Chapitre 29: excès de confiance
Mélia avait trouvé une issue à l'opposé de la pièce aux cristaux. Les bras dressés devant elle, la jeune Ether s'enfonça une nouvelle fois dans l'obscurité. Il n'était plus question de tâtonner, elle devait prendre des risques. Elle courait presque, quitte à s'assommer sur une pierre saillante. Elle avait parcouru à peine deux cents mètres quand elle entendit les exclamations extasiées de ses poursuivants. Ils venaient sans doute de découvrir la salle lumineuse emplie de cristaux, puisque la porte était restée enfoncée dans la terre.
« Pourvu que ça les occupe un moment ! » songea-t-elle.
Le boyau de terre rétrécissait au fur et à mesure de sa progression, elle sentait les parois se resserrer sur elle. Elle dut même avancer de profil pour se faufiler entre deux roches. Puis, elle se trouva de nouveau devant une impasse. Seul un mur froid lui faisait face. Elle tenta de se plaquer contre et plaça la paume de ses mains sur la surface rugueuse en implorant son Ingéni de réagir. Pourtant, cette fois, aucun système hydraulique ne se déclencha. Elle remarqua alors qu'un fin filet d'air courait sur ses jambes. Elle se baissa et aperçut une sorte d'ouverture au ras du sol. Elle s'y faufila à quatre pattes. Bientôt, elle dut même ramper.
Elle, qui était claustrophobe crut devenir folle. La masse de terre pesait sur elle, l'air était irrespirable. Elle s'engluait dans un sol vaseux. Les voix de ses poursuivants lui parvenaient toujours au loin et lui donnèrent la peur nécessaire à sa fuite. Finalement, elle déboucha dans une sorte de corridor qui finissait par un escalier en grosses marches de grès rouges. Cet espace était baigné de rais de lumière qui se faufilaient par des bouches d'aération situées à une dizaine de mètres plus haut. Mélia monta quatre à quatre les marches poussiéreuses qui ne semblaient pas avoir été foulées depuis des millénaires. La sortie lui tendait les bras, elle était sauvée ! Elle déchanta cependant bien vite quand elle découvrit l'éboulis de gros éclats de roches qui lui bouchait le passage. L'issue devait être juste là derrière. Mais, elle ne pourrait jamais déplacer ces énormes blocs, seule. Elle glissa ses doigts entre les pierres et tira avec l'énergie du désespoir. Elles ne bougèrent pas d'un pouce. Mélia sentait l'air frais filtrer à travers les interstices. Elle huma ce filet de liberté. Alors le chinchilla sortit de la poche de son gilet et s'approcha des roches, son petit museau rose tout frétillant. Elle le vit s'aplatir et se contorsionner pour se faufiler entre deux pierres. Son popotin légèrement plus épais que le reste du corps resta un instant immobile. Puis, un dernier mouvement de rein permit à l'animal de rejoindre l'extérieur.
— Te voilà libre, mon Chinchou ! Oh ! Comme j'aimerais être minuscule comme toi ! geignit la jeune fille.
Il y avait peut-être une autre sortie ! Les murs pourraient s'abaisser comme ceux de la salle des cristaux. Alors, elle se mit à tâter avec frénésie chaque fragment de roche. Mais sans succès. Puis, elle s'aperçut qu'une pierre de la grosseur d'un ballon de foot bougeait légèrement. Elle la gratta à ses encoignures et à force de la bouger d'avant en arrière, elle réussit à la dégager. Elle eut alors une vue sur l'extérieur. Un ciel bleu au soleil éblouissant. C'était vraiment la sortie, la fin de ses tourments.
Pourtant l'espace dégagé était très étroit et il lui était impossible de l'élargir ! Autour des blocs d'au moins une tonne étaient enchâssés. Elle tenta donc l'impossible pour sa survie. Elle décida d'essayer de passer par le petit espace dégagé, comme l'avait fait le petit chinchilla avant elle ! Elle espérait qu'il soit assez large pour son bassin, car c'était la seule partie de son corps qu'elle ne pourrait pas contorsionner. Elle engagea d'abord les bras, la tête et força au niveau des épaules. Comme un ver de terre, elle se tortilla pour faire passer son corps par ce trou si petit. Vint le tour du bassin et le miracle eut lieu, le ventre rentré, les fesses serrées, elle sentit glisser son corps millimètre après millimètre dans l'ouverture.
Malheureusement, les Indesiratas lancés à sa poursuite choisirent cet instant pour rejoindre les escaliers.
— Là, Alan ! Vite, aide-moi ! Je la vois, on la tient.
Et Teti se jeta sur une jambe qui s'enfuyait par un trou. Alan voulut saisir l'autre, mais il prit un grand coup de talon dans le nez. Mélia n'avait plus qu'une jambe prisonnière des Chinkanas, mais Teti s'accrochait.
