CHAPITRE VINGT-SEPT
ASAL
Je ne peux pas rester ici. Il faut absolument que je parte. Il faut je quitte ces monstres. Comment ? Comment peut-on aduler de telles personnalités ? Comment peut-on se réjouir de ces tueries ? Comment peut-on acclamer une telle cruauté ? Des nausées viennent nouer mon estomac. Je suis sous le choc, terrifiée par ce que je viens de voir, ce que je viens de comprendre.
Je hurle en arrivant dans ma chambre et je la détruis. Je balance toutes mes affaires au sol, renverse les meubles, arrache les rideaux... Je retiens encore l'électricité en moi alors que je pourrais la laisser exploser. Ce n'est pas le moment de se faire remarquer, pas maintenant.
Il s'agit à présent d'une question de vie ou de mort. Je dois m'enfuir d'ici. Je retire ma robe en vitesse, beaucoup trop vite apparemment. Les coutures craquent et la petite fermeture éclair sur le côté se plaint. Mon chignon, dans la précipitation, s'est défait. Je rattache rapidement mes cheveux.
Je glisse le boîtier dans l'une de mes poches. Il faudra que je le détruise plus tard, pas maintenant. Un énième cris tente de s'échapper de ma gorge mais aucun son ne parvient à sortir. Je compte sur la combinaison pour me protéger de l'extérieur.
Je ne reste pas plus de cinq minutes dans la chambre. Ressaisis toi Asal. Tu dois partir, t'enfuir. Je marche silencieusement jusqu'à la sortie où m'avait amené Thane la dernière fois. Le détecteur de visage est opérationnel.
Personne ne surveille la sortie. Je m'avance. J'inspire. Calme toi. Tu dois sortir, tu exploseras après, tu pourras laisser libre cours à ton énergie après. Je pose ma main sur le boîtier et laisse aller mon flux sans pour autant être trop brusque.
La machine s'affole et de grandes étincelles en jaillissent. Toutes les lumières s'éteignent et j'entends de petits cris de surprises provenant de la salle de réception. Les portes métalliques s'ouvrent alors. Je ne réfléchis pas. Je me précipite à l'extérieur. Je cours aussi vite que je le peux.
Le sentiment d'urgence qui me dirige est encore plus intense. De puissantes bourrasques de vent chargées de poussière me fouettent le visage. De nouvelles larmes naissent aux coins de mes yeux, troublant ma vision. Ma course est ralentie par le sable profond. Il se glisse dans mes bottes, s'incruste dans mes cheveux, me lacèrent la peau.
Je dois m'éloigner et tenter de trouver un moyen de communiquer avec une personne extérieure. Un individu qui ne réside pas sur Thumos, quelqu'un qui pourrait venir me tirer de là.
Je rejoins enfin le petit village. Il fait déjà nuit. La faible lueur des lunes me permet de voir quelques mètres seulement devant moi. L'odeur âcre qui flotte dans l'air vient bruler mes narines, me donnant le sentiment d'étouffer. Je suis soudain perdue, prise d'une panique accablante. Personne ne rôde à cette heure-ci. Je divague dans les rues, priant pour trouver une solution. Je tombe alors sur un vieil homme assoupi.
Il tient son cheval qui peine à trouver un seul brin d'herbe dans le sable. L'animal sursaute à ma vue. Ses grands yeux ambrés me fixent. Je m'approche lentement. Nous n'avions pas beaucoup de chevaux sur Keraunos. Pourtant, ce sont des animaux qui m'ont toujours fasciné par leur force, leur fougue.
Je touche l'épaule du pauvre homme endormi. Une décharge assez forte le secoue et le laisse dans les bras de Morphée. Il se réveillera demain. Du moins, je l'espère.
J'ouvre de force sa main et y récupère les rênes. La monture fait quelque pas en arrière. Les naseaux dilatés, il tente de sentir ma main. Je dois avouer que je suis mal à l'aise mais je n'ai pas le choix. Il faut absolument que je parvienne à me hisser sur son dos.
Ce cheval est beaucoup plus imposant que moi. Je mène alors l'animal jusqu'à un tas d'ordure. Il résiste un instant avant de renoncer. Je me hisse sur son dos en m'aidant de l'amas de déchets. Il bouge et je manque de tomber. Mes mains viennent s'accrocher fermement à sa crinière. Je lutte pour ne pas lui transmettre mon énergie.
