CHAPITRE TRENTE-TROIS
THANE
En franchissant l'un des couloirs de mes logements, j'entends les cris d'Asal. Je fais volte-face et me précipite vers l'une des plus grandes salles que nous possédons. Je sais très bien ce que mon père lui a réservé. Délicatement, je pousse la porte pour apercevoir ce qui se déroule à l'intérieur.
Asal est assise, dos à la porte d'entrée. Son amie, placée face à elle la fixe d'un air livide. Je vois les épaules de la brune secouées par des tremblements et des sanglots. Son flux m'appelle et mon corps est tenté un instant de franchir le seuil de la porte. Je ne peux pas m'approcher plus sinon je prendrais le risque qu'elle se doute de ma présence dans la pièce, son énergie et ses lumières me trahiraient. Je ne veux pas qu'elle puisse penser que je suis à l'origine de toutes ces choses.
Mon père se tient face à elle, fulminant son discours. Il ne peut pas la supporter, il n'arrive pas à comprendre le fait qu'elle ose lui tenir tête, qu'elle ose lui faire face à chaque fois qu'il organise ses séances de torture, qu'elle ne baisse pas les bras. Il m'a dit qu'elle lui rappelait maman - sans bien comprendre ce que mon père leur trouve en commun - et que ça le mettait hors de lui.
Ne pas pouvoir voir le visage d'Asal me paralyse. Mon rythme cardiaque accélère et je peine à garder mon sang froid. Elle est en train de souffrir comme j'ai souffert le jour où l'on m'a volé ma famille, ma mère. Elle goûte à la souffrance éternelle, celle qui déchire le coeur.
Mon ventre se serre quand je l'entends de nouveau crier. Mes douleurs deviennent fulgurantes et j'étouffe un gémissement. Ma mâchoire se serre, mes lèvres sont enfermées entre mes dents pour m'empêcher de crier. Un goût de sang inonde ma bouche, soulevant mon estomac. Je sais que mes médicaments ne sont plus autant performants que les premiers jours. Tout mon système est accoutumé aux substances contenues dans mes anti-douleurs. Ils deviennent presque inutiles mais cela fait déjà plusieurs fois que je remarque que mes douleurs sont plus fulgurantes quand je suis loin d'elle, quand je la sais souffrante. Dès le premier jour, j'ai su que nous étions liés. Dès que j'ai refermé cette porte dans l'hovercraft juste après l'avoir récupéré sur sa planète, mes douleurs m'ont paralysé.
Son flux ne cesse de m'attirer et je dois lutter pour garder le contrôle. Elle est en danger, elle souffre et je le sais. Ma main se referme plus fort sur la poignée de la porte. Je n'arrive pas clairement à cerner ce qui se déroule en moi quand je suis avec elle. Nous sommes liés d'une façon ou d'une autre, nous sommes voués l'un à l'autre et je sais que ce n'est pas qu'une histoire de légende, de conte pour enfants ou de prophétie.
J'entends alors Asal capituler, baisser les armes face à son plus grand ennemi. J'ai l'impression d'être autant anéanti qu'elle. Mon père se rapproche de la sortie et je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort. Je me précipite dans l'une des salles communicantes à la pièce dans laquelle se trouve Asal. La bibliothèque. Les pas de mon père s'éloignent et j'hésite un instant à franchir l'une des portes pour rejoindre la fille de la foudre. Mon instinct me reprend en main et je me ravise.
Je viens alors prendre place sur l'un des fauteuils de la pièce, ne sachant pas comment réagir face à la situation. Le regard perdu dans le vide, je laisse mes mains fermement accrochées à mon siège. Mes pensées s'emmêlent, formant des noeuds impossibles à défaire. Trop d'éléments contradictoires s'entrechoquent et j'ai du mal à faire la part des choses, à déceler la vérité du mensonge. Mes douleurs continuent de me torturer. Je suis épuisé.
**
Les pensées de Thane se font alors engloutir par les souvenirs de ces dernières heures. Il se voit dans les sous-sols de sa demeure sur le chemin des cellules aux côtés de son père.
- Cela fait des semaines qu'elle est tenue captive dans l'un de nos vaisseaux, dit Hippias.
- Comment est-ce que vous l'avez retrouvé ? demande le fils.
