CHAPITRE TRENTE




ASAL


Je me réveille brusquement. Mes mains accrochent les draps. Je regarde autour de moi. J'ai l'impression de me retrouver comme au premier jour. Les machines auxquelles je suis reliée font un bruit insupportable. Je serre les dents. Comment a-t-il fait pour me ramener là ?! Je soupire et je me débranche de toutes ces technologies que je ne comprendrai jamais. Mon mouchard chauffe dans ma nuque jusque dans mes orteils. Mes lumières ont disparu...

Je fronce les sourcils et je tente de les appeler. Elles arrivent alors à une vitesse folle. Je souffle de soulagement. J'ai eu peur un court instant, je pensais que je n'avais plus aucune arme. Je me relève difficilement et je sors du lit.

Je manque de tomber mais je me rattrape sur une petite table qui se met à grincer sous mon poids. Je n'ai plus de force. De nombreux vertiges me font vaciller, la pièce tourne autour de moi. Des androïdes arrivent alors dans la chambre en catastrophe.

- Mademoiselle ! Retournez vous allonger ! Tout de suite, m'ordonne-t-ils.

- Laissez-moi ! crié-je.

Harry arrive derrière le petit groupe et leur demande de partir. Il tient une petite boîte dans ses mains. Il s'approche de moi et sors des petites pilules de sa boîte.

- Prends ça. Ce sont les seules que j'ai trouvé capable de te remettre sur pied.

Il se penche vers moi et me chuchote doucement :

- Asal. Reste forte et bats-toi jusqu'à la fin. Nous avons besoin de toi.

- Thane.., dis-je lève en levant les yeux vers l'androïde, il... Il est venu me chercher. Pourquoi ?

- J'ai longuement discuté avec lui. Il savait exactement où tu étais grâce à ton mouchard. Il a tenu à me parler juste après ton évasion. Il voulait aller te chercher.

- De quoi t'a-t-il parlé ?

- Tu le découvriras seule, quand ce sera le moment.

Harry m'aide à prendre les pilules et l'effet est presque immédiat. Je peux me redresser correctement. Les vertiges ont cessé. Je n'ai pas le temps de remercier l'androïde, il est déjà parti. Je regarde autour de moi et je n'avais pas remarqué que j'étais seulement vêtue d'une blouse bleue très fine. Je lève les yeux au ciel. Après tout, je n'en suis pas à ma dernière humiliation.

Je ne sais même pas si Hippias est revenu. Je ne pense pas, il m'aurait déjà rendu visite ou aurait exigé de me voir. Je sors de la pièce et je reconnais les longs couloirs blancs des sous-sols. Un grand air de nostalgie m'envahit. Jamais je n'avais imaginé que je vivrais tout cela le jour où je suis arrivée.

Je me dirige vers l'ascenseur et je croise deux gardes.

Ils me fixent mais ne réagissent pas. Leur attitude me perturbe et je marque un temps d'arrêt avant de monter dans l'ascenseur. J'appuie sur le bouton 0. Je vais aller m'habiller correctement et me changer les idées. J'arrive à l'étage demandé et je vais directement dans ma chambre pour enfiler une combinaison aux couleurs de Thumos, la porter ne me réjouit pas mais je n'ai plus le choix. Je démêle mes cheveux et les noue en une tresse. J'évite le miroir.

Je ne veux pas me voir. Mes pas me mènent alors vers la salle d'entraînement. Mon corps ne demande qu'une seule chose, se défouler. Je repense brusquement à la discussion que nous venons d'avoir avec Harry. Je ne comprends pas d'où vient ce petit esprit rebelle chez Harry ou même celui qu'avait Skepsi. Ils sont normalement programmés pour obéir, assemblés pour ne présenter aucune faille. Je fronce les sourcils en entrant dans l'immense pièce baignée de lumière.

Ils ne sont pas censés penser par eux mêmes. C'est pour cela que ces réactions me choquent. 

Je m'avance et contemple les armes. Je reste un instant là, à les fixer avec fascination. C'est un grand paradoxe : détester les armes et pourtant être fascinée par ces dernières.