Je talonne avec vigueur ma monture qui ne se fait pas prier pour partir dans un galop déchaîné. Mon adrénaline monte à chacune de ses foulées. Je m'agrippe aussi fort que je le peux pour ne pas chuter. Je suis libre. Enfin.
Un large sourire étire mes lèvres, jamais je n'ai souris ainsi. Je connais enfin le goût de la liberté. Je la savoure. Ma monture continue de galoper à une vitesse folle. Son souffle est saccadé.
Je ne sais pas vraiment où je vais. Pour le moment, je veux simplement m'éloigner de la demeure d'Hippias. Je suppose que le cheval s'arrêtera quand il sera épuisé et j'aviserai à ce moment là. Le vent soulève une quantité astronomique de sable. Mes yeux se plissent pour éviter d'être aveugler.
Mon sourire ne s'efface pas. J'ose me retourner mais je ne vois rien, seulement un nuage de sable. J'encourage mon cheval pour une dernière accélération. Il gronde et sans que je m'y attende, il trébuche. À cette vitesse, nous nous écrasons au sol.
Je suis projetée une dizaine de mètres plus loin. Le sable amorti ma chute mais je tombe sur le dos. Mon souffle est coupé net et je laisse échapper un cri. Je tourne la tête et aperçois la silhouette de l'animal aux poils bruns foncés se relever et partir dans la direction opposée en hennissant.
Je reste allongée au sol. Je me mets alors à pleurer. En quelques secondes, tout s'écroule une nouvelle fois. Je sors le boîtier de ma poche et je le sers aussi fort que je le peux.
Il m'est impossible de le briser. Ce sentiment d'impuissance me fait exploser. Je laisse aller tout mon flux. Un éclair puissant et aveuglant se dégage de mon corps pour venir s'écraser sur les nuages des centaines de mètres plus haut. Je hurle de rage en serrant les points.
Après de longues minutes, je suis vidée de toute mon énergie électrique et trop faible pour continuer à l'évacuer. Je réalise alors ce que je viens de faire : donner ma position exacte. Je me redresse en grognant puis me relève après plusieurs tentatives.
Il faut absolument que je trouve un abri. L'air est maintenant glacé, il m'arrache un violent frisson et le vent souffle davantage. Je décide finalement d'enterrer ce foutu boîtier. Je ne veux plus le voir, plus jamais. Je m'accroupis au dessus du sable et creuse une large et profonde cavité. Je le jette sans état d'âme et le recouvre.
Je reprends alors mon chemin. Le dos détruit et presque réduit en miettes, chaque pas devient une souffrance. Je lève la tête. Ressaisis toi Asal. Ta première mission, trouver une personne censée ou déjà un abri où passer la nuit. Le ciel se couvre, les lunes ne sont plus assez puissantes pour me montrer le chemin. Je place l'une de mes mains devant moi, ouvre ma paume et une lumière vient léviter au dessus. Elle m'offre la possibilité d'y voir un peu plus clair.
Des gouttes d'eau heurtent ma combinaison. La pluie qui tombe est gelée. Le choc thermique est immédiat. Ma température corporelle chute brutalement. De grands frissons me parcourent et des picotements me cisaillent les muscles. Le sable ralentit considérablement ma progression.
**
Je ne sais pas depuis combien de temps j'erre dans ce paysage sans fin, une grande étendue de sable sans vie. Je n'ai trouvé aucun endroit où me réfugier, aucun autre village, aucun autre signe de vie. Il pleut toujours. Je finis par m'asseoir sur le sable encore tiède. Je suis secouée par des frissons.
Je pousse les lumières pour qu'elles se mettent en mouvement mais elles n'arrivent pas à me réchauffer. Je repense alors aux soirées au coin de la cheminée avec mes parents et mon frère, la douce lumière qu'elle dégageait dans le salon. Le sentiment de quiétude et de tranquillité qu'elle projetait dans la pièce. Je repense à papa qui venait se blottir contre moi quand j'avais froid dans mon lit. Il pouvait rester des heures avec moi en attendant que je me réchauffe, que je m'endorme.
