CHAPITRE SIX




Le soldat Kraśt et son équipe arrivent à la surface. La peau foncée du soldat est couverte de sueur et de poussière. Les rayons écrasant du soleil venant de se lever le dévorent presque sur place. Du revers de la main, il essuie son front trempé.

Ley et Drÿst peinent à reprendre leur souffle. Leur supérieur s'approche d'eux et vient les féliciter pour leur courage avec une accolade un peu trop brusque à leur goût.

- Bienvenus parmi nous, annonce Kraśt. Bravo d'avoir tenu bon pour cette mission.

Les deux jeunes le remercient, n'osant croire à tout ce qu'ils viennent de vivre, de voir dans le gouffre. Leurs jambes chancelantes les empêchent de marcher aussi vite qu'ils le voudraient pour rejoindre leur vaisseau.

Ils aperçoivent au loin le deuxième groupe de soldats ramener le sac mortuaire contenant le corps de Thane vers l'hovercraft du roi.
Ils ne veulent pas s'attarder une seconde de plus et décident de monter à bord du petit vaisseau qui les a amené. Une fois assis sur leur siège, Drÿst fond davantage en larmes. Ley, lui, ne cesse de remercier les dieux d'être sorti vivant de cette épreuve.
Les deux plus vieux compagnons les rejoignent et ne peuvent retenir leurs ricanements.

- Vous n'avez pas fini de pleurer et de prier, dit le plus grand.

Malgré leurs moqueries, les deux soldats gardent un regard chargé d'empathie envers les deux plus jeunes. Ils savent. Ils savent que rien n'est facile, que plus rien ne le sera, plus jamais. Ils savent que la vie de Ley et Drÿst va devenir une véritable torture mais la promesse de protection annoncée par Hippias est bien trop importante pour eux, pour la survie de leur famille respective. Faire partie de l'armée du roi représente une protection, une bénédiction qui assure leur survie. Du moins, c'est ce que tous les soldats espèrent.

La tactique d'Hippias a été redoutable : mettre en danger la population en lançant des attaques succinctes aux quatre coins de la planète, annoncer un serment de protection pour tous ceux qui s'engagent dans l'armée pour rameuter le plus d'hommes possible. En seulement quelques heures le nombre de recrue a triplé. Hippias s'est retrouvé à la tête de la plus grande armée de la galaxie avec plus de quatre-vingt-pour-cent des Thumosiens (hommes d'âge mur) présents dans les rangs. Effrayés par l'idée de perdre leur famille, leurs biens, leur maison ils ont été forcés de rejoindre les soldats du roi.

- Je suis Zeka, poursuit le plus grand.

- Mon nom est Sabëy, finit par dire celui dont la barbe est déjà parsemée de poils blancs. Nous sommes dans l'armée depuis plus de dix ans.

Drÿst et Ley échangent un regard, perplexes. Les deux compères finissent par hocher la tête pour saluer leurs aînés.

- Bienvenus en enfer, déclarent Zeka et Sabëy en chœur.



À quelques mètres de là, Hippias descend de son hovercraft. L'air chaud vient brûler ses chairs encore fragiles. Le sable soulevé par l'ouverture du pont avant lui cisaille les mains. L'une est fermement accrochée à son sceptre, l'autre perchée au-dessus de ses yeux pour ne pas être aveuglé.

Il voit le groupe de soldats ramener le corps de son fils. Le preÿi marque un moment d'arrêt, déçu, dégoûté de faire revenir celui qui pourrait le détruire mais la soif de pouvoir, de conquête surpasse ses inquiétudes. Son royaume pourra être immense, infini. Il régnera sur chaque être vivant de cette galaxie.

Les bottes d'Hippias foulent le sable chaud. Les hommes en armure viennent déposer délicatement le sac mortuaire à ses pieds et reculent de quelques pas.

- À votre service preÿi, récitent-ils à l'unisson.

D'un geste de la main, il les congédie. Le groupe se dépêche de rejoindre leur petit vaisseau. Le soldat Kraśt s'avance vers son roi. Hippias lève les yeux vers son homme.

- L'avez-vous retrouvé entier ? demande le preÿi.

- Il est entier, oui. Très amoché, mais tout est là, répond un peu trop sèchement Kraśt.

