Chapitre 8 L'Oritis (partie 2)
Sans hésitation, Thys s'y engouffra. Le passage était étroit et cette fois complètement noir. Le garçon dut se baisser et même marcher à quatre pattes par endroits. Les parois transpiraient d'humidité et un filet d'eau suivait le tracé du tunnel.
« Dans quoi je m'embarque ! J'espère que j'arrive bientôt au but. »
Un bruit sourd fit vibrer son cœur. Tout vacilla et Thys comprit que l'ouverture par laquelle il était entré venait de se fermer. L'espace d'un instant, il se vit enterré vivant dans ce monde d'illusions. Il lutta pour contenir la nausée et la panique qui le submergeaient. Il se força à respirer plus lentement et essaya de se raisonner. Il passait l'Oritis, c'était une épreuve ! Il y avait sans doute une issue au bout de ce boyau souterrain.
Il s'enfonça donc, droit devant, dans la noirceur inconnue. Le passage rétrécissait encore et il dut ramper, serré entre les roches terreuses et le filet d'eau qui grossissait. Il pensa à Mélia. Heureusement qu'elle n'était pas avec lui. En plus d'être claustrophobe, sa pauvre sœur aurait eu tant de mal à respirer ici. Elle n'aurait pas supporté de se sentir coincée dans un goulot de glaise sans pouvoir faire demi-tour. Thys avait déjà pratiqué un stage de spéléologie avec Théo un été. Ils avaient trouvé ça génial, mais ils étaient encadrés par des spécialistes et avaient visité des cavités aménagées. Là, il n'avait pas l'impression que les lieux étaient sécurisés, il pensait même être le premier humain à oser s'aventurer dans ce passage.
Il rampa ainsi sur de nombreux mètres, s'écorchant genoux et coudes sur les bords parfois acérés des roches. Le tunnel devenait plus étroit et laissait seulement la place au petit cours d'eau. Thys hésita, mais de toute façon il n'avait pas le choix. Alors, il continua sa progression sur le dos en soulevant la tête pour maintenir son menton et sa bouche hors de l'eau. Bientôt cependant, il se rendit compte que la galerie rétrécissait encore et obliquait à angle droit. Bloqué, il chercha son souffle, haletant de terreur. Faire demi-tour était impensable, il n'avait pas l'espace pour se retourner. Et avancer allait lui demander des contorsions inimaginables.
C'est pourtant ce choix qu'il fit, en accord avec la voix qui infiltrait toujours son esprit et l'incitait à continuer. Il introduisit d'abord un bras puis la tête dans le trou étroit qui s'ouvrait sur sa droite. Il se força à rester calme pour ne pas s'étouffer. Il plaça ensuite son autre main sur sa poitrine et la fit glisser le long de son cou et de son visage avant de déplier le bras pour lui permettre de franchir l'angle. Le haut du corps était passé, tordu, tourné à quatre-vingt-dix degrés vers la droite. Mais ses membres, tendus au-dessus de sa tête, étaient coincés et ne pouvaient pas lui servir à ramener son torse et ses jambes.
« Ne panique pas, garde ton calme, tu peux le faire ! » répétait-il en écho avec la voix qui le coachait.
Alors, il se dandina, se cabra et donna une multitude de coups de reins afin d'avancer millimètre par millimètre. Petit à petit, ses bras trouvèrent un peu d'espace et il put s'appuyer sur les parois fraîches pour aider son corps à s'engager dans l'ouverture. Il y était presque. Mais il restait coincé à la hauteur des hanches. Le trou était trop étroit, ou ses hanches trop larges.
À force de contorsions simiesques, Thys parvint à ramener un bras au niveau de son bassin. À l'aveugle, il gratta les bords terreux pour dégager une ou deux pierres afin d'agrandir l'orifice. C'était un travail de fourmi qui fut payant. Un petit bloc s'effrita et il réussit à faire passer le reste de son corps. Il reprit sa lente progression.
Après quelques mètres, la galerie s'élargit enfin et il put même avancer à quatre pattes. Plus loin, il eut la satisfaction de retrouver la position debout, légèrement courbée pour éviter les quelques roches saillantes qui lui auraient volontiers ouvert le crâne.
Enfin, il déboucha en titubant dans une grande cavité constellée de pierres réfléchissantes. Le cours d'eau avait trouvé un passage dans la roche et suintait le long de la paroi, aidant les éclats de pierres à briller. Le garçon sentait qu'il parvenait au but. Il le percevait, comme quand ses sens s'éveillaient sur le chemin de l'Aval-Pierres. Il traversa la cavité d'un pas rapide. Cette sorte de pièce souterraine donnait sur une autre plus petite.
Thys sut que c'était la fin de son pèlerinage, qu'il devait atteindre cet espace pour accomplir l'Oritis. La salle était tout embrasée de rais de lumière bleutée qui se reflétaient sur le nombre incroyable de cristaux, recouvrant les murs et le plafond situé à au moins quatre mètres de haut. Des lueurs dansaient, insaisissables, miroitaient follement, puis s'éclipsaient pour jaillir ailleurs. Féérique.