- Des soldats sont partis la chercher après que nos informateurs nous aient signalé qu'elle était proche d'Asal. Elle a tenté de fuir après l'attaque dans la campagne de Keraunos mais elle a été enlevée par nos soldats après s'être fait dénoncer par l'un de nos loyalistes habitant la planète.
- Je ne savais pas que des loyalistes se cachaient là-bas.
- Nous avons des confrères partout dans cette galaxie, nous avons envahis la plupart des planètes. Il ne nous manque plus qu'une bonne décharge électrique pour faire plier tout le monde, annonce Hippias en souriant.
Thane se poste devant la cellule pendant que deux soldats extirpent Iremia de sa prison. Elle est maigre, bien trop maigre. Il ne lui reste que quelques jours avant de succomber de ses blessures, de la faim, de la déshydratation. Des fourmillements douloureux chatouillent les muscles du prince. Il serre les dents.
- Elle a été prise en charge par nos généraux et par mes soins pendant quelques jours. J'espère bien que notre travail portera ses fruits, ajoute le roi. Surtout après la petite visite que je lui ai offerte de Keraunos. Je suis certain que ça lui a beaucoup plu...
- Pourquoi la torturer ? Après tout, elle n'a rien à voir avec la prophétie, rétorque Thane.
Hippias se retourne vivement vers son fils, le regard chargé d'incompréhension et de colère. Son sceptre tapote nerveusement le sol de la prison. Il se retient de ne pas frapper son fils devant ses soldats et sa prisonnière.
- Tu me demandes pourquoi je m'occupe d'elle ? s'offusque-t-il en ricanant. Parce que ta fille de la foudre ne daigne plier ne serait-ce qu'un petit doigt face à notre suprématie. J'en ai assez. Cette jeune femme est la dernière corde sensible que je tiens entre mes mains avant de prendre des mesures plus drastiques pour arriver à faire plier cette Kerausienne.
Sa voix est chargée de dédain et Thane ne peut s'empêcher d'être habité par du ressentiment face au discours de son père. Oui, Asal est SA fille de la foudre et de ce fait, seul lui devrait pouvoir décider de quelle façon la traiter, quelles méthodes utiliser pour qu'elle l'aide à régner sur l'univers. Ses poings se serrent lentement pour se contenir. La douleur qui courent dans ses muscles rend cette discussion éprouvante. Il a peur de craquer.
- Amenez-moi la Kerausienne dans la pièce principale, je veux qu'elle ait une discussion avec son amie... ordonne le preÿi.
Il s'éclipse sur ces mots, laissant les deux soldats et Thane à la charge d'Iremia. Le prince se retourne vers ses hommes.
- Laissez-moi quelques minutes avec elle. Gardez l'entrée du couloir, je vous la ramène dans cinq minutes.
Les deux soldats froncent les sourcils, perplexes face à cette demande mais finissent par obtempérer. Thane s'empresse d'aider Iremia à s'installer sur le lit de camp de sa cellule. Il s'accroupit face à elle, sa longue tenue touchant le sol et s'imbibant d'humidité. Le crâne rasé de la jeune femme reflète les faisceaux lumineux déversés par les nombreuses lampes. Elle peine à reste droite sans vaciller. Son corps se balance légèrement comme si elle tentait de se réconforter. Sa peau est presque translucide, on peut y suivre tous ces vaisseaux sanguins. Des bleus et des tâches de sang recouvre son corps meurtri.
- Iremia ? tente Thane.
Elle relève les yeux vers lui, son regard ne laisse passer aucune émotion. Il a l'impression de se retrouver face à une machine, à un robot encore plus inhumain que ses androïdes. Il tente de capter son regard mais un brouillard dans les yeux de la captive l'en empêche.
- Ton amie est ici, Asal, poursuit-il. Je sais que vous étiez proches. J'aurais aimé que tu m'en dises plus sur elle, sur les moments que vous avez passés toutes les deux.
Le regard d'Iremia se charge de colère, se durcit. Elle hausse les épaules.
- Je n'ai à rien dire, lâche-t-elle d'une voix presque inaudible. Elle s'est toujours arrangée pour être celle qui était la plus mature, celle qui rêvait de sauver le monde. Tout le monde l'a toujours préférée, depuis toujours. Elle rêvait de sauver l'univers mais elle n'est pas capable de sauver ses propres parents, son propre frère, son oncle, ses camarades, sa planète alors qu'elle est apparemment surpuissante. Elle n'est pas mon amie, elle ne l'a jamais été. Je l'ai toujours détestée pour ce qu'elle était, pour la place qu'elle avait dans la vie des autres. Elle a toujours été trop importante, elle n'est rien ni personne finalement.