— Alan, bon sang, qu'est-ce que tu fous ! Aide-moi ! Elle bouge comme une anguille.
— La garce, elle m'a pété le nez ! lui répondit son comparse, énervé en essuyant le sang qui coulait de ses narines.
Les deux Indésiratas se cramponnaient au pantalon de Mélia. Ils savaient qu'ils étaient trop costauds pour pouvoir passer dans le trou et ne voulaient en aucun cas laisser filer leur proie. Là, la jeune fille eut une idée qui lui sauva la mise et évita qu'elle finisse avec une jambe brisée. Elle défit tout simplement son pantalon. Alan et Teti qui ne s'attendaient pas du tout à cette manœuvre et cramponnaient le tissu de toutes leurs forces furent décontenancés. Le pantalon leur restait dans les mains, alors que la jambe glissait vers la sortie. Teti réussit cependant à saisir la chaussure avant que le pied ne s'échappe totalement. Mélia bougea avec une telle hargne que sa basket se détacha et que Teti se retrouva sur le derrière une chaussure dans la main et le nez en sang n'ayant pas anticipé son propre retour de bras.
Libre, Mélia ne prit pas le temps d'écouter les invectives de ses poursuivants. Elle savait qu'ils étaient trop jeunes pour être des Indesiratas aguerris, mais elle redoutait tout de même leur mauvaise énergie. D'ailleurs, elle sentait déjà la migraine gagner ses tempes, le froid l'envahir alors que la sueur mouillait sa nuque. Ils essayaient de l'atteindre. Elle courut en clopinant. Et si ses muscles douloureux lui donnaient la démarche d'un paresseux, elle ne s'arrêta pas pour s'éloigner au plus vite de leurs attaques.
Bientôt, elle ne souffrit plus que du froid naturel de l'Altiplano et osa faire une pause à bout de souffle. Son gilet en laine d'alpaga lui arrivait à mi-cuisse et pouvait vaguement passer pour une robe. Elle ôta la seule chaussure qui lui restait et continua sa route en chaussettes. C'est alors qu'elle remarqua le paysage autour d'elle. Sous un soleil aussi hyalin que le plus pur quartz, des colosses de pierres aux yeux vides projetaient leur silhouette sur la steppe grise. À perte de vue, des ruines se dressaient pour témoigner d'un passé grandiose : tumulus gigantesques, portiques monolithes, murailles en grès rouge...
— Tiahuanaco !
Elle y était enfin ! Devant elle, s'étalaient les maigres restes de la cité mythique. D'abord déçue (elle imaginait les vestiges plus préservés), elle demeura fascinée par l'immensité du décor. Partout, la pierre surgissait sur la lande rase et sèche.
Le site était curieusement désert. Pas un touriste ni un garde. Peut-être était-ce dû à l'heure déjà bien avancée. Mélia se mit en quête de la Porte du Soleil. Puisqu'elle était là, elle allait tout de même essayer de remplir la mission dont Rinata l'avait chargée. Le site était grand, elle n'avait pas de plan, mais elle avait étudié la disposition des édifices avec sa grand-mère avant le départ.
Elle se trouvait aux abords d'une sorte de pyramide à moitié enfouie sous les décombres : sûrement l'Akapana qu'elle imaginait beaucoup plus imposante. Le tunnel d'où elle sortait devait passer sous ce gros tumulus.
Il fallait qu'elle trouve le Kalasasaya, le temple qui abritait la porte du soleil. Elle contourna des murs gigantesques dans lesquels des têtes sculptées jaillissaient avec toute leur interrogation et la patience de leur éternité. Elle laissa courir ses doigts sur le grès rouge et effleura les contours des visages impassibles comme elle aurait flatté Plix le Matou. C'est ce contact léger qui fit jaillir les images. L'émotion la submergea et elle se sentit envahie par des sentiments confus et variés.
Elle avait la sensation d'avoir vécu ici, de connaître ces lieux. Elle se rappela son rêve d'une Tiahuanaco fleurissante, couverte de canaux, de fontaines, remplie de vie. Devant elles, défilaient, insouciants, les habitants colorés d'un monde oublié. Un homme, à la barbe frisottante, hélait une jeune fille qui portait une sorte de panier rempli de fruits. Des enfants couraient après s'être aspergés de l'eau du canal qui longeait un temple. Un groupe d'hommes et de femmes en longues toges bleues avançaient en procession tout en dissertant calmement. Partout, chacun s'affairait avec le sourire d'une vie épanouie.
Mélia reconnut la petite fille dont elle avait habité le corps lors de sa séance de spiritisme. Des larmes lui échappèrent et s'écoulèrent silencieusement sur ses joues terreuses tant l'émotion la saisissait.
