CHAPITRE VINGT-QUATRE




ASAL


Hippias a décollé cette nuit avec ses quelques soldats. J'ai entendu de grands bruits de moteur qui ont fait trembler la terre et toute la demeure mais surtout, des acclamations et des cris de joie. Je ne comprends pas comment ces hommes peuvent suivre un être si pitoyable.

Je ne vais pas me plaindre de ne pas faire partie du voyage mais pourquoi me garder captive si ce n'est même pas pour m'utiliser pour ses conquêtes. Après tout, je pensais être le principal outil pour faire plier les rebelles.

Peut-être que ce n'est qu'un mensonge ? Qu'une couverture pour une mission bien plus destructrice ? Un frisson court le long de ma colonne vertébrale me paralysant quelques secondes. S'il ne m'a pas amenée, il prépare bien pire qu'une simple conquête, bien plus qu'un simple accord avec d'autres dirigeants...

**

Ce matin j'ai eu un entraînement avec Thane, combat au corps à corps. La séance a viré à la catastrophe. Nous nous sommes hurlés dessus, frappés plus que je ne l'aurais pensé. J'ai gagné en force et j'ai pu, pour la première fois, lui tenir tête. Lui qui prend plaisir à me dominer à chaque combat, qui s'empresse toujours de me mettre au sol comme pour me montrer qu'il a la main mise sur tout ce qu'il touche, tout ce qu'il décide de contrôler. Si seulement je n'avais pas ce foutu mouchard... J'aurais pu lui donner une sacrée leçon et il arrêterait de me regarder de haut comme il sait si bien le faire.


+++

- Ne pense pas pouvoir prendre le dessus Kerausienne. Tu es faible, lui a-t-il glissé, perché au-dessus d'elle après l'avoir fait chuter sur le dos.

Il faisait pression sur ses poignets, ses doigts s'enfonçaient presque dans sa chair. Le regard bestial du prince dévorait le sien. Il dégageait une force incommensurable. Thane est une machine de guerre, préparé à tout détruire sur son passage. Elle n'a pas plié sous la pression.

- Ne pense pas pouvoir me dominer Thumosien, mon énergie pourrait te consumer, a-t-elle rétorqué.

- Et où est ton énergie ? s'est-il moqué en appuyant un peu plus sur ses poignets. Ne suis-je pas à l'origine de ton impuissance ?

Les dents d'Asal se sont serrées, elle a ravalé la bile qui lui montait à la gorge. Elle lui a craché au visage, blessée dans son égo mais son crachat n'a même pas atteint sa cible. Thane s'est mis à rire.

- Ne pense pas pouvoir un jour prendre ma place. Ne pense pas, un jour, pouvoir me dominer, a-t-il répété.

Le sang de la Kerausienne n'a fait qu'un tour et elle a réussi à dégager son poing de l'emprise du soldat pour le loger contre sa poitrine. Son coup s'est répercuté dans tout son corps. Elle a eu l'impression d'avoir frappé de l'acier. Il n'a même pas tiré une grimace. Un large sourire s'est emparé de ses lèvres.

- Méfie-toi, fille de Keraunos, a-t-il poursuivi en la lâchant et en se relevant, jouer avec le feu peut être mortel...

Thane s'est éclipsé de la salle en une fraction de seconde. Elle n'a pas eu le temps de riposter.

+++


J'ai tout de même réussi à passer un marché avec lui. Il m'amène dehors si je reste assidue au travail et aux entraînements, que je ne discute pas.

J'ai rejoint ma chambre pour enfiler une combinaison grise et noire, aux couleurs de Thumos. Ces couleurs me donnent la nausée, je ne peux plus les voir. Je sors de ma chambre après avoir enfilé mes bottes en cuir, vérifié que mes lames sous mes poignets sont opérationnelles.

Je rejoins Thane qui vient d'arriver. Il me regarde un moment avant de me diriger à l'extérieur en silence. Le faible sourire sur mes lèvres disparaît. Je supporte mal la présence du fils d'Hippias mais malheureusement je suis contrainte à passer mes journées avec lui, je n'ai pas vraiment le choix. Nous ne sommes que tous les deux - en tant qu'humains - dans la demeure. Je me sens un peu plus calme et soulagée depuis que je sais que le gouverneur de Thumos s'en est allé pour un petit moment.