Un rictus remue la bouche du roi. Il se fige un instant, empoignant un peu plus fort son sceptre.

- Je vois que vous n'êtes pas ravi d'avoir servi votre roi, annonce Hippias.

- Ce genre de mission n'était pas censée être attribuée à l'un de vos soldats. J'ai bien failli perdre les deux jeunes, complètement paralysés par la peur.

- Et bien... je ne pense pas avoir demandé votre avis sur la question.

Les yeux d'Hippias glissent vers l'écusson du soldat.

- Kraśt. C'est bien votre nom ?

- Affirmatif.

- Je vous ai confié cette mission parce que vous êtes notre plus efficace recrue. Du moins, la recrue la plus performante de l'armée déployée aux abords d'Ares. Ne me faites pas regretter de vous avoir élevé si haut Kraśt. Votre rang peut vous être retiré aussi vite que vous l'avez obtenu. J'ai appris récemment que votre femme avait donné naissance à un garçon ?

Les muscles de Kraśt se raidissent. Il lutte pour ne pas serrer les poings. Toucher la corde sensible, voilà la prédilection de son roi. Effrayer pour mieux soumettre. Les cheveux noirs et bouclés du général sont trempés de sueur, ils collent à ses tempes. Son cœur se serre.

Hippias semble se délecter de la situation. Un large sourire étire ses lèvres. Il sonde de son regard froid le soldat en face de lui.

- J'ai ramené le gamin...rétorque Kraśt amèrement.

Le roi coupe son soldat en levant son sceptre. Il arrête de parler immédiatement.

- Faites votre travail Kraśt et je ne toucherai pas à un seul cheveux de votre famille.

Hippias vient frapper la tête de son serviteur à l'aide de son sceptre. Kraśt est sonné quelques secondes. Il n'a pas vu le coup venir. Il manque de perdre l'équilibre. Sa main vient se plaquer contre sa tempe. Il retient un grognement de colère.

- Pour avoir manqué de respect à votre preÿi et votre prince. Un homme, un garçon même mort ne doit pas perdre votre respect. Maintenant, déguerpissez avant que votre bouche ne vous trahisse de nouveau.

Kraśt ne se fatigue pas à donner une quelconque réponse ni à saluer son roi. Il tourne les talons. Sa tête menace d'exploser, le coup résonne dans tout son crâne. Les rayons du soleil lui donnent la nausée. Il rejoint ses compagnons et le petit vaisseau quitte le sol pour rejoindre les baraquements des soldats.

Le médecin descend à son tour de l'hovercraft pour récupérer le sac mortuaire avec l'aide du conseiller.

- Nous devons l'embarquer au plus vite, annonce le chirurgien.

- Obihas nous attend déjà, ajoute le conseiller.

- Vous nous faites venir sur une planète en pleine guerre civile ? demande le médecin.

Hippias remonte dans le vaisseau et prend place aux côtés du pilote.

- Les gens se rebellent seulement contre leur dirigeant actuel. Nous ne risquons rien. Personne n'est au courant de notre venue. Ce n'est pas pour rien que nous avons pris un hovercraft plus discret.

- Nous avons une alliance avec Bïsto, son peuple nous associe à lui. Si nous posons nos vaisseaux sur les terres d'Obihas nous serons submergés par les rebelles, s'inquiète le médecin.

- Assez ! s'écrie Hippias, agacé par la tournure de la discussion entre ses deux hommes. Vous êtes un chirurgien, pas un homme politique alors cessez. Je ne vous ai pas engagé pour faire une quelconque leçon de morale sur la gestion de cette crise !

L'hovercraft décolle sur ces mots, prenant la direction de la planète Obihas. Planète à feu et à sang depuis des années. Sous le régime de Bïsto, fidèle partisan du roi Thumosien. Les rebelles et la majorité des habitants appellent à une démocratie, un système plus juste, à des élections. Ils veulent avoir le choix. Le temps de Bïsto est compté.

**

L'hovercraft se pose derrière la grande demeure du dirigeant d'Obihas. Des dizaines de médecins se jettent à l'extérieur de cette dernière pour prendre en charge le corps de Thane. De nombreuses explosions retentissent. Bïsto sort de ses appartements à la rencontre d'Hippias.

