CHAPITRE QUARANTE-TROIS




ASAL


Tout mon corps est engourdi. Je sens un point de chaleur intense au niveau de ma main, une légère pression, une sensation de douceur. Impossible de bouger, de parler... Mes membres, mon dos et ma tête me font atrocement souffrir. J'ai l'impression d'être brisée.

Quelque chose me serre la main. J'ouvre les yeux. Il y a très peu de luminosité dans la pièce. Je soupire. Sommes-nous dans le vaisseau ? Sur une autre planète ? Sommes-nous retournés sur Thumos ? Mes yeux s'acclimatent peu à peu à la faible lumière dans la pièce.

J'aperçois alors une silhouette assise à mon chevet, le dos voûté. C'est certainement sa main qui tient la mienne. Il m'est impossible de discerner qui est cette personne mais si elle est ici, il est fort probable qu'elle ne me veuille aucun mal. Ses doigts s'entrelacent avec les miens, le bruit des machines autour accompagnent son souffle.

Je peux ressentir son inquiétude. Mais qui est-ce ? Je suis incapable de faire le moindre mouvement. Je ne peux seulement ouvrir et fermer les yeux. Que m'est-il arrivé ? Aucun souvenir, aucune image ne me revient en tête. Je tente de serrer cette main qui m'apporte tant de chaleur et de réconfort et j'y parviens. Je la serre aussi fort que je le peux. Je m'accroche à elle comme si elle pouvait m'éviter de sombrer.

Mon flux est faible mais au fond de moi, mes lumières dansent lentement, en synchronisation avec les battements de mon cœur qui heurtent ma poitrine un peu plus fort à chaque fois que l'inconnu presse ma main. Mes yeux se referment lentement, je suis presque apaisée... J'ai l'impression de flotter, d'être en hauteur, d'être en sécurité.

**

La lueur du jour m'extirpe doucement de mon sommeil. La chaleur caressant ma main a disparu. J'ouvre les yeux et observe avec attention les alentours. Ma nuque craque à chaque mouvement, mes muscles sont tiraillés, mon corps semble être aspiré par le matelas de mon couchage.

Les murs sont en pierre. Une grande fenêtre sur le mur à droite de mon lit, une odeur de fleur règne dans la pièce. Plusieurs tableaux sont accrochés aux parois, ils sont simples et représentent pour la plupart, de grands paysages, des bateaux ou encore des animaux. Du jonc est posé au sol et de grands tapis de fourrure sont placés sur ce dernier. Une commode en bois foncé est placée sur la gauche. Un peu plus loin se tient un miroir puis, à ses côtés, une plante dans un pot en terre cuite.

Je baisse les yeux. Les draps sont blancs avec quelques motifs que je ne saurais identifier, peut-être de petites fleurs jaunes. Un grand nombre de machines accompagnent mon lit de chaque côté, je suis reliée à ces dernières.

Une chose est sûre, nous ne sommes pas retournés sur Thumos, tout est différent ici. Tout est trop simple et épuré. Je veux me relever en m'appuyant difficilement sur mes coudes pour redresser mon corps sur le lit, de petites décharges électriques me parcourent, tirant une grimace de douleur sur mon visage. À l'instant où je me prépare et trouve la force de sortir une jambe de dessous les draps, Thane entre sans prévenir dans la pièce. Je me ravise alors immédiatement et reprends ma position initiale. Je suis surprise de son état, il semble épuisé, il n'est pas rasé, ses yeux sont cernés et ses mains tremblent.

- Tu es réveillée ? dit-il presque étonné.

- Que s'est-il passé ? demandé-je d'une voix roque. Je ne me souviens de rien...

Le fils de Hippias semble contrarié et je ne comprends pas vraiment pourquoi. C'est moi qui suis clouée dans ce lit, pas lui. Il me fixe un moment d'un air qui frôle l'agacement avant de me tourner le dos pour fouiller dans les tiroirs de la commode.

- Tu as été frappée par la foudre. Moi non plus je ne sais pas pourquoi ni comment cela est arrivé. Je peux te dire une seule chose, c'est que tu as eu de la chance. Après avoir entendu ce vacarme, je suis descendu du vaisseau et je t'ai trouvé au sol.

