Chapitre 34: Mise à mort
"Oh ! Non ! Madame Tangwitch m 'a enfermée", pensa Mélia.
— Oh! Hé ! Je suis là ! Ne fermez pas, j'avais oublié quelque chose dans le vestiaire ! Ouvrez Madame !
Elle n'entendit aucun bruit de pas et la porte resta close.
— Je suis là ! cria Mélia qui commençait à paniquer seule dans le noir. Vous m'avez enfermée, je veux sortir ! Madame Tangwitch ! Madame !
Elle se baissa pour ramasser son portable, mais ses doigts ne rencontrèrent que des poussières et des saletés ramenées par les semelles des élèves.
« Bouh ! Je suis sûre qu'il y a des araignées là-dessus », pensa-t-elle avec dégoût, et elle renonça à récupérer son portable dans le noir.
À tâtons, elle se dirigea vers la porte. Elle se cogna à trois reprises contre les bancs qui semblaient ravis de lui bloquer le passage et la garder prisonnière dans cette pièce trop vide.
— Ouvrez, ouvrez-moi ! hurla une nouvelle fois la jeune fille. Recourbée, les mains la guidant le long des bancs, les pieds raclant le béton granuleux, elle se dirigeait vers ce qu'elle pensait être la porte quand une sorte de sifflement aigu la fit tressaillir.
— Il y a quelqu'un ? S'il y a quelqu'un, ce n'est pas drôle, supplia-t-elle. Ouvrez la porte, s'il vous plaît !
Mais sa voix résonnait étrangement dans la pièce. Une nouvelle fois, il lui sembla entendre un sifflement grinçant qui la fit même saliver comme cette désagréable sensation d'ongle qui frotte une assiette !
— Ouvrez, c'est Mélia, je suis la nouvelle élève de 4 A ! S'il vous plait, ouvrez-moi !
Un moment l'idée que Madame Tangwitch se tenait derrière la porte et se moquait d'elle l'effleura. Mais quand même, quel que soit le prof un peu loufoque, il ne lui viendrait pas à l'idée d'enfermer un élève seul dans le noir, cela pourrait lui valoir de sérieux ennuis.
Elle avait réussi à atteindre un mur humide et elle le suivait en espérant rejoindre cette fichue porte qui devait être tout près. Se pouvait-il que ce soit le vent qui ait tout simplement fait claquer la porte ? Il ne pouvait pourtant pas y avoir de courant d'air, la salle n'avait pas de fenêtre et aucune autre issue. Seule une porte de bois vermoulu donnait sur une espèce de cave qui se transformerait dans le futur en un espace douche tant attendu.
— Pouvez-vous ouvrir la porte, je suis coincée dans le noir ! clama Mélia à l'aveuglette.
Si seulement, elle tombait sur l'interrupteur, il devait être le long de ce mur, à quelle hauteur exactement ?
Le sifflement reprit, proche de son oreille, beaucoup trop proche ! Elle s'immobilisa, toute sa peau du dos était hérissée. Elle avait l'impression que quelqu'un se tenait près d'elle, là dans le noir ! Sa nuque était de glace. Elle était sûre qu'une présence la guettait, immobile, dans son dos !
Alors, elle se colla au mur glacial et avança ainsi en râpant son joli gilet gris contre la paroi rugueuse dans laquelle ressortait parfois un clou rouillé qui accrochait une maille du gilet et ralentissait sa lente progression.
Elle essaya de se résonner : « il n'y personne ici, tu es toute seule ma pauvre vieille et tu te fais ton film, alors détends-toi, respire un coup, avance normalement, ouvre cette porte et sors. »
Tandis qu'elle recommençait à prendre confiance, elle aperçut deux points lumineux, vaguement rouges en face d'elle. Elle ferma les yeux très fortement pour les faire disparaître et serra les poings qui se mirent à grésiller.
— Chut, chut ! intima-t-elle à ses mains en chaleur sans oser ouvrir les yeux.
