Chapitre 13: L'appel des esprits
Cid et Théo étaient dans la cuisine autour du corps inerte de Briac. Revenus de leur stupeur, les jumeaux s'empressèrent auprès de leurs amis.
— Bon sang ! Qui a fait ça ?
— Moi ! clama Théo dont tout le corps tremblait, libérant sans doute la tension due à son acte.
— Comment ?
— Avec ça ! Il montrait le fer à repasser de Sylvie qu'il avait dû prendre sur sa planche dans l'entrée.
— Est-ce qu'il est ... Est-ce qu'il est vivant ? demanda Cid troublé.
Mélia s'était penchée avec précaution sur le corps de Briac et elle vit sa poitrine se soulever. Elle s'éloigna rapidement.
— Oui, il respire !
Cela parut tous les soulager. Pourtant, ils restèrent immobiles à se regarder.
— Qu'est-ce que l'on fait ? demanda Thys.
— On s'en débarrasse ! dit Cid.
— Comment ? demanda Mélia dont les larmes silencieuses inondaient son visage.
— On le porte et on le dépose dans l'impasse du Pentibond, proposa Théo qui avait retrouvé tous ses esprits.
— Et si on nous voit ?
— L'impasse est à deux pâtés de maisons, on se faufile par les ruelles qui relient les cours intérieures des immeubles. L'un de nous passe devant pour voir si la voie est libre et les deux autres le portent ! décida Théo, toujours vif pour prendre une initiative.
— OK, je vous ouvre la voie, proposa Cid qui trouvait le corps de Briac trop lourd pour ses bras de gamer.
A ce moment, un gémissement s'échappa du corps avachi sur la moquette.
— Vite les supplia Mélia, il reprend connaissance et les invités vont arriver.
Thys agrippa les bras et Théo se chargea des jambes. Le corps était lourd et la tête tanguait dangereusement, frôlant ou heurtant les meubles et les murs. Mélia les vit s'engouffrer dans l'ascenseur.
« Pourvu que tout se passe bien ! » espéra la jeune fille en commençant à ramasser les éclats de verre qui s'accrochaient à la moquette.
Cid fit signe à ses potes de se cacher : deux enfants à vélo arrivaient dans leur direction. Ils s'aplatirent derrière les poubelles. Les gémissements de Briac étaient plus fréquents et le garçon essayait même de bouger.
— Il faut se dépêcher, il est à deux doigts de retrouver ses esprits, s'inquiéta Thys.
— Tu veux que je lui redonne un coup sur la tête ? proposa son compagnon.
— Ça ne va pas ! On a déjà de la chance qu'il soit encore vivant et on ne sait même pas s'il n'aura pas de séquelles, le gourmanda Thys. Explique-moi plutôt comment tu as fait pour l'assommer tout à l'heure.
— Ben, en fait, je le filais depuis le début de l'après-midi. A 15 heures, il est sorti de chez lui et je lui ai emboîté le pas discrètement. Briac m'a d'abord conduit chez son pote Claude, mais il n'est pas resté longtemps. Il a ensuite passé une bonne heure à la bibliothèque municipale à faire des recherches. Je ne sais pas trop ce qu'il bricolait. Il a dû faire deux ou trois photocopies. Puis il a sillonné les rues du centre-ville avant de s'installer à une table dans un bar pour boire un coca. Il a passé plusieurs coups de fil pendant que je poirotais dehors complètement frigorifié. Je pouvais l'apercevoir depuis un banc du square Victor Hugo, précisa Téo. A sa sortie du bar, Briac semblait déterminé. Il avançait d'un bon pas, j'ai d'ailleurs failli le perdre de vue à cause d'un mec au volant d'un BMW qui n'a pas voulu me laisser traverser sur un passage piéton. Je l'ai rattrapé à deux rues de chez toi et je l'ai vu entrer dans ton immeuble. Sans hésitation, il a sonné. Il est entré. Je ne savais pas quoi faire, j'ai cru entendre des cris. Je suis rentré discrètement à mon tour et j'ai vu le fer à repasser qui semblait me faire signe dans l'entrée. Je m'en suis emparé quand j'ai entendu des drôles de bruits comme lorsque l'on passe sous un fil électrique à haute tension et Mélia a crié. J'hésitais encore. Cid est arrivé à cet instant et il m'a dit : « Frappe-le ! » Aussitôt dit, aussitôt fait !