La porte claque derrière moi. Je me retourne vivement pour faire face à l'intrus qui vient de pénétrer dans la salle. Encore lui. Je sature, le fait de le voir tous les jours me mets hors de moi. Je l'observe, il ferme la pièce à clé. Un sentiment d'insécurité me fait à présent tressaillir. Je ne parviens pas à réprimer ces secousses. Il jette la clé plus loin. Il sort le boîtier, celui que j'avais enterré, de sa poche.

- Comment tu l'as trouvé ? demandé-je sous le choc.

Je tente de conserver une attitude calme.

- C'était simple. Il est équipé d'une puce qui donne sa localisation exacte. Comme ton mouchard.

Son expression de l'autre jour à totalement disparu. Il est détendu certes mais j'ai bien l'impression que ce dédain dans ses yeux ne trahisse la colère qui l'envahit. Un fourreau est accroché à sa ceinture mais aucune épée n'est à l'intérieur. Je ne comprends pas. Il me sourit alors. Thane se rapproche rapidement.

- Ne me touche pas, hurlé-je, tu es un monstre ! Incapable d'avoir une once de sympathie ou de pitié. Tu es un animal qui ne mérite pas l'attention qu'on te porte. Tu es aussi immonde que ton père. Tu me répugnes. Tu me dégouttes.

Il se poste face à moi, son regard se plante dans le mien. Il reste silencieux mais mes paroles semblent l'avoir déstabilisé. J'essaye de ne pas paraître impressionnée, d'être sur le point de me liquéfier. Je poursuis :

- Je voudrais qu'il te soit encore possible de changer mais tu es pourri et corrompu jusqu'à l'os. Tu respires l'orgueil et la méchanceté, la folie. Je réussirai à te tuer, toi et ton père.

Il appuie sur le boîtier et le broie en quelques secondes en continuant d'accrocher mon regard. Sa main de carbone est surpuissante. Mon mouchard ne me brûle plus et je sens une vague d'énergie électrique me saisir. Mes lumières me tirent encore une fois vers lui, elles me font souffrir à leur tour. Je ne veux pas céder. Mon flux me pousse vers le danger. Je ne pensais pas que c'était possible. Je ne pensais pas qu'il pouvait me trahir... Thane reste planté devant moi. Je ne vacille pas quand il fronce les sourcils, ni quand un sourire plus large étire ses lèvres. Il semble se délecter de la situation.

- Vas-y, dit-il. Tue-moi sur le champ alors. La mort ne m'effraie pas, contrairement à toi. Je t'en prie, assouvis ta soif de vengeance. Deviens comme nous, des tueurs. 

Il marque une pose avant d'ajouter :

- Je ne suis pas ton véritable ennemi Asal.

Je laisse monter la tension électrique en moi, mes lumières se regroupent vers mes mains. Elles sont les plus proches du soldat. Je serre les dents. Je peux le tuer, je le peux. Maintenant et ce sera un de moins. Son père ne sera pas affecté par sa perte. Je dois le tuer, de suite.

Pourquoi je réfléchis ? Mon corps peut se décharger de sa douleur et le tuer en quelques secondes. J'ouvre lentement les doigts. Je garde les yeux rivés sur lui.

Je laisse aller mon énergie mais elle ne s'évacue pas. Elle reste bloquée dans mes mains. Elles me supplient juste de m'avancer vers Thane. Il semble surpris lui aussi. J'écarquille les yeux et je me mets à trembler comme une feuille. Je n'arrive pas y croire. Je n'ai plus le contrôle de mon énergie. Elle refuse de m'obéir. Mes poings se serrent sans que je le commande. Pourquoi ?! Mais pourquoi je ne peux plus rien faire contre lui ?!

- Je ne peux pas ! Je n'y arrive pas ! continué-je de crier. Qu'est-ce que tu m'as fait ?! Pourquoi vous me faites autant souffrir ?! Qu'est-ce que j'ai fait pour subir toutes ces choses ?

Thane ne me répond pas, il se contente de me regarder. Je lui saute dessus et je le frappe de toutes mes forces. Il vient m'attraper les deux poignets, il les serre légèrement et m'empêche de le marteler de coups. Le prince reste calme mais je n'arrive pas à me contenir. Je ne comprends rien. Je suis simplement écœurée de ne plus rien contrôler. Je suis à bout.

