Chapitre 25: Traquée

Alvaro enfonçait l'accélérateur et la camionnette donnait tout ce qu'elle pouvait. Elle tressautait sur le chemin rocailleux, dérapait sur la terre sèche. Pourtant le village de Tambillo était toujours à portée de vue. Mélia qui regardait en arrière se mit soudain à hurler :

— Non, non, non, je les vois, je les vois ! Quatre voitures nous suivent ! Plus vite, Alvaro !

— Accrochez-vous !

Alvaro donna un grand coup de volant sur la gauche. La camionnette quitta la piste pour s'ébrouer dans un champ ! Elle ne ralentit pas sa course, mais redoubla de sauts et de grincements ! Cette fois les passagers durent s'accrocher fermement, qui à la poignée de la portière, qui au volant, qui au bras de sa voisine.

— On rejoindra plus vite la route 1 en passant par-là !

— On vous fait confiance, l'encouragea Rinata.

Alvaro avait la mâchoire crispée et des questions plein la tête. Malgré la concentration que lui réclamait sa conduite dangereuse, il n'y tint plus :

— Qui êtes-vous ?

— Comment ça, qui sommes-nous ? Nous sommes deux Françaises en voyage, rien de plus ! fit mine de s'agacer la Maître Arcan.

— Ne vous moquez pas ! Qui sont ces hommes ? Vous semblez les redouter, vous les connaissez ?

— Oui, ils sont dangereux ! Ils recherchent comme nous un artéfact précieux qui doit se trouver dans le site de Tiahuanaco.

— C'est de l'Indiana Jones que vous me racontez là ! Madré dios !

— Ça y ressemble, mais c'est plus agréable de le vivre dans un fauteuil devant sa télé !

Une secousse énorme fit décoller le véhicule qui atterrit brutalement sur les pneus de devant, avant de déposer l'arrière qui rebondit dangereusement. Le crâne de Mélia avait percuté la vitre passager et elle se massait la bosse naissante sur le front, les yeux pleins de larmes.

Derrière eux, les poursuivants avaient aussi fait le choix de quitter les chemins terreux et de traverser l'étendue aride. Leurs véhicules devaient être plus performants, car ils se rapprochaient ostensiblement. Alvaro choisit de ne pas rejoindre la route et de continuer à travers les champs vallonnés. Ils auraient peut-être plus de chance de les semer. Soudain, la camionnette fit une embardée due à un amas de rocaille et s'immobilisa sur la pente adjacente. Alvaro fit hurler le moteur, mais le véhicule ne bougea pas d'un iota. Ses pneus commençaient à creuser la terre et une ornière s'inscrivait dans le sol fumant de poussière.

— Non, par les âmes des Ethers, ce n'est pas possible, mais avance, avance donc ! suppliait Mélia en serrant très fort contre elle l'amulette de Pachamama.

— Ils se rapprochent ! Il faut partir d'ici !

Alvaro avait quitté le véhicule et s'efforçait de remuer les pierres qui entravaient les roues. Son visage fermé était ruisselant de sueur. Il pestait en espagnol et donna un coup de pied rageur sur un pneu, avant de reprendre le volant. Il faut croire que Pachamama était avec eux, car, à la première tentative, la camionnette accepta docilement la marche arrière.

Mais les Indésiratas avaient gagné du terrain. Mélia pouvait maintenant apercevoir le nombre de passagers dans la première voiture. Un homme noir conduisait, à ses côtés une silhouette ressemblant fortement à Dux Deprador s'excitait. Derrière, trois têtes connues. Les frères Le Tallec semblaient crier leur haine. Les autres voitures étaient plus loin, l'une d'elles semblait en difficulté et s'arrêta le moteur enfumé.

— Ils sont tout près ! Mamina !

— Ils sont trop proches, là oui !

Rinata ferma son visage. Son regard se fit lointain. Le vert de ses pupilles se condensa et la bordure dorée s'élargit. Elle redressa son buste et inspira longuement comme si elle humait le délicat parfum d'une fleur. A la naissance de son dos, juste dans l'espace laissé libre entre son pantalon belge et le bas de son pull à col roulé, la pépite d'or incrustée à sa chair se mit à diffuser une lueur chaude, de celle que l'on imagine irradier lors de notre passage au paradis. Un liseré argenté affleura les contours de son visage tandis que ses mains grésillaient doucement. La vieille femme ressemblait à une majestueuse statue grecque illuminée par les cieux. Elle s'anima d'un ensemble de gestes souples, amples et très lents.

