Chapitre 23 L'interrogatoire
Alors que Thys luttait pour reprendre son souffle, quatre individus firent irruption dans la pièce. Le jeune Éther se sentit soulagé quand il reconnut parmi eux Jason Le Tallec et Briac. L'imposant dirigeant avait l'air offusqué et agité. Briac ouvrait une bouche de poisson asphyxié. Les deux autres hommes étaient juste un peu plus âgés que Briac et copies conformes de Jason, même costume hors de prix, même air suffisant. Tous deux s'empressèrent autour de Thys. Alors que celui-ci crut qu'ils venaient le tirer d'affaire, il se retrouva soulevé et posé sans ménagement sur une chaise à l'assise de paille et au dossier de bois dur.
Plus de coussin pour son corps douloureux, mais des mains puissantes qui lui agrippèrent les cheveux pour lui relever la tête. Dans une vague de désespoir, Thys comprit que les secours n'étaient pas pour lui, mais pour la jeune femme qui le séquestrait.
— Ainsi, tu oses te présenter chez moi à visage découvert, sans protection ? Pour qui te prends-tu ? Je croyais les Éthers plus malins !
Jason Le Tallec se frottait les mains comme s'il s'apprêtait à frapper son prisonnier.
— Je pense que c'est un novice étourdi, ricana mademoiselle Yessel.
— Tu l'as déjà fait parler, Laetitia ?
— Non, il était trop groggy. Alan a mis sa tête sous pression, une spécialité de Péragore, il me semble, dit-elle en regardant le plus âgé des garçons qui accompagnaient Jason Le Tallec. Mais je crois qu'il reprend un peu ses esprits. Il souffre juste assez pour répondre à nos questions sans hésiter.
— Bien ! Qui es-tu ? Nom, prénom et adresse, vite ! éructa l'homme d'affaires visiblement pressé d'en finir.
—...
— Pas causant, le petit Éther, je vais l'aider à parler moi, annonça un des garçons qui le maintenaient sur la chaise.
— Laisse-moi faire, Daniel ! s'agaça le père Le Tallec.
Le dénommé Daniel haussa les épaules, fit la moue et fusilla tous les occupants de la pièce d'un air de défi. Son regard s'attarda plus particulièrement sur Briac, jusqu'à ce que ce dernier baisse les yeux comme un animal vaincu par le chef de la meute. Satisfait, Daniel resserra sa prise sur la touffe de cheveux de sa pauvre victime complètement déboussolée.
— Vous êtes des Péragores ? réussit à articuler Thys en fixant Briac.
— C'est moi qui pose les questions, se moqua Jason, je répète qui es-tu ?
Thys resta muet, il ne jouait pas les héros, il était terrifié. Jamais il n'avait eu aussi peur. Il ne parvenait plus à parler, comme si ses cordes vocales étaient emmêlées.
Mademoiselle Yessel ne demeura pas dans l'ombre des quatre hommes, elle s'avança, sur ses hauts talons et les toisa.
— Je le connais, il est en quatrième au collège. C'est Thys Ano, je crois. Il a eu un malaise dans ma classe au premier cours, je l'avais alors soupçonné d'être un Ostende. Mais voilà que cela se confirme. Bon Thys, si tu ne l'as pas encore remarqué, on ne joue pas ici. Je veux apprendre certaines choses sur les Éthers et j'obtiens toujours ce que je désire, dit-elle en adressant un sourire à Jason qui ne comprit s'il devait rire ou se sentir insulté. Je parvins à mes fins en charmant mes proies, poursuivit la jeune femme avec un nouveau sourire en direction de Jason, qui cette fois grimaça. Ou en les faisant souffrir, susurra-t-elle à l'oreille de Thys.
Elle agita rapidement ses doigts fins aux ongles vernis d'un rouge cerise alléchant et Thys hurla. Sa tête fut traversée par une douleur vive. Ce n'était plus le tambour d'une migraine, mais l'horrible impression d'être habité par une colonie d'abeilles butineuses de cerveau. Il aurait voulu enserrer dans ses mains son crâne prêt à exploser, mais les deux frères de Briac lui maintenaient toujours fermement les bras le long du corps. Puis l'affreuse sensation s'installa dans tout son être, s'attardant au creux de son ventre, lui tortillant les intestins.
— Bien, as-tu compris, jeune homme ? répéta la Milvuit.
— Oui ! hurla-t-il tant la souffrance était forte.
Aussitôt la douleur s'apaisa quelque peu, mais les outils de torture restaient tapis dans sa chair, enclins à poursuivre leur œuvre sous les ordres de la Milvuit. Thys pleurait en silence, son visage était inondé et son nez coulait.
