CHAPITRE SEIZE
ASAL
Je me réveille. Mon mal de crâne étouffe toujours mes pensées. Je voudrais bouger mais bien vite je me rends compte que mon corps est attaché à un couchage. J'ouvre difficilement les yeux. Une lumière puissante inonde la pièce et m'aveugle.
Un certain moment passe avant que je ne puisse m'accoutumer à la luminosité. Je me repère lentement. Je suis branchée à des appareils, à des poches. Une dizaine de sangles me cloue sur le matelas. La chambre dans laquelle je me trouve est blanche. Oui, blanche et seulement blanche. Tout est blanc du sol au plafond, il n'y a que mon lit et quelques machines visiblement. Je n'y vois rien d'autre et tourner la tête me fait trop souffrir.
Mon seul souhait est de sortir d'ici et que l'on me détache, que l'on me libère. Je tente d'appeler mon flux électrique mais rien ne vient, mon corps est certainement trop faible. Je ne remarque que quelques pâles lumières danser sous ma peau dans un rythme lent. Elles ont l'air perdues, angoissées, terrorisées, tout comme moi dans cet environnement totalement étranger.
Je peine à réfléchir et à penser correctement, à essayer de me remémorer ce qu'il vient de se passer. Apparemment, ils ne sont pas prêts de me laisser perdre la vie sinon, pourquoi me soigner ? Pourquoi me garder auprès d'eux ? Pourquoi m'attacher pour éviter que je ne m'échappe ? J'essaye de me débattre et immédiatement les machines auxquelles je suis reliée s'affolent et se mettent à sonner. Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Je suis assommée encore une fois par les liquides que l'on m'injecte. Mes yeux se ferment et je n'ai ni la force de bouger, ni la force d'essayer de comprendre .
J'entends pourtant la porte de la pièce s'ouvrir, des pas frapper le sol. La même démarche que celle du médecin mais plus lourde. Les chaussures crissent contre le sol. Ma mâchoire se serre à l'instant où l'on retire certaines aiguilles pour m'en rajouter ensuite. Elles sont glacées. On touche ma jambe blessée et instinctivement un frémissement la fait trembler. Je grimace. J'ai toujours aussi mal. On appuie sur ma nuque. Je tressaille une nouvelle fois. Je voudrais résister mais les machines envoient une nouvelle dose de produits. Mon corps s'affaisse contre le lit, les sangles semblent se resserrer, les draps m'étouffent, ma tête paraît peser son triple contre l'oreiller. Je me sens alors de nouveau partir, un nouveau sentiment de soulagement, de bien-être.
**
Le violent claquement d'une porte me tire brusquement de mon sommeil. J'ouvre les yeux et tente de me redresser mais je suis toujours bloquée contre mon lit. Je n'ai plus aucune perfusion mais l'on m'a laissée attachée à mon couchage. Je souffle. Les sangles empêchent presque mon sang de circuler correctement. Elles brûlent ma peau, compressent ma cage thoracique. J'ai l'impression de manquer d'air.
Je lève les yeux vers le plafond, un velux. Serait-ce de là que vient cette lumière qui vous agresse les pupilles ? Je soupire. Qu'est-ce que je fais ici ? J'ai été blessée, on a voulu me tuer, on m'a sauvée - enfin si on peut qualifier cela de sauvetage -, j'ai été jetée en prison je ne sais combien de temps. J'ai subi des opérations, on m'a droguée au moins deux fois pour éviter que je sois trop virulente et que je reste calme. Un magnifique résumé d'une vie totalement minable, d'une vie gâchée, détruite, une vie qui ne sera plus jamais la même.
La porte s'ouvre et une femme entre. Je tourne la tête avec difficulté vers elle, le visage déformé par la colère. Elle s'approche de moi et me salue d'un hochement de tête. Elle a la même démarche que le médecin, les cheveux d'un roux flamboyant et l'une de ses oreilles est une prothèse en carbone. Je la fixe mais ne parvient pas à détailler son visage plus que cela.
- Je suis Skepsi, me dit-elle calmement, enchantée de faire ta connaissance Asal.
- Comment connaissez vous mon nom ?! lui demandé-je, surprise.
Elle ne me répond pas. Je m'agite. Skepsi vient alors me détacher de mon lit. Je veux me redresser à l'instant où les sangles me libèrent mais des vertiges me rappellent à l'ordre. Je retombe sur le matelas. Mon crâne heurte le coussin, un véritable coup de massue. Je suis contrainte de fermer les yeux un moment. Elle se met alors à rire et je penche légèrement la tête sur le côté, ses gestes sont... Ils ne sont pas naturels. Ses mouvements sont plus saccadés que la normale, son visage est plus coincé, plus figé. Skepsi remarque rapidement que je me questionne à son sujet. Elle se penche pour m'aider à me relever. Ses gestes sont précis et très doux.