Mélia commençait à ressentir les attaques des Indesiratas et maudissait intérieurement Téodor Lux qui n'avait pas appris à ses Prudens à se protéger. Elle tenta tout de même d'agir sur les molécules d'air pour former une sorte d'airbag arrière qui les aurait préservés des assauts ennemis. Mais le stress ainsi que les sauts de la voiture la déstabilisaient et elle ne parvint pas au bout de son projet.

Alvaro se mit à gémir. Il tenait le volant d'une main et se frottait la tête de l'autre.

— Madre de dios ! ¿ Qué me pasa ?

— Tiens bon Alvaro, tiens bon !

— Qu'est-ce qu'il m'arrive ! J'ai si mal !

— Ma grand-mère va nous aider !

— Ta grand-mère ? Que peut faire ta grand-mère ? Ha ! Madré de dios ! Tengo pena !

Son nez coulait et des stries rouge violacé se dessinaient sous ses yeux. Pourtant, il restait concentré et poussait la camionnette au maximum.

— Ah ! Mon pied, mon pied ! hurla-t-il soudain.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Mon pied, il brûle !

— Oh ! Non ! Mamina fait quelque chose bon sang !

Alvaro dut lâcher la pression qu'il exerçait sur l'accélérateur, car le véhicule ralentit fortement, toussota et avança par à-coups.

— Oh ! Mamina ! Par les âmes anciennes, aide-le !

— J'essaie, j'essaie, mais ils sont puissants ! J'ai réussi à nous fabriquer une protection d'ondes absorbantes qui ne sera pas efficace longtemps face à leur virulence. Mais je n'ai pas eu le temps de protéger Alvaro et je n'y arrive plus !

— Oh ! Mon Dieu !

Alvaro s'effondra sur le siège passager. Ses doigts étaient tordus dans une contracture douloureuse, ses yeux ouverts étaient fixes, sa langue pendait alors qu'un filet de bave coulait sur son menton. La camionnette roula encore quelques mètres, droit devant elle, sans éviter un talus de terre qui la fit pencher dangereusement et elle cala.

— Vite Mélia, descends et cours !

— Mais Alvaro ? gémit la jeune fille qui n'arrivait pas à détacher son regard du visage torturé de leur guide.

— Laisse-le ! Et cours !

— Il est mort, hein ? Il est mort ! sanglota-t-elle.

— Je ne sais pas, mon glaçon fondant, mais ce n'est pas lui qui les intéresse ! Plus il sera loin de nous, plus ses chances de survie seront élevées ! Maintenant, sauve-toi ! Là-bas, on dirait une ferme ! Essaie de trouver du secours !

— Mais toi ?

— Moi, je les retiens, j'essaie de les ralentir ! Va vite mon petit oiseau des îles !

— Non Mamina, tu viens avec moi !

Mélia tira sur le bras de sa grand-mère et réussit à déséquilibrer la Maître Arcan qui faillit chuter.

— Arrête, ces bêtises ! Cours ! aboya Rinata d'une voix dure

— Pas sans toi, pas sans toi !

Mélia pleurait, emplie de désespoir. Elle était sûre que si elle laissait Rinata ici, la vision qu'elle avait eue avec Pachamama se réaliserait.

— Viens, viens avec moi ! S'il te plait, Mamina !

— Suffit, tu vas m'obéir ! Je suis Maître Arcan ! J'ai déjà affronté ce genre de situation, mentit Rinata. Je te rejoindrai très vite, juste le temps de créer quelques barrages d'air ou de brouiller leurs ondes cérébrales. Toi, pendant ce temps tu trouves de l'aide à la ferme, un véhicule quelconque, pour nous aider à rejoindre La Paz où on se fondra dans la masse. Puis, on trouvera un nœud d'énergie pour rejoindre l'Ethérie en sécurité. D'accord ?

— D'accord !

Le plan évoqué par Rinata était rassurant et offrait une porte de sortie alors que quelques secondes auparavant, Mélia ne voyait aucune issue à leur situation. Encore fallait-il qu'elle trouve une personne susceptible de les aider rapidement à la ferme ! Elle ne devait plus perdre de temps ! Elle embrassa sa grand-mère et se mit à courir comme une furie en direction de l'habitation qui se dessinait quelques centaines de mètres plus loin.

