Chapitre 4 Briac


Jamais Thys n'aurait pensé être content à ce point-là d'aller au collège le lundi matin. Libéré du regard inquisiteur, libéré de cette atmosphère accablante et étrange. Il quitta sans regret la maison et s'envola sur son vélo. Il ne se passa rien d'inquiétant sur le chemin de l'Aval-Pierres. Le garçon put profiter sereinement des derniers rayons de soleil de la saison. Septembre tirait sa révérence, quelques reflets roux parsemaient déjà les arbres. Les oiseaux pépiaient gaiement, émergeant de la brume matinale et quelques grenouilles rousses en fête chantaient au bord de la rivière.

Cid patientait près du garage, un magazine de foot entre les mains. Le vélo bien garé, les garçons ne perdirent pas une minute pour rejoindre l'arrêt de bus et lire les derniers résultats de leurs équipes préférées.

Au Collège Louis Pasteur, leur camarade, Théo, les attendait avec la nouvelle du jour : Monsieur Levasseur serait absent au moins tout le mois d'octobre et pour l'instant, il n'y avait pas de remplaçant ! Rien de tel pour commencer une matinée de classe de bonne humeur !

Ils étudièrent les fabliaux du Moyen-âge avec madame Berthier avant de se rendre au stade pour leur cours de sport. La séance d'athlétisme fut un pur bonheur pour Thys. Il excellait en lancer de javelot et fut désigné par sa professeur pour la seconder. Il en profita alors pour se rapprocher de Célia. Avec ses yeux rieurs, sa démarche souple, ses longs cheveux parfumés, Célia plaisait énormément à Thys. Il perdait d'ailleurs tout contrôle quand elle évoluait dans son entourage. Pourtant, il osa passer plusieurs minutes auprès d'elle pour l'aider à se positionner correctement et effleura même sa main en la conseillant. C'est les yeux pleins d'étoiles et les joues bien roses qu'il rejoignit ses deux copains dans la cour. Mais ceux-ci, pour une fois, ne le taquinèrent pas. Ils étaient en train d'observer Diana flirtant avec Briac Le Tallec.

— Elle n'a pas de goût. Qu'est-ce qu'elle lui trouve à ce gars ? Il parle comme un snobinard. Il ne sait rien faire sans le fric de son père, s'énervait Théo.

— Ne t'inquiète pas, c'est pour te faire enrager, le rassurait Cid.

Dans le trio d'amis, Théo était habituellement le boute-en-train, celui qui remontait le moral des troupes, mais lorsqu'il s'agissait de Diana, il perdait vite son sang-froid.

— Ouais, regarde comme elle penche la tête, ma parole, elle le cherche ! s'agaçait-il. En plus, aujourd'hui elle a détaché ses cheveux...

Thys, lui, ne s'intéressait pas à Diana, mais scrutait Briac. Ce mec, il ne l'aimait pas. Ce n'était pas une histoire de jalousie. Non. C'était viscéral. Il ne pouvait pas le supporter. Briac était toujours sûr de lui, détendu, bien peigné, souriant, serviable. Tout le monde l'adorait, les profs, les élèves, les vieilles dames, les chiens. Tous, sauf Théo qui explosait de jalousie à chaque fois que Diana l'approchait de trop près. Tous, sauf Thys qui ne savait pas pourquoi.

Au départ, il croyait que c'était par solidarité envers son copain. Puis, il s'était rendu compte que c'était plutôt personnel. Briac le hérissait. Sa gentillesse l'irritait, l'intonation de sa voix l'énervait. Chose curieuse, il sentait toujours l'arrivée de Briac dans une pièce comme si l'atmosphère se chargeait d'ondes négatives et quand celui-ci sortait, Thys était soulagé d'un poids.

Diana gloussait, exaspérant de plus en plus Théo. Briac, lui, plaisantait tout en cherchant d'éventuels spectateurs autour de lui. Quand son regard capta la bande des trois garçons, il leur adressa un clin d'œil complice. Il chuchota deux mots à sa compagne et tous les deux rejoignirent le groupe. Cid posa une main amicale sur l'épaule de Théo pour essayer de l'apaiser.

— Salut, les mecs, comment ça va ? demanda Briac avec un sourire éclatant. 

— Salut, Diana... Briac, répondit Cid au nom de la petite bande. Ça roule pour nous ! Qu'est-ce qui vous amène ?

— J'organise une grande fête d'anniversaire samedi deux décembre, annonça Briac non sans fierté. Bon, je sais, je m'y prends à l'avance, mais ça sera vraiment une big party façon Le Tallec, quoi !

Sa vanité transpirait de tout son être, le torse bombé, l'œil en quête de compliments, il poursuivit :

— Il faut que j'aie une idée du nombre d'invités. Je peux compter sur vous ? Aux alentours de vingt et une heures, ça marche ?

— Cool ! Bien sûr ! acquiesça Cid.

Théo hocha la tête pour marquer son approbation, les poings serrés dans ses poches. Une invitation chez Briac c'était un événement exceptionnel. La famille Le Tallec devait posséder la plus belle villa de la commune. Les fêtes organisées y étaient toujours mémorables : mélange de luxe, d'excès et de surprises variées. Y être convié était un honneur qui ne se refusait pas. Théo mettrait sa fierté de côté l'espace d'une soirée.

Quant à Thys, il n'avait rien dit, il ne pouvait d'ailleurs dire quoi que ce soit. Sa langue semblait scotchée au palais, ses lèvres scellées et ses joues envahies de fourmillements grésillaient. Il se passait quelque chose d'anormal, une sensation, en plein collège devant ses camarades !

— Thys, ça va ? l'interrogea Briac.

Impossible de répondre, une sorte de paralysie faciale. Les yeux noisette de Briac le fixaient, inquiets.

