Chapitre 17 Electric

Avec un sourire conspirateur, Nadine se dirigea vers le frigo dans lequel elle récupéra un paquet enveloppé de papier alu. Thys et Mélia, curieux, qui la suivaient de trop près, la percutèrent.

— Allons, les jeunes, ça ne se passe pas dans le frigo ! se moqua-t-elle. Un peu de patience ! Venez, venez ! Il est là !

La jeune femme brune, qui semblait avoir retrouvé son pétillant, se précipita dans le hall en émettant de drôles de bruits de bouche.

— Tse ! Tse ! Mcheu !

Ses lèvres se contractaient pour libérer ces étranges sons chuintants. Elle s'accroupit près de la commode et poursuivit son manège en dépiautant son emballage d'aluminium.

— Dis, Tantine, tu es sûre que ça va bien ? demanda Mélia, sincèrement inquiète.

— Très bien, ma douce, patiente encore un peu, voilà, il vient !

Alors un museau humide pointa sous le meuble, puis deux yeux noirs cernés de larges taches blanches observèrent les enfants. Enfin, un corps brun tout frétillant et bien dodu eut du mal à sortir de sa cachette. Il fallut que les courtes pattes blanches s'aplatissent totalement pour laisser passer le ventre rampant. L'animal se précipita ensuite sur Nadine pour happer le morceau de jambon qu'elle avait extirpé de son emballage. La jeune femme perdit ses appuis et se retrouva sur les fesses, très vite consolée par une petite langue rose qui lui léchait tout le visage en lui déposant sur les joues quelques bouts de jambon rapidement ravalés par un second passage.

— Arrête, Electric ! implora Nadine.

— Electric, c'est son nom ? Je dois dire que c'est bien trouvé ! admit Thys.

— Il est trop chou ! s'extasia Mélia.

Le chiot, qui avait fini son jambon, se mit à couiner en tournant en rond et haletant comme un moteur de tracteur. Puis, il vit sa queue, ce petit plumeau blanc qui le suivait partout, alors il s'acharna à l'attraper jusqu'à ce que Nadine le saisisse dans ses bras et lui gratouille la tête pour le calmer.

— Voilà donc Electric, mon nouveau compagnon, il ne remplacera pas Mexan qui est toujours là, dit-elle en ravalant un sanglot une main sur son cœur. Mais cette boule d'énergie va bien m'occuper et trouver sa place parmi nous !

— On n'en doute pas, s'exclamèrent quasi en chœur les jumeaux.

— Pour le moment, il ne fait que des bêtises, soupira Tantine. Il va falloir que je l'éduque, sinon votre père ne va pas l'accepter dans la maison.

Pendant le repas, Electric vola une cuisse de poulet qui attendait un deuxième service sur le bord de la table, il grignota aussi le chausson droit d'Anthony Ano, avant de faire pipi contre l'escalier. Nadine était confuse, Anthony contenait difficilement son ébullition et, plus d'une fois, Thys entendit un crépitement. Il crut même voir un liseré bleuté recouvrir les mains de son père.

« Lui, il maîtrise les énergies ! Il contrôle ses émotions ! » pensa Thys.

Pourtant à la énième bêtise d'Electric, il y eut un petit sifflement suivi d'un claquement sec et le chien couina. Puis, comme s'il était poursuivi, il courut se blottir sous la chaise de sa maîtresse et se lécha vigoureusement l'arrière-train. Alors que Nadine s'étonnait de l'attitude de son protégé, Anthony affichait un air satisfait.

Dans la nuit Mélia se réveilla plusieurs fois en sursaut. Un cauchemar. Toujours le même. À chaque fois qu'elle s'assoupissait, elle replongeait dans le même univers, comme un extrait de film qu'on lui projetterait en boucle jusqu'à la nausée. Elle courait, gravissait des marches, sautait des blocs de pierre renversés, frôlait des statues gigantesques pour atteindre une porte de granite. Mais des éclairs lui obstruaient le passage et Mamina hurlait.

Le lendemain matin, elle mit bien vite ce rêve de côté dès qu'elle apprit la nouvelle qui allait révolutionner sa vie.

Elle s'était réveillée tard, ce qui n'était pas ordinaire, peut-être à cause de son sommeil entrecoupé. Thys était déjà parti au collège, accompagné par son père. La cuisine, égayée par les rayons blancs d'un soleil de fin novembre, fleurait le café. Plix accumulait la chaleur sur le bord de la fenêtre, sa queue pendait négligemment le long du radiateur. Accoudé à la table, Pierre Cornelleau, le médecin de famille, en chemise molletonnée à carreaux, dégustait un café en compagnie de Sylvie et de Nadine. À l'arrivée de Mélia, tous trois affichèrent un sourire radieux.

— Viens t'asseoir avec nous, ma chérie, le docteur Cornelleau a une excellente nouvelle à t'annoncer !

Les yeux de Sylvie diffusaient tant de joie que tout son corps irradiait d'un sentiment proche de l'euphorie.

— Bonjour Docteur ! Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Mélia d'une voix tendue.