Elle entendait le râle des moteurs des voitures de ses poursuivants qui se rapprochait et un sifflement lui déchira les tympans. Une douleur névralgique lui parcourut les dents, elle avait envie de cracher de l'acide. Mais cette intrusion cessa aussitôt, et elle se dit que sa grand-mère était en pleine action.

Ne pas se retourner, garder son cap, son objectif ! Les contours de la ferme se précisaient. Un mur de pierres enserrait la bâtisse, sa dépendance et une cour intérieure. C'est quand elle fut à quelques mètres du muret d'enceinte qu'elle réalisa avec terreur que les lieux étaient abandonnés depuis longtemps. Toit de chaume éventré, quelques pans de pierres offerts au vent.

— Au secours, au secours, aidez-moi ! Il y a quelqu'un ?

Seuls trois merles Chiguanco s'envolèrent, agacés par les cris. Un gros lézard rouge-brun qui fainéantait sur une pierre fit quelques clins d'œil à la jeune fille. Mélia contourna rapidement les ruines qui lui confirmèrent l'absence de présence humaine.

« Oh ! Non, non, non ! Mamina où m'as-tu envoyée ? Qu'est-ce que je dois faire ? »

La jeune Ether baissait les bras, désespérée quand elle entendit soudain comme des pas discrets, derrière le muret. Elle réfréna l'envie de se précipiter au-devant de l'arrivant. Mieux valait être prudente. Elle s'accroupit et se colla au mur effrité de la ferme. Elle se déplaça en silence pour contourner la présence discrète afin de pouvoir l'examiner de dos. Ami ou ennemi ? La silhouette lui était familière !

Briac !

Sous l'effet de surprise, elle recula trop vivement et bouscula une brique de terre en équilibre qui roula et s'émietta à ses pieds. Elle s'efforça de garder son calme, se plaqua au muret qu'elle longea pour s'éloigner du Péragore et se mit à courir dès qu'elle se crut hors de vue.

Elle voulait rejoindre un mini bosquet de trois arbres derrière lesquels, elle espérait se cacher. Il y avait si peu d'endroits où se camoufler dans cette étendue désertique qui devenait de plus en plus plane, plus on approchait de Tiahuanaco. Mais derrière elle, des cris de victoire résonnèrent et des pas rapides martelèrent le sol. Ils étaient plusieurs ! Elle courait et avait l'impression de s'enliser dans sa peur comme dans certains cauchemars où la course est statique.

Elle entendait le halètement d'un poursuivant se rapprocher, un souffle fort, rauque. Dans sa nuque, ses petits cheveux se hérissèrent. Il était si près. Elle n'en pouvait plus. Ses poumons allaient éclater, sa gorge la brûlait. Pourtant, elle poussa encore sur ses jambes et sentit une main la frôler. Des doigts accrochèrent momentanément son gilet, mais ne parvinrent pas à le saisir. Un juron.

Les arbres étaient proches, mais ils ne représentaient plus le salut. Mélia réalisa que plus rien ne pourrait la sauver maintenant. Ils l'avaient trouvée et étaient à deux doigts de la capturer. Mais elle ne voulait pas abandonner, le sourire encourageant de son frère s'imposa à elle.

Elle trouva les ressources d'accélérer. Elle allait atteindre le bosquet. Juste devant les arbres, une sorte de banc de terre invitait au repos. Elle le contourna, mais sa cheville se tordit dans un trou placé là en traître. Elle s'étala de tout son long, sa chair écorchée réclamait une pause, mais la jeune fille s'était déjà relevée et clopinait en direction d'une colline qui pouvait cacher une habitation. Elle fit encore cinq mètres luttant contre la douleur et fut rattrapée par son poursuivant qui lui enserra le bras d'une main de fer.

Elle se retourna et le frappa de toute la rage et la frustration qui l'habitaient. Ses poings s'abattirent sur le torse, le nez, le ventre de Briac. Ses ongles cherchaient à s'enfoncer dans les yeux de son ennemi. Elle voulait le blesser, le voir saigner. Elle voulait le déchirer, l'aplatir, l'anéantir. Pourtant, il l'immobilisa rapidement et ne garda de ses assauts intempestifs qu'une estafilade rouge au-dessous de l'œil droit.

— Calme-toi Mélia ! Calme-toi bon sang !

— Dégage, monstre ! Lâche-moi ! s'égosillait-elle en se tordant comme un ver.