- Je suis une androïde, murmure-t-elle, je suis ici pour t'aider à te remettre en forme. Il est vrai que je suis un peu différente mais rien ne t'empêche de me faire confiance. Je suis disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tu peux m'appeler au moindre problème. On m'a chargée de m'occuper de toi et de te soutenir jusqu'à que tu ailles mieux et que tu puisses te gérer seule.
- Une quoi ? la questionné-je.
- Un robot si tu préfères, me dit-elle en souriant, je suis programmée pour te rendre service. Je possède une apparence humaine mais je suis en réalité une « machine ».
Skepsi m'aide donc à me lever. Je vacille mais elle reste à mes côtés, ses mains froides me soutiennent. Je la remercie un peu sèchement et après de longues minutes, elle m'amène jusqu'à une salle de bain. Elle se trouve à l'extérieur de la chambre. L'androïde a tout préparé : des vêtements, des produits de toilettes... J'ai un léger mouvement de recul.
- Pourquoi tout cela ?
- Je dois te préparer pour quelque chose de spécial, me dit-elle, tu verras bien. Je serai de retour dans trente minutes pour t'aider. Attention aux vertiges.
Elle sort de la salle de bain sur ces mots et je boitille jusqu'à la douche. Je laisse couler de l'eau chaude, presque bouillante. Je me débarrasse de la crasse sur ma peau, du sang et de la terre sous mes ongles. Je lave mes cheveux avec soin. J'essaye de profiter un maximum de cette douche et de sa chaleur. Le seul moment de répit où je me sens presque libre. Libérée de toutes ces angoisses.
Mes muscles se détendent, cette sensation est presque douloureuse, ils étaient sous tension depuis bien trop longtemps. L'énergie se réveille instantanément. Elle ne trouve pas assez de force pour jaillir hors de moi mais elle est toujours bien présente et cette idée me rassure. Skepsi me rejoint ensuite quand j'ai terminé. Elle resserre le nœud de mon peignoir en me souriant et glisse son bras sous le mien pour me soutenir.
L'androïde me conduit ensuite dans une nouvelle pièce et je découvre de longs couloirs aussi blancs que ma chambre, des dizaines de portes se présentent. J'ai vraiment l'impression d'être dans un hôpital. Non. Dans un asile. C'est sûrement cela, on m'a amené chez les fous. Forcément, on y met des robots pour éviter de perdre des hommes en chair et en os. Les individus derrière ces portes doivent être très dangereux. Peut-être ont-ils déjà tué ? Je ne crois pas être folle pourtant. Je n'ai pas divagué depuis que je suis ici. Enfin je ne pense pas. Mais pourquoi m'avoir amené ici ? Non. C'est impossible, je ne suis pas dans un hôpital psychiatrique...
Nous arrivons dans une grande pièce blanche. Elle est beaucoup plus grande que ma chambre, moins oppressante. Pourtant, je ne m'y sens toujours pas à l'aise. Totalement perdue, j'éprouve des difficultés pour me détendre et essayer de comprendre la situation. Dans cette salle, de nombreuses armoires débordent de vêtements. De chaque côté, et placées au centre, d'immenses coiffeuses. La salle paraît pourtant vide, il n'y a que ce mobilier et rien d'autre. Aucune fenêtre. Le sol est aussi blanc que les murs. Tout est impeccable, aucune trace qui viendrait tâcher la pièce. Cet établissement doit être incroyablement aseptisé. C'est vrai, tout est blanc et aucune poussière, aucune marque de chaussures sales ne viennent salir l'environnement, rien.
Elle me fait asseoir sur une chaise face au miroir de la coiffeuse noire. C'est la première fois que je me vois depuis l'attaque. Une vision d'horreur tout simplement. Mes yeux sont cernés de noir, ils sont rougis, injectés de sang, mes joues sont creusées, mes lèvres sont bleuies et crevassées, ma peau a perdu de son éclat, j'ai l'impression que mes tâches de rousseurs disparaissent. Des bleus recouvrent mon cou, mon buste, mes mains, mon regard est vidé de toute émotion, un air résigné surplombe mon visage.
- Depuis quand suis-je ici, demandé-je, les yeux absorbés par l'image qui m'est reflétée.
- Tu es ici depuis quatre semaines déjà, déclare Skepsi.
- Quatre semaines?!
- Oui. Le temps passe vite, me dit-elle calmement en démêlant mes cheveux.
Quatre semaines. Quatre foutues semaines. Tout ce temps perdu.
- Pourquoi suis-je dans cet état ? Pourquoi ai-je encore des bleus alors que l'attaque date de plus de quatre semaines ? la questionné-je.
- Ton corps est particulièrement choqué par ces nombreux événements, ton système immunitaire est à plat, il n'arrive pas à passer au-dessus. C'est pour cette raison qu'un coma artificiel était nécessaire pour te permettre de te reconstruire progressivement. Tu viens tout juste d'en sortir alors sois patiente. Tu seras bientôt guérie.
- Où sommes-nous ?
