CHAPITRE QUARANTE-CINQ
ASAL
Il s'est écoulé plusieurs jours depuis mon malaise. Je peux à présent me tenir debout et marcher sans être sécouée par de nombreux vertiges. Thane avait raison, la médecine de cette planète est fantastique.
J'aurais aimé connaître leurs méthodes quand Athos était malade... Peut-être l'auraient-ils sauvé ? Ou peut-être l'auraient-ils aidé à partir sans douleur, à ne plus souffrir le martyre et à rester apaisé jusqu'à la fin... La scène de mon rêve me revient à l'esprit mais je parviens à contenir mes larmes.
Ce matin j'ai rendez-vous avec Thane et le dirigeant d'Obihas. Il me semble que son nom est Qorah. Le fils d'Hippias n'a pas jugé bon de m'indiquer la nature de cet entrevu. Mes lumières s'agitent, elles reflètent le stress qui me ronge. Je me dois de ne pas craquer face aux deux hommes. J'inspire profondément pour tenter de me calmer et de reprendre mes esprits.
Je sors alors de ma chambre, préparée, pour rejoindre les deux hommes dans la demeure de Qorah. Pour cela, je dois traverser une bonne partie du village, son nom m'est inconnu et pourtant je m'y sens bien, presque en sécurité.
Et, c'est sans surprise que je retrouve dans tous les coins, des maisons en bois ou en vieilles pierres. Elles sont entourées de palmiers, de fleurs exotiques, des cris d'oiseaux étranges et colorés résonnent dans les rues, se mêlant aux rires et aux nombreuses discussions qui s'unissent en un brouhaha sans fin.
Je souris alors, l'ambiance est apaisante, tout le monde semble heureux et libre. Ici, de grands bambous coupés servent à acheminer l'eau dans les infrastructures. Ces installations rudimentaires cachent les grandes capacités technologiques de la ville, comme dirait papa : « Elle cache bien son jeu ! »
Les grands chemins sont en terre battue de couleur rougeâtre. Certains enfants jouent aux billes, avec de grands bâtons, des animaux ou des figurines en bois. D'autres sont scotchés sur les vitrines d'un marchand de friandises. Un berger traverse les rues avec ses moutons et ses chiens. Des femmes et des hommes vendent de nombreux produits, des fruits et des légumes que je n'avais jamais vu avant ou encore du lait, du fromage, des biscuits, des gâteaux fait maison. Leurs étales protégées par des toiles envahissent les abords du chemin.
Cette planète possède tellement de ressources qui me sont étrangères, un paysage haut en couleur, des habitants charmants, un lieu où il fait bon vivre. Les lumières sous ma peau dansent, elles apprécient tout comme moi cet endroit.
Je continue ma traversée, découvrant à chaque intersection de nouveaux marchands plaçant leurs marchandises au bord de la route piétonne. Les éclats de rire des enfants, des voix douces et innocentes qui s'émerveillent devant le spectacle de mes lumières, m'apaisent.
Ils n'osent pas m'aborder et cela me fait rire, ils chuchotent et leurs yeux s'écarquillent à chaque mouvement de mon flux. Je pense qu'ils sont plus impressionnés que terrifiés. Certains se cachent derrière leurs parents.
En arrivant non loin de la demeure du dirigeant, je croise un jeune homme menant des chèvres, des oies et des alpagas. Il m'accorde un sourire radieux et je me sens rougir. Son chien au pelage flamboyant aiguille le petit troupeau sur le bon chemin.
Tout semble parfait ici, loin de l'agitation de toute la galaxie. Les habitants ont l'air comme hors du temps, ils ne se soucient pas de ce qu'il se passe en dehors de leur planète. Apaisés, heureux, épanouis, joyeux... Combien je les envie. Mes yeux sont envoûtés par cette planète. Elle est formidable. Peut-être qu'utiliser des matériaux simples à pour but de cacher leurs réelles capacités ou de simplement montrer qu'une vie sans artifice est la plus enrichissante.
Mes pensées sont stoppées net quand une main vient se poser sur mon épaule. Je me retourne brusquement en sursautant. Thane est alors dressé devant moi, un léger sourire étirant ses lèvres comme s'il était satisfait de m'avoir surprise. Malgré la décharge que je viens de lui envoyer sans le vouloir, son attitude ne change pas.