- Ce n'est pas le meilleur moment pour venir sur ma planète ressusciter un mort... annonce-t-il.

Hippias avait oublié le visage de son collaborateur. Une peau couleur caramel, des cheveux courts pourtant très frisés, des cheveux bruns tirant sur le noir. Un regard d'ambre impitoyable cerné par un trait de crayon noir. Des tatouages couvrent l'entièreté de ses bras. Un visage carré, des traits durcis par la vie difficile qu'a mené l'homme.

Bïsto n'est pas originaire de cette planète. Il est né sur Voìst. Une planète glacée, presque totalement submergée par un océan déchaîné. Ses parents étaient chasseurs de phoques et d'orques. Il a toujours vécu dans la misère, sans ses parents qui étaient toujours sur un traîneau ou un navire pour tenter de ramener quelques pièces pour nourrir leur fils et leurs six autres enfants.

Très rapidement placé dans un orphelinat après le naufrage du chalutier de ses parents, il a été séparé de ses frères et sœurs. Il n'a jamais trouvé sa place parmi les autres enfants. Il n'a jamais trouvé faveur aux yeux des nourrices. Après tout, il était fils de simples chasseurs considérés comme de véritables pirates.

Élevé par la solitude, ce sentiment d'errance a vite fait place à de la jalousie, de l'envie, de la rage. Hippias ne sait toujours pas comment le jeune homme de l'époque avait pu prendre contact avec lui alors qu'il venait seulement d'accéder au trône.

Hippias l'avait alors nommé dirigeant d'Obihas qui avait été vaincue deux ans avant la mort de son propre père. Bïsto s'est vite démarqué, régnant avec force sur la planète qu'on lui avait confiée. Il est très vite devenu le reflet du Thumosien : glacial, sans pitié, féroce, impitoyable. Il n'a jamais failli, ne s'est jamais rebellé.

Le Voìstien a pris sa revanche contre tous ceux qui l'avaient mal mené en déclenchant une guerre contre sa planète mère, celle qui l'avait vu naître. Une guerre sanglante qui n'a duré qu'une seule semaine. Il avait ordonné de larguer des bombes sur l'orphelinat, d'exécuter toutes les nourrices, d'exterminer jusqu'au dernier ceux qui osaient s'opposer à sa souveraineté, tous ceux qui osaient lui faire front. Voìst lui appartenait.

- Il en va de notre survie, murmure Hippias. Nous devons sauver ce garçon pour assurer notre souveraineté. Nous ne pouvons gagner sans lui.

- Je pensais que nous attendions une fille de la foudre, rétorque Bïsto en se frottant la mâchoire.

- L'un ne va pas sans l'autre. Mon conseiller t'a fait parvenir la prophétie. Ne fais pas l'étonné, tu savais très bien ce qui allait se passer, répond le Thumosien froidement.

Le gouverneur d'Obihas s'incline légèrement.

- Évidemment. Nous devons faire vite, je ne sais pas combien de temps mes armées vont pouvoir retenir les rebelles hors de mes quartiers.

Hippias jauge l'homme face à lui, ses yeux le détaillant de haut en bas.

- Cela dépend de tes médecins. Tout l'avenir de la galaxie repose sur eux.

**

Des dizaines de médecins sont penchés sur le corps détruit de Thane. Le krievsk fait une entrée fracassante, les bras chargés d'inventions. Il est en retard comme à son habitude mais un personnage aussi essentiel peut se permettre n'importe quoi. Il sait très bien qu'Hippias ne peut rien contre lui tant qu'il lui est utile.

- Voilà tout ce que j'ai pu trouvé, tout ce qui pourrait aider à reconstruire le petit, annonce-t-il.

- Comment avez-vous pu ramener toutes ces choses en ne sachant même pas ce dont nous allions avoir besoin ? demande l'un des médecins Obihens.

Le krievsk ricane.

- Le médecin Thumosien a vu l'état du corps. J'ai juste eu le temps de passer à mon atelier avant que l'on ne vienne me chercher. Disons que question réparation d'un corps meurtri je pense m'y connaître un peu plus... il ne s'agit pas juste de refermer une plaie, de retirer une tumeur...