Mais tout s'effaça pour laisser place aux ruines pesantes quand une main accrocha l'épaule de Mélia. La jeune fille fit volte-face pour se trouver nez à nez avec Briac. Le garçon, essoufflé, se plia en deux pour reprendre son souffle. Puis il la détailla, paraissant surpris de sa drôle de tenue vestimentaire.
— Vite, ils arrivent ! Tu ne dois pas rester là ! Je les devance de peu !
— Quoi ! Mais pourquoi fais-tu ça ? demanda Mélia méfiante.
— J'ai besoin de l'aide des Ostendes ! Mais je t'expliquerai plus tard, il faut d'abord te mettre en sécurité !
— Où est-ce que je peux aller ? paniqua la jeune fille.
— Traverse tout le site. Tu cours sur deux kilomètres, tu rejoindras les premières maisons du village ! Mêle toi à la population ! Ils n'oseront rien tenter s'il y a des témoins.
— D'accord ! Et ma grand-mère ?
— Cours ! Mélia ! Ils arrivent. Cours, je ne peux rien faire d'autre pour toi !
Elle lui tourna le dos et amorça sa course avec toujours le doute d'être transpercée de douleur par ce Péragore qui se jouait peut-être de sa crédulité.
— Mélia ! Attends !
— Oui ?
Elle avait peur. Était-ce le moment où il lui donnait le coup de grâce après l'avoir fait espérer ?
— Tu as trouvé le cylindre ?
— Non ! répondit-elle sans réfléchir.
Briac grimaça et il lui sembla qu'une lueur mauvaise éclaira son regard sombre, mais elle ne prit pas le temps d'analyser la réaction du garçon.
Elle courait en chaussettes sur la lande sèche qui faisait ressortir ses cailloux saillants pour lui fendre les pieds. Plus d'une fois, elle sautilla sur une jambe, le temps que la douleur s'atténue et reprenait son sprint furieux, de statue en statue pour ne pas se trouver à découvert devant ses ennemis.
Pourquoi Briac voulait-il savoir si elle avait le cylindre ? N'était-ce pas un piège ? Ne l'envoyait-il pas justement dans la gueule des Indesiratas ? Elle fut tentée de faire demi-tour, mais elle devait apprendre à faire confiance ! C'était tout de même la deuxième fois qu'il lui venait en aide !
Le site était immense. Elle apercevait à une centaine de mètres les grilles et la cahute de l'entrée. Elle serait à découvert pour parcourir cette distance, mais elle n'avait pas le choix. Plus loin se profilaient les silhouettes des premières habitations salvatrices. Elle s'élança en longues foulées, le souffle lui manquait et ses poumons la brûlaient, mais elle ne ralentit pas.
Soudain deux personnes entrèrent dans le site. Elles arrivaient calmement face à elle. Elles étaient encore loin, mais ressemblaient plus à des touristes qu'à des Indésiratas aux abois. Mélia ralentit tout de même sa course, le temps d'apercevoir leur visage. Et là, elle faillit pleurer de joie ! Pour une fois, la providence était avec elle. Il s'agissait de Millie Johnson, l'archéologue, amie d'enfance de Rinata et d'un vieil homme souriant qui portait le matériel de fouille. Mélia les rejoignit au trot et aurait même aimé leur sauté dans les bras. Elle se contenta cependant d'un sourire pour ne pas les effaroucher, déjà qu'elle devait être affreuse, couverte de boue, sans pantalon et sans chaussures.
Millie Johnson plissa les yeux à son arrivée comme si elle cherchait dans les profondeurs de sa mémoire quel était cet énergumène qui s'affichait ainsi devant elle. Puis un sourire lui mangea le visage.
— Oh ! Mélia c'est ça ? La petite fille de ma chère Rinata !
— Oui, oui ! Bonjour !
— Je te présente Drid, mon époux et compagnon de fouille !
— Enchanté !
Mélia tendit avec confiance la main, au charmant petit homme qui accompagnait l'amie de sa grand-mère. Pourtant à cet instant les paroles de Millie firent échos en elle : Drid ! Elle avait déjà entendu ce prénom peu commun dans la maison des Indesiratas ! Et ce visage ! Grand Dieu, le vieil homme de l'avion ! Sans son costume, elle ne l'avait pas reconnu !
Le froid de la terreur envahit ses os, sa main emprisonnée dans la paume large de Drid, elle regarda le sourire de l'homme qui n'avait plus rien d'accueillant. Et comme pour confirmer ses doutes, elle entendit Millie minauder.
— Oui, mon chéri, c'est elle, la petite fille de Rinata ! Une Ether pas très futée !
— Mouais ! Et les autres lui courent après depuis trois jours ! En une poignée de main, nous l'avons cueillie.
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