CHAPITRE TRENTE-QUATRE




ASAL


Cet événement a chamboulé tout mon être et j'ai l'impression d'être vidée de toute énergie. Je suis maintenant sans défense. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait d'Iremia après cela. Je suis partie avant elle de la pièce. Je m'en veux cruellement de pas avoir eu la force de lui dire ne serait ce qu'un mot avant de la quitter.

**

Il est tard quand j'émerge de mon sommeil. Cela fait déjà plusieurs nuits que je n'arrive pas à dormir correctement. La date du départ d'Hippias pour les ultimes conquêtes m'est encore inconnue mais je redoute ce jour plus que tout.

Je suis écœurée et en colère. Je refuse au plus profond de moi de les suivre mais j'en suis contrainte. Si je veux Iremia en vie, je dois obéir et je ne veux pas qu'elle soit une nouvelle victime de cette guerre intergalactique. Je veux réussir à sauver le dernier être que j'aime même si elle doit me haïr le reste de sa vie, même si Hippias a changé son identité à tout jamais.

Debout face à la baie vitrée, j'observe l'horizon. Les fontaines du domaine sont éteintes et les éclairages de nuit ont été activées.

Je dois trouver une solution. Un sentiment d'impuissance m'envahit, aucun échappatoire ne semble se présenter.

Je ne vois pas pourquoi je me pose des questions sur Iremia. Ils ont dû la tuer. Pourquoi ne l'auraient-ils pas fait après tout ? Ce n'est pas une victime de plus qui pourrait peser sur leur conscience. Mais là possède-t-il encore ? Ce sont déjà des monstres terrifiants, ils ont perdu leur humanité, leur empathie...

Ils ne sont plus humains. Ils sont des machines sans sentiment, sans remord, sans compassion ni raison. Ils ne connaissent pas l'amour pour leur prochain. Ils ne savent rien. Ils resteront ignorants toute leur vie. Ils ne goûteront jamais à la joie d'aimer sincèrement quelqu'un, de vouloir sauver des vies, d'être heureux et ne plus avoir peur. Je suis certaine qu'ils ne sont même pas alertés par la situation.

Ces deux hommes sont fiers de leur sang et de leur idéologie.

Je soupire doucement.

Que puis-je faire de plus ? Je ne peux plus me battre. Je suis totalement désemparée face à ce qui m'arrive et j'ai l'impression d'être ballottée d'émotions en émotions, d'épreuves en épreuves, de tortures en tortures. Ils m'ont anéantie.

Je dois être réaliste et me résoudre à suivre Hippias dans sa conquête mais je peux toujours essayer de déjouer ses plans pendant le voyage. Seule contre toute son armée... Il faut absolument que je trouve des complices, d'autres personnes à l'esprit rebelle et révolté puisque je ne pense pas avoir la force de continuer à lutter seule face à ce fléau sans y laisser ma peau.

Je sors de ma chambre en enfilant une des combinaisons propres aux fidèles du roi de Thumos. Mes dents grincent quand je referme la porte derrière moi. Je vérifie que dans l'une de mes poches se trouve un couteau que j'ai réussi à voler l'autre jour dans la salle des entraînements.

Je ferme les yeux un instant avant de me mettre en marche vers le salon. Les androïdes m'en ont beaucoup parlé mais je n'y ai jamais mis les pieds. Il me faut un moment avant d'enfin le trouver. Je n'ai croisé personne dans les couloirs.

Le salon. Le sol et les murs sont fidèles au reste de la demeure. Il y a des centaines de miroirs et de fenêtres. On a presque l'impression d'être dans un monde parallèle : de grands tapis étouffent le parquet, de grands fauteuils et un sofa sont installés face à une cheminée aux braises encore fumantes, quelques flammes se démènent pour ne pas s'éteindre.

Je relève la tête et je remarque au plafond des milliers de fresques et de peintures diverses. Elles représentent des scènes de la mythologie grecques. Notre galaxie a toujours été influencée par les modes de vie antiques. Il s'agit d'ailleurs de la seule forme de culture que nous ayons gardé de la Terre.

Je regarde encore autour de moi et j'ai l'impression d'à nouveau découvrir la pièce : de grands plaids en fourrure sont posés soigneusement sur chaque fauteuils. Quelques bougies dressées sur des chandeliers livrent leurs dernières lueurs, des livres sont empilés sur une chaise en bois cachée au fond de la pièce. Je suis encore une fois impressionnée. Les lumières sous ma peau glissent délicatement sans me faire souffrir.