Cela va me permettre de me concentrer sur une possible évasion. Je suis Thane jusqu'au petit village, le même que la dernière fois. Les paroles du vieil homme résonnent dans ma tête au moment où nous passons devant son emplacement de la veille. Nous atteignons la petite mairie et les rues sont un peu plus animées. Je reste aux côtés du soldat, nous avançons et j'essaye de faire abstraction des autres. Je tente de ne pas me concentrer sur leurs regards suppliants, sur la douleur qui déforme leur visage, sur leur pauvreté. Ces visions me déchirent le cœur.

Mais je ne dois pas faire un seul écart si je veux continuer de prendre l'air. Mes yeux se tournent instinctivement vers Thane. Il semble concentré, il fronce les sourcils. Pourquoi m'accorde-t-il ces quelques minutes de sortie ? Après tout, il n'y est pas obligé, il aurait pu refuser et continuer de s'acharner sur moi durant les entraînements. Surtout après l'affront que je lui ai fait ce matin. Nos regards se croisent, le mien se détourne très vite.

Des cris retentissent alors dans les rues, formant un écho qui me glace le sang. Je tourne la tête dans toutes les directions. Ils viennent d'une petite ruelle juste à côté. Je reste calme en attendant que Thane s'éloigne pour observer une vitrine d'un marchand avant de me précipiter dans cette petite rue. Je vois alors deux grands soldats armés. L'un tient une petite fille par le bras et la tire vers lui et l'autre bloque une femme plus âgée, son poing accroché au col de la femme.

- Maman !!! S'époumone la petite en pleurant.

Elle essaye de se débattre pendant que sa mère supplie les soldats de Thumos de laisser sa fille s'enfuir. L'homme tenant la femme sort son arme à feu et la colle contre la tempe de la pauvre mère. Son doigt approche de la détente. Je ne réfléchis plus et me jette sur lui.

Sous le choc, il perd l'équilibre et lâche son otage. Mon poing vient frapper la mâchoire du colosse, une douleur fulgurante traverse mon bras. Il m'entraîne dans sa chute. Nous roulons sur plusieurs mètres. J'entends la petite hurler encore, le soldat qui la garde prisonnière vient de la frapper. Du sable s'emmêlent dans mes cheveux et se colle sur mon visage. Je me retrouve au-dessus du soldat. Mes poings se serrent et les lames sortent sous mes poignets. Je dois agir, et vite. J'évite son coup de tête maladroit et plante ma lame dans sa gorge, juste sur la jugulaire.

Je roule sur le côté quand le sang jaillit et qu'une balle siffle juste à côté de mon oreille gauche. L'énergie électrique de mon corps s'excite et me fait encore plus souffrir. Ce serait tellement plus rapide. Je me prends une balle dans le bras en courant vers le dernier soldat, la même sensation que celle prise dans ma jambe lors de l'attaque sur Keraunos mais je ne peux pas arrêter mon action. Il pousse la petite qui s'écroule au sol. En larmes, elle rejoint difficilement sa mère qui est encore sous le choc. J'atteins le nez de mon adversaire de mon pied, il recule sur plusieurs mètres en hurlant.

Ses mains couvrent son nez et lâchent son arme à feu. Du sang goutte en abondance sur le sable, se glissant contre la terre craquelée et sèche. Il perd l'équilibre en heurtant une petite pierre au sol et je m'empresse de sauter sur lui les lames de ma combinaison encore sorties. Je lève mon poing quand une main puissante attrape ma queue de cheval et me tire vers l'arrière, me projetant contre un mur. Un coup d'électricité parcourt toute ma colonne vertébrale, j'ai l'impression que la balle dans mon bras explose. Mon souffle est coupé par la violence du choc.

Mon agresseur me saisit la gorge de ses deux mains et me plaque au mur. J'essaye de me débattre, de faire céder son emprise en faisant pression avec mes mains. Jusqu'à que je comprenne qu'il s'agit de Thane. Je saisis ses poignets et les serre. Je l'observe, complètement sonnée. Il fronce toujours les sourcils, une veine gonfle sur son front couvert de petites cicatrices. Je panique. Il resserre un peu plus son emprise et toutes les lumières sous ma peau s'agglutinent à l'endroit de la pression. Son regard vient se planter dans le mien.