— Oh ! Qu'est-ce que vous faites ? Vous venez ou quoi ! Ça fait une heure que je vous fais signe ! s'énerva Cid qui les rejoignait.
Les deux garçons se saisirent de leur lourd colis et suivirent les conseils de leur guide. Ils finirent par déposer Briac dans l'impasse du Pentibond, à côté d'une chaussure délaissée et de débris de verres.
— Voilà, c'est fait !
Ils contemplèrent quelques instants le corps qui était par moment secoué de petits spasmes, les gémissements étaient plus forts. Un bruit de voiture qui freine les fit sursauter.
— Ne restons pas là !
Ils filèrent et ne cessèrent leur course que dans la cour de l'immeuble.
— On devrait peut-être appeler les secours pour être sûr que quelqu'un le trouve ! proposa Thys, essoufflé.
— OK, mais appelle d'une cabine et ne donne pas ton nom, on ne sait jamais.
— On se croirait en plein film d'aventures ? se réjouissait Cid grisé par les événements.
Un regard dur et bien appuyé de Thys le ramena sur terre. Après avoir alerté les secours de manière anonyme pour s'assurer que Briac ne pousserait pas son dernier soupir seul dans cette ruelle sale, les trois copains regagnèrent l'appartement où la fête avait déjà commencé.
La musique à fond faisait vibrer les tympans, mais cela plaisait à la petite troupe de jeunes qui, un verre de soda à la main, se trémoussait en rythme. Mélia affichait un large sourire qui n'était qu'un masque pour cacher son anxiété. Quand elle vit son frère et ses compagnons arriver, elle se dégonfla comme une baudruche et parut enfin s'autoriser à respirer.
— C'est bon ? s'enquit-elle anxieuse.
— Mission accomplie !
— Ça y est, il est là ! clama Raphaël.
Aussitôt, garçons et filles encerclèrent Thys pour le saluer et lui souhaiter un bon anniversaire. Briac fut vite oublié. Les heures qui suivirent ne furent que réjouissance. L'ambiance était magique. Les gâteaux de Nadine ravirent tous les jeunes convives qui s'empiffrèrent exagérément, ils firent descendre le tout à l'aide des cocktails non alcoolisés qu'avait inventés Thys. Une bataille de bonbons éclata soudain et chacun chercha un refuge pour éviter les projectiles sucrés. Contrairement aux autres, Cid se plaça au milieu, la bouche grande ouverte, et essaya de gober un maximum de sucreries. Il devint rapidement l'attraction et chacun à tour de rôle tenta de nourrir « l'animal ».
Quelques-uns s'essayèrent ensuite au karaoké, puis Théo sortit sa clarinette et improvisa un mini concert accompagné par Mustafa aux percussions. Celui-ci avait retourné deux casseroles sur lesquelles il tambourinait avec une cuillère en bois. Bientôt, les danseurs envahirent la minuscule piste et les musiciens laissèrent la place à la chaîne Hi-fi poussée à fond. Des couples se formaient, Géraldine avait tendrement enlacé Cid qui souriait aux anges. Adèle essayait de reconquérir Mustafa en l'invitant pour un slow. Guillaume tenta sa chance avec Mélia qui le repoussa gentiment et Célia jeta quelques regards aguicheurs à Thys qui crut que son cœur allait se décrocher.
Les voisins du dessus vinrent gâcher cette ambiance euphorique en se plaignant du bruit. Il était 22 heures. Ils menaçaient d'appeler la police pour tapage nocturne si le son de la musique n'était pas abaissé à son minimum.
— Ce sont les joies de vivre en appartement, se plaignit Thys.
— Qu'est-ce que l'on fait alors ?
— Ouais, on ne va pas déjà rentrer !
— Et si on tentait une séance de spiritisme ! proposa Léonie
— C'est quoi ça ?
