THANE

Je n'ai même pas le temps de réagir. Un flux électrique s'abat sur moi en seulement quelques secondes. L'éclat m'aveugle et l'énergie s'empare de moi, me dévorant la peau et les muscles.

Une brûlure traverse mes chairs, détruisant tous les tissus sur son passage. J'ai le réflexe de lâcher mon arme. Je suis projeté plus loin, contre le mur. Le choc résonne dans toutes mes prothèses, faisant vibrer tout mon corps.

Je n'ai plus de sensation dans la main qui tenait l'épée. Je n'ai rien vu venir. La fille de la foudre se tient face à moi, elle rejette son arme comme si cette dernière allait la dévorer vivante. Ses yeux sont emplis d'effroi. Elle est tétanisée. Les lumières sous sa peau s'agitent et bougent à un rythme effréné.

Nous sommes à bout de souffle tous les deux, comme si nous avions lutté pendant des heures. Le combat n'a duré que quelques minutes et elle m'a terrassé en quelques secondes... une vague de colère monte en moi mais elle est arrêtée par la fascination qui m'envahit à son tour.

La voilà, la fille de la foudre. Celle qui pourra m'aider à dominer l'univers. Voilà la fille la plus puissante de la galaxie...

Je lève ma main face à moi pour lui indiquer que la session est terminée. La vue de mon membre déchiqueté me soulève l'estomac. Ma main est en sang, la peau est calcinée, les muscles sont réduits en bouillie. Je peux même apercevoir une partie de ma prothèse de carbone fixée au poignet.

J'inspire profondément. Il faut absolument que je garde mon calme, que je ne me laisse pas surpasser par la situation. Je ne suis pas mort. Mon corps est agité par des spasmes.

- Bien, dis-je.

Je me relève avec difficulté et jette un dernier coup d'œil à Asal toujours remuée par ce qu'il vient de se passer. Une traînée de sang me suit sur le chemin de la porte. Je sors de la pièce. Une fois dans le couloir, je serre les dents pour éviter d'hurler.

Avec difficulté, je rejoins l'infirmerie. Mes douleurs ont repris le dessus à l'instant où j'ai quitté Asal, elles rendent la situation davantage insupportable.

Une fois assez éloigné, j'appelle Harry en criant.

- Ordonne au krievsk de venir !

**

Le krievsk entre dans la salle de soin dans un grand fracas, il se met à rire quand il me voit assis sur la table d'opération.

- Elle est puissante ! s'exclame-t-il. C'est ce que tu voulais non ?

- Je sais qu'elle est hors norme, répondé-je sur la défensive.

Ma main ne cesse de trembler sous les nombreux spasmes. Je n'arrive pas à contrôler mon corps.

- Donne-moi des antidouleurs, ordonné-je.

- Non, non, non... je vais être obligé de réparer ça, dit-il en me montrant mon membre du doigt. Je ne peux pas te le faire si tu n'es pas endormi.

- Combien de temps je vais mettre pour être de nouveau opérationnel ?

- Je n'en sais rien du tout, ça dépendra du nombre d'heures que je passe à rafistoler cette chose dégoulinante de sang.

La situation semble l'amuser. J'éprouve des difficultés à garder mon calme, à ne pas lui coller mon poing à la figure et le foutre par terre.

La porte grince et je me retourne vivement. Mon père se faufile dans l'infirmerie. Tout mon corps est saisit par un long frisson.

- Elle t'a terrassé, annonce-t-il amèrement.

- Elle est puissante, mais c'est ce qu'on voulait non ? rétorqué-je sur le même ton.

- On ne peut pas se permettre de faiblir face à cette fille. Elle vient de voir qu'elle est plus forte que toi. Elle ne se méfiera plus de toi.

- Certes. Mais j'ai bien remarqué qu'elle n'avait pas dirigé son don, qu'elle avait perdu le contrôle de la situation. Elle était tétanisée, choquée par ce qu'elle venait de faire, dis-je. Elle a eu peur de son pouvoir.

- Tu ne peux pas compter sur la crainte de son pouvoir pour la façonner comme tu le souhaites, pour espérer la diriger. Le jour où elle arrivera à dominer son don, à le manipuler à sa guise... Elle te tuera à coup sûr.

Une main fermement accrochée à son sceptre, il manque de vaciller en s'approchant un peu plus du krievsk.

- Tu m'as déçu. Encore une fois, crache mon père.

Sans que je ne puisse le prévoir, Hippias me frappe la nuque avec la tête de serpent surplombant son sceptre. Je m'affale sur la table et perds connaissance.

**

Le krievsk ne sursaute même pas quand son roi assomme son fils.

- Injecte-lui ce qu'il faut pour le soigner.

- Ça va être long... elle a réussi à endommager le carbone ! s'étonne l'ingénieur.

- Ton prototype m'a déçu. Je pensais que mon fils résisterait un peu mieux à l'activité électrique...