- Tu te crois où au juste ? De quel droit tu te permets d'intervenir ? As-tu oublié où tu es ?

Son ton est glacial, ses yeux me fusillent. Je commence sérieusement à manquer d'air, il me lâche brusquement et je tombe au sol. J'essaye de reprendre mon souffle. Je reste plantée là, incapable de faire le moindre mouvement. J'ai du mal à retrouver mes esprits. Thane s'éloigne pour ramasser l'arme tombée un peu plus tôt puis s'approche de son soldat pour l'aider. Il le relève. L'homme le remercie et abaisse ses mains. Son nez est presque explosé. Il est complètement tordu et dégouline de sang. Je suis sous le choc quand Thane vient le frapper une deuxième fois sur le nez avec son poing, avec beaucoup plus de force que moi, forcément. Le soldat s'époumone en hurlant, il tombe à la renverse. Le fils d'Hippias se dresse au-dessus de lui.

- La faiblesse n'a pas sa place sur Thumos. Vous suivez un entraînement, vous êtes logés, nourris vous et votre famille. Voilà comment vous nous remerciez ? Vous osez manquer de respect à vos dirigeants en étant incapables de faire régner l'ordre sur la planète. Vous n'êtes que des hyènes cherchant la moindre opportunité pour vous faire une place parmi nous mais vous n'êtes bons qu'à être pendus.

Sa voix est tombée bien plus grave qu'habituellement. J'ai l'impression que ses yeux ont été engloutis par une marrée obscure, destructrice. Thane entre dans une colère noire. Il ne vacille pas quand le soldat tente de se relever. Le prince vient le maintenir au sol en appuyant sa botte contre le thorax de ce dernier.

- C'est une honte de vous avoir comme « défenseurs », vous êtes la risée de Thumos, incapables de servir vos rois. Disparaissez, avant que je ne décide de tous vous décimer, crache-t-il.

Le soldat se relève et s'enfuit en courant. Thane lui laisse quelques mètres d'avance avant de pointer l'arme à feu en sa direction. Il presse la détente, la balle vient se loger dans la tête du soldat qui s'affale instantanément.

Je me redresse et appuie mon dos contre le mur. La douleur déchire mon corps. Je tremble. Ma respiration est difficile, bruyante, il a endommagé ma trachée, me l'a broyé. Chaque goulée d'air est une torture. Je ferme les yeux et enfonce mes mains dans le sable. Je sens alors les bras du prince me soulever pour me relever délicatement. J'ouvre les yeux mais n'ose pas le regarder, encore secouée par son comportement.

La mère et sa fille sont déjà parties depuis longtemps. Un sentiment de soulagement vient me rassurer. J'ai au moins réussi à sauver ces deux-là. Mais pour combien de temps ?

Thane me ramène jusqu'à la demeure de son père. Il ne se plaint pas quand je m'appuie un peu plus sur lui, à bout de force. Il ne dit pas un mot en me raccompagnant jusqu'à ma chambre. Il ouvre la porte et me laisse avancer. Avant que je ne referme la porte, il me regarde froidement. J'ose lever les yeux vers lui et à ce moment-là, je le crains plus qu'autre chose. Je vois alors en lui l'image d'un roi, l'image d'un gouverneur sans pitié, un homme conçu et conditionné pour régner.

- Plus jamais. Plus jamais tu me fais ce genre de chose, tu m'entends ? Un acte de rébellion comme celui-ci est passible de mort pour les habitants du village. Tu as de la chance d'être l'outil de mon père, je t'aurais exécutée sur le champ, me lâche-t-il avec sérieux et froideur.

Il s'éclipse sur ses mots. Je referme vite la porte et me laisse glisser contre celle-ci. J'éclate en sanglots. Je voulais simplement aider ces pauvres gens. Je suis sûre que mon séjour ici va être terrible à présent, que Thane va parler de cet incident à son père.

Je me relève et me dirige vers la salle de bain, je me regarde dans le miroir. Mes yeux sont gonflés à cause des larmes, ma gorge est rouge, ma peau est tuméfiée. Je peux y discerner les traces des doigts de Thane. Mes lumières restent bloquées à cet endroit. Mon dos et la balle dans mon bras me font souffrir. Je regarde, ça ne saigne plus mais il faut absolument que je trouve des médicaments pour stopper ces douleurs.

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