CHAPITRE QUARANTE-SIX
ASAL
Thane croise maintenant les bras fermement contre son torse, nous indiquant clairement qu'il ne souhaite pas communiquer davantage avec nous. Son comportement m'exaspère, il agit exactement comme un enfant capricieux. Après tout, peut-être que le soldat est tout simplement jaloux ? Mais pourquoi le serait-il ?
Après tout, nous ne sommes pas engagés ou encore liés, nous sommes libres tous les deux. Est-il jaloux de la position politique de Qorah ? Il est vrai que Thane pour sa part, n'est qu'un héritier, il n'est à la tête d'aucune armée et n'a de pouvoir que par l'intermédiaire de son patriarche. Cela l'agace peut-être de voir un homme du même âge, même plus jeune, être déjà à la tête d'une planète entière et possédant de nombreuses richesses mais surtout qu'il ait réussi à instaurer la paix au sein de sa communauté contrairement à lui et son père.
Mes yeux restent fixés un moment sur sa lumière, comme absorbés et je sens mon flux l'accompagner. La respiration du prince s'est accélérée, il est tendu. Peut-être se méfie-t-il lui aussi du jeune homme se tenant face à nous. Il a toutes les raisons de lui en vouloir, Thane paraît misérable face à lui. Il ne possède aucun mérite, le prince possède de l'influence uniquement grâce à Hippias, il n'a rien bâti, ni entrepris. À quelques centimètres de lui se dresse un exemple de réussite, la preuve que l'on peut ériger un empire sans violence, sans bain de sang. Quand Qorah reprend la parole, je sursaute.
- Bien. Asal, tu dois savoir que je suis avec toi. Je ne suis donc pas un danger. Mon souhait est juste de t'aider.
- Pourquoi feriez vous cela ? demandé-je, sentant ma confiance s'envoler.
- Je ne vois pas vraiment de raison valable de me craindre. Si ton don m'intéressait ou que je voulais te tuer, je l'aurais déjà fait depuis longtemps, répond-il. À ton arrivée j'aurais très bien pu m'emparer de toi. Thane est seul ici et le neutraliser ou l'emprisonner aurait été facile.
Cette phrase... « Si j'avais voulu te tuer, je l'aurais déjà fait... ». J'ai l'impression d'entendre Thane, d'ailleurs les muscles de ce dernier se sont raidis en entendant les propos de Qorah. Un long frisson parcourt mon corps. Des flash-back déferlent dans mon esprit.
- Vas-y. Tues-moi sur le champ alors. La mort ne m'effraie pas, contrairement à toi. Je t'en prie, assouvis ta soif de vengeance. Deviens comme nous, une meurtrière. Je ne suis pas ton véritable ennemi Asal.
[...]
- Je ne pourrais pas te tuer Asal. J'en suis incapable.
[...]
- J'ai cru que tu allais me tuer..
- Asal... Je ne pourrais jamais te tuer.
- Pourquoi tu ne pourras jamais ?
- Parce que ce serait une grave erreur. Une chose que je ne pourrais jamais me pardonner.
[...]
Qorah se racle la gorge, comme pour me rappeler à l'ordre. Je reprends mes esprits. Il faut absolument me concentrer pour pouvoir tirer profit de cette discussion et surtout que le blond puisse me sortir de cette situation ou du moins, m'aider à l'améliorer.
- Et bien... je... Je ne cherche qu'une seule chose...
J'hésite un long moment avant de prononcer ces mots à haute voix devant lui, je l'ai peut-être déjà fait mais cela me terrifie à chaque fois.
- Tuer Hippias.
La tension monte d'un cran dans la pièce quand Thane se crispe, l'atmosphère se charge d'ondes négatives, destructrices. Là était ma crainte depuis le début. Il ne m'a jamais cru, il ne voit pas que son père est un véritable danger pour notre galaxie et que nous devons l'abattre pour espérer rétablir la paix dans notre galaxie. Mes mots doivent le révolter, le dégoûter, le lacérer, le poignarder et de savoir que je le blesse me laisse perplexe, presque gênée. Mon énergie gagne en puissance et j'ai bien peur d'avoir perdu le soldat qui regarde à présent dans le vide. Je reprends :
- Mais je pense que c'est le souhait de tout le monde. Thane a déjà dû vous mettre au courant de tout ce qu'il s'est passé depuis le début.
- Et bien crois le ou non, Thane ne s'est jamais exprimé à ton sujet, il n'a pas dit grand chose depuis votre arrivée, déclare Qorah en jetant un coup d'œil au brun.
