CHAPITRE TRENTE-CINQ
THANE
Des bruits de pas me tirent de mon sommeil. Mes sens sont en alerte. Les lattes du parquet craquent au rythme des pieds de « l'intruse » présente dans le couloir. Je reconnais immédiatement Asal, sa démarche légère, comme si elle avait peur d'être surprise ici, en pleine nuit, d'être réprimandée parce qu'elle se ballade dans les couloirs de mes appartements.
Personne ne peut lui en vouloir. Sa chambre est à quelques couloirs de la mienne mais elle l'ignore. Je l'entends presque chaque nuit faire les cents pas parce qu'elle ne trouve pas le sommeil. J'ai toujours l'impression qu'elle cherche une sortie, une porte qui la mènerait vers la liberté, loin de nous, loin de moi.
Je m'extirpe de mon lit et enfile un t-shirt. Mes yeux s'acclimatent doucement à l'environnement sombre. Par habitude, je trouve la porte et sors dans le couloir. La silhouette d'Asal disparaît derrière l'une des portes. Mon salon.
Mes pas se font plus légers que les siens. J'en ai pris l'habitude, depuis tout petit. Je ne voulais pas que papa et maman m'entendent quand je rejoignais ma sœur dans sa chambre après avoir fait un cauchemars. Je ne voulais pas qu'ils me pensent faible ou puérile. Ce sont les seuls souvenirs que j'ai gardé de ma sœur.
Asal, ne m'entendra pas arriver et je le sais parfaitement. Elle ne s'attend pas à me voir franchir le seuil de la porte alors elle ne sera concentrée que sur la pièce, une salle qu'elle n'a jamais vu, que je n'ai jamais eu l'occasion de lui présenter.
À présent face à la porte, mon instinct me retient un moment avant que je ne puisse rentrer dans mon salon. Je pousse la porte délicatement. Elle est face à la cheminée, ses cheveux mi-longs, qu'elle a détaché, menacent de bientôt toucher ses épaules. Asal reste figée mais ses yeux l'ont trahie quand je suis entré. Elle sait que je suis là et son flux, bien avant elle.
Aucun mot ne sort de nos bouches. Je viens me poster à côté d'elle, entretenant le silence que nous nous sommes imposés. Nous regardons tous les deux le feu de la cheminée qui se meure lentement. Je lui jette un coup d'œil, ses lèvres se pincent. Asal se retient pour ne pas parler. Sa mâchoire se serre. Elle finit par céder, brisant le silence qui me convenait jusqu'à présent.
- Que fait un prince levé à cette heure ci ? Dit-elle en laissant échapper un soupir. Et surtout habillé de la sorte.
Je me retiens pour ne pas lever les yeux au ciel. Briser le silence pour dire quelque chose de si inutile ? Ne peut-elle pas seulement apprécier le silence ? Je tourne furtivement le regard vers elle, une drôle d'expression s'empare de son visage. Je détourne les yeux juste avant qu'elle ne pose les siens sur moi. Une bouffée de chaleur m'envahît, mon estomac se noue, de la sueur perle dans mon dos. Je souffle discrètement pour faire redescendre la pression qui s'empare de mon corps.
- Comment tu fais ça ? demande-t-elle.
- Comment je fais quoi ? répondé-je sur la défensive, la voix encore endormie.
- Toute mon énergie est attirée par toi. Elle me tire constamment en ta direction. C'est comme ça que j'ai su que tu n'étais pas loin de moi dans le désert. Je dois avouer que je n'arrive pas à le comprendre. Mon flux n'a jamais fait cette chose, affirme-t-elle calmement pour apaiser la tension qui monte entre nous.
- Que veux-tu que j'y fasse ? Je n'en sais strictement rien mais je trouve cela très étrange aussi, dis-je avec plus de douceur.
Asal détecte mon mensonge immédiatement et je le sais très bien. Comment lui dire ? Comment avouer ce que mon père me fait subir pour tenter de prendre le contrôle de son flux ? Comment lui dire que je rêve de contrôler l'énergie qui émane d'elle ? Comment lui dire que je n'ai qu'une envie : prendre le contrôle de tout son corps ?
Je ne peux empêcher mes sourcils de se froncer et mes lèvres de trembler. Mais un prince ne peut se résoudre à se montrer faible. Tout lui dire pourrait compromettre mon accès au trône. Je refuse de prendre ce risque.