L'ingénieur se dirige vers la table d'opération, à mesure qu'il se rapproche sa voix baisse en intensité.

- On parle ici d'une reconstruction totale, de nouvelles fondations, un re façonnage complet d'un être...

Il observe avec attention le corps de Thane.

- En un seul coup d'œil, je peux aisément vous dire toutes les pièces dont vous aurez besoin pour ramener ce garçon à la vie. Après tout, c'est moi l'ingénieur... pour un chantier de cette envergure vous allez avoir besoin de moi...

L'homme aux cheveux d'argent pique les gants de l'un des médecins posté juste à côté de lui. Ses doigts viennent se poser sur la peau ravagée du garçon. Il observe, ose explorer tous les recoins du corps. Les médecins veulent intervenir mais le krievsk les stoppe dans leur élan en reprenant la parole.

- Le visage pourra être sauvé, il gardera une grande cicatrice jusque sur sa clavicule. Trois côtes devront être remplacées par du carbone, la colonne vertébrale également, dans son entièreté. Son bassin, ses rotules, ses tibias aussi.

Il écarte prudemment la cage thoracique du prince.

- Le cœur également. Vous aurez entre les mains mon premier prototype.

- Comment remplacer les autres organes, il s'est vidé de tout son sang, les organes sont trop endommagés. Je doute que l'on puisse réellement sauver ce garçon, réplique un autre chirurgien.

- Je pensais que vous étiez les soignants les plus performants de notre univers.

- Nous sommes médecins, pas des Dieux, répond froidement le médecin en chef.

Le krievsk lâche un nouveau ricanement.

- Alors vous serez sous mes ordres pour ramener ce garçon.

La tension dans la salle est montée d'un cran, tous les chirurgiens sont stupéfaits de l'audace de l'ingénieur.

- Pourquoi ne pas être resté sur votre planète alors, siffle le plus jeune d'entre eux.

- Parce que je vais avoir besoin de dizaines de mains qui ne tremblent pas, de dizaines de paires d'yeux avisés, des connaisseurs de la biologie humaine...

Le krievsk n'obtient aucune réponse. Il poursuit :

- Nous n'avons plus beaucoup de temps. Retirez les organes endommagés et plongez-les dans le liquide que je vous ai ramené dans le bidon orange. Vous les retirerez une heure après, vous placerez le cerveau sous électrode et le choquerez plusieurs fois après avoir remplacé le liquide céphalo-rachidien par le liquide que je viens de vous indiquer. Une autre équipe devra m'aider à changer toutes les pièces défaillantes du corps, me donner les outils nécessaires. Pour le sang, allez chercher le pilote de mon vaisseau. Il vous donnera accès à la réserve frigorifiée de l'hovercraft. Prenez toutes les poches présentes, seulement quand je vous le dirai.

Le médecin Thumosien veut intervenir mais le krievsk lui coupe immédiatement la parole.

- Vous vous sentez inutile n'est-ce pas ? Et bien prenez des notes, asseyez vous. Après tout, vous avez encore beaucoup à apprendre... Savoir remplacer la moitié d'un visage ne sera pas suffisant vous savez...

- De quels droits oses-tu me parler de cette façon ?! rétorque le Thumosien.

L'ingénieur vient se poster face au soignant.

- Écoutez-moi bien. J'ai des centaines d'androïdes à mon actif. Des centaines d'humains changés en robots. Vous pensez vraiment que vous êtes à la hauteur pour me faire ne serait-ce qu'une seule leçon ? Je vous donne l'opportunité de ne pas vous faire ridiculiser aux yeux d'Hippias en vous permettant de rester ici le temps de l'opération. Alors asseyez-vous ou vous verrez que mes relations avec Hippias sont bien plus solides que les vôtres.

Le visage du médecin est livide. Ses lèvres tremblent. Il tente de baragouiner une réponse mais les mains de l'ingénieur viennent se poser fermement sur ses épaules. Il le fait s'asseoir sur une chaise, le jetant presque sur son siège.

Le krievsk se redresse et lève les yeux vers ses camarades.

- Que l'on commence à nettoyer le corps et préparer les greffes de peau. Il est temps de ramener ce garçon parmi nous.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top