CHAPITRE TRENTE-NEUF
ASAL
Deux jours, deux maudits jours que nous naviguons vers notre prochaine planète. Je n'ai même pas demandé quel était le nom de notre future destination. Je soupire. J'ai réussi à ne pas croiser Thane mais j'ai aperçu Hippias hier. Je les ai évités tant bien que mal. L'ambiance en est devenue insupportable.
Je tourne en rond dans ma cabine, je fais les cent pas, impossible de freiner les images terrifiantes de l'attaque de Tæna. Je voudrais les oublier, les effacer pour pouvoir avancer mais je n'y parviens pas.
C'est une spirale destructrice qui consume mon esprit, qui le dévore et le réduit en miette. Je vais devenir folle. Mon flux s'agite et il me fait atrocement souffrir. Je viens m'asseoir sur mon lit. Mon corps, instinctivement, se balance d'avant en arrière comme s'il voulait se réconforter.
Je tente de faire le vide, de trier ces vagues d'émotions qui me submergent. J'ai l'impression d'être frappée de toutes parts, ces souvenirs, ces douloureuses visions me ruinent et m'enchaînent. Je ne peux m'en défaire. Elles me hantent et me terrorisent.
Je me sens oppressée et vidée de mes forces. Que penserait papa ? Serait-il déçu ? Je ne pense pas. Il froncerait les sourcils, poserait ses mains puissantes sur mes épaules. Il me fixerait de son air grave.
Des larmes viennent s'écraser sur mon t-shirt, absorbées par le tissu.
Papa me dirait que rien, rien ni personne n'est capable de détruire une petite fille si courageuse, que je suis capable de me surpasser, de prendre le dessus sur tout ce qui m'entoure, que je peux encore avancer, qu'il faut absolument que je finisse ce que j'ai commencé. Il finirait par :
« Je n'ai jamais douté de toi mon amour. Tu es formidable et bien plus forte que tous les autres. Tes différences seront une force. Tu es incroyable. Je t'aime mon cœur. »
Mon père replacerait une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Il passerait une main dans sa tignasse grisonnante et me prendrait dans ses bras en me serrant délicatement. Il me chuchoterait quelques paroles réconfortantes, quelques je t'aime... Maman nous aurait rejoint pour profiter de ce doux moment de tendresse. Nous serions presque restés des heures à nous étreindre.
Je me mets à pleurer, de grands sanglots secouent mon corps. Je peux entendre son rire quand nous nous amusions dehors. Je perçois sa voix chanter en compagnie de celle de maman. Deux voix harmonieuses, deux êtres qui s'aimaient à en mourir. Deux âmes liées à tout jamais. Je repense à mon frère rougir de honte quand papa le grondait, je le revois me sourire une dernière fois même si nos relations n'était pas des plus agréable. Athos... la seule personne avec qui j'ai échoué. Celle qui méritait le plus d'être aimée finalement.
Je me demande alors : comment un esprit qui est censé nous aider à survivre peut nous anéantir avec de telles images ? Pourquoi ne les efface t'il pas pour le bien être du corps qu'il dirige ? Je serre les dents. Tout est si difficile ces temps-ci. Si je continue de me morfondre, je n'avancerai pas. Je me laisserai mourir et disparaîtrai de cet univers sans avoir fait ne serait-ce qu'un effort pour essayer de sauver des hommes et des femmes impuissants face au chaos de notre galaxie, face à la folie du plus grand tyran de notre Histoire.
Je finis par m'allonger sur mon lit, pleurant toutes les larmes de mon corps. J'entends des pas dans le couloir, je tremble. Je ne veux pas que l'on me voit comme ça. Je dois me ressaisir, c'est ce que toute ma famille voudrait. Mon père ne m'a pas élevée comme cela, il m'a rendu forte et je me dois de lui faire honneur. Il sera fière de moi.
On m'a toujours dit que je devais faire preuve d'une grande abnégation, de courage, de valeurs, de force, de justice, d'honnêteté. Papa ajouterait :
- Il faut savoir pardonner mon amour, aux autres et à soi-même. C'est la clé.
Pardonner aux autres et à soi-même, une grande pensée. Je ne sais pas où il avait entendu cette phrase mais elle est pleine de sens et reflète la personnalité parfaite. Mais alors, devrais-je pardonner à Thane et à Hippias ? Non, personne dans cette univers ne peut faire preuve de bonté envers cet homme affable. Son fils en revanche... Peut être serait-il davantage méritant du pardon ?