- Enfin je te trouve ! s'exclame-t-il, j'ai bien cru ne pas te retrouver parmi tous ces gens.
Je ne trouve rien à répondre, son comportement est plus qu'étrange. J'ai bien du mal à le croire même si mon énergie me supplie de me rapprocher. Il n'a pas réagit à l'énergie que je lui ai envoyée quand il m'a touché...
- Tu sais que tu es en retard ? me demande-t-il.
Je fais signe que « non ». Impossible pour moi de lui répondre, je ressens à nouveau de la crainte face à lui. Il doit être en train d'élaborer un plan pour encore une fois me duper et mieux me manipuler. Cette planète est peut-être habitée par des gens honnêtes et bons mais Thane lui, n'est animé que par la méchanceté et j'éprouve beaucoup de difficulté à lui faire confiance même si je dois avouer que ces derniers temps il semble faire des efforts pour se montrer plus clément et patient...
Je dois aussi admettre que tous ces événements me perdent. Devrais-je tirer des leçons de mes rêves et écouter mon inconscient ? Est-ce que mes lumières m'attirent à lui parce qu'elles savent qu'il n'est plus un danger pour moi ? Je pense qu'il me faudra du temps pour l'accepter et lâcher prise. Je ne me sens pas réellement prête à baisser les armes en sa compagnie. Une partie de moi voudrait s'appuyer sur lui et lui faire confiance mais l'autre m'intime de rester prudente et de ne pas me précipiter dans les décisions que je prends.
Mes yeux se fixent alors sur son unique lumière qui ondule sous sa peau, elle parcourt toujours le même chemin : le front, la tempe gauche, l'oreille gauche, la joue gauche, l'épaule gauche, le coude, le bras, le poignet, la paume de sa main, son pouce. Elle fait ensuite le chemin inverse.
Je fronce les sourcils, totalement surprise. Sincèrement, je ne pensais pas connaître ce détail qui pour beaucoup serait sans importance. Voilà que même mes pensées commencent à être envahies par ce prince. Une pointe d'agacement me titille et je souffle.
- Allons-y, Qorah nous attend, m'empresse-t-il un peu plus froidement.
Aucun son ne sort de ma bouche et sans en avoir conscience je marche à sa suite quand il prend le chemin de la demeure du dirigeant d'Obihas. Il faut que je me reprenne pour pouvoir me concentrer et ne pas me laisser influencer. Après tout, pourquoi changerait-il ? Il a accepté de me faire subir tant de choses... J'ai du mal à croire qu'il puisse réellement changer. Mes yeux se posent sur sa nuque. Une longue cicatrice débute en haut de cette dernière et se prolonge jusqu'au moins sa tunique. C'est la première fois que je la remarque, elle est plus claire que le ton de sa peau légèrement bronzée. Elle est déjà bien cicatrisée, il doit l'avoir depuis plusieurs années.
Nous arrivons enfin après seulement quelques minutes de marche. Je dois avouer que le logement de Qorah paraît assez ridicule comparé au domaine d'Hippias mais il n'en reste pas moins sublime.
Deux immenses palmiers gardent l'entrée, des paons s'amusent à faire la cour, une immense fontaine projette de l'eau à plusieurs mètres de hauteur, l'herbe et les buissons sont parfaitement taillés, quelques bassins de chaque côté accueillent de nombreux poissons.
De grands escaliers en marbre mènent au porche, les grandes colonnes de pierres qui soutiennent la toiture sont enlacées par du lierre et des roses trémières, la porte d'entrée doit faire au moins trois ou quatre mètres de hauteur et est faite de bois massif.
Tout est vraiment impressionnant. Un soldat nous fait entrer et l'intérieur est tout aussi fabuleux. Les pièces sont décorées avec goût et dans les tons qui caractérisent le village, tout est harmonieux et soigné, travaillé à la perfection.
Le fils d'Hippias reste tout comme moi silencieux mais il ne semble pas impressionné par l'architecture du bâtiment. On nous mène alors vers un couloir qui ne mène que sur une seule et unique pièce. Le soldat frappe doucement à la porte et, sans attendre de réponse, entre.