Elle se doutait bien de quelque chose. Mais elle n'osait pas y croire ! Elle ne quittait pas le médecin du regard.

— Tes analyses sanguines et tes bilans de santé de ce mois sont exceptionnellement bons, tu sembles sur la voie de la guérison ! C'est inouï ! Un miracle de la médecine.

Pierre Cornelleau avait parlé d'une traite. Lui qui avait imaginé ménager le suspense, pour annoncer cette extraordinaire nouvelle, n'avait pas pu résister, tant l'excitation qui l'habitait était forte. Mélia en resta muette, pourtant elle savait qu'elle allait mieux. Elle se doutait de ce que monsieur Cornelleau allait lui dire. Mais l'entendre énoncer haut et fort, par celui qui l'avait soignée des années en soupirant son impuissance, l'ébranlait. Sa mère et le docteur étaient penchés vers elle, la bouche en cœur et les yeux vibrants, attendant une réaction. Tantine arborait un sourire qui lui sciait en deux le bas du visage. Il allait certainement laisser un pli.

— Heu ! C'est super ! C'est vrai, hein ? Je veux dire, c'est sûr ? Il n'y a aucun doute ? s'inquiéta la jeune fille.

— Tu sais, en médecine, on n'est jamais sûr de rien, mais les résultats sont inespérés. C'est certain, tu vas mieux et on souhaite tous que cet état soit durable, la rassura le docteur avec une multitude de petits hochements de tête pour appuyer ses dires.

— Je vais pouvoir aller au collège, alors ? demanda la jeune fille.

— Oh ! Chaque chose en son temps, s'alarma la maman poule.

— C'est une possibilité que l'on pourra peut-être envisager, conclut Monsieur Cornelleau sans remarquer le trouble de Sylvie.

Mélia, aux anges, se projetait déjà dans sa nouvelle vie.

— Je serai peut-être dans la classe de Thys. J'espère que je n'aurai pas Madame Berthier, elle a l'air ennuyeuse. Il faudra m'acheter des cahiers, un agenda, un cartable et...

— Une minute, on n'en est pas encore là. On doit réfléchir à tout ça !

Sylvie avait perdu de sa radiance et se tortillait les mains nerveusement. Elle allait avoir beaucoup de mal à laisser l'oisillon voler seul.

Mélia amorçait une grimace.

— On pourrait envisager une scolarisation partielle, dans un premier temps, proposa le docteur afin de satisfaire tout le monde.

— Oui peut-être, concéda Sylvie. Tu commencerais doucement à prendre un nouveau rythme, j'irai voir le directeur du collège pour savoir si cela est possible.

— Je vous fournirai tous les documents nécessaires pour étayer votre demande, Sylvie !

— Merci, docteur !

La voix de Sylvie était émue. Elle n'avait jamais osé imaginer qu'un jour, sa fille vivrait comme les autres enfants de son âge.

— Bon, d'accord, je démarre à temps partiel au début pour tester, mais après vous allez découvrir super Mélia dans sa nouvelle vie, déclara la jolie blonde triomphante.

Pour fêter la nouvelle, Tantine avait confectionné un énorme gâteau au chocolat qu'elle avait décoré de bonbons bien colorés et acidulés. Le soir, au dessert, chacun fit honneur à sa part. Et durant quelques minutes, il n'y eut que le bruit de petites cuillères raclant les assiettes et des claquements de langue pour marquer le délice ! Thys était déstabilisé et regardait sa sœur à tout bout de champ pour s'assurer que tout cela était bien réel.

Sylvie, poussée par Mélia, avait déjà appelé Monsieur Tangon, le principal du collège, qui lui avait certifié qu'il pouvait scolariser la jeune fille dans son établissement dès début décembre, c'est-à-dire en début de semaine prochaine.

Ce soir-là, dans la chambre de Mélia, les jumeaux discutèrent longuement, ils planifiaient la rentrée de Mélia. Ils s'imaginaient dans la même classe. La jeune fille posa beaucoup de questions à son frère sur les enseignants, la cour de récré et certains élèves. Anthony fit maints passages dans la chambre de sa fille pour demander à Thys d'aller se coucher, et finalement, il dut le menacer de le priver de sorties pour que les enfants cessent leurs suppositions et décident de se coucher en maugréant.

La nuit fut agitée. Dans chaque lit, on tourna et retourna. Les draps furent rejetés et récupérés à tâtons, un oreiller se perdit. Quelques soupirs d'insomnie résonnèrent à intervalles réguliers dans le couloir, mais curieusement aucun rêve ne vint habiter la tête en ébullition de Mélia. Pourtant, un sentiment étrange la tint longtemps éveillée : elle avait l'impression qu'elle avait oublié quelque chose d'essentiel, quelque chose d'important pour elle, pour son frère. Elle devait s'en souvenir.

Et quand elle ferma enfin les yeux, son œil en cristal, qu'elle n'avait pas enlevé, s'éclaira et projeta des éclats de lumière blancs comme un phare dans la tourmente pour prévenir d'un danger à venir.



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