CHAPITRE VINGT-DEUX
ASAL
Une semaine est déjà passée depuis mon test sur la chaise. Skepsi m'a préparée ce matin pour une nouvelle épreuve. Je repense alors au fils d'Hippias que je n'ai pas revu depuis notre combat. Je n'arrive toujours pas à réaliser l'intensité de mon don. Comment ai-je pu être capable de lui détruire la main ?
Mes muscles se tendent quand deux soldats viennent me chercher dans ma chambre. Ils me guident puis me font avancer au centre d'une pièce, la même que la dernière fois visiblement. Je reste droite, les bras le long du corps.
Je le vois alors derrière la vitre, ce visage ravagé de cicatrices et remplacé de moitié par du métal. Son sceptre à la main, il me salue. Un large sourire étire ses lèvres, dévoilant ses dents d'une extrême blancheur. Cela en devient presque surréaliste. Je ne parviens pas à réprimer la haine et la peur qui me submergent quand je l'aperçois. Au moins, il me semble bien que nos sentiments sont réciproques. Nous nous haïssons, nous voulons nous détruire mutuellement. Hippias ne s'embête pas à énoncer un long et profond discours. Je le vois appuyer sur un large bouton rouge.
Mes sens sont alors en alerte, mon corps est prêt à réagir à une quelconque attaque. Je me sens prête à affronter ce qu'il souhaite m'infliger. J'avais prévu un million de possibilités : de la torture jusqu'à l'épreuve de force. Seulement, je n'avais pas songé à cette éventualité, cela n'avait même pas effleuré mon esprit un seul instant...
Des litres et des litres d'eau s'infiltrent à une vitesse folle par le sol et les murs. L'eau atteint en quelques minutes mes chevilles puis mes genoux. Je regarde autour de moi, paniquée à l'idée d'être prise au piège et tentant de comprendre d'où vient toute cette eau. Les lumières sous ma peau me réclament intensément de sortir. Mon regard croise celui d'Hippias. Je le vois tenir une petite télécommande argentée, son doigt presse un nouveau bouton, jaune cette fois-ci. Je sens alors tout mon flux électrique surgir brutalement. Une brûlure dans ma nuque m'indique que le mouchard est à présent désactivé. J'ouvre les mains et de grandes lumières s'en dégagent. Elles ondulent et je les fais alors danser pour tenter de m'apaiser.
Mon cœur s'affole et ma respiration s'accélère. Ma tension est telle que j'ai l'impression que ma tête est prise dans un étau, que ma pression sanguine est tellement puissante que mes vaisseaux vont exploser. L'eau vient à présent chatouiller mon bassin. Je me recule lentement et je joue avec mon flux en observant la pièce. Je veux trouver une faille et réussir à m'échapper d'ici. L'eau arrive rapidement à la hauteur mon cou. Un bruit sourd et je suis clouée au sol, impossible de bouger mes pieds. Ils sont comme cloués, collés au sol. Sans que je le sache, Skepsi a dû équiper mes chaussures de semelles en métal et le sol doit contenir un puissant aimant. J'inspire profondément pour prendre le maximum d'oxygène avant d'être totalement submergée par l'eau.
Mes lumières s'éteignent et disparaissent. Je ne comprends pas pourquoi. Pourtant, Hippias vient de désactiver mon mouchard mais soudainement, une immense charge électrique surgit de mon corps et je la laisse se propager dans l'eau. Je ferme les yeux, je serre les poings et donne plus de puissance à mon flux. Rapidement, je commence à manquer d'air mais je ne veux pas m'arrêter, je ne veux pas faiblir devant lui. Des spasmes commencent à secouer mon corps, l'étau autour de ma tête se resserre davantage, mon être tout entier est comme paralysé et mes poumons demandent désespérément de l'air. J'ai l'impression qu'ils sont enflammés, lacérés, qu'ils sont en train d'être grignotés.
Je souffre quand mes muscles se raidissent et que des dizaines de crampes se manifestent en même temps dans mes jambes, mes bras, mon dos, mes mains... Je peine à continuer d'expulser mon énergie. Mon rythme cardiaque ralentit brutalement, les spasmes s'intensifient me provoquant d'atroces douleurs. Je peine à garder la bouche fermée, à retenir mes cris. Je suis sur le point de m'évanouir quand toute l'eau s'évacue dans un fracas violent, comme une vague frappant le sol.