— Attends, je ne suis pas contre toi !

— Pas contre moi, elle rigola comme une démente, pas contre moi, alors les apparences sont sacrément trompeuses !

— Tu ne crois pas si bien dire ! As-tu lu les articles sur Fanny Clivier ?

— Oui et alors ?

— C'est ma mère !

Mélia marqua un temps d'arrêt. Elle dévisagea Briac, puis ses traits se durcirent.

— Et alors, tu veux une médaille ?

— Écoute-moi, veux-tu ?

— Non, je ne veux pas ! Je veux que tu me lâches, que tu arrêtes de me poursuivre !

— Je ne te veux aucun mal !

Les yeux de Briac se voilèrent, mais il ne relâcha pas sa prise. Mélia ne cessait de gigoter pour s'extraire de sa poigne. Tout à coup, un bruit de cavalcade attira l'attention du garçon. Les autres arrivaient ! Le regard du jeune Péragore se fit froid et dur, un vilain rictus se dessina sur ses lèvres. Il serra Mélia plus fort.

— Venez vite ! Elle est là ! cria-t-il.

— Non ! gémit la victime. Tu es ignoble !

Ils arrivaient. La jeune Ether apercevait déjà la longiligne Laëtitia Yessel, en tête du peloton. Briac bouscula Mélia. Il la fit reculer de plusieurs mètres. Elle trébucha et tomba lourdement sur les fesses. Mais il la releva comme si elle ne pesait rien et la força encore à reculer. Incrédule, Mélia résistait. Que faisait-il ? Pourquoi la poussait-il dans ces fourrés ?

Ils se retrouvèrent derrière le seul bosquet poussant sur cette étendue sèche. Quatre ou cinq malheureux arbustes asséchés, étonnés de l'agitation soudaine, les cachaient à la vue de la troupe d'Indesiratas en approche.

— Que fais-tu ?

— Ce qu'il faut faire dans de telles circonstances !

— Tu vas me tuer là, au milieu de nulle part ? Tu ne peux pas faire ça ? Tu as dit que tu ne me voulais aucun mal¨ !

Mélia se trouvait maintenant au milieu des vestiges d'un passé lointain. Quelques pierres s'entêtaient à tenir superposées. De larges dalles à moitié dissimulées par une croûte de terre, au milieu de l'herbe jaune, rappelaient qu'il y avait eu jadis un chemin ou une habitation ici. Briac observa rapidement les lieux. Il était stressé.sa paupière tressautait et il se mordait la lèvre inférieure jusqu'au sang.

— C'est là que tu dois disparaître ! souffla-t-il à l'oreille de sa victime. Ici c'est parfait !

— S'il te plaît, non !

— Adieu Mélia ! Tu dois comprendre !

Elle sentit une forte poussée et le sol se déroba sous ses pieds. La dalle, sur laquelle elle se trouvait, avait basculé. Elle cachait une ouverture dans la terre. La jeune Ether chuta sans un cri. Une descente aux enfers qui parut durer une éternité alors qu'à peine une seconde s'écoula, puis son corps s'écrasa lourdement sur un sol humide. Il faisait sombre. Elle avait mal au dos. Elle ne bougea pas. Elle n'avait pas compris ce qui s'était passé. Où était-elle ? Était-ce la mort ou une nouvelle torture inventée par les Indésiratas ?

Briac n'était pas avec elle, c'était sûr. Elle était seule, dans un gouffre de terre, froid, silencieux et noir. Soudain, elle entendit des voix. Elles lui parvenaient assourdies, lointaines. D'où venaient-elles ? Du ciel ! Les voix venaient d'en haut. Elle était sous terre !

— Où est-elle ?

— Je ne sais pas, elle a disparu !

— Briac, bon sang, tu la tenais !

— Oui, mais j'ai rien compris. Tout d'un coup, elle s'est volatilisée !

— Incapable, il nous faut cette fille ! Où est-elle ?

— Papa, je te dis qu'elle a disparu d'un coup ! J'ai tourné la tête pour voir si vous arriviez et elle en a profité pour s'évaporer !

— C'est absurde ! Même les Maîtres Arcans n'ont pas la capacité de se téléporter ! Cette fille est encore plus précieuse que nous le pensions !

— Tu veux dire que son Ingéni est encore plus précieux que tu l'imaginais ! Ça, je te l'avais dit ! siffla la voix rageuse de Laetitia.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top