Il reste silencieux quelques secondes avant de reprendre son récit d'un ton plus calme que d'habitude même si je peux y discerner une pointe d'angoisse.

- Je t'ai ramené à l'intérieur, j'ai cherché de l'aide mais personne n'était en mesure de t'aider. Hippias n'a pas voulu te prodiguer de soin, persuadé que tu t'en sortirais. Alors, je suis parti avec toi et je t'ai amené jusqu'à Obihas. Les infirmiers et médecins de cette planète sont très performants et ils t'ont prise en charge directement après notre arrivée.

- Mais... et ton père ? le questionné-je, maintenant effrayée à l'idée d'être en fuite avec lui.

- Il ne sait pas que nous sommes ici... enfin pour l'instant. Nous resterons ici quelques jours avant de le rejoindre éventuellement, à moins qu'il ne nous trouve avant, répond-il avec une pointe d'amertume.

Je le fixe, espérant désespérément qu'il se tourne pour me regarder. Je voudrais voir son expression, son visage pour être certaine d'interpréter de la bonne façon ses paroles.

- Comment tu m'as amené ici ?

- Dans les sous-sols il y a plusieurs petits vaisseaux rapides et performants, c'était très simple d'en utiliser un. C'est l'une des premières choses que l'on apprend lors de notre service militaire.

- Pourquoi est-ce que tu as fait ça Thane ?

Le soldat ne me répond pas mais il se retourne. J'aperçois enfin son visage. Beaucoup d'émotions semblent se mélanger en lui. Il a l'air tout aussi perdu que moi. Il n'a rien dans les mains. Je me rends compte qu'il ne cherchait rien, qu'il voulait seulement un prétexte pour me tourner le dos et ne pas me dire la vérité en face. Thane se rapproche de mon lit et laisse échapper un long soupir.

- Ton état devient de plus en plus stable. Tu auras peut-être des séquelles mais tu t'en sortiras.

Je suis déçue quand il esquive la question. Il n'est pas le genre de personne qui serait prêt à donner corps et âme pour quelqu'un, il y a donc forcément une raison. Ses yeux brillent étrangement... Je n'avais jamais vu cette expression dans son regard. J'ai l'impression d'y trouver refuge, qu'il devient la seule chose à laquelle je peux m'accrocher. Il tente de rester sérieux, de garder un ton dur et un regard froid mais ses mains le trahissent. Elles tremblent légèrement. Tout son corps subit une tension qui semble insupportable. Il n'est pas tranquille. Il doit être effrayé. 

Tout comme moi, il sait qu'il vient de signer notre arrêt de mort en s'enfuyant avec moi.

**

Hier, les médecins m'ont permis de me lever et de marcher quelques minutes. Je quitte alors mon lit, lentement, en prenant soin de ne pas faire de gestes brusques. Mes lumières gagnent en puissance quand je pose les pieds à terre. Retrouver ces sensations me fait un bien fou.

Thane n'est pas revenu depuis la dernière fois et je commence sincèrement à me poser de plus en plus de questions à son sujet. Impossible pour moi de comprendre pourquoi il m'a amenée ici, qu'est-ce qu'il l'a poussé à agir ainsi ? Ses actions ne seront pas sans conséquences. Si Hippias nous retrouve, nous sommes condamnés.

Je tangue légèrement avant de retrouver mon équilibre. J'ouvre la première porte qui se dresse face à moi. Il s'agit de la salle de bain. J'y trouve une décoration très spéciale et de mauvais goût. Tout est fait de bois, les vasques, la baignoire, les toilettes. Un grand miroir est placé au-dessus des lavabos. Le sol est en paille tressée et les murs sont faits de rondins. Une odeur de moisissure et de bois humide vient chatouiller mes narines.

Prendre un bain me fera le plus grand bien. J'ôte mes vêtements, un haut et un pantalon en lin, des chaussettes en coton. Je tourne le dos à la glace et actionne les vannes du robinet. De l'eau chaude s'en écoule. Je tourne la tête vers le miroir et je découvre avec effroi mon dos.