— On essaie d'appeler les esprits et on leur pose des questions, j'ai fait ça en colonie avec quatre potes, c'est trop kiffant !
— Pouh ! J'y crois pas moi à ton truc ! dit Romain visiblement mal à l'aise.
— Dis plutôt que tu as la trouille ! se moqua Léonie
Afin de ne pas se ridiculiser, Romain accepta le défi et tous se rallièrent à cette nouvelle expérience. Léonie fut chargée de mener la séance et elle veilla à créer une atmosphère mystérieuse.
Sur sa demande, Thys et Mélia dénichèrent six bougies qu'ils allumèrent et alignèrent en croix sur la table basse, ils déposèrent un verre à côté. Comme ils n'avaient pas d'encens, ils firent brûler du papier journal préalablement imbibé de parfum. Une fumée odorante et épaisse envahit alors la pièce et fit tousser tour à tour, les apprentis sorciers.
Ils s'installèrent en cercle autour de la table basse. Chacun assis en tailleur, les mains posées sur les genoux des voisins. Léonie décida de placer Mélia et Thys au centre du cercle de part et d'autre de la table. Ils posèrent leur main sur le verre qui était censé remuer si un esprit se manifestait... La lumière fut éteinte, les six flammes des bougies vacillaient en éclairant timidement les visages blancs des collégiens. Certains ricanaient pour essayer de se donner une contenance.
— Chut, maintenant j'invoque les esprits ! Que chacun se concentre ! déclara Léonie.
— Ouais, c'est ça ! se moqua encore Romain.
Mais il fut vite rabroué par une dizaine de « chut ! » sonore. Les autres avaient envie d'y croire !
— Esprit, es-tu là ? Si tu es là, manifeste-toi ! invoqua Léonie.
Le silence s'installa, chacun retenait son souffle en attente d'une manifestation étrange. Les yeux ouverts scrutaient le moindre coin de la pièce, les yeux fermés se crispaient à l'écoute du plus petit bruit suspect. Le verre, impassible, ne remuait pas d'un pouce.
Thys avait envie de se gratter, cette séance de spiritisme lui rappelait les cours de concentration en Ethérie. Il était heureux de partager ça avec ses amis et leur visage absorbé l'amusait. En face de lui, Mélia affichait un sourire rêveur, les flammes dansantes des bougies dessinaient sur son visage des ombres en serpentins. Dans ses yeux miroitait une étrange lueur. Ses cheveux blonds, cuivrés par la luminosité des bougies s'animaient, comme portés par une brise matinale.
Soudain, la jeune Ether se cabra, elle renversa la tête en arrière et écarta les doigts, paume ouverte vers le ciel. Un bourdonnement voilé émana de sa poitrine et son Ingeni diffusa une lumière vive d'un bleu électrique qui éblouit tous les participants. Aussitôt, Romain et Adèle se levèrent en bousculant la table. Les bougies s'entrechoquèrent et se renversèrent noyant leur flamme dans la cire fondue. Plongés dans le noir, les jeunes gens n'en menaient pas large. La plupart s'étaient écartés de la table et de Mélia.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? cria Célia.
— Oh ! Mon Dieu, regardez Mélia !
La jeune Ether était la seule source de lumière dans la pièce devenue sinistre. Sa silhouette sombre était toujours assise en tailleur et les contours de son corps diffusaient une lueur irisée. Ses yeux formaient deux taches blanches spectrales.
— Elle est possédée ! hurla Léonie
— Quelle horreur !
Tous auraient voulu s'enfuir, mais la terrifiante apparition d'une Mélia luminescente les clouait sur place. Thys se jeta sur sa sœur, il essaya de la cacher aux yeux des autres. Il avait compris qu'il ne s'agissait pas d'un esprit farceur qui prenait possession du corps de sa jumelle, mais d'une nouvelle manifestation de son don de clairvoyance.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive encore, lui murmura-t-il, reviens sœurette, reviens !
Mélia, immobile, ne lui répondit pas, son corps était bien là, mais une fois encore son esprit vagabondait. Thys se sentit seul et las. Que pouvait-il faire pour cacher la vérité à ses amis, les faits étaient parlants.