Après tout, il ne fait que suivre son père... Il ne s'agit peut être que d'une simple question de survie... Stop ! Je ne dois pas lui trouver trop d'excuses même si maman disait toujours que faire cela améliorait la vision que l'on peut avoir des autres. Elle n'arrêtait pas de prétendre que beaucoup de personnes sont désagréables où agissent avec cruauté parce qu'elles subissent des épreuves douloureuses et difficiles.
Mais je pense sincèrement que beaucoup parviennent à prendre sur eux et à faire abstractions de ce qu'ils subissent alors pourquoi pas Thane ? Comment se fait-il qu'il ne voit pas les souffrances qu'Hippias inflige à des innocents ? Trop d'idées se bousculent dans ma tête et je commence à être perdue.
Et moi ? Suis-je prête à me pardonner ? Suis-je prête à me pardonner pour toutes ces choses que j'ai ou n'ai pas fait, toutes ces paroles, tout ces actes manqués, toutes ces erreurs ?
Il faut vraiment que je trouve de quoi écrire pour mettre toutes mes pensées sur papier et les organiser. Réfléchir à ces questions étranges que je me pose sans cesse. Tenter de résoudre mes plus gros problèmes. Peut-être que c'est l'une des solutions pour m'apaiser et me permettre de m'alléger d'un poids immense. Ecrire, résoudre, déchirer, jeter, oublier...
Je ferme les yeux. Epuisée, je m'endors en sanglotant encore, osant espérer malgré tout de me réveiller chez moi. Je rêve de rentrer chez moi, de retrouver ma planète natale, retrouver le peuple auquel j'appartiens.
**
De grands frissons parcourent mon corps, mes lumières s'affolent et cherchent à s'échapper, elles exercent une pression sur ma peau pour s'enfuir. Je fronce les sourcils et ouvre les yeux. Où suis-je ? Je n'ai aucun repère, il fait totalement noir. L'obscurité est telle que je ne peux même pas apercevoir la main que je tends face à mon visage.
Un silence de plomb règne. L'ambiance m'oppresse et je commence à étouffer. Le taux d'oxygène semble trop faible pour satisfaire mes poumons qui se démènent pour me faire respirer correctement.
Des rires me parviennent mais impossible de les reconnaître. Je prie pour ne pas subir d'autres mauvais traitement de la part du tyran et de son fils. Je me sens désarmée. Mes jambes tremblent, ma mâchoire se serre.
Un souffle chaud dans ma nuque me fait sursauter et je me retourne brusquement. Les poings devant mon visage.
J'appelle mon flux et malgré son intensité, il ne m'aide pas à y voir plus clair. Je tente de me concentrer sur ces étranges rires... Une petite flamme ondule au loin. Mes yeux se plissent et je tente d'avancer quand une main ferme saisit mon bras. Je laisse échapper un cri de surprise et mes muscles se retrouvent totalement figés.
La main qui emprisonne mon bras glisse lentement sur mon poignet et les ricanements cessent. Je suis dans l'incapacité de réagir. C'est comme si j'étais faite de marbre. Mes membres pèsent des tonnes et mes pieds ne parviennent pas à se détacher du sol.
- Que fais-tu ici ? Qui es-tu pour oser t'aventurer dans ces recoins bien trop sombres ?
Cette voix me glace le sang, mon flux me supplie de déguerpir. Je reste impuissante face à cette situation. Je dois me concentrer et identifier la personne qui s'intéresse dangereusement à moi.
- Tu as peur ? Je pensais que rien ne t'effrayait Asal. Alors tu m'as menti ?
Je le reconnais alors, il s'agit de Thane et cela me terrifie davantage. Bon sang, comment est-ce que j'ai fini ici ?! Et puis je ne lui ai jamais parlé de mes peurs ! Je ne comprends plus rien. C'est la première fois que mes lumières ne m'encouragent pas à le rejoindre, d'ailleurs, elles ne se sont même pas précipitées vers sa main qui tient à présent fermement mon épaule. Cela devient de plus en plus étrange.