Je m'écroule sur ce dernier, ma tête heurte le béton et la pièce se met à tanguer. De l'eau est entrée dans mes poumons laissant des brûlures courir de mes narines à mes bronches. Cela me provoque une toux terrible. Je suis trempée, vidée de toute énergie.
Je peine à retrouver mes esprits mais je fais l'effort presque surhumain de me relever et de faire face au gouverneur de Thumos. Mes cheveux gorgés d'eau se sont détachés. Mon corps lutte pour ne pas tomber une nouvelle fois. Une brûlure dans la nuque m'indique que mon mouchard est de nouveau en marche.
Je lève et ouvre l'une de mes mains, aucune petite lumière ne surgit. Ma chevelure retombant sur mon visage, j'observe Hippias. Il continue de sourire. Je garde les yeux fixés sur lui lorsqu'il se décide à quitter la pièce.
Des soldats viennent alors me chercher. Ils me redirigent vers ma chambre mais nous prenons un nouvel itinéraire cette fois-ci. De nouveaux couloirs que je prends le temps d'observer. Mes yeux s'arrêtent sur un immense tableau et je force les soldats qui m'escortent à ralentir leur allure.
Je n'ai le temps que de comprendre qu'il s'agit d'un portrait de famille et j'y reconnais Thane, enfin, plutôt ses yeux gris, un regard très troublant que jamais je ne pourrais oublier. Trop tard, les trois soldats me bousculent et je ne peux protester.
Nous arrivons alors devant la porte de ma chambre. L'un d'eux ouvre cette dernière et un deuxième m'y pousse violemment. Je manque de trébucher sur le tapis. La porte se referme dans un grand fracas et j'entends les soldats ricaner. Ma mâchoire se serre. Je ne pourrais pas supporter ce petit jeu bien longtemps...
J'ai à peine le temps de m'asseoir sur mon lit que Skepsi est déjà là. Elle aborde toujours son sourire qui n'est pas vraiment des plus naturel. L'androïde s'assoit à côté de moi. Elle me prend délicatement la main. Le contact du carbone froid sur ma peau me fait frémir.
- Comment ça s'est passé ? Tu vas bien ? me demande-t-elle.
- J'ai connu mieux à vrai dire. Je ne suis pas vraiment à l'aise dans l'eau, encore moins quand on tente de me noyer, dis-je en baissant les yeux quand la scène me revient à l'esprit. Je peux te poser une autre question ?
- Je t'écoute ma grande.
- J'ai vu un portrait dans l'un des couloirs tout à l'heure, j'y ai reconnu Thane. Est-ce que c'est un portrait de famille ?
- Et bien.. dit-elle gênée, oui.
- Où est alors la femme d'Hippias et ses autres enfants ?
- Asal... elle soupire mais finit par continuer. Sa femme et ses autres enfants sont décédés. C'est pour cela que tu ne les as jamais vu.
- Comment sont-ils mort ? la questionné-je.
L'androïde se fige un instant et semble réfléchir avant de me donner sa réponse.
- Certaines rumeurs disent qu'ils ont été tués par des rebelles pendant un soulèvement mais d'autres pensent que c'est Hippias qui les a tué ou du moins qui a ordonné leur exécution. Thane avait une sœur et deux frères. Personne ne connaît vraiment la vérité, annonce-t-elle gravement.
- Et selon toi quelle est la plus probable des versions ? demandé-je, choquée par la tournure de notre conversation.
- En tant qu'androïde, il est difficile d'avoir une opinion claire sur les événements. Nous ne sommes pas programmés pour avoir une réelle conscience... Les humain autour de moi penchent pour la seconde option alors je suppose que je crois à celle-ci. Après tout, Hippias a volé ma vie alors pourquoi pas celle de sa propre famille ?
Skepsi me regarde et son sourire s'efface. Elle se recule doucement et me donne un petit bracelet noir qu'elle détache de son poignet. L'androïde ne dit pas un mot de plus et s'éclipse dans le plus grand des silences. Je ne comprends pas vraiment ce changement de comportement soudain. Elle a adopté un air grave et sévère en quelques secondes comme si elle regrettait ce qu'elle venait de me révéler mais je suis maintenant certaine que la monstruosité du tyran de Thumos n'a aucune limite et qu'il a été capable de tuer les membres de sa famille de sang froid.