— Maman ! hurlait une voix de fille totalement hystérique.
— Arrête ça, Léonie, je t'en supplie, arrête ça ! pleurnichait le gros Guillaume.
Thys se concentrait sur sa sœur et tentait de la ramener. Cid avait bravé sa peur et rejoint son ami.
— Que se passe-t-il ? chuchota-t-il à l'oreille de Thys en jetant des regards épouvantés sur la forme lumineuse de Mélia.
— Son esprit voyage, je ne sais pas la ramener ! geignit Thys dans un souffle.
Le garçon se pencha sur sa sœur et plaça son Ingeni tout contre celui de sa jumelle, il espérait la ramener avec l'énergie de son cristal. De toute façon que pouvait-il tenter d'autre ? Cid ne demanda pas d'autres explications, il se sentait bien inutile. Il se contenta alors de poser sa main sur l'épaule de la jeune Ether. Thys invoquait l'aide des âmes des ancêtres en marmonnant d'inaudibles prières. Comme il aurait aimé que Téodor passe la soirée avec eux finalement ! Tout d'un coup, Mélia remua et la lueur qui l'habillait disparut aussitôt.
De nouveaux cris, mouvements affolés, souffles saccadés. Il faisait si noir pour tous ces cœurs terrorisés. La lumière salvatrice les sortit de leur panique. Théo avait trouvé l'interrupteur. Une douzaine de paires d'yeux se braqua sur Mélia qui souriait fraîchement.
— J'ai réussi, claironna Léonie, j'ai réussi ! Il fallait briser le verre pour la libérer de l'esprit envahisseur !
À côté d'elle, trois morceaux de verres pointaient un tranchant vengeur !
— Oh ! Mon Dieu, tu vas bien, Mélia ? demanda Laura ratatinée dans un coin de la pièce !
— Heu ! Oui, je vais bien ! Que s'est-il passé ? Pourquoi faites-vous cette tête ?
— Tu as été possédée par un esprit et tu es devenue luminescente ! s'empressa de lui expliquer Thys avec un clin d'œil appuyé.
— Ah ! Oh ! Mince alors ! réalisa la jeune fille. Ben, je n'ai rien senti, ne vous inquiétez pas, je vais bien !
Elle adressa un sourire rassurant à l'assemblée, mais certains l'étudiaient avec méfiance. Maintenant que la lumière inondait la pièce, on commençait à douter un peu de ce que l'on avait vu. Cid et Thys minimisèrent l'événement.
— Mais non, elle n'était pas éclairée, c'était une sorte de reflet dû aux bougies ! dit l'un.
— Le phénomène a duré à peine dix secondes, mais quand on panique ça paraît une éternité ! fit remarquer le second.
— Quand même, quelle frousse, j'ai eue ! avoua Géraldine que Cid s'empressa de serrer dans ses bras.
— Je ne mènerai plus jamais de séance de spiritisme, se promit Léonie, ma mère m'avait dit qu'il ne fallait pas jouer avec ça, je crois que je vais l'écouter un peu ! Heureusement que je me rappelais qu'il fallait briser le verre !
Bien calmés par l'aventure, ils finirent la soirée en regardant une vidéo de sketches comiques, non sans jeter parfois de discrets regards à Mélia qui leur paraissait bien joviale après cette expérience traumatisante.
Ils rentrèrent chez eux aux alentours de minuit. Ceux qui rentrèrent à pied formèrent un convoi bien soudé, prêt à affronter les démons de l'obscurité.
À peine, le dernier invité parti, Mélia se mit à faire des bonds en poussant des cris jubilatoires si bien que Thys la crut vraiment possédée.
— Bon sang, calme-toi, qu'est-ce qu'il t'arrive encore !
— Je l'ai vue, Thys, je l'ai vue !
— Mais quoi ! Par les âmes des Ethers, tu deviens folle ! De quoi parles-tu ? Qu'est-ce que tu as vu ?
— J'ai vu une Cité des Ethers Originels !
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