Je déduis que nous sommes dans le bureau de Qorah vu le mobilier présent. Le siège face au bureau est retourné et je peux apercevoir une tête dépasser. Ses cheveux sont blonds cendrés, plus longs que ceux de Thane et légèrement bouclés. L'homme qui nous a accueilli nous propose de nous asseoir sur les deux chaises, parallèles au siège de Qorah, et nous nous exécutons. Le soldat s'éclipse en silence, à tel point que je ne remarque sa sortie qu'au son de la porte qui claque.
- Comment vas-tu Asal ? demande l'homme qui nous tourne le dos.
Surprise d'entendre mon prénom dans la bouche d'un inconnu, je sursaute et mon flux s'agite. Thane tourne la tête vers moi et m'observe sans un mot. Une grande tension m'envahit, je suis très mal à l'aise en présence de ces deux hommes et je crains d'être vite dépassée par la situation.
Le fils d'Hippias, comme pour m'inciter à répondre, vient toucher mon bras avec sa main. Instinctivement, une décharge plus violente s'échappe de mon corps dans un grand claquement. La réaction de Thane est immédiate, il recule vivement et secoue sa main en marmonnant.
- Bien ! J'ai ma réponse ! rétorque Qorah.
Il se retourne sur ces mots et je découvre son visage. Une oreille percée, traversée par un anneau en argent, ses yeux rieurs sont d'un bleu profond, des lèvres généreuses, une barbe très bien entretenue, quelques cernes encore très discrètes, quelques rides de « joie », une peau assez pâle, tout est parfaitement organisé. Une cicatrice traverse son sourcil gauche et un grain de beauté s'est logé au-dessus de ses lèvres.
Des épaules et un buste larges, Qorah impose un grand respect malgré son jeune âge, une force se dégage de lui. Je ne lui donne pas plus de dix huit ans. J'ai l'impression de retrouver papa en face de moi, il était le même genre d'homme. Je me rappelle alors des quelques photos du mariage de papa et maman accrochées dans la montée des escaliers. La couleur de leurs cheveux est la seule différence. Leur ressemblance en est presque déroutante, mon regard reste fixé sur lui. Je ne peux cacher mon étonnement.
La voix de Thane finit par me sortir de mes pensées.
- Quel plaisir de te voir Qorah. Merci pour ton hospitalité. Nous t'en sommes pleinement reconnaissants, dit le fils d'Hippias non sans une pointe d'amertume.
- C'est avec joie que je vous accueille chez moi. As-tu abordé le sujet avec Asal ? demande Qorah.
- Quel sujet ?! déclaré-je en fronçant les sourcils, me méfiant davantage de Thane.
Le dirigeant d'Obihas laisse échapper un rire et vient croiser ses bras sur le plateau du bureau faisant craquer le bois du mobilier, il se penche légèrement vers nous avant de répondre. Mon regard s'assombrit.
- Ne t'en fais pas Asal. Tu aurais été au courant un jour ou l'autre. Thane est entré en contact avec moi juste après ton accident, j'ai accepté votre venue bien qu'elle n'enchante personne sur cette planète... enfin surtout l'arrivée de Thane.
Le fils d'Hippias semble alors surpris de la réponse de Qorah, presque vexé. Le jeune blond se met de nouveau à rire.
- Allons. Ce n'est pas un secret, peu de personne vous supporte toi et ton père. Vos faits et gestes sont très critiqués par ici. Et puis tout le monde sait que vous projetez de conquérir l'univers entier, ajoute-t-il d'un ton moqueur.
Cette phrase m'arrache un large sourire. Je crois que je commence sérieusement à apprécier sa compagnie. Son franc parlé est de suite très rassurant.
Maintenant, il est certain que je peux lui faire confiance. En effet, si Qorah n'a pas peur de dire de telles choses à Thane, je ne vois pas pourquoi je me méfierai. De plus, il est vrai qu'il nous a offert l'hospitalité. Il aurait pu ne pas nous ouvrir ses portes étant donné que Thane est le fils d'Hippias.
Le fils du tyran se renferme et je le sens soudain beaucoup plus hostile... Peut-être que le dirigeant d'Obihas est allé trop loin ? Non. Je pense que Thane a besoin d'être remis à sa place mais le fait qu'un jeune homme de peut-être plus de cinq ans son cadet se donne l'autorisation de le faire le met hors de lui. Je ne peux réprimer un nouveau sourire.
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