C'est la deuxième fois qu'elles me font cet effet.
Je vais finir par y prendre goût.

Un bruit de pas m'extirpe de mes pensées et mon flux lumineux se précipite vers le bout de mes doigts.

Il me tire vers la porte qui s'ouvre sur Thane. Je reste figée et me contente de fixer la cheminée. Mes tremblements trahissent mon stresse. Je croise les bras contre ma poitrine comme pour me rassurer.

Mon énergie prend en puissance. Elle brûle dans mes veines, me poussant vers lui. Pourquoi ? Pourquoi je réagis comme cela a chaque fois qu'il est près de moi ?

Je ne comprendrai jamais. Il représente un réel danger pour moi et pourtant mon flux me prie de le rejoindre.

Il reste silencieux et vient se poster à côté de moi. Nous regardons dans la même direction. C'est moi qui finis par briser le silence, devenu rapidement insoutenable.

- Que fait un prince levé à cette heure-ci ? Dis-je en laissant échapper un soupir. Et surtout habillé de la sorte.

Un rire moqueur manque de m'échapper mais je réussis à le contenir.

Je tourne les yeux vers lui. Il est en pantalon et t-shirt en coton, tintés en noir. Ses cheveux sont étrangement désordonnés. Il fixe toujours les braises. Thane ne se donne pas la peine de me répondre. Il soupire à son tour. Mes lumières me supplient de m'approcher davantage. Je fronce les sourcils.

- Comment tu fais ça ? demandé-je.

- Comment je fais quoi ? s'offusque-t-il, la voix encore endormie.

- Toute mon énergie est attirée par toi. Elle me tire constamment en ta direction. C'est comme ça que j'ai su que tu n'étais pas loin de moi dans le désert. Je dois avouer que je n'arrive pas à le comprendre. Mon flux n'a jamais fait cette chose, dis-je calmement pour apaiser la tension qui est montée en lui.

- Que veux-tu que j'y fasse ? Je n'en sais strictement rien mais je trouve cela très étrange aussi, me répond-il avec plus de douceur.

Je sais qu'il ment. Le jeune homme sait très bien pourquoi je réagis comme ça face à lui. Il ment très mal. Ses sourcils se froncent et ses lèvres tremblent légèrement quand il tente un mensonge. Je détourne les yeux du soldat pour les poser sur le jardin de la demeure.

Nous restons là, côte à côte. Je ne pourrais pas vraiment expliquer ce que je ressens quand il est là. C'est encore trop vague, même pour moi. Un grand mélange de crainte, de peur, d'angoisse mais aussi de fascination.

Je pense sincèrement qu'il est trop tard pour essayer de le sortir de tout cela.

J'aimerais mais comment changer tout une éducation, un idéal, une conviction en si peu de temps ? Asal, reprends toi. Tu t'es dit que tu n'allais sauver aucun des deux. Ce risque n'en vaut pas la peine. Le silence s'installe et je réalise alors que je ne me suis même pas demandé pourquoi il était venu à une heure pareille ici et surtout pourquoi il était resté ici...

Je ne sais pas s'il se questionne à mon sujet et s'il est aussi perturbé que moi quand nous sommes ensemble. Mes lumières se mettent une nouvelle fois à danser dans les régions de mon corps qui sont le plus proches du jeune homme. Ceci est très étrange aussi. Je suis certaine qu'il n'est pas juste le prince de Thumos mais qu'il pourrait être bien plus...

- Quand est-ce que nous partons pour les dernières planètes à conquérir ? le questionné-je.

- Nous décollerons dans deux jours, déclare-t-il platement. Je pensais que tu refusais de venir ?

- Je n'ai jamais voulu de tout cela et j'essaierai d'être le plus juste possible mais je veux absolument sauver le dernier être que j'aime.

- Le dernier ?

Il fronce les sourcils et se tourne vers moi avant de continuer.

- Je pensais que toute ta famille et tes semblables avaient été décimés.

- Je...

Mon cœur se serre quand il prononce ces mots et j'ai du mal à me ressaisir pour finir ma réponse.

- Non. Il me reste l'une des personnes les plus importante. Elle est ici et ton père l'utilise pour que je cède. Il a réussi, je ne peux plus lutter contre vous, répondé-je tristement. Je serai donc du voyage.

Je lève les yeux vers lui et il semble soudainement mal à l'aise. Thane se frotte la nuque et souffle. Je ne l'ai jamais vu réagir ainsi.