Asal détourne son attention vers l'extérieur. Nous restons côte à côte. Elle semble déstabilisée par ce qui se déroule. Elle pensait peut-être pouvoir me mettre en colère pour pouvoir contrôler la situation. Je sais qu'elle rêve de prendre le pas sur moi.
Elle dégage quelque chose de puissant, de sauvage, d'attirant. Elle est une âme qui semble être impossible à attraper, un être qui se faufile dans tous les recoins pour ne pas être piégé mais je sais que je suis capable de l'apprivoiser.
Ses lumières viennent s'agglutiner sous sa peau, du côté de son corps le plus proche de moi. Elles dansent lentement. Je peux ressentir la tension électrique qu'elles dégagent. C'est une sensation presque envoûtante.
- Quand est-ce que nous partons pour les dernières planètes à conquérir ? me questionne-t-elle pour casser une nouvelle fois le silence qui me plaisait.
- Nous décollerons dans deux jours, déclaré-je platement pour tenter de paraître détaché. Je pensais que tu refusais de venir ?
- Je n'ai jamais voulu de tout cela et j'essaierai d'être le plus juste possible mais je veux absolument sauver le dernier être que j'aime.
- Le dernier ?
Je fronce les sourcils, blessé par cette révélation. Je me tourne vers elle avant de continuer.
- Je pensais que toute ta famille et tes semblables avaient été décimés, attaqué-je pour la piquer.
- Je...
Le visage d'Asal se déforme dans une expression de douleur. Je regrette un instant ma réplique. Elle peine à se reprendre mais elle tente tout de même de finir sa phrase.
- Non. Il me reste l'une des personnes les plus importante. Elle est ici et ton père l'utilise pour que je cède. Il a réussi, je ne peux plus lutter contre vous, répond-elle tristement. Je serai donc du voyage.
La Kerausienne lève les yeux vers moi. Je ne peux cacher ma perplexité face à sa réponse. Je me frotte la nuque pour laisser échapper un peu de tension. Comment lui dire que je viens d'exécuter son amie parce que j'ai jugé qu'elle était un danger pour elle ?
- Bien, dis-je la voix un peu étranglée et tremblante. Tu devrais commencer à préparer tes affaires. Nous partons pour beaucoup de temps et le voyage sera toujours menacé d'être rallongé. On ne sait pas si les derniers rebelles seront enclin à capituler.
Je ne la regarde plus. Ma voix a tremblé. J'ai failli craquer. Sans le vouloir, mon attitude se durcit.
- Ça ne te dérange pas de faire souffrir toutes ces populations ? crache-t-elle, sorti de nul part, brisant une énième fois le silence.
Mon instinct m'interdit de la regarder. Elle ne m'impressionne pas, pas avec ce genre de propos. Au contraire, son comportement m'agace, me donne encore plus envie de me surpasser pour prendre le dessus.
- Nous ne les faisons pas souffrir, nous les délivrons de leur manque de d'obéissance, lâché-je très sérieusement.
- Tu plaisantes ?
- Est-ce que j'en ai l'air ? Si nous faisons tout cela, c'est pour leur bien. Tout le monde à besoin d'être dirigé. Sans instructeur, ni dirigeant le chaos s'installe. Cela engendre des meurtres, des vols, des mensonges, des rebellions. Dès qu'on encadre l'homme et qu'on le muselle, les chances de rébellion et de soulèvement sont restreintes.
- Mais as-tu seulement observé ce qu'il se passe ? Ces conquêtes, ces guerres, ces génocides entraînent des soulèvements ! Vous êtes, ton père et toi, les hommes les plus haïs de la galaxie. Tout le monde souhaite votre mort. Ils n'attendent qu'une seule chose : votre exécution. Ils rêvent de vous soumettre, de vous lapider, de vous torturer comme vous l'avez fait à tant d'innocents, rétorque-t-elle visiblement en colère.
Je me retiens alors pour ne pas être méprisant mais la tension en moi est trop importante. Je viens lui faire face. Prenant un malin plaisir à la regarder de haut.
- Asal, tu te permets beaucoup de libertés, particulièrement quand il s'agit de m'adresser la parole. Nous ne pouvons pas discuter d'un tel sujet. Tu ne comprends pas nos problèmes et nos motivations et je ne te comprends pas non plus. Cet échange ne mènera à rien alors autant se taire de suite. Il faut accepter de rester à sa place par moment et de la fermer.