Je secoue la tête pour chasser ces souvenirs. Je ne veux pas pleurer une fois de plus. Mes lumières semblent réclamer quelques choses mais je n'arrive pas à déterminé la raison de ces sensations. Elles restent cloîtrées vers toutes les extrémités de mon corps. Elles veulent sûrement sortir. Je ferme les yeux et me recroqueville sur moi même, dos au vent pour économiser ma chaleur corporelle.
Je finis par me détendre doucement et calmer mes nerfs. Je pose mon menton sur mes genoux, les jambes repliées contre ma poitrine. Tout mon corps est trempé, je suis glacée jusqu'aux os. J'aurais préféré mourir pendant cette attaque, que ces foutus soldats m'achèvent comme ils l'avaient prévu.
Je veux abandonner. Je pourrais mourir. Après tout, le monde n'a pas besoin de moi pour être sauvé. Le monde ne connaît même pas mon existence et ne remarquera pas ma disparition. Personne ne me pleurera. Aucun membre de ma famille ne m'attend à la maison, aucun ne sera heureux de me revoir. Je suis maintenant seule. Seule face à la plus grande forme de dictature de la galaxie. Je n'y arriverai jamais. C'est impossible.
Je tombe finalement d'épuisement.
**
J'ai passé une nouvelle nuit dehors. Hier, je me suis aperçu que j'avais eu l'excellente idée de me perdre en plein désert. Mes chances de survie se sont rétrécies. C'est bien, la nature m'achèvera. Tant mieux, Thane et Hippias n'auront pas ce plaisir.
Le soleil est levé depuis déjà longtemps. Il règne une chaleur accablante. L'air chaud brûle mes poumons. La puissance des rayons lumineux agresse mon visage. J'ai l'impression d'étouffer, d'être dans une cuve. Le peu de pluie tombée il y a quelques jours a suffit pour rendre l'atmosphère étouffante. Ma combinaison me colle à la peau ce qui réduit davantage mes mouvements et m'oppresse davantage.
Ma vue est troublée par de grandes ondulations à l'horizon. La chaleur les rend hypnotisantes.
Je marche depuis l'aube pour trouver un petit abri. J'ai cruellement soif et mon estomac me tenaille. La faim et la soif depuis plusieurs jours m'affaiblissent. Je peine à avancer. Mon corps tout entier tremble d'épuisement.
**
Ce n'est que, je suppose, plusieurs heures de marche plus tard que j'aperçois quelques grands rochers au loin.
J'accélère le pas. Plusieurs crampes saisissent mes muscles mais je lutte pour continuer mon chemin vers ces pierres qui pourraient me donner un peu d'ombre. Je les atteins en plus de temps que je ne le pensais mais je me précipite sous ces dernières pour me protéger du soleil cuisant.
Je reprends doucement mon souffle. Mes mains s'enfoncent dans le sable légèrement plus frais. Je m'allonge délicatement pour ne pas éprouver mon dos. J'inspire et j'expire plusieurs fois, profondément, pour me calmer.
Mes lumières se mettent alors à danser, elles semblent me demander quelque chose mais je ne ressens pas le besoin de les évacuer.
Je finis par me recroqueviller sur moi-même. Je transpire beaucoup. Des gouttes de sueur dégoulinent de mon front et ma nuque. J'ai l'impression que ma combinaison a fusionné avec ma peau. Je suis déshydratée et affamée.
J'ai le dos complètement engourdi. De nombreuses crampes me font serrer les dents. Je ne peux retenir mes gémissements. J'ai mal au crâne et je dois fermer les yeux pour ne pas avoir l'impression d'être ballotée dans tous les sens. Je suis trop faible pour continuer. Je ne pourrai pas me relever.
Je me laisse aller. Peut-être que je ne me réveillerai pas. Je ne veux plus supporter tout cela. Je n'ai plus la force de me battre, de lutter contre toutes ces choses. Tous ces événements qui m'ont brisée, anéantie. Le silence total chargé davantage l'atmosphère déjà insupportable. Mes pensées fusent et je peine à faire taire mon esprit.
Mon corps tout entier est secoué par des spasmes plus violents. Mes lumières faiblissent mais continuent de me supplier. Je serre les poings. Je ne supporte plus cette sensation. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'elles me demandent. Elles font tout pour me pousser hors de mon refuge. Je n'ai plus la force de les écouter. Je n'ai plus la volonté de les suivre.
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