois. Pierrick s'était amusé à uriner sur les cartables enchevêtrés sous le préau. Une vingtaine d'élèves avait récupéré un sac nauséabond et dégoulinant. Romain en faisait partie. Dépité, il avait jeté son cartable et essayé de récupérer quelques cahiers épargnés. Il avait fondu en larmes en découvrant son classeur de français entièrement souillé. Personne ne s'était moqué. Tous étaient choqués du comportement de Pierrick et cette fois même les plus délurés n'osèrent prendre sa défense. C'est pourquoi cette sortie anticipée était une double aubaine : certains seraient vengés de la bêtise de Pierrick et les externes pouvaient rentrer chez eux plus tôt.
Mélia téléphona à ses parents pour les informer de leur sortie avancée et leur proposa de les attendre devant la boulangerie du père de Théo, car elle avait envie d'une viennoiserie. Elle ne leur laissa pas le temps de protester et raccrocha. Son initiative plut à Thys et à Cid qui se hâtèrent de rejoindre Théo pour faire le chemin avec lui. La Boulangerie des Adami était située à dix minutes à pied du collège et beaucoup d'écoliers profitaient chaque après-midi des viennoiseries croustillantes du père de Théo.
Mélia pépia sans interruption tout le long du trajet si bien que les garçons finirent par se désintéresser de son monologue, sans même qu'elle ne s'en rende compte.
— Qu'est-ce qu'elle a aujourd'hui ? Elle a mangé un lion ? s'informa Théo.
— Je ne sais pas, mais elle est épuisante, se plaignit son frère.
— On dirait qu'elle est montée sur ressorts et qu'elle s'alimente de piles électriques.
Tous trois s'arrêtèrent pour observer un instant Mélia sautiller d'un pied sur l'autre le long du trottoir, puis slalomer entre les poubelles en continuant à palabrer.
— Bon, vous venez ? finit-elle par les interpeller. Vous traînez les jeunes ! Quels mollassons ! Alors vous en pensez quoi ?
— Heu ! de quoi ?
— De mon idée, pardi ! Eh ! Il faut suivre un peu !
— Bien, bien, d'accord ! hasarda Thys, totalement ignorant des projets de sa sœur.
Mélia parut satisfaite et se mit à chantonner en hâtant encore le pas.
— Je ne sais pas trop à quoi j'ai consenti, souffla Thys inquiet à ses compagnons hilares.
Une bonne odeur de pain chaud et de pâtisseries pur beurre leur saisit les narines et les guida sans détour jusqu'aux portes de la boulangerie. La boutique était bondée, ils n'étaient pas les seuls apparemment à avoir besoin d'un petit réconfort sucré en fin de journée. Théo leur proposa de passer par l'arrière-boutique et de chiper discrètement quelques petits pains au chocolat. Mais Mélia avait décidé de tout gérer.
— Non, non, non, vous restez là ! Comme ça, si notre père arrive, il vous verra et ne s'inquiétera pas. Moi, j'irai acheter notre quatre heures ! C'est moi qui offre, alors passez votre commande !
Les garçons obtempérèrent, ils avaient compris qu'aujourd'hui, ils n'auraient pas le dernier mot et puis la proposition de Mélia les arrangeait bien. Ils allaient pouvoir discuter un moment sans les interruptions exubérantes de la jeune fille.
La petite boulangerie familiale ne payait pas de mine de l'extérieur avec ses lettres peintes à moitié effacées et sa façade noircie par le passage incessant des voitures, mais à l'intérieur c'était un vrai régal pour les sens.
Les tartes aux fruits tenaient le devant de la scène. Somptueuses, elles exhibaient leurs framboises bombées, leurs abricots dorés, leurs myrtilles bien rangées. Ce n'était pourtant pas la saison de ces fruits, mais Hervé Adami savait conserver leur saveur et leur couleur. Un secret bien gardé que tous les pâtissiers de la ville jalousaient.