Elle resta ainsi collée au mur, les yeux fermés, totalement immobile, à retenir son souffle au moins une minute qui lui en parut dix. Puis, elle dut reprendre une goulée d'air et comme si l'ouverture de la bouche allait de pair avec les yeux, elle ouvrit ceux-ci et ce qu'elle vit la terrifia. En face d'elle, quatre paires d'yeux miroitants la fixaient. Elle se laissa glisser le long du mur, ses jambes ne la soutenaient plus.
— Qui... qui êtes-vous ? sa voix toute tremblotante, à peine audible interrompit le sifflement tout proche.
Une lampe torche l'éclaira en plein visage et elle dut détourner la tête. Un ricanement sinistre auquel se mêlèrent des claquements de langues et des halètements résonna contre les murs et fit le tour de la pièce. Mélia se boucha les oreilles, elle devenait folle, elle avait trop peur de comprendre qui étaient les êtres enfermés avec elle dans le vestiaire.
« Ne reste jamais seule... rien n'est négociable ! » Elle entendait encore les recommandations de son père tandis que son corps s'emballait et qu'elle hoquetait sous la nausée qui lui soulevait l'estomac.
Chaque paire d'yeux, luisante comme de la braise, avait allumé une petite lampe de poche. Cela éclairait peu la salle, mais suffisamment pour que Mélia distingue quatre hommes. Elle reconnut aussitôt Briac avec un méchant sourire, c'était lui qui ricanait sinistrement. Il fit un pas en avant, elle se tassa un peu plus contre le mur.
— Briac, tenta-t-elle, ne me fais pas de mal ! Je t'en prie, laisse moi sortir !
— Tiens, tu connais Briac, il aura à s'en expliquer ce poltron ! Mais tu te trompes, petite âme de pacotille, moi je suis Alan ! Et je te présente Daniel, mon frère !
L'autre homme, juste à côté, s'inclina théâtralement en faisant mine d'abaisser dans un geste souverain son chapeau. Tous deux ricanèrent.
Mélia les analysa rapidement, c'est vrai, ils étaient un peu plus vieux que Briac, mais ils avaient le même menton volontaire, la même mâchoire large, les pommettes saillantes, le regard perçant. Briac avait par contre un sourire plus franc et le nez droit tandis que celui d'Allan s'ornait d'un grain de beauté et d'une bosse discrète et que le nez de Daniel était plus large et évasé.
Alan s'approcha encore, il était à un pas de la jeune fille, il la fixa et fit une multitude de petits gestes avec ses doigts à une vitesse incroyable comme s'il jouait du piano. Aussitôt Mélia se redressa comme si un courant électrique courait dans le sol et s'était faufilé dans son corps en empruntant chaque orteil pour ensuite taquiner ses muscles.
— Alors, la mignonne petite Ether, ça fait mal, hein ? Mais tu sais, ce n'est que le début !
La jeune fille se tortillait, chaque muscle de son corps se crispait d'un coup et se relâchait avant de se recontracter plus violemment encore.
— Pourquoi faites-vous ça ? demanda-t-elle le corps tout endolori.
— Pourquoi ? Tiens, oui, pourquoi ? Parce que l'on en a marre de ces empêcheurs de tourner en rond, tempêta Daniel d'une voix plus rauque que son frère.
— Mais je ne vous ai rien fait ! Je n'y suis pour rien !
— Toi, comme tous les Ostendes, vous voulez changer le monde. Soi-disant que nous n'allons pas vers la bonne évolution ! Figure-toi que ce monde-là nous plaît bien ! Alors, nous, on préfère se débarrasser de vous avant que vous fassiez votre révolution, na !
Et pour appuyer ses paroles, il tapa rageusement le sol du pied une bonne dizaine de fois, ce qui eut pour effet de faire vibrer les tissus internes de la jeune fille. Le choc lui brouilla la vue et elle perdit connaissance.