Mais comment et surtout pourquoi Thane est le seul survivant ? Quel âge avait-il pendant ces événements ? Sait-il vraiment ce qu'il s'est passé ? Je m'approche de la baie vitrée de ma chambre. Il faut que j'en apprenne plus.
Je regarde le bracelet dans mes mains. Si Skepsi me l'a donné c'est qu'il doit bien servir à quelque chose.
**
On vient me chercher le soir seulement pour que je mange. Je suis en plein repas quand Thane fait son entrée dans la salle, l'air détendu. Il s'assoit en face de moi. Mes yeux sont alors rivés sur sa main, celle que j'avais grièvement blessée. La moitié est remplacée par une matière semblable au carbone qui a été utilisé pour façonner Skepsi. C'est le genre de choses qui m'étonnent et me fascinent ici, leur capacité à trouver des solutions à chaque blessure et que leur médecine soit si développée.
Le prince prend son repas sereinement pendant que je l'observe. J'ai d'ailleurs, l'espace d'un instant, l'impression qu'il ne me voit pas ou du moins qu'il m'ignore volontairement. Nos regards finissent par se croiser et mes muscles frémissent. Je fronce les sourcils et il soutient mon regard. Un faible sourire pince ses lèvres.
- Skepsi a été exécutée cet après midi, finit-il par annoncer avec le plus grand des calme.
- Non !!!! hurlé-je.
Les larmes me montent aux yeux et au moment où je veux expulser l'énergie de mon corps Thane sort une petite télécommande noire et appuie sur un bouton. Sans le comprendre, je suis forcée à rester collée sur ma chaise, la décharge provoquée par mon mouchard est insoutenable. Mes nerfs se calment. Je voudrais lutter mais impossible, je n'en ai pas la force. Il range le petit boîtier qui me contrôle dans sa poche. Mes poings se serrent et il poursuit.
- Exécutée pour trahison et complot avec la résistance, poursuit-il en continuant d'arborer son air désinvolte qui m'est insupportable. Le bracelet qu'elle t'a confié te permet d'ouvrir certaines portes pour découvrir la demeure et t'y déplacer. Bien sûr, mes appartements ne sont pas accessibles.
Il boit une gorgée d'eau avant de continuer.
- Mon père part dans trois jours sur une planète plus lointaine. Son dirigeant souhaite s'allier avec nous apparemment. Pendant ce temps, je m'occuperai de toi et de ton entraînement.
Je ne réponds pas, je ne peux rien dire, juste encaisser. Je serre les dents et il glisse une main dans sa poche. Il semble appuyer sur un autre bouton puisque je peux à nouveau bouger mais mes flux sont toujours prisonniers sous ma peau. Mon corps se relâche et de longs fourmillements traversent mes muscles comme si je n'avais pas bougé depuis des heures.
J'ai l'impression que tout s'écroule de nouveau autour de moi, je viens de perdre la seule personne que j'aimais ici. Ils l'ont exécuté de sang froid. Je sais qu'ils n'auront aucun remord, qu'ils sont fiers de l'avoir abattue. Ils sont fiers d'avoir éliminé une personne qui menaçait de percer leurs secrets à jour... Des larmes roulent sur mes joues mais je continue de fixer Thane. « Garder la tête haute et avancer », c'est ce que mon père me dirait.
Mais comment continuer ? J'ai soudain le sentiment d'être seule au monde. Le prince en face de moi se contente de m'observer comme s'il voulait me jauger, me tester. Il a l'air de se délecter de cette situation. Je dirais presque que cela le ravi de m'annoncer une telle nouvelle.
Je remarque alors ses lèvres trembler légèrement. Est-ce que cela trahirait son stress ou sa nervosité ? Je secoue doucement la tête. C'est impossible.
Une rage m'envahît alors soudainement. Comme un feu qui dévore tout sur son passage, qui réduit tout en cendre. Je compte bien venger Skepsi, venger tous ceux que nous avons aimés.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top