- Bien, dit-il la voix un peu étranglée, tu devrais commencer à préparer tes affaires. Nous partons pour beaucoup de temps et le voyage sera toujours menacé d'être rallongé. On ne sait pas si les derniers rebelles seront enclin à capituler.

Je le fixe toujours, une veine ressort légèrement sur son front et sa voix n'a cessé de trembler. Après tout, il est tôt et le soldat est sûrement épuisé. Thane fuit à présent mon regard. Je serre les dents avant de briser ce nouveau silence trop pesant.

- Ça ne te dérange pas de faire souffrir toutes ces populations ?

- Nous ne les faisons pas souffrir, nous les délivrons de leur manque de d'obéissance, lâche-t-il très sérieusement.

- Tu plaisantes ?

- Est-ce que j'en ai l'air ? Si nous faisons tout cela, c'est pour leur bien. Tout le monde à besoin d'être dirigé. Sans instructeur, ni dirigeant le chaos s'installe. Cela engendre des meurtres, des vols, des mensonges, des rebellions. Dès qu'on encadre l'homme et qu'on le muselle, les chances de rébellion et de soulèvement sont restreintes.

- Mais as-tu seulement observé ce qu'il se passe ? Ces conquêtes, ces guerres, ces génocides entraînent des soulèvements ! Vous êtes, ton père et toi, les hommes les plus haïs de la galaxie. Tout le monde souhaite votre mort. Ils n'attendent qu'une seule chose, votre exécution. Ils rêvent de vous soumettre, de vous lapider, de vous torturer comme vous l'avez fait à tant d'innocents, rétorqué-je à présent en colère.

- Asal. Tu te permets beaucoup de libertés, particulièrement quand il s'agit de me parler. Nous ne pouvons pas discuter d'un tel sujet. Tu ne comprends pas nos problèmes et nos motivations et je ne te comprends pas non plus. Cet échange ne mènera à rien alors autant se taire de suite. Il faut accepter de rester à sa place par moment et de la fermer.

Il est posté face à moi, son ton est glacial et je dois avouer que j'ai clairement envie de me sauver à cet instant. Je n'en reviens pas. Fuir et ignorer mes accusations, voilà une réaction que je n'aurais jamais imaginé de la part de Thane. Je nous voyais déjà, jetant des objets à la figure de l'autre. Cette réaction me plonge pourtant dans une certaine colère. Comment peut-il être si aveugle ?

La tension entre nous est montée d'un cran. Nous nous ne quittons pas des yeux. Nous nous jaugeons mutuellement et je refuse de céder cette fois-ci. Cette discussion n'aurait sûrement pas mené à grand chose, je le sais tout autant que lui mais ce jeu de regards vaut bien plus que des cris, des hurlements ou des coups...

Mon flux m'attire encore plus vers lui, il le réclame ardemment, encore plus que la nuit où il m'a retrouvé dans le désert.

Je n'entends que le feu qui crépite et nos deux respirations. Mon rythme cardiaque accélère, ma tension augmente et j'ai l'impression que mon sang bout dans mes veines. Mes lumières s'agitent et se logent dans ma main droite, elle est plus proche du prince mais je ne le touche pas, je la laisse accrochée au dossier du canapé sur ma droite pour tenter de masquer ma nervosité.

Sa main gauche vient se placer juste en face de celle que j'ai posée sur le sofa. Je n'ai pas l'impression que c'était une action calculée mais mon flux s'impatiente davantage. Ses doigts s'enfoncent presque dans le tissu. Est-il nerveux lui aussi ? Ou se retient-il de me frapper ?

Je ne comprends pas vraiment d'où vient toute cette énergie qui émane entre nous, cette atmosphère qui règne dans toutes les pièces où nous nous retrouvons. Elle est intenable, elle me saisit et me coupe presque le souffle à chaque fois.

Son regard se fait plus insistant. La chaleur qui émane du feu et de nos deux corps devient insupportable. Mes lumières se jettent dans mes doigts et je dois freiner mon énergie pour ne pas le surprendre quand ses doigts effleurent les miens et que son visage se rapproche dangereusement.

Thane s'éclipse alors brutalement en me frôlant. J'ai l'impression que quelque chose vient de se briser en un millième de seconde et j'ai soudain très froid. Je n'ai pas le temps de me retourner qu'il a déjà franchi le seuil de la porte.

Je viens m'asseoir sur le canapé en face de la cheminée, toute tremblante. Je ne comprends pas ce qu'il vient de se passer et comment nous en sommes arrivés là.

Je finis par m'allonger, bercée par les flammes.

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