Le cours d'eau, emprisonné dans la roche, ruisselait de-ci, de-là, en petits filets sur les bords de pierre. Thys crut entendre le chant de l'eau comprimée derrière la paroi. Au fond, dans un coin plus sombre, sur une sorte de socle de pierre, se dressait une énorme masse transparente. Le garçon s'en approcha comme hypnotisé. Il s'agissait d'un cristal de quartz gigantesque ! Il se rappelait avoir vu des gemmes exceptionnelles, en CM2, lors d'une sortie scolaire au musée cantonal de Lausanne, en Suisse voisine. Théo, qui était déjà dans sa classe, avait réussi avec ses doigts d'artiste à reproduire sur le papier une pointe de gypse, frappante de réalité. Mais les plus grands cristaux exposés ne dépassaient pas la taille d'une grosse tête. Celui que Thys avait maintenant sous les yeux était démesuré.
Un cristal royal de plus de deux mètres, voire trois, qui s'imposait aussi par sa transparence limpide.
Ses facettes translucides s'assemblaient harmonieusement, alors que ses arêtes d'une pureté bouleversante miroitaient d'un éclat surnaturel. Toute sa structure était un chef-d'œuvre d'équilibre. Trois prismes gigantesques trônaient au centre et aspiraient en leur cœur les lueurs azurées qui tournoyaient en joyeuses captives.
Thys était aimanté par cette gemme extraordinaire. Il sentait l'énergie du minéral le pénétrer ; tous les pores de son corps s'ouvraient pour boire à cette source intarissable. Pourtant, une partie de son âme était frustrée, en état de manque. Il en voulait encore plus. Il avait soif de quelque chose de plus fort, de plus violent. La voix en lui, cette voix si douce qui l'accompagnait depuis le début, l'incita alors à porter son attention sur la source d'eau comprimée derrière la roche.
Il dut faire un effort considérable pour détacher son regard du cristal dominateur. Mais son esprit était clair et il devina tout de suite ce qu'il devait faire. Il saisit au sol un morceau de roche qu'il abattit sur la cloison, à l'endroit où un petit filet d'eau perlait timidement. Aussitôt, la roche éclata. Et l'eau, trop longtemps compactée, jaillit en une gerbe puissante qui éclaboussa le cristal. Celui-ci alors chanta. Un son clair et pur inonda la cavité d'une lumière immaculée. Chacune des inimitables facettes du quartz projeta des rais d'énergie accompagnés d'un grésillement léger.
Thys reçut ces rayonnements comme la bénédiction tant espérée. Jamais il ne s'était attendu à une telle puissance. Une flamme semblait irradier dans son corps. Un feu d'artifice de couleurs, d'odeurs, de sons, de sensations éclatait en lui. Il se voyait naître à nouveau. Il sentait l'action du minéral exciter l'ensemble des atomes de son être. Il ne touchait plus le sol, une force l'élevait au sommet du cristal.
Comme en écho à son plus profond désir, la voix gémissait en lui « Touche-le, touche-le ! ». Oh ! Cette voix, il la reconnaissait maintenant... Comment était-ce possible ?
Il étreignit alors à deux mains le prisme principal du quartz et son cœur sembla vrombir. La seconde suivante, le cristal explosa, libérant un souffle fulgurant qui irradia Thys et le maintint électrisé, à deux mètres du sol. Il était conscient et au paroxysme de l'extase sensorielle. La voix qui habitait son cerveau jubilait aussi. Mais des éclats de quartz fusèrent en tous sens et un morceau rayonnant de pureté vint s'incruster fermement dans sa tempe.
La douleur fut instantanée et foudroyante. Il hurla et les nerfs de ses mâchoires disjonctèrent. Le déchirement électrique se prolongea dans tout son crâne. Il s'écroula au sol. Mais il ne perdit pas conscience, la voix y veillait. Il cracha, hoqueta. Il inspira en se relevant et fit le bilan de sa carcasse malmenée.
Il se sentait courbaturé, les muscles en compote, en même temps il avait l'énergie du vainqueur. Une formidable détermination bouillait en lui. Il avait l'impression que sa poitrine s'était élargie sous l'assurance nouvelle qui le guidait.
Il tâta sa tête et trouva sans peine l'éclat de cristal incrusté dans la chair. Il tira dessus délicatement, mais celui-ci résista, alors qu'une douleur vive se propagea dans sa tempe. Il renonça à l'enlever pour l'instant et se força à respirer lentement en regardant autour de lui. Le chaos ressemblait à un monde enchanté et scintillant.
La gemme avait soufflé sa puissance puis s'était disloquée en une multitude de paillettes miroitantes qui tapissaient le sol. Thys ramassa un éclat de quartz curieusement brisé qui faisait penser à un œil sur lequel perlait une larme. Il le fourra dans sa poche.
« En souvenir, se dit-il ».
Puis, il trempa ses mains dans une cuvette naturelle, formée par les roches blanches, dans laquelle se déversait le ruisseau libéré et s'aspergea le visage. Il pouvait apercevoir son reflet dans le miroir d'eau claire. Les lueurs bleutées qui striaient toujours la pénombre lui donnaient un aspect fantomatique et il vit un renflement de peau boursoufflée sur sa tempe droite ce qui lui tira une grimace.
« Bon, si je ne touche pas ce truc, je ne souffre pas trop, alors ce problème attendra mon retour et les conseils du Maître Arcan. »
Pour l'instant, il devait regagner la sortie, trouver l'ouverture et rejoindre son modulateur pour lui annoncer fièrement que la mission était accomplie.
Ah ! Et la voix, cette petite voix ne perdait rien pour attendre. Non, mais ! L'inciter à toucher le cristal ! Bon d'accord, lui aussi avait eu l'idée, mais aurait-il franchi le pas si elle ne l'avait pas encouragé ?
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