Les doigts du fils d'Hippias tapotent maintenant nerveusement l'accoudoir de son siège. Sa jambe gauche saute frénétiquement, le talon de sa botte vient frapper le parquet. Un bruit sourd, effréné, insupportable. La tension et la colère qu'il dégage sont insoutenables. Je ne veux surtout pas qu'il craque devant nous, surtout devant Qorah, cela lui porterait préjudice et sa réputation est déjà bien assez mise à mal. Mais surtout, je ne pourrais pas m'empêcher de vouloir le calmer et j'en ai assez d'éprouver ce genre de sentiments à son égard.
- J'aurais aimé m'entretenir avec vous. Seule, lâché-je agacée.
Qorah claque des doigts et trois soldats entrent, demandant poliment à Thane de s'éclipser. Le prince me fixe. Ses yeux gris sont gorgés de colère, de déception, de nervosité, d'incompréhension. Ce regard me fige sur place, me glace le sang. Ses pupilles comparables à deux véritables trous noirs pourraient m'engloutir. Il se lève enfin et sort de la pièce sans dire un mot. La porte se referme derrière lui. Je sais très bien que ma décision lui déplaît mais pour notre sécurité, enfin, sa sécurité, je me dois de lui faire quitter le bureau. Je souhaite tout de même qu'il puisse rester sur cette planète et ne soit pas livré à son père. Du moins, pas pour le moment.
Sa voix grave traverse les murs mais elle est déformée par l'agacement. Il râle. Ses pas lourds résonnent, il est sûrement parti dehors. Je me sens soudain comme vidée de mon énergie, mes lumières ont cessé de danser dès sa sortie. Elles me supplient d'aller le chercher et de le ramener près de moi. Ces sensations m'irritent davantage, je hais me sentir dépendante.
- Je n'ai jamais voulu tout cela, continué-je. Toutes ces choses que j'ai enduré. Thane et son père ne sont que des monstres, ils m'ont brisée, ont effacé tout espoir d'avenir.
- Il t'a pourtant sauvé, réplique Qorah.
- Pardon ? m'indigné-je.
- Je pense que si ce prince était un véritable monstre, il t'aurait laissé mourir sur Keraunos. Après tout, son père ne voulait pas te sauver alors que tu lui es précieuse, il pouvait très bien t'abandonner lui aussi, pourtant... il ne l'a pas fait. Il a préféré prendre le risque de s'enfuir avec toi pour être certain que tu survives. Donc ta définition de monstre ne concerne pas Thane, sinon tu ne serais déjà plus de ce monde.
Je fronce les sourcils, totalement sidérée par ces propos.
- Je ne crois pas vraiment que vous sachiez tout ce qu'ils m'ont fait endurer. Ils m'ont arrachée à ma famille, ont détruit ma planète, ont éradiqué ceux qui m'étaient chers, m'ont torturée, testée, enfermée, crié-je les larmes aux yeux. Alors, même si Thane m'a peut-être sauvée, rien ne pourra effacer tout ce qu'il m'a fait subir. Alors si, pour moi, cet individu est une pourriture.
- Je sens bien qu'il y a de grandes tensions entre vous et que tu pensais qu'il te suivrait dans ta quête mais imagine bien, enfin surtout, garde à l'esprit qu'Hippias reste son père. Comment aurais-tu réagi à sa place ?
- Je pensais qu'il ne vous avait pas parlé, rétorqué-je.
- Les quelques mots qu'il a prononcés ont été très riches de sens, très forts. Il ne m'a parlé que quand il était dans ce vaisseau avec toi. Je suis certain que ces paroles pourraient te faire changer d'avis. Et puis ton comportement en sa présence en dit long sur ce que tu penses réellement de lui. Tu ne te souviens pas du voyage jusque chez nous ?
- Je ne suis pas ici pour vous parler de cela, toutes ces choses ne m'intéressent pas, aboié-je avec agacement. Il vous a sûrement menacé pour me sortir des idioties pareilles. Et puis je pense sincèrement que votre fonction en tant qu'entre-metteur s'éloigne de votre titre de dirigeant. Vous devriez vous reprendre.
- Tu n'as pas répondu à ma question, dit-il calmement.
Je soupire, ne désirant pas du tout avoir ce genre de discussion pour le moment, surtout pas avec un inconnu mais si je veux que Qorah puisse m'aider, je me dois d'être honnête et m'efforcer de le respecter.
- Il est vrai que ça ne me plairais pas que l'on critique mon père de cette façon mais le mien n'est pas coupable d'atrocités comme Hippias. Je pense sincèrement que je me serais rendue compte de la monstruosité de mon père s'il avait été un tel tyran et de ce fait, je ne l'aurais pas soutenu ni défendu corps et âme. Je ne l'aurais pas suivi dans sa démarche si celle-ci consistait à arracher un être de tout ce qu'il connaît, apprécie, aime. Jamais je n'aurais adhéré à ce genre de plan.
