chapitre 33 hors contrôle


Mélia avait atteint le couloir avec un remarquable sans froid. Mais après, elle s'était mise à courir comme une folle avec la désagréable sensation d'être poursuivie par deux yeux noisette. Elle se heurta alors à Cid qui apparemment la cherchait.

— Tu es là ? Bon sang, on te cherche partout ! Hé ! Mais tu trembles comme une feuille. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu pleures ! Qu'est-ce qui se passe ?

En hoquetant, Mélia se blottit contre Cid qui, embarrassé, resta planté droit comme un i les bras ballants !

— Mais enfin, qu'est-ce qui se passe dans votre famille en ce moment ? Tu veux bien m'en parler, hein ? Et il lui tapota gentiment le dos du bout des doigts. Vous êtes étranges et tu commences à réagir comme ton frère là, ça me fout la trouille ces histoires !

— Ça va, tout va bien !

— Je croirais entendre Thys et peu de temps après je le trouve à moitié agonisant. Alors là, vois-tu, je ne suis pas rassuré !

Célia et Laura arrivèrent à leur tour.

— Alors c'est ça, on s'inquiétait et en fait, tu en as juste profité pour faire une balade en amoureux !

— Mais non ! s'exclama Cid s'écartant de Mélia, les oreilles en feu.

Et les trois filles explosèrent de rire. Malgré ce moment d'hilarité, Mélia jetait des coups d'œil fugaces au fond du couloir, prête à décamper au moindre signe de sourire blanc ou de regard noisette.

La nuit fut une nouvelle fois agitée. Briac, omniprésent, lui tendait parfois la main pour l'aider à s'extirper d'un trou gelé dans la banquise ou lui enfonçait en riant la tête dans le sable brûlant. Elle s'éveillait tour à tour en suffoquant, en pleurant, en criant.

Une nouvelle fois, elle se rendit au collège, épuisée. Et une nouvelle fois, un événement incontrôlable lui arriva.

Quand elle vit Briac dans la cour le matin, penché au-dessus de Diana, l'air assuré et les fossettes creusées, elle éprouva un mouvement de colère intense. Elle regarda longuement celui qui avait fait souffrir son frère, celui qui peuplait ses nuits et qui avait un sourire si charmant ! Un traître ! Machinalement, elle se saisit d'une poignée de neige qui durcissait sur la table de ping-pong et la compressa en une boule dure et dense. Alors, elle fut parcourue d'un influx électrique violent suivi de la sensation d'une chaleur étourdissante. Tous ses membres se contractèrent d'un coup et son corps entier fut traversé de petits tressaillements, ses oreilles bourdonnèrent et elle se sut à la limite de l'évanouissement. Elle lutta en tentant de happer des goulées d'air glacial pour éteindre le dérèglement de son corps. Elle jeta un nouveau regard à Briac, qui inconscient de la présence et de l'état de Mélia, continuait à papoter avec Diana dont la longue queue de cheval vacillait au rythme de la conversation. Puis, le regard de Mélia se dirigea sur l'amas de glace qui s'accrochait au toit du préau juste au-dessus de Briac. Bien mal lui en prit, car à cet instant, un jet d'énergie reflua par sa gorge et fusa en vrombissant en direction du couple sous le préau. Le bloc de glace se détacha lourdement et s'abattit sur les deux jeunes gens. Au même moment, Mélia s'écroula à genou en claquant des dents.

Très vite, il y eut des cris et de l'agitation. Briac se releva rapidement, il n'avait rien, il avait chuté, surpris par le poids de Diana qui s'était soudain effondrée sur lui. Mais Diana ne bougeait pas, une plaie sanguinolente s'ouvrait dans son crâne. Jonchés autour d'elle, des débris de glace tels des éclats de verre faisaient miroiter leur facette coupante. Un gros bloc à peine effrité avait roulé à plus de deux mètres de la scène. Briac poussa un cri déchirant et secoua la jeune fille. Il lui palpa le cou, le front, les membres. Il semblait marmonner des incantations à genou auprès de son amie inerte. Madame Hadépix l'écarta et téléphona aux secours qui arrivèrent en dix minutes et emportèrent Diana dans une civière. Tous les élèves étaient en état de choc. Mélia qui s'était relevée et tremblait de toute part ne dépareillait pas parmi ses camarades choqués. Complètement anéantie par ce qui venait de se passer, elle regardait les pompiers glisser la civière dans l'ambulance quand ses yeux rencontrèrent le regard de Briac. Il la jaugea intensément, ses iris se contractèrent et sa pupille sombre, immense se figea. Ensuite, il baissa les yeux et rejoignit Madame Hadépix qui voulait apparemment l'examiner.