- Tu vois Asal, la lumière ne peut vaincre la part d'ombre en toi. Elle est impuissante face à ces ténèbres. Elle est perdue tout autant que toi... poursuit-il. Je sais que tu as peur. Je le sens.
Son autre main - enfin sa prothèse de carbone - vient se poser sur ma nuque. Le contact glacé me fait trembler davantage, un frisson court le long de ma colonne vertébrale lançant des dizaines de petites décharges sur son chemin. Je commence à comprendre que je ne peux rien contrôler. Le soldat soupire doucement. Il fait un pas de plus vers moi, j'entends ses bottes craquer sur du gravier. Il chuchote quelque chose, une phrase que je ne peux comprendre :
- Ÿahst äzçe bęakse.
Il se recule légèrement, me laissant libre, je le sens se déplacer. C'est la langue de Thumos, un dialecte mort depuis des années mais qui continue d'être enseigné aux familles les plus riches. Des mots à la prononciation impossible mais qui paraissent tellement beaux dans sa bouche. Sa voix, si grave, m'hypnotise. Je secoue lentement la tête. Il faut se concentrer et trouver une issue à ce problème.
En fait, je préfère ne pas savoir ce que veut dire cette phrase. Elle doit être trop sombre pour être traduite. Je parviens à serrer mon poing. Thane souffle et je le localise. Un premier coup part, je l'entends gémir. Mon corps retrouve sa liberté. Je comprends alors qu'il ne faut absolument pas que je sois en contact avec lui si je veux pouvoir m'en sortir. S'il pose de nouveau une main sur moi, je perdrais le contrôle de la situation.
Mon énergie gagne en puissance et mes lumières agressent à présent tous les tissus de mon corps pour se libérer. Des pas lourds résonnent ; Thane revient vers moi. L'air se fait rare, mes poumons demandent encore plus d'oxygène.
- Je ne suis pas effrayée Thane. Je ne l'ai jamais été, dis-je fermement comme pour me convaincre moi même.
- Pourtant, je te vois trembler, murmure-t-il.
Mes poings se ferment lentement et j'explose, toute mon énergie est libérée et de grands éclairs s'échappent de mon corps. Ils illuminent les alentours et quelques flashes me permettent de voir Thane se jeter sur moi. Ma main droite vient s'ouvrir et je le foudroie, il est projeté dans les airs puis retombe violemment au sol.
Je ne le vois pas bouger. Mon flux s'épuise et les ombres reprennent possession du lieu. Tout est redevenu noir, je suis de retour dans le néant et ces mains invisibles s'emparent de moi.
Elles saisissent ma gorge, la serrent encore et encore. Elles plantent leurs ongles dans mes bras, mes jambes. Elles agrippent mes côtes. La pression est trop forte, la douleur trop intense.
J'ai l'impression d'être attaquée par des bêtes féroces. Leurs griffes dans ma chair me font pousser des hurlements. Quand Thane se relève, mes lumières s'agitent de nouveau. Je l'entends râler dans l'ancienne langue de Thumos.
Mes assaillants me relâchent sans prévenir mais ce sont les mains puissantes de Thane qui viennent me récupérer. Sa poigne est ferme, mes dents grincent. Les sensations sont trop désagréables. Je n'arrive pas à garder mon calme.
Ses doigts viennent se poser sur ma clavicule, glissant lentement sur ma peau. Mon flux se jette alors vers son contact. Une nuée de lumières vient s'agglutiner sous ma peau au même moment, au même endroit.
Elles éclairent alors nos deux visages. Le visage de Thane semble relâché. Il ne porte aucune trace de mon attaque, seulement les cicatrices et les blessures qui l'accompagnent habituellement, celle que j'ai vu depuis toujours.
Mon corps n'a pas été affecté par l'attaque des créatures mystérieuses.
Les iris du prince sont d'un noir profond. Son regard reste fixé sur mes lumières qui se reflètent dans ses pupilles.
- Tu ne peux pas les contrôler. Elles m'appartiennent, elles sont à moi, dit-il.
Sa main vient alors se plaquer contre mon épaule, je manque de perdre l'équilibre. Mes lumières se précipitent alors pour le rejoindre sans pour autant le faire souffrir. Mon flux glisse dans son corps et me quitte en quelques secondes. Ma peau s'assombrit tandis que la sienne est maintenant aveuglante.
Je me sens vide, perdue.
Je n'ai plus la force de rester debout.
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