Mon ton est dur, glacial. Je veux que la discussion s'arrête ici si elle ne veut pas que j'use d'autres méthodes pour la faire taire. Mon regard se plante dans le sien, la fusillant sur place mais elle refuse de céder. Je ressens toute la puissance de son flux, elle est prête tout autant que moi à exploser et pourtant c'est un autre genre de tension qui prend le dessus.
Son flux ne cesse de m'appeler, de me supplier et cela la déstabilise. Mes douleurs s'envolent brutalement. Nos souffles effrénés se confondent, mon rythme cardiaque s'emballe. Sa main trahie sa nervosité quand ses lumières s'y logent. Ses doigts tremblent, bien qu'ils agrippent fermement le sofa.
Ma main gauche vient saisir le cuir du canapé. Elle se positionne juste en face de la sienne. Je resserre mon emprise, la matière grince sous ma force. Son flux prend plus d'ampleur et elle semble dépassée par la situation. Il faut que je prenne le contrôle, je ne dois pas la laisser prendre l'avantage sinon je serai foutu.
L'atmosphère s'est alourdie davantage. Elle soutient encore mon regard même quand ce dernier se fait plus insistant, plus pressant. Je sens les rênes de mes sentiments me glisser des doigts. Mon instinct est muselé par mon cœur en une fraction de seconde.
Asal est tendue, son souffle se fait court.
Ses lumières se jettent dans ses doigts quand les miens viennent effleurer la peau de ses mains. Mon visage se rapproche du sien, bien trop vite. Son flux continue de me presser. J'ai l'impression que toutes mes prothèses se mettent à vibrer.
Sans que je ne le contrôle mon instinct reprend brutalement les rênes et me pousse vers la porte, frôlant au passage le corps d'Asal. Je me retrouve dans le couloir comme totalement refroidi. La tension en moi redescend brutalement.
Je me précipite dans ma chambre. Je referme la porte derrière moi mais je reste collé contre cette dernière en tentant de reprendre mon souffle. La situation a failli m'échapper, en une fraction de seconde j'aurais pu tout faire basculer.
Je retourne me coucher, encore secoué.
**
La porte de la chambre de Thane s'ouvre brusquement. Le soldat se relève brutalement, sautant de son lit, prêt à se défendre. La silhouette qu'il reconnaît au pas de la porte était la dernière personne qu'il imaginait surgir en pleine nuit surtout après leur altercation.
Asal se tient au cadrant de la porte comme si elle allait tomber. Elle semble perdue. Thane se demande comment a fait la jeune femme pour trouver la porte de sa chambre et surtout combien de portes elle a poussé avant de trouver la bonne.
Le flux de la Kerausienne appelle Thane. Les lumières d'Asal s'agitent bien plus que devant le feu de cheminée. Elle prend le temps d'observer la chambre du soldat légèrement éclairée par quelques petites flammes émanant de morceaux de cire.
Elle n'est pas surprise, après tout, elle ne s'attendait pas à voir une chambre d'enfant. C'est bien une chambre de soldat, de prince qu'elle a devant les yeux. Un lit à baldaquin imposant recouvert de draps noirs et de fourrures, des armes perchées sur les murs, une armoire en bois foncé portant le symbole de la dynastie. Des tapis gris viennent encore charger l'ambiance de la chambre. Quelques bougies sont allumées, un long miroir en face du lit donne encore plus de dimension à la pièce. Le long manteau de Thane est pendu sur une chaise donnant l'impression qu'une ombre y est assise. De longs rideaux en soie viennent encadrer la grande baie vitrée. Thane veut s'approcher mais son instinct le clou sur place.
Asal semble chercher ses mots ce qui surprend Thane. Elle qui a toujours l'habitude des questions et discussions sans importance, pense-t-il.
- Je... commence-t-elle.
Thane parvient à faire un pas en avant. Un pas qui lui a coûté beaucoup. Il ne souhaite pas se mettre en danger mais ce qu'il s'est passé avec Asal dans le salon avait été si soudain et interrompu trop violemment à son goût.
- Je n'arrive pas à me rendormir... dit-elle.