Mélia ne réussit pas à écouter le cours de français qui suivit. Le bavardage érudit de madame Berthier ne capta d'ailleurs l'attention d'aucun des élèves de 4 A, trop marqués par l'accident de leur camarade si bien que la prof décida de travailler l'expression orale et proposa à chacun de s'exprimer sur l'événement. Pour une fois, Mélia ne participa pas au cours, et l'estomac complètement noué, la gorge serrée et les larmes au bord des yeux, elle revivait en boucle la scène dramatique de dix secondes dont elle était responsable.

« Je l'ai peut-être tuée, je suis un assassin, comment j'ai fait ça ! Je voulais faire du mal à Briac ! Je voulais que son sourire disparaisse, je... Oh ! Qu'ai-je fait ? »

Elle suivit ensuite ses camarades en cours de maths comme un automate et ne se permit de respirer normalement qu'après l'intervention salutaire de Mademoiselle Jeanne la CPE qui venait rassurer les élèves sur l'état de Diana. Elle avait repris conscience à l'hôpital et apparemment le scanner n'avait décelé qu'un léger traumatisme crânien. Elle allait se reposer et reprendrait les cours après les vacances de Noël. Le soupir de soulagement fut général dans la classe et Mélia reprit instantanément des couleurs. Elle se sentit libérée d'un poids même si toute sa sérénité n'était pas retrouvée. Elle garda un visage torturé que Cid ne cessa d'observer tout au long de la journée.

Le soir à la maison, elle mangea peu ce qui inquiéta évidemment Sylvie qui la pressa de questions :

— Tu te sens fatiguée ? As-tu ressenti une gêne pour respirer ces derniers jours ? Est-ce que tu as eu des vertiges ?

— Dis maman, si tu me laissais répondre, un peu ! Non, je n'ai aucun symptôme lié à ma maladie, je les connais bien et je t'en aurai parlé !

— Qu'est-ce qui ne tourne pas rond, ma fille alors ? Je te connais, je sens que ça ne va pas ! Sylvie se fit cajoleuse et enlaça tendrement Mélia mêlant ses cheveux blond cendré à la douceur blond blanc des longues mèches de sa fille. Elle respira le parfum doux que dégageait le cou fin et chaud de son enfant et insista.

— Dis-moi, mon cœur, qu'est-ce qui te perturbe à ce point  !

— Tu sais, j'ai..., Mélia hésita un peu, j'ai ressenti des drôles de choses ces temps-ci, tu vois ce que je veux dire, des trucs d'Ether !

— Comme quoi, par exemple ? demanda sa mère visiblement inquiète.

— Ben, rien de vraiment nouveau, mes mains qui fourmillent, la chaleur, les oreilles qui bourdonnent ! Mais...

— Mais ? Sylvie était tout ouïe.

— Mais maintenant, j'ai dû mal à contrôler tout ça ! En fait, je n'ai jamais rien contrôlé, mais ça n'avait jamais eu de conséquence, par contre aujourd'hui...

— Qu'est-ce qui s'est passé aujourd'hui ? Sylvie tira sa chaise tout contre celle de sa fille.

— Je crois que je suis responsable de l'hospitalisation d'une camarade de classe. J'ai eu des sensations, c'était violent, j'étais mal et quand j'ai regardé les stalactites gelées qui pendaient du toit, ils se sont détachés et ont assommé Diana !

Elle évita de parler de Briac, sa mère aurait été en alerte rouge ! Mélia pleurait maintenant, mon dieu, que c'était douloureux de revivre cette scène si culpabilisante !

— Comment va Diana ? Une caresse sur le front accompagnait la question.

— Bien, à priori ce n'est pas trop grave !

— Bon, ces situations malheureusement arrivent dans la vie d'un Ether, mais cela se passe la plupart du temps dans les jours qui suivent son Oritis, car il est gonflé d'énergie. On peut aussi parfois avoir ce genre de réaction suite à une grande émotion ! Cette fille a-t-elle été désagréable avec toi ?

— Non, pas vraiment, mentit Mélia en pensant à Briac et ses yeux tristes et durs à la fois.

Sylvie comprit, qu'il y avait sans doute une querelle d'adolescente derrière cette affaire ou une histoire de cœur, elle n'insista pas. Elle préféra rassurer sa fille.

— Au début, on ne contrôle rien et ça peut être douloureux, mais ensuite on apprend à vivre avec ces sensations et cela a beaucoup d'avantages ! Par contre, tu resteras à la maison demain. Cela évitera les incidents et nous attendrons ensemble ton frère qui devrait arriver demain dans la soirée, d'accord ?

— Non, pas d'accord ! Tu vois maman, je t'ai fait confiance, je t'ai parlé et tu veux me priver du collège ! C'est le dernier jour avant les vacances de Noël ! C'est une journée spéciale, je veux y aller ! Je t'ai raconté ça pour que tu me rassures, pas pour que tu me punisses !

Sylvie serra la mâchoire. On voyait qu'elle prenait sur elle.

