CHAPITRE DEUX
THANE
Plongé dans un profond sommeil, un violent courant d'air frappe ma peau. Je frissonne. Une présence dans ma chambre me tire de mes rêveries et je sursaute en voyant une ombre penchée au-dessus de moi.
Une main assez large vient fermer ma bouche avant même que je ne prononce un seul mot. Mes yeux se tournent vers la fenêtre grande ouverte, les longs rideaux bleus flottent dans l'air, soulevés par les rafales de vent. Un orage gronde au loin, des éclairs déchirent le ciel.
On m'éjecte alors de mon lit sans même me demander mon avis. Une main se place maintenant sur ma nuque, une légère pression suffit pour que j'obéisse. On me demande d'avancer. Je le sais. Il fait trop sombre pour identifier mon escorteur.
Je peux seulement dire qu'il s'agit d'un homme, j'en suis certain. Ce dernier me pousse dans les couloirs du manoir de papa, jusqu'à une salle que je n'ai jamais vue. Il me jette à l'intérieur et referme la porte à double tour derrière moi.
On allume alors les lumières qui m'aveuglent un instant. Je plisse au maximum les yeux. Il me faut un certain temps pour m'habituer à ce changement brutal d'environnement. Mes paupières s'ouvrent lentement. Les images sont d'abord floues puis deviennent plus nettes.
Aucune fenêtre, seulement des miroirs courant sur l'intégralité des murs de la salle. Elle paraît alors immense, même sans fin. Je me rapproche de l'une des glaces. Mes yeux gris détaillent mon reflet.
Pourquoi m'a-t-on enfermé ici ? Je ne réagis pas vraiment face à cette situation. Nous avons tous pris l'habitude des imprévus, des incompréhensions, d'affronter nos peurs, de rester silencieux et de ne poser aucune question à papa.
Mes cheveux sont ébouriffés, mon teint encore pâle, des cernes prononcés, les yeux encore éteints par le sommeil, mon pyjama froissé. Je penche la tête en m'observant et mes mains viennent se poser sur mon reflet. Pourquoi suis-je ici ?
Une vague de chaleur envahit mon corps et je grimace. Les miroirs m'ont toujours fasciné. Mon imagination débordante a toujours associé mon reflet à un monde parallèle, un autre moi, dans une autre vie. Plus heureux ? Plus triste ? Trop différent ?
Des coups de feu déchirent le silence. Ce son me glace le sang et je vois alors face à moi l'image d'un garçon terrifié, stressé, apeuré. Que peut-il se passer pour que mon reflet ait si peur ? Souffre-t-il ? Est-il en danger ?
Je voudrais saisir ses mains pour l'aider, le réconforter et lui dire que papa se chargera de tout, qu'il réglera ses problèmes. Lui promettre que maman l'accueillera avec plaisir, qu'il trouvera ici sécurité et confort. Lui dire que même si toute question est interdite, que la vie ici est tout de même agréable.
Lui assurer qu'il partagera ma chambre, que mes frères et ma sœur pourront l'aider à se sentir protégé, que même si nous nous sentons souvent seuls, nous finissons toujours par nous y habituer. Les larmes aux yeux, il m'accompagne quand je m'assois.
Des hurlements, des cris de douleurs, de désespoir, de colère, de peur, des pleurs font presque trembler les murs de la demeure... Mais que se passe-t-il ? S'il est en danger pourquoi reste-t-il avec moi ? Mon corps entier tressaille.
- S'il te plaît, pars, enfuis-toi, lui dis-je calmement.
Mais le mouvement de ses lèvres est identique aux miennes. Je fronce les sourcils. Mon regard cherche activement une solution à travers la pièce, une réponse, une façon de soulager mon reflet. Le garçon en face de moi m'imite encore mais... qui est réellement en danger ?
Au moment de me lever, la porte s'ouvre dans un grand fracas. Je me retourne et me redresse immédiatement, ignorant à présent mon reflet. Papa a le visage rougi par l'effort, il tente de reprendre son souffle, de la sueur coule de son front. Ses mains sont ensanglantées, des gouttes noires glissent de ses doigts et viennent frapper le sol.
- Fils. Viens. Vite, ordonne-t-il.
Je me précipite alors dans ses bras, il ne me serre pas contre lui. Il s'agenouille face à moi en me repoussant doucement, construisant une frontière entre nous, laissant du sang sur mon haut. Il semble sérieux.
- Thane. Nous avons des problèmes dehors... les habitants de notre ville sont en colère. Ils ont capturés maman, Khaos, Ponòs et Katayga.
- Pourquoi ?! crié-je en saisissant de mes petites mains le col de sa chemise, imaginant un instant que ma force peut dépasser la normale.
Papa baisse la tête et je remarque des tâches de sang contrastant avec le blanc pur de son habit.
- Ils ne sont pas contents, ils sont jaloux mon fils. Ces personnes veulent se venger, ils nous envient depuis toujours, ils désirent notre richesse, notre pouvoir et nos droits. Je ne sais pas si maman, tes frères et ta sœur rentreront à la maison.., lance-t-il en relevant son regard vers le mien. Je crois qu'ils ne sont plus de ce monde...
Je cherche désespérément des larmes aux coins de ses yeux mais en vain. Je n'ai jamais vu papa pleurer alors pourquoi espérer maintenant ? Tout me paraît irréel et ses actions semblent calculées. Est-il sérieux ? Est-il sincère ?
« Pas de question, pas de doute, papa a toujours raison. » me disait maman. Alors est-ce qu'elle ne rentrerait plus jamais ? Je ne veux pas y croire, des larmes courent sur mes joues. Pourquoi papa ne pleure pas ? Pourquoi suis-je le seul à souffrir ? Essaye t'il de me protéger comme j'ai voulu protéger le garçon du miroir ?
Mon père vient essuyer mon flot de larmes avec son pouce, son geste est à la fois doux et ferme mais l'odeur du sang me donne la nausée. Il ne s'attarde pas sur cette marque de tendresse.
- Suis-moi, nous devons partir loin d'ici.
- Je dois prendre mes affaires, déclaré-je soucieux de ne jamais revenir.
- Non. Nous devons nous enfuir, maintenant, dit-il avec fermeté.
Je ne résiste pas plus longtemps. Il se lève et ma main vient se glisser dans la sienne. Elle est un refuge immense, pourtant, j'ai l'impression qu'elle me reste étrangère, que la chaleur et la douceur n'y règnent pas et que le sang va me contaminer. Papa ne s'est jamais vraiment occupé de moi mais il veut me sauver, alors je le suivrai.
Nous sortons tous les deux de notre demeure en courant. Les armes de papa cachées sous sa cape claquent contre son armure. Ce bruit me rassure, je me sens en sécurité. Il me tire en avant pour ne pas que je ralentisse ma course, ma main reste logée dans la sienne. J'ose enfin croire et espérer en lui.
+++
Hippias finit par prendre le jeune garçon dans ses bras. Il savait que son fils ne réaliserait pas les événements s'il l'enfermait dans la salle des miroirs. Le dirigeant de Thumos savait que l'enfant était