Un silence s'installe mais Qorah reste souriant. Rien ne semble le perturber et il garde un certain calme, ce qui me déstabilise. Nous avons beaucoup de points à lui envier Thane et moi... Son calme, sa bienveillance, sa sagesse, son empathie et son esprit très ouvert. Il finit par ricaner mais je ne trouve aucun mépris dans le ton de sa réponse :
- Mon but n'est pas de te pousser à apprécier cet homme, seulement d'essayer de changer ton point de vue sur la situation. Je ne veux pas t'obliger à lui pardonner mais à réfléchir. Je te le répète, je suis ici pour t'aider. Si ton souhait est de tuer Hippias alors tu as ma parole et mon soutien. Les citoyens d'Obihas se feront une joie de participer à cette bataille. Ils ont entendu parler de toi, les nouvelles se propagent très vite et tu es déjà associée à un espoir certain.
Qorah se lève et vient poser sa main sur la mienne, elle est douce mais quelques callosités démontrent qu'il s'efforce de travailler comme un homme normal, un homme qui n'a pas le titre de dirigeant. J'ai tout juste le temps de retenir mon flux. Une légère décharge s'est échappée mais cela ne l'a pas perturbé.
Je remarque qu'il porte une tunique bleue que je n'avais vue sur aucune autre planète avant. Elle recouvre tout son corps, le haut se confondant avec le pantalon, une longue cape est noué autour de cou grâce à une lanière dorée. Des renforts en cuir marron au niveau des épaules les élargissent davantage. Des lanières de la même matière viennent habiller sa veste fermée contre son torse. Elles sont solidement liées par des boucles et ornées de bordures dorées.
Ses yeux accrochent les miens quand mon regard se concentre une nouvelle fois sur son visage. La sensation de malaise me fait rougir.
- Je suis peut-être jeune mais je suis certain qu'il te reste beaucoup à apprendre dans ce monde, dit-il en chuchotant.
Il se recule lentement et se dirige vers une porte entre deux bibliothèques que je n'avais pas remarquées. Mon regard reste fixé sur lui. Je me demande bien où il trouve l'audace de me déclarer tout cela et d'en plus me conseiller.
- Tu devrais laisser ton empathie prendre le dessus, elle te supplie de s'échapper, elle hurle pour que tu la laisses s'exprimer... Tout le monde n'est pas ton ennemi Asal. Certains croisent ton chemin pour t'aider à grandir, à évoluer, à mûrir. Mais surtout, pense à prendre du temps pour parler sérieusement avec Thane de la situation dans laquelle vous vous trouvez. Il acceptera peut-être de te suivre dans ta démarche mais n'oublie pas qui est Hippias pour lui, qu'importe ses actions, il restera son père.
Je reste clouée sur le fauteuil. Qorah me fixe toujours, sa main vient glisser sur la poignée, la tourner. Il pousse la porte et, avant de la fermer, me dit plus fort :
- L'enregistrement du message de Thane est inscrit sur la cassette en face de toi. Libre à toi de la détruire ou de l'écouter.
Je veux lui répondre mais il est déjà parti. Il me laisse seule dans son bureau et je me sens encore plus perdue. Mon corps se met à trembler. Je tourne la tête vers le bureau, je n'avais pas remarqué cette cassette, l'a-t-il posé avant de partir ? Pendant notre discussion ? Ou était-elle ici avant même que nous entrions ? Elle révèle peut-être beaucoup de choses à propos de Thane...
Mon flux me pousse vers la sortie pour rejoindre le prince. Je prends d'un geste sec la cassette, les yeux embués de larmes. Pourquoi Qorah m'a-t-il dit tout cela ? Dans quel but ? Je sors en claquant la porte. Mon esprit chasse toutes ces questions. De toute façon, je suis beaucoup trop agacée y réfléchir maintenant.
Je ne vois pas Thane en sortant de la grande demeure. Est-ce qu'au fond de moi j'espérais le croiser ? Pouvoir lui parler ? Stop ! Les paroles de Qorah ne cessent de repasser en boucle. Pourquoi avoir enregistré le message de Thane ? Je ne suis pas certaine qu'il soit au courant de l'existence de cet audio. Peu importe, aucune discussion ne peut être possible entre nous à présent, nous sommes revenus à la case départ. Quoique, je pense que nous ne l'avons jamais quittée.
Nous sommes des étrangers depuis le début. Nous ne connaissons rien l'un de l'autre, nous sommes autant effrayés l'un que l'autre et nous avons des aspirations bien trop divergentes pour pouvoir nous entendre ou coopérer. Nous sommes totalement opposés. Alors pourquoi Qorah s'est-il acharné à vouloir me convaincre qu'il n'est pas aussi diabolique que je l'imagine ?
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