— Thys, tu te sens bien ? demanda à son tour Théo.

Le jeune Ether avait l'impression qu'un chamallow géant se développait dans sa bouche cousue. La respiration nasale ne suffisait plus et sa tête commençait à tourner. Il étouffait. Cid observa alors son copain et resta cloué devant ses joues bouffies et ses yeux larmoyants.

— On l'emmène à l'infirmerie ! Tout de suite ! s'écria-t-il.

Thys fut très vite pris en charge par madame Hadépix qui renvoya le reste de la bande en classe. Isolé dans le petit local chaleureux qui servait de garde-malade ou de tisanière, Thys retrouva en un clin d'œil l'usage de sa bouche et ses joues dégonflèrent petit à petit. Madame Hadépix, vieille aide-soignante grisonnante, semblait encore inquiète et préparait une décoction aux plantes, seul remède qu'elle était autorisée à administrer à ses jeunes patients.

— Tu es sujet aux allergies, jeune homme ? demanda-t-elle en lui tendant une tasse fumante.

Thys secoua la tête, trop empâté pour discuter. Il soufflota sur la vapeur qui s'échappait de sa tisane. Son attitude désinvolte l'aidait à se calmer. Un tel incident lui arrivait pour la première fois au collège et cela le préoccupait vraiment. Que se passait-il donc en ce moment ?

— Est-ce que tu as mangé quelque chose de particulier pour ton goûter ? s'informa encore sa garde-malade.

Nouvelle secousse négative de la tête.

— Te serais-tu fait piquer par un insecte ?

Thys aurait aimé dire que oui, c'était le regard aigu de Briac, ce bourdon de malheur qui l'avait piqué et transformé en proie paralysée et bouffie, mais il se contenta de remuer une nouvelle fois la tête.

Cocolé par sa garde-malade dévouée, Thys put regagner son cours d'histoire une demi-heure plus tard, totalement dégonflé, mais pas vraiment apaisé.

Théo et Cid le regardèrent s'asseoir, s'assurant qu'il avait bien repris son volume initial.

— Alors, ça va ? chuchota Cid, alors que Monsieur Gobert leur commentait une carte de l'Empire carolingien, diffusée par le vidéoprojecteur sur le tableau blanc.

— Ouais, j'ai compté les crottes de mouches au plafond pendant une demi-heure alors que la vieille Hadépix me harcelait de questions. Mais ça va !

— T'étais pas beau à voir, c'était quoi ?

— Une allergie à la bêtise de Briac !

Cid s'esclaffa. Monsieur Gobert se retourna et fusilla les garçons du regard.

— Messieurs Ano et Martin, pouvez-vous me rappeler quels sont les personnages nommés par Charlemagne pour gouverner les territoires de l'Empire ?

Le reste de la journée se passa sans incident et Thys se retrouva trop vite chez lui sous l'emprise du Maître Arcan qui semblait le guetter. Le spécialiste de l'Oritis examina le garçon à son arrivée sans un mot, il fronça les sourcils, s'attarda un instant sur le front de son sujet, puis se détendit et regagna le salon où l'attendaient ses livres.

Thys, lui, monta quatre à quatre les escaliers pour rejoindre sa sœur. Elle était sur son lit et jouait aux cartes avec Tantine. Déçu de ne pouvoir profiter d'un moment tranquille avec Mélia, Thys décida d'interroger sa tante.

— Eh ! Nadine ! Tu ne veux pas nous parler de l'Oritis et du truc des Prudens et des cycles ?

— Oh ! Là ! Doucement, papillon ! Tout d'abord, bonjour, mon cher neveu ! Oui, nous avons passé une belle journée. Merci. Allez, viens t'asseoir avec nous !

Elle lui désigna le lit et Mélia se poussa pour lui laisser une place auprès d'elle. Thys s'installa à côté de sa sœur, mais prit soin auparavant de remonter l'oreiller sur lequel elle s'adossait et de l'embrasser sur le front.

— Tu es la seule à bien vouloir en parler, les autres on dirait que ça les gêne, c'est tabou, reprit-il en fixant Nadine. Moi, je n'en peux plus, j'ai envie de savoir. Il se passe trop de trucs flippants en ce moment.

Nadine poussa un soupir pour la forme, elle jeta un regard craintif vers la porte et chuchota :

— Déjà, je ne connais pas grand-chose. On m'a juste rapporté que l'Oritis ne se déroulait pas sur le plan terrestre et qu'il fallait trouver la source d'énergie. Mais surtout, tout le monde se tait, car il paraît qu'on ne doit pas parler de la cérémonie avant qu'elle ait lieu pour que ton esprit reste libre de toute pensée parasite ! C'est ce que m'a rappelé le Maître Arcan Téodor Lux aujourd'hui. En gros, il ne veut pas que tu te fasses ton film.

— Ben voyons ! Et le truc de la transformation, alors ?

— Ah ça ! J'en sais encore moins, c'est des choses que l'on raconte. Tu fais une sorte d'apprentissage en Ethérie. Ton père est parti de la maison quand j'étais petite. Il a eu son premier cycle, mais je n'ai pas vu de changement en lui, pourtant Grand-père Ano était fier de sa « transformation ».

— Et maman, elle a obtenu quelque chose, elle ? demanda Mélia.

— Oui, je crois qu'elle a passé ses trois cycles !

— Trois cycles ?

— C'est ça, elle pourrait être Maître Arcan, mais apparemment, elle a préféré donner naissance à deux fripouilles, plaisanta Nadine.

La jeune femme interrompit ses révélations quand elle aperçut la moustache de Téodor frétiller dans l'encadrement de la porte. Le mystère demeurait épais pour Thys, mais il espérait bien avoir les réponses à ses questions dès le lendemain.

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