Le coeur de Thane se serre en entendant les paroles d'Iremia. Il est trop tard, il ne pourra rien tirer de la jeune femme. Hippias l'a ravagé. Il laisse échapper un soupir. Le prince rappelle ses soldats, ne se donnant même pas la peine d'escorter la jeune femme avec eux vers le plus grand salon de la demeure.
- J'espère que le fait de la voir te redonnera la raison, dit-il platement en regardant Iremia s'éloigner avec les gardes.
**
Mon esprit est ramené à l'instant présent quand je perçois la voix d'Iremia de l'autre côté du mur.
- Tout est de ta faute Asal. Tous ces gens qui souffrent. Laisse-les vivre. Tu vas détruire l'univers entier. Tu es dangereuse, un monstre cherchant à faire le plus de victimes. Comment j'ai pu imaginer un seul instant que tu pourrais être mon amie ? Tous ces souvenirs à tes côtés me dégoûtent, tu me répugnes. Tu es immonde. Tu devrais avoir honte de que tu es, crache-t-elle à Asal.
Je me fige. Mon sang bouillonne dans mes veines et je dois me faire davantage violence pour ne pas surgir dans la pièce pour sortir Asal de là. Rien n'est de sa faute, la prophétie est à l'origine de tous ces évènements, c'était écrit. Elle ne peut pas décider, elle ne peut plus rien contrôler. Nous sommes avec Asal, nés pour régner. Nous sommes enchaînés pour toujours. Un long silence s'empare de la pièce d'à côté avant que les bottes des soldats claquent contre le parquet. J'entends les chaînes d'Asal être détachées, on la ramène vers sa chambre. En passant devant ma porte, son flux m'appelle mais je résiste.
- Aller ! Retour en cellule ma grande, lance un soldat en riant.
Ils sont en train de ramener Iremia dans les sous-sols. Je me précipite hors de la bibliothèque et intercepte les soldats se chargeant de l'escorter.
- Laissez-la moi, ordonné-je.
Les deux soldats s'échangent un regard avant de répondre :
- On ne nous a pas donné l'ordre de vous la confier...
- Je ne vous ai pas demandé de me dire si vous avez ordre de me la laisser. Déguerpissez. Je me charge personnellement de son cas.
Les soldats hésitent un moment avant de la jeter dans mes bras. Je la saisis fermement et la mène jusqu'à l'une des sorties de ma demeure. Elle semble dans un état second mais une fois que l'air glacé de la nuit s'abat sur elle, Iremia reprend conscience.
- Je suis libre ?! s'exclame-t-elle.
- Attends encore quelques minutes, tu le seras bientôt, dis-je.
Je l'aide à marcher dans le sable profond. Mes douleurs sont de plus en plus soutenues. J'ai du mal à garder mon calme. Nous marchons plusieurs minutes avant d'être assez éloignés de toute habitation. J'observe les alentours, les Lunes éclairent doucement les horizons. Le soleil vient juste de disparaître.
Je pousse alors Iremia. Elle ne peut résister à la force du choc et s'écroule contre le sable encore tiède. Elle n'a pas crié mais tente de se redresser. Son regard chargé d'incompréhension accroche le mien.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Je fais ce que j'aurais dû faire dans cette cellule avant que tu aies l'opportunité de dire de telles atrocités à la figure d'Asal.
Ses yeux s'écarquillent. En quelques secondes, je saisis un revolver, vise la tête d'Iremia et tire sans état d'âme. Son corps s'affaisse davantage. Je suis à bout de souffle. Mes mains ne tremblent pas mais mes jambes menacent de céder à tout moment.
Je ne tolérerai pas d'entendre de tels propos sur Asal. Encore moins de la part de ceux qui ont eu la chance et l'opportunité de la connaître avant tous ces événements. Ils sont impardonnables.
- Voilà ta liberté, vermine, craché-je à Iremia avant de reprendre le chemin de ma demeure.
Les coyotes se chargeront du corps de la jeune femme. D'ici l'aube, il aura disparu.
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