Ma colonne vertébrale est traversée par une immense ligne noire. De cette dernière se dégage d'autres filaments tout aussi sombres, comme s'ils reproduisaient mon système nerveux et mes vaisseaux sanguins, comme si de l'encre avait été injectée dans tout mon corps, tel un poison.

Un long frisson secoue mon corps et je détourne rapidement les yeux. Je me mets à pleurer en me plongeant dans l'eau bouillante. La sensation de chaleur me détend et les larmes coulent abondamment sur mes joues. À aucun moment je n'aurais pu imaginer tout ce qui m'arriverait. Je soupire. Que suis-je devenue ? Un véritable monstre, une créature effroyable. Une femme détruite, réduite en pièce, déshumanisée.

Quand est-ce que tout cela s'arrêtera ? Je paierais cher pour retourner en arrière et pouvoir arrêter le temps, que tous ces malheurs n'arrivent jamais, que tout le monde soit heureux, en paix et uni. Je donnerais tout ce que j'ai pour serrer ma famille dans mes bras, entendre les mots réconfortants de papa, la douceur des mains de maman caressant mes joues, le silence de mon frère qui, pourtant, était très apaisant.

Je sors seulement quelques minutes après être entrée dans la baignoire. Des gouttes d'eau viennent s'écraser au sol, mes pieds sont accueillis par un tapis en coton. Il se gorge d'eau en quelques secondes. L'odeur de moisissure est accentuée par l'humidité de la pièce, de la buée vient se déposer sur le miroir. Mon flux retrouve de la puissance et il me réchauffe davantage. Je me sèche en vitesse et trouve de nouveaux vêtements sous les vasques en osant fouiller dans les différents tiroirs. Je les enfile rapidement et m'appuie sur le meuble qui supporte les lavabos, faisant craquer mes poignets.

Ma main vient dégager le miroir de sa couche humide pour que je puisse m'y voir. Mon regard fixe l'étrangère qui se reflète sur le miroir. Rien n'est plus et ne sera comme avant, tout a changé et je ne suis plus la même. J'ai peut-être repris un peu de poids mais mon visage est déformé par la tristesse, la colère, l'angoisse, la terreur. De lourdes cernes enferment mes yeux, mes sourcils sont froncés sans que je puisse le contrôler, mon teint est pâle.

Mon esprit est détruit par la solitude, les sautes d'humeurs, ces rêves et ces cauchemars qui n'en finissent pas, la torture, la mort, la souffrance... Mes yeux sont vides d'expression, mes lèvres sont pincées, mon front plissé. Je suis presque sans vie. Aucune lueur ne vient égayer mon regard, aucune étincelle.

On croirait presque que toute ma face est figée dans une expression grave avec une pointe d'agressivité. Comme si je m'étais résignée à souffrir, à endurer des atrocités toute ma vie. Comme si je n'avais plus le choix, que j'abandonnais, que je refusais de me battre.

Je repars dans ma chambre, quelques bandages et des pommades sont posés sur ma commode. Un set de maquillage et une grande bouteille de parfum viennent accompagner le tout. Quelques tuniques en lin sont pliées à côté.

Je veux trouver des ciseaux. Je retourne les tiroirs de la pièce. Mon corps commence à trembler d'épuisement et je m'impatiente. Je ne prends pas en compte ces avertissements et m'acharne à vouloir rester debout et chercher ce que je désire.

Je ne peux pas rester dans cet état, je ne peux pas me présenter comme ça. Je ne peux pas me résoudre à me laisser dépérir. Mais après tout, qui fera attention à moi ? Qui prendra soin de moi maintenant ? Je suis seule.

La chambre commence alors à tanguer et à tourner. Mes pieds luttent pour me faire garder l'équilibre, je manque de m'affaler sur la commode en face de moi. Des nausées me submergent, mon estomac se serre, ma vision s'obscurcit, des gouttes de sueurs perlent sur mon front, dégoulinent dans mon dos. Mon souffle se fait court, mon rythme cardiaque s'accélère puis chute brutalement. Je finis par tomber. J'ai l'impression que le sol se dérobe sous mon poids, que je suis en chute libre, que personne ne pourra me retenir, que personne ne voudra me retenir. Tout est noir.

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