Six, sept personnes faisaient la queue devant les viennoiseries toutes chaudes. Mélia avait donc du temps pour faire son choix. Elle s'attarda quelques instants devant la vitrine alléchante « gourmandises, tout chocolat » comme l'avait surnommée malicieusement le propriétaire. Là, un nombre impressionnant de petites pièces ou gâteaux au chocolat exhibaient leur moelleux, leur croquant, leur crémeux ou leur fondant. Mélia ne savait où donner de la tête. Elle hésitait entre un éclair généreusement glacé d'une couche ocre, une part de forêt noire pleine de chantilly et un gros macaron craquelé à souhait.
— Difficile de résister, hein ? commenta une voix à sa gauche.
— Tout est si appétissant, répondit la jeune fille ayant du mal à décrocher son regard des pâtisseries pour regarder son interlocuteur.
— Moi, je prendrai la forêt noire, continua la voix enjôleuse.
Mélia finit par regarder à qui elle avait à faire. Et elle offrit une grimace peu élégante au jeune homme qui lui faisait face. C'était Briac !
Un regard par-dessus son épaule. En deux secondes, elle estima ses chances de fuite. Cinq pas pour rejoindre la porte et alerter son frère. La main de Briac ne lui laissa pas le temps d'esquisser un geste. Il lui saisit le bras fermement.
— Reste, je veux te parler !
— Lâche-moi ! chuchota-t-elle les dents serrées.
— Je veux te parler, calme-toi !
— Tu as voulu me tuer, les tiens ont fait souffrir mon frère et ton père harcèle ma famille ! Et tu oses m'approcher ici en plein jour devant des témoins.
Elle sentit la colère de Briac monter. Tout le corps du jeune homme était sous tension, les muscles prêts à jaillir, les nerfs à vif, la mâchoire serrée. Mélia perçut même les battements de cœur désordonnés de son rival à travers la main qui lui serrait le bras. Elle crut qu'il allait exploser de rage.
Mais, il prit une profonde inspiration et détourna vivement la tête, portant son regard sur la vitrine qui exposait les joyaux de la boutique. Aussitôt, une mini charlotte au chocolat se mit à vibrer sous l'œil étonné d'un petit garçon qui collait son nez à la vitrine. Le gâteau fit un tour complet sur lui-même et explosa sa mousse chocolatée en tous sens. La jolie devanture fut entièrement éclaboussée de crème et de morceaux de biscuits en bouilli. Le petit garçon recula à retardement, choqué et se mit à pleurer.
— Oh ! Non Antonin, qu'est-ce que tu as encore fait ? Mais ce n'est pas possible, tu vas me faire toutes les âneries de la terre, comme ça ? Comment as-tu réussi à saccager ce gâteau ? Oh ! Il y en a partout, ça ne peut plus durer !
Une très jeune femme enroulée dans une capeline bleue attira violemment le petit prêt d'elle et s'appliqua à le fesser.
— Maman, c'est pas moi ! Il l'a fait tout seul, le gâteau ! larmoya l'enfant.
— Mais oui, c'est ça ! Arrête un peu tes histoires ! Ce n'est jamais toi ! Tu te rends compte que tu es ridicule là !
Et elle sortit de la boutique en tirant son enfant qui jeta un regard accusateur à la défunte charlotte. La scène avait eu lieu devant bon nombre de spectateurs qui commentèrent l'attitude de la mère sans s'intéresser aux deux jeunes qui se tenaient à un mètre du gâteau sinistré. Et tandis que la discussion s'engageait sur l'Art d'élever les enfants, Briac resserra la pression de ses doigts sur le bras de Mélia. Il transpirait et semblait furieux de l'incident qui aurait pu le faire remarquer.
— Maintenant, écoute-moi, petite sotte ! Sinon ta vie ne sera pas bien longue !
— Je ne te crains pas sale Indesirata. Tu ne sais rien de mes capacités, tu devrais avoir peur !
Elle tenta un sourire. Elle voulait se montrer forte. Il ne fallait pas qu'il comprenne qu'elle était terrorisée. Elle ne voulait pas lui donner cette joie. Il respirait de plus en plus vite et jetait de rapides coups d'œil dehors. Il ne paraissait pas sûr de lui alors elle tenta un geste vif pour dégager son bras. Mais il resserra l'étau de sa poigne.