- Je vous avez dit que je n'étais pas sûr que ce soit efficace. C'est bien la première fois que je travaille sur un tel projet. Il me faut du temps pour le perfectionner.

- Mais nous n'avons pas de temps, répond Hippias. Nous n'avons plus le luxe de nous tromper, surtout en ce qui concerne Thane.

- Les lumière semblent tout de même réagir à la présence de votre fils.

- Je me fiche qu'elles soient excitées à l'idée de le voir. Je veux qu'il contrôle ce flux, je veux qu'il puisse l'obtenir...

- Il y a certaines technologies que je n'ai jamais testé sur des humains... À l'époque où je confectionnais les armures anti-foudre j'ai fait des centaines de test sur des chiens... l'un d'eux avait pu accueillir une partie de l'activité électrique...

- Alors vous savez ce qu'il vous reste à faire, conclue Hippias.

- Mais... mais ce n'est pas prêt. Cela mettra en danger votre fils... je ne sais même pas si son corps l'acceptera !

- Faites-le. Démontrez que vous êtes le plus performant, que je peux vous faire confiance. Sinon, vous savez ce qui vous attend.

Hippias tourne les talons et abandonne son ingénieur auprès de son fils. La porte le fait disparaître dans un grand claquement.

Le krievsk se sent nerveux. Quelque gouttes de sueur perlent sur son front. Il tente tant bien que mal d'empêcher ses mains de trembler quand il injecte les anti-douleurs et l'anesthésie dans le corps de Thane.

Son regard se pose alors sur le membre déchiqueté. Il lâche un soupir. Plusieurs minutes s'écoulent avant qu'il n'enfile des gants et une blouse. Il s'arme de quelques ustensiles et d'une petite pièce orange.

Il débute rapidement son travail de reconstruction en retirant les tissus déjà morts. Il désinfecte ensuite précautionneusement la prothèse en carbone qu'il vient de récupérer. Il fixe la pièce orange sur la face qui sera au contact de la peau.

L'ingénieur se souvient de ce jour où il avait placé cette même pièce sur l'un de ses cobayes canins. Les bêtes subissaient des décharges d'un haut voltage pour tester la résistance des armures mais aussi des nouvelles inventions du krievsk. Le chien avait perdu tout ses poils, cramés par la puissance du flux électrique. Cette énergie était entrée dans son corps mais ne l'avait pas quitté. Elle était restée en lui. L'ingénieur avait tenté de toucher le chien mais avait été repoussé comme Thane par Asal.

L'ingénieur avait alors tenté d'électrocuter à nouveau le chien pour voir ce qu'il pouvait endurer mais l'électricité refusait de le faire souffrir de nouveau. Le petit prototype avait capturé l'énergie et l'avait dominé.

Le krievsk secoue la tête. Avec cette nouvelle pièce, plus Thane sera en contact avec Asal, plus il pourra absorber l'énergie électrique qui la parcourt. À terme, il ne devrait plus être mis en danger comme aujourd'hui.

Il glisse ensuite la main meurtrie de Thane dans sa prothèse. Il n'a pas pu la sauver, il est obligée de la remplacer comme celle d'Hippias.

L'ingénieur veille à ce que toutes les connexions soient faites correctement, que la main réponde bien aux nombreuses stimulations. Il se surprend à prier pour que sa nouvelle invention soit compatible avec le corps de Thane.

**

J'ouvre les yeux difficilement. On m'a ramené dans ma chambre et glissé dans mon lit. Je ne sens plus ma main et les antidouleurs me donnent l'impression de flotter.

L'ingénieur en compagnie d'Harry entre dans ma chambre. Encore dans les vapes, je n'ai pas la force de les saluer.

- Preÿo, je suis venu t'expliquer le dérouler de l'opération.

Je ne réponds pas, ma langue est trop lourde et mes lèvres sont scellées.

- J'ai été contraint de remplacer ta main par du carbone. Tu as la même que ton père, elle est seulement plus légère. Je dois aussi t'annoncer que je t'ai fait don d'une toute nouvelle pièce de ma création.

J'ouvre les yeux un peu plus grand.

- Tu es doté d'une nouvelle technologie. Elle est logée dans ton poignet. Pour le moment, tu sembles l'accepter sans trop de difficulté mais tu restes sous surveillance pendant un moment. Cette petite chose t'aidera, je l'espère, à gagner l'énergie de la fille de la foudre. Son flux sera encore plus attiré par toi, plus tu passeras de temps avec elle, plus tu seras à même d'obtenir son énergie et de la supporter.

Je veux me relever mais Harry me repousse contre mon oreiller.

- Ne bouge pas, me souffle-t-il. Laisse le temps faire son travail. Tu pourras la revoir dès que tu seras sur pieds.

Je n'arrive plus à lutter contre les hautes doses de médicaments que l'on m'a administré. Je retombe dans un sommeil profond sans avoir eu le temps de poser ne serait-ce qu'une question, de dire ce que je pensais de cette nouvelle expérience...