— D'accord, juste le matin comme d'habitude. Et si tes sens s'emballent, ferme les yeux, fais le vide en toi et prends de grandes inspirations ! On touchera deux mots à Téodor de ce qui t'est arrivé. Peut-être que ton Oritis approche à toi aussi.

C'est le cœur plus léger que Mélia arriva au collège le lendemain, la discussion avec sa mère avait dédramatisé l'accident. Sylvie ne lui avait pas jeté la pierre. Et comme Diana n'était pas grièvement blessée, Mélia essaya d'oublier l'incident même si cela restait le sujet de conversation principale de la cour de récré.

Le début de matinée passa très vite. Mélia fit fortement travailler ses méninges pour réussir un problème de maths que monsieur Levasseur leur avait concocté pour Noël. Il leur présenta comme un défi et promit un prix aux trois premiers qui réussiraient à résoudre l'énigme. Aussitôt en effervescence une dizaine d'élèves sortirent leur calculette et s'engagèrent dans des calculs audacieux tandis que les autres en profitèrent pour gribouiller secrètement des sapins de Noël ou des personnages de Mangas sur le cahier de brouillon feignant d'aligner quelques nombres quand le prof passait à proximité de leur table. Mélia fut la troisième à trouver le résultat derrière Noémie et Romain. Elle avait les joues rouges et les yeux encore pleins de chiffres quand Monsieur Levasseur lui remit, en guise de prix, un paquet de papillotes qu'elle accepta fièrement. Avant la récré, elle participa partiellement au cours d'EPS. Madame Tangwitch avait du mal à accepter la dispense de sport de Mélia et trouvait toujours une activité plus paisible, selon elle, à lui faire faire. Aujourd'hui, lors de la séance de basket, Mélia avait dû s'entraîner aux dribbles et aux passes, mais n'avait pas eu le droit de participer aux matches ce qu'elle trouvait fortement injuste. Elle se garda bien de se plaindre devant la prof de sport, Thys lui avait relaté l'incident du kayak et tous les élèves sans exception la surnommaient encore entre eux « Le dragon ! »

Après le sport, alors qu'elle remontait l'allée pour rejoindre la cour de récréation avec Célia et Laura en papotant garçons, elle remarqua qu'elle n'avait plus son téléphone portable dans sa veste. Elle farfouilla dans toutes ses poches et dans son sac de sport, mais ne mit pas la main dessus. Il avait dû glisser de sa poche quand elle s'était changée dans le vestiaire. Mince ! Sa mère allait ameuter les pompiers si elle ne téléphonait pas dans les dix minutes. Il fallait à tout prix qu'elle le récupère si elle voulait éviter un incident diplomatique.

— Les filles, j'ai oublié mon téléphone dans les vestiaires, j'y vais vite !

— Tu veux qu'on vienne avec toi ?

— Non, non, je fais l'aller-retour, je me dépêche avant que le Dragon ait verrouillé la porte !

— OK ! Mais grouille ! Laura s'est décidée à accepter l'invitation au ciné de Christophe, on va voir sa tête en direct, clama Célia tout sourire.

— Vas-y, hurle-le encore plus fort, la gronda Laura en plaquant une main sur la bouche de sa copine.

L'espace consacré au sport était à trois cents mètres du bâtiment principal qui regroupait la plupart des salles de classe. Le terrain de foot était encore couvert d'une fine pellicule de neige glacée, mais à sa droite, le terrain de basket complètement dégagé de neige, dépareillait dans ce paysage d'hiver. Adossé à la vieille grange rénovée qui servait de vestiaire, il était abrité du vent. Et certains des élèves étaient sûrs que le Dragon l'avait pelleté jour et nuit afin de ne pas interrompre son cycle basket.

Mélia atteignit les vestiaires dans un temps record. L'ancienne grange avait été utilisée pour faire deux salles de classe à l'étage, parfaitement lumineuses et modernes où les élèves suivaient les cours de technologie et d'Arts plastiques. Par contre, le sous-sol servait provisoirement de vestiaires en attendant des travaux qui promettaient des salles accueillantes et propres. La porte du vestiaire des filles était entrebâillée. Pas de trace de Madame Tangwitch, tant mieux ! Mélia ne prit pas la peine d'éclairer, la lumière extérieure filtrait par la porte et elle aperçut son téléphone par terre en dessous d'un banc dans la salle froide où flottait encore une odeur acide de transpiration. La salle vide, sans fenêtre, au sol de béton brut n'était guère accueillante. Le silence qui emplissait les lieux maintenant contrastait fortement avec les pépiements des jeunes filles qui se changeaient ici seulement cinq minutes plus tôt. Mélia s'empara de son portable et ramassa une chaussette esseulée, elle aussi oubliée sous un banc, quand la porte se referma en claquant. De surprise la jeune fille échappa son téléphone et serra la chaussette contre sa poitrine. La nuit était totale, même si filtrait un rai de lumière grise sous la porte.

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