Briac surplombait la jeune Ether d'une bonne tête. Il avait pivoté prestement d'un quart de tour pour se tenir entre elle et la sortie. Sa carrure était imposante. Il cachait Mélia de la vue des autres clients qui ne s'intéressaient toujours pas aux jeunes gens, mais continuaient leur conversation sur l'Education. Mélia voulut crier pour attirer leur attention. Alors Briac secoua la tête d'un air navré et agita les doigts de la main gauche. La jeune fille se trouva alors incapable d'émettre un son. Une sorte d'extinction de voix soudaine sans douleur pourtant.
— Ecoute-moi, bon sang, Mélia ! C'est important pour toi et pour moi !
Mélia gigotait. Elle avait de l'énergie à revendre aujourd'hui, il était temps de s'en servir. Il fallait que ses mains ou ses jambes percutent une étagère et créent une catastrophe dans cette boulangerie si bien organisée pour que quelqu'un porte son attention sur elle.
Mais Briac avait une poigne d'acier. Il la maintenait immobile sans l'aide des énergies et ne semblait pas fournir le moindre effort. Une larme d'impuissance glissa le long de la joue de Mélia. Briac serra les lèvres, ses traits se durcirent. Son regard intense s'arrêta sur l'Ingéni de Mélia qui se manifestait à travers son pull blanc et son manteau entrouvert. Il hésita, esquissa un sourire triste et relâcha la jeune fille chancelante.
— Je ne suis pas celui que tu crois ! chuchota-t-il avant de reculer sans la quitter du regard pour rejoindre la sortie de la boulangerie.
Il percuta Thys qui s'impatientait et avait décidé de rentrer voir si sa sœur n'achetait pas tout le magasin. Un regard plein de haine ou d'incompréhension fut échangé.
— Je ne suis pas celui que tu crois, répéta Briac aussi bien pour Thys que pour sa jumelle.
Et il sortit. Il se faufila à coups d'épaules entre un Cid glacial et un Théo éberlué. Il se mit à courir et disparut au coin de la rue.
— Qu'est-ce qui lui prend, il est d'habitude si souriant et si sûr de lui, ce fils à papa ? demanda Théo.
— Bof, un vantard mal luné, répliqua Cid paniqué qui cherchait à travers la vitrine, une trace de vie des jumeaux.
Ceux-ci sortirent rapidement, blancs comme des linges, affolés. Ils scrutèrent la rue, inquiets.
— Il a pris la poudre d'escampette, les rassura Cid.
— Vous allez me dire ce qui se passe ici ? demanda Théo.
Il fut royalement ignoré par le trio qui s'interrogeait du regard. Cid aurait aimé savoir ce qui s'était passé à l'intérieur, Thys craignait que sa sœur ait subi des violences et Mélia cherchait un sens aux propos de Briac.
— Eh ! Oh ! La compagnie ! Il n'y a que moi de normal ici ? Qu'est-ce qu'il vous prend tout d'un coup ? Vous me cachez quelque chose ?
Devant le silence de ses compagnons, Théo haussa les épaules, puis poursuivit :
— Vous seriez sympas de me tenir au courant ! Il se passe un truc avec Briac ?
Mélia et Thys scrutaient le fond de la rue, Cid regardait ses chaussures.
— Bon, et bien quand vous serez disposés à m'informer, j'en serai ravi ! ajouta Théo, le regard triste.
Il poussa la porte de la boulangerie et marqua un arrêt. Il espérait un rappel, une blague de ses camarades, une explication. Il eut droit au regard vide de Mélia, à un signe de tête de Thys. Cid le salua gêné :
— A demain Théo !
Celui-ci haussa une nouvelle fois les épaules. Il se sentait exclus et en trop. C'était fort désagréable. C'était la première fois que ses amis se comportaient ainsi. Mais il savait que le changement qui s'opérait ces temps-ci risquait d'être permanent. Il y avait d'abord eu l'attitude étrange de Thys, puis la mauvaise humeur de Cid. Maintenant, les deux garçons étaient réconciliés, mais Théo était mis sur la touche. En entrant dans la boulangerie, il songea que Mélia ne leur avait rapporté aucune viennoiserie. De toute façon, une boule lui nouait la gorge et il n'avait plus faim.
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