Skepsi ne me répond pas. Elle s'occupe de moi pendant deux bonnes heures. Elle me crème, me masse, désinfecte les quelques plaies qu'il me reste sur le corps, coiffe mes cheveux en une tresse. Elle me maquille, sûrement pour essayer de « rattraper » mon visage et tenter d'être plus présentable.
Des questions sans réponse, c'est tout ce que j'ai pendant ces heures avec l'androïde. Je ne sais pas si elle daignera me répondre un jour mais je finirai par le découvrir, seule, ou du moins j'essayerai. L'énergie en moi gagne peu à peu en puissance et mes idées s'éclaircissent, mon esprit demande toujours plus d'explications et d'indices sur ce qu'il s'est réellement passé ces dernières semaines. Je suis enfin prête vers la fin de l'après-midi. Skepsi m'a donné l'heure : 18H30 .
Skepsi me fait enfiler une tunique noire et rouge aux coutures argentées, elle ressemble beaucoup à une combinaison. Le tissu enferme ma peau et une sensation de malaise m'envahit. Il fait pression sur mes bleus et la fermeture éclair est glacée. Le contact du métal sur ma colonne vertébrale me scie presque la peau. Je peux sentir chaque couture. Je fronce les sourcils en me regardant dans le miroir. Pourquoi cette tenue ? Je me résous à ne pas poser la question. Je n'aurai pas de réponse de toute façon. L'androïde me sourit, son calme m'agace presque. Nous nous dirigeons vers un ascenseur.
Un soldat habillé d'une armure et d'un casque nous attend devant. A-t-il peur que je l'attaque ? Je ne pourrais rien faire. La force me manque contrairement à la volonté. J'entre dans la cabine avec l'homme, laissant Skepsi derrière moi. Les portes se referment sur son éternel sourire et nous montons alors des centaines d'étages en quelques secondes. Je les vois défiler sur le compteur de la machine à une vitesse folle. Les portes s'ouvrent à l'étage 0. L'étage zéro ? J'étais dans les sous-sol ? Alors ce n'était pas un velux dans ma chambre ? D'où venait cette lumière alors ? Très certainement d'éclairage artificiel... J'étais pourtant certaine d'avoir pu observer le ciel...
L'homme me prend par le bras et je sursaute. Il reste de marbre et nous traversons un dédale de couloirs étroits dans lesquels nos pas résonnent. Je compte quinze portes, huit à droite et sept à gauche. Le sol est en béton et les murs sont envahis de tableaux, de paysages, de portraits, d'animaux, des scènes de combat, je reconnais quelques personnes de la mythologie. La chaleur y est pesante, rendant presque l'air irrespirable... C'est insupportable.
**
Nous arrivons finalement dans une immense pièce. En son centre se trouve une table imposante avec un long plateau en verre. Elle est entourée d'une dizaine de chaises. Un grand buffet se trouve au fond de cette salle. Le soldat reste devant la porte et un androïde aux cheveux bruns très courts vient m'indiquer ma place. Son visage est moins détaillé que celui de Skepsi, j'ai de suite reconnu son aspect inhumain.
La chaise que l'on m'attribue est loin d'être confortable, le siège est dur et le dossier trop rigide. Les mains posées à plat sur la table, je me mets à trembler. Je ne possède plus aucun repère. Sans que je ne puisse réagir, des plats défilent, apportés par de nombreux androïdes ; du canard et de la salade, des rôtis, du bœuf aux oignons confits, des légumes à foison, du poisson et de nombreuses sortes de pain, des potages, des plats en sauce, des paniers de fruits. Je n'ai jamais vu autant de plats sur une seule table défiler devant moi, cela en devient presque irréel.
Quatre semaines que je n'ai pas mangé normalement, mes sens sont à présent en alerte et les lumières sous ma peau s'agitent. Je ne peux plus me retenir et je me jette sans vraiment réfléchir sur la nourriture. Je goûte à tout, mange le plus possible, quitte à en être malade. Je ne compte pas rejeter cette nourriture, je ne sais pas si une occasion comme celle-ci se représentera.
Ce sont des nausées et le sentiment d'être sur le point d'exploser qui finissent par me freiner. Les androïdes semblent l'avoir compris et en quelques secondes tout disparaît. Un silence de plomb règne, personne ne parle mais apparemment je suis la seule à me sentir gênée. Je me lève alors et le soldat me rejoint immédiatement. Il me ramène dans ma chambre. Je ne comprends pas pourquoi il a fallu que je me prépare alors que j'étais seule à ce dîner, du moins je n'en vois pas un réel intérêt...
Il fait nuit quand Skepsi passe me souhaiter une bonne nuit. Elle reste un moment avec moi pour m'aider à me changer et me préparer pour la nuit. Elle me quitte avant même que je ne le lui demande. Je souffle doucement et essaye de me détendre, voilà la première nuit que je vais passer en étant consciente de ma situation. Je viens me glisser sous les draps et je soupire. J'espère que demain sera une meilleure journée, que je pourrais sortir d'ici et retrouver les miens, retrouver la planète à laquelle j'appartiens.
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