Le Thumosien se retrouve désemparé face à la situation. Jamais il n'aurait pu prédire l'arrivée d'Asal dans sa chambre encore moins cette nuit après qu'il lui ait parlé comme un chien. Il n'arrive pas à cerner ce qu'elle recherche, si elle tente de se rapprocher ou si elle tente de l'amadouer. Mais ce ne serait pas son genre, du moins il ne la pense pas si fourbe. En revanche, lui aurait pu utiliser cette technique et il l'a déjà fait. User de ses charmes pour faire baisser la garde de son adversaire était l'une de ses spécialités.
Peut être en a-t-elle seulement assez de ne pas dormir et que la présence de Thane l'aiderait à trouver le sommeil ? Le soldat reste figé, ne sachant pas comment réagir. Son instinct ne lui laisse pas le contrôle de son corps. La tension en lui remonte en flèche.
Asal continue de le fixer, comme si elle voulait prendre sa revanche et pourtant son regard reste doux, enivrant. Son énergie continue de prendre de la puissance, elle irradie presque la pièce. Thane ne supporte plus ces sensations. Son instinct lâche brutalement les rênes de son corps et il se voit propulsé en avant pour rejoindre Asal sur le pas de la porte.
Il se retrouve face à elle, très proche, trop proche. Il est obligé d'abaisser son regard pour pouvoir soutenir celui d'Asal. Elle ne l'effraie pas et pourtant, le soldat a l'impression que ses jambes se secouent à un rythme effréné , que son corps tout entier est pris de tremblements. Il ne peut réprimer ses sentiments plus longtemps, son instinct de survie a déserté son corps. Son cœur a les pleins pouvoirs sur la situation. Il ne veut plus se battre, Asal l'a vaincu.
- J'ai peur de rester seule... souffle-t-elle.
Thane la jauge encore quelques secondes, tentant désespérément de percevoir le moindre signe de mensonge pour avoir la force de la repousser, de la jeter dans le couloir. Son sang bouillonne et cogne dans ses tempes. Son regard d'acier ne quitte plus la fille de la foudre. Il perd le contrôle sans même pouvoir lutter. Le prince abandonne les armes.
- Je refuse de te laisser passer la nuit seule... Je sais que tu as besoin de moi, murmure-t-il à quelques centimètres du visage de la jeune femme..
Le Thumosien attire Asal contre lui pour la faire entrer, lui faisant quitter le sol. Les mains de la jeune femme viennent s'engouffrer dans la chevelure du prince. Il referme la porte derrière eux, laissant le couloir vide. Pour la première fois depuis des mois, Thane ne passera pas la nuit seul.
**
Un grand sursaut me jette hors de mon lit. Je suis en sueur et je m'empresse de regarder mes draps. Personne. Je me laisse retombé sur ces derniers en soufflant. Mes mains glissent dans mes cheveux et je les saisis aussi fort que je le peux comme pour me réveiller, m'éclaircir les idées.
Mon corps frémit sous l'effet du stress. J'ai bien cru avoir cédé, avoir compromis mon accès au trône, avoir défié mon père.
Je doute alors et ne peux m'empêcher de sortir dans le couloir pour vérifier qu'Asal n'est pas sur le chemin de sa chambre, que je me sois réveillé trop tard pour réaliser l'erreur que j'ai commise. Il fait encore nuit, je ne risque pas de croiser mon père. Personne. Je souffle une nouvelle fois avant de me diriger vers la chambre d'Asal aussi discrètement et rapidement que je le peux. Mes jambes ont du mal à suivre le mouvement, encore tremblantes.
Je pousse délicatement la porte et je suis soulagé de voir qu'Asal ne s'y trouve pas. Avec un peu de chance elle est encore dans le salon où je l'ai laissée. Je reviens sur mes pas et franchis le seuil de la porte.
Son visage apaisé et son corps endormi me font redescendre sur terre. Un sentiment de soulagement m'envahit. Elle n'a pas bougé.
Je me frotte le visage ayant encore du mal à accepter ce que j'ai imaginé de toute pièce. Je m'approche doucement, sans faire un bruit et viens la recouvrir d'un des nombreux plaids posés sur l'accoudoir du sofa. Elle soupire doucement. Je ne peux réprimer un sourire.
Ma main vient repositionner une mèche de ses cheveux derrière son oreille et je viens m'asseoir à ses pieds. Je l'observe un long moment, détaillant son visage, avant de m'éclipser aussi silencieusement que je suis entré. Je regagne ma chambre pour tenter de terminer ma nuit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top