Jason Le Tallec avait l'habitude d'être écouté, vénéré et de voir les gens ramper à ses pieds. Et il n'appréciait pas bien les allusions de Laetitia Yessel ni le fait qu'elle lui vole le premier rôle, surtout devant ses fils. Il décida donc de reprendre le contrôle de la situation.
— Hé ! Gamin, maintenant que je sais qui tu es, je peux anéantir ta famille en un claquement de doigts ! Pas besoin d'utiliser les énergies. J'ai le bras long, je connais et côtoie du beau monde. Tes parents n'auront plus de vie, plus d'emploi, ils perdront curieusement et rapidement tous leurs biens. Alors, réponds aux questions et il ne sera peut-être pas nécessaire d'aller aussi loin.
— Les Éthers ont-ils découvert les Écrits des Gardiens originels ? interrogea Laetitia Yessel qui essayait de reprendre le commandement.
— Non, je ne crois pas, déclara docilement Thys.
Son cerveau n'était que brume cotonneuse, il bavait sans même s'en apercevoir. Se mobiliser pour réagir à la voix acide de la jeune femme, exigeait des efforts phénoménaux.
— Avez-vous trouvé d'anciennes Cités ? se hâta de demander Jason.
— Non, je ne crois pas, tenta courageusement le jeune Éther, bien conscient que ses réponses n'allaient pas satisfaire longtemps ses tortionnaires.
— Vraiment ? insista l'homme d'affaires avec un mauvais rictus.
Ce fut comme si un étau enserrait la tête du garçon et son cerveau parut être compressé à l'extrême. Il contracta si fort sa mâchoire que la douleur s'insinua aussi dans ses dents. Les flots de larmes redoublèrent et il criait grâce sans même s'en rendre compte.
— Alors ?
— Ils ont fait des fouilles en Allemagne et en Slovaquie, ils ont découvert des restes d'une très ancienne cité qui date de plus de 7000 ans, très en avance sur son temps, débita Thys en sanglotant.
— C'est tout ? C'est un petit début ! Je suis sûre que tu as autre chose à livrer ! Parle !
Jason bombait le torse, l'air arrogant, il toisait son auditoire fier de sa prestation. Une remise en place pour la Milvuit et un enseignement pour ses fils. Comme sa victime tardait à poursuivre ses aveux, il pointa un simple doigt dans sa direction. Thys, affolé, continua sur le ton d'une leçon bien apprise :
— Ils ont trouvé une grande pyramide en Bosnie, très ancienne, plus de 15 000 ans.
Et voilà, il avait tout déballé, le seul secret qu'il connaissait, il l'avait dévoilé en quelques secondes avec tous les détails. Les Indésiratas semblaient satisfaits.
— Qui dirige les fouilles ? interrogea encore le père Le Tallec.
— Je ne sais pas !
— Menteur ! cria Laëtitia Yessel.
Et la douleur fusa une nouvelle fois, toujours violente. Insoutenable. Labourant son cerveau et son ventre, irradiant dans chaque terminaison nerveuse comme des mini-explosions en chaîne, détruisant un vaisseau mère. Tout son corps fut secoué de spasmes avant de s'écrouler, désarticulé sur la chaise. La Milvuit le regarda sans pitié. Puis elle s'adressa à Jason sur un ton impérieux :
— Je reprends l'interrogatoire ! Qui dirige les fouilles ?
— Ma grand-mère, Rinata Tournelle, geignit Thys, en ayant conscience qu'il trahissait une des personnes qui lui était la plus chère.
Mais il ne savait pas résister à la douleur. Il n'était qu'un adolescent, élevé dans un cocon de soie, d'amour et de confort. Il avait toujours pensé qu'il aurait pu être un héros et rêvait d'aventures pour prouver son courage, mais, en fait, il n'était qu'un enfant terrorisé et souffrant.
— Intéressant ce que tu nous dis là, jeune Éther ! Bien, poursuivons, où est ton Ingéni ?
— ...
De nouveau les mains s'agitèrent et Thys hurla. Briac émit un grognement plaintif qui attira l'attention de son père.
— Allons, fiston, il faut t'endurcir un peu !
— La petite chochotte à sa maman a des angoisses, se moqua Daniel.
— Laisse-moi tranquille ! se défendit Briac d'une voix à peine audible.
— Viens le tenir, Briac ! lui conseilla le deuxième garçon.
C'était le plus âgé des trois frères. Il devait bien avoir 20 ans. Et sa voix reprenait les intonations de son père. Une légère cicatrice courait au-dessus de son arcade sourcilière. Un muscle tressautait sous son œil droit, marquant son excitation et le manque de maîtrise.
— Allez, viens le tenir ! Il y a un début à tout ! Fais honneur aux Péragores !
— Mais Alan, je le connais, se lamenta Briac.