Quand elle reprit ses esprits, les choses n'allaient guère mieux pour elle, bien au contraire. Alan et Daniel la palpaient de tous côtés. Ils enfouissaient leurs mains dans sa chevelure, remuaient ses bras, lui griffaient le dos en inspectant sa peau. Elle voulut se dégager, alors ils lui pincèrent le ventre en continuant leur inspection. Ils lui ôtèrent ses chaussures en lui tordant à moitié la cheville puis scrutèrent ses plantes de pied et chacun de ses orteils sans ménagement. Elle se débattit avec fougue, cria, mais ils inspectèrent aussi son intimité en riant et la laissèrent à moitié dévêtue, molle sur le sol.
— Rien, elle n'a rien, Dux Deprador, conclut Daniel déçu.
— Elle ne porte pas d'Ingéni ? J'aurais pourtant juré... Je ne m'étais jamais trompé, rugit une voix caverneuse.
Un très grand homme osseux s'avança dans la lueur d'une torche. Et Mélia, toute à son horreur, put le voir se pencher vers elle. Son visage long et mince abritait des lèvres fines et exsangues et deux yeux globuleux à la couleur indéterminée mangeaient le reste de sa face. Des veines bleues saillaient dans son cou flétri à la peau grise et une énorme pomme d'Adam remuait indécise de bas en haut ne sachant trouver sa place. Il approcha son visage tout contre celui de Mélia qui sentit un souffle tiède avec une odeur de crevette l'envelopper. Son nez pointu effleura le front de la jeune fille et il se redressa en crachant un filet glaireux qui loupa sa joue d'un millimètre.
Il la remua alors d'un coup de pied dédaigneux comme s'il s'agissait d'un sac-poubelle odorant qui se trouvait sur son passage, puis il prit du plaisir à lui saisir son cou frêle entre ses deux longues mains décharnées. Il serra lentement, juste pour voir les yeux de Mélia paniquer sous le manque d'air. Il vit les ailes de son nez frémir et sa bouche s'ouvrir vainement comme un poisson hors d'eau. Alors il se redressa satisfait tandis que la jeune Ether toussait à n'en plus finir.
— Pas d'Ingéni ? Curieux et donc inutile ! Qu'on en finisse ! Baldo, débarrasse-moi de ça ! Vite fait, bien fait ! Laisse le corps là ! Ça servira d'avertissement ! Ils se tiendront peut-être à carreau quelque temps avec leurs fouilles archéologiques et leurs cycles de transformations !
La quatrième silhouette sortit de l'ombre. Le dénommé Baldo finit de terroriser Mélia par son apparence. C'était un homme noir, costaud, tout de noir vêtu ! Il portait des piercings aux oreilles, dans les narines, sur l'arcade sourcilière et une rangée de cinq anneaux le long de sa joue. Son sourire blanc sur noir était terrifiant, certaines dents avaient été limées en pointe et semblaient prêtes à déchiqueter une proie. Il se plaça bien en face de Mélia qui tentait encore une fois de se redresser. Elle avait enfin localisé la porte, à gauche de Daniel, et espérait encore pouvoir fuir. Mais Alan, qui avait suivi son regard, alla se poster devant la porte, fier, le torse bombé, l'œil arrogant.
Mélia, désespérée, comprit qu'elle allait mourir, elle ne pouvait rien faire contre quatre hommes déterminés. Un instant, ses mains se remirent à crépiter quand elle vit Baldo bander ses muscles, tendre trois fois ses bras dans sa direction. Mais avant qu'elle ne puisse tenter la moindre action désespérée, un souffle violent la plaqua au mur suivi d'un rayon de feu qui la percuta en plein cœur. Le corps de Mélia fut soulevé et propulsé à deux mètres dans un ensemble de gerbes colorées et de grésillements. Elle fut secouée de spasmes, de hoquets d'agonie et s'immobilisa d'un coup.
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