- Pourquoi ton père veut me détruire comme il a détruit ta famille ?! hurlé-je encore.

Je me rends compte alors de ce que je viens de dire. Ma pression redescend immédiatement quand je vois le visage de Thane se déformer brutalement sous la colère et la rage. Il me pousse en arrière, gardant dans ses mains mes poignets. Il me fait reculer brusquement jusqu'à me bloquer contre la porte fermée. Mes lumières ne me font plus souffrir. Elles restent bloquées sous les mains du soldat.

Il me lâche seulement quelques secondes pour sortir un petit couteau de sa poche. L'une de ses mains le tient et l'autre, celle en carbone me saisit la gorge fermement. Il serre et j'essaye de me débattre. Ma trachée et mon oesophage semblent être déchiquetés par la puissance de l'emprise. C'est une douleur insoutenable, je ne peux même pas crier. Je sens la lame appuyer sur ma hanche mais il ne l'enfonce pas.

Mon rêve me revient alors à l'esprit. C'était un rêve prémonitoire alors ? C'était une alerte ? Il serre davantage, son couteau appuie un peu plus. Je manque d'air, je ne sens plus mes jambes, ma pression sanguine augmente et ma tête est sur le point d'exploser. Je me mets à pleurer et j'ai la encore la force de dire son nom.

- Thane...

Ma voix est faible et étouffée. Il desserre considérablement son emprise. Je continue :

- Vas-y, tue-moi comme tu le veux depuis le début. Tu m'as menti. Tu veux me tuer depuis que je suis arrivée. Parce que tu as vu ce qu'était le réel amour pour sa famille. C'est ça que tu as vu chez mes semblables : de l'amour sincère et profond. Tu ne l'as pas connu, tu ne le connais pas et tu ne le connaîtras jamais.

- Je... balbutie-t-il, décontenancé. D'où te permets-tu de me parler de cette façon ?

Il lâche ma gorge avant de poursuivre :

- Mon père m'a toujours apporté ce dont j'avais besoin, il a pris soin de nous.

- En tuant ta mère, tes frère et ta sœur ? rétorqué-je.

- N'en dis pas plus. Tais-toi. Je ne tolérerai pas que de telles accusations sortent de ta bouche, défend-t-il, à présent en colère.

- Ta mère et ta sœur étaient en alliance avec les rebelles. Tes frères aussi, tous ont été pendus. Toi, dis-je en le regardant avec sincérité, tu étais trop jeune et très influençable. Il était facile de te reconstruire à son image.

Le fils d'Hippias me repousse. Il range son couteau et se recule de quelques centimètres pour instaurer une plus grande distance entre nous. Mes lumières le réclament de nouveau.

Il semble perdu à présent, partagé entre les idées de son père et ces révélations que je viens de lui faire. Je ne sais pas si à cet instant je suis crédible à ses yeux. Honnêtement, au fond de moi, je n'y crois pas.

Toutes ces années d'endoctrinement sont difficiles à effacer. Je comprends alors mon flux qui veut aller vers Thane. Je dois l'aider. Je dois le sauver. Tous ces signes. Non c'est impossible. Impossible que je ressente de la pitié pour ce prince, ce n'est même pas concevable que je veuille le sauver. Est-ce vraiment de la pitié ? Je sais très bien que je hais ce soldat plus que tout au monde et pourtant, il réussit à me fasciner... Avant de franchir le pas de la porte, il me regarde une dernière fois.

- C'est la dernière fois que je t'entends émettre ce genre de propos. Je ne veux plus jamais en entendre parler, tu me pousserais à faire des choses que je pourrais regretter.

Il s'éclipse sur ses mots. Mon flux me tire vers la sortie pour que je puisse le retrouver mais je le muselle une nouvelle fois. Il est hors de question que je me lance à sa poursuite, pas maintenant.

Thane est une âme déchirée. Il est manipulé depuis son plus jeune âge, programmé pour tuer et être tué dans le futur... Je ne veux pas le compter parmi les victimes de ce tyran parce qu'après tout, il vaut peut être la peine d'être sauvé.

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