— Et alors, de quoi tu as peur ? Je ne crois pas qu'il soit en position de force et rassure-toi, il ne viendra pas se frotter à toi au collège, après ça !
Alan partit dans un grand éclat de rire forcé. Il cherchait dans l'attitude de son père un signe d'approbation. Mais avant que Jason Le Tallec ne puisse dire un mot, la Milvuit se manifesta :
— Non, la place de Briac n'est pas ici ! Vous n'avez donc pas un brin de jugeote, tous ? Aujourd'hui, vous organisez une fête en son honneur et soudain tous les membres Le Tallec disparaissent y compris la vedette de la soirée. Que vont penser vos invités ? Briac doit retourner s'amuser et rassurer ceux qui vous cherchent. D'ailleurs, Jason, vous pouvez l'accompagner si vous le désirez, je saurai bien m'occuper seule du petit Ostende, ironisa-t-elle en plaçant sa main manucurée sur le genou de Thys qui tressaillit et cria.
Il n'avait pas ressenti de douleur, mais il avait tellement peur d'avoir encore mal qu'il anticipait par des hurlements en crispant chaque partie de son corps. Jason se tenait bien droit devant Laëtitia Yessel. Il surplombait la jeune femme de quarante bons centimètres. Son torse musculeux se bombait et de son cou de buffle saillait une pomme d'Adam proéminente. Il ne dit rien, mais ses yeux sombres toisèrent longuement la Milvuit, puis d'un geste, il congédia Briac sans détacher sa prunelle incandescente de celle de Laëtitia. Briac, qui n'attendait que ça, s'éclipsa sous le regard mauvais de ses frères.
Le face-à-face entre les deux Indésiratas, tel un duel figé et silencieux, dura encore d'interminables secondes. Ce fut un moment salutaire pour Thys qui essaya de retrouver une respiration plus ample, d'apaiser ce halètement de chien essoufflé qui l'habitait depuis les premiers instants de confrontation. Les fils Le Tallec avaient inconsciemment relâché la pression exercée sur ses cheveux et son dos. Toute leur attention était maintenant focalisée sur leur père.
Le jeune Éther se remit à réfléchir, à espérer. Son regard parcourut la pièce à la recherche d'un élément d'où il pourrait tirer de l'énergie et créer ainsi un flux pour libérer ses mains. Mais il était trop loin de l'unique plante qui végétait au coin de la salle. À tout hasard, il tâta alors le bois lisse de la chaise sur laquelle il était assis et sa peau docile commença à chauffer.
Une sorte de panique euphorique et frénétique s'empara de lui. Ses lèvres tremblotèrent d'espérance et il imagina la pellicule bleu flamme qui flottait au-dessus de ses mains.
« Vas-y ! » lança une voix dans sa tête ! Peut-être la voix de Mélia, agitée, à peine audible.
Sans se donner le temps de réfléchir aux conséquences d'un éventuel échec, il prit une grande inspiration qui fit converger tous les regards sur lui, et d'un geste sec, pour fournir un peu de mou à ses bras emprisonnés, il dirigea ses paumes en direction des deux garçons qui le maintenaient assis.
Il y eut un claquement brusque, suivi d'une vibration lourde puis Thys se retrouva comme aplati sur son siège. Sa cage thoracique compressée plaquait son dos sur les barreaux de la chaise de bois si bien qu'il en sentait tous les motifs sculptés.
Laëtitia Yessel riait à gorge déployée. Jason Le Tallec dévisageait Thys avec une grimace de dégoût. Alan et Daniel, qui avaient lâché leur proie, se frottaient l'un et l'autre l'avant-bras rougi en roulant des yeux surpris.
— Mais que croyais-tu faire, Thys ? cracha la Milvuit qui avait cessé de ricaner. Tu espérais quelque chose là ? Regarde-les, elle désignait les deux jeunes Péragores écarlates de honte. Semblent-ils terrassés par ta force ? Non, bien sûr ! C'est à peine un claquement d'élastique qu'ils ont reçu ! Mon pauvre petit Éther ! C'est tout ce que tu as appris ?
— Il faut en finir. Ce cirque a assez duré, s'impatienta Jason Le Tallec. Cela fait un quart d'heure que vous vous amusez avec lui comme un chat avec une souris ! Cette histoire ne me plaît pas. On va se faire remarquer. Débarrassons-nous de lui, il ne sait sans doute rien d'autre ! Vous l'avez dit, c'est un novice, un ridicule novice !
Il jeta un regard froid à Thys, au bord de l'asphyxie, les poumons toujours comprimés par les poings d'énergie émis par la Milvuit.
Celle-ci s'énerva :
— Attendez, vous oubliez son Ingéni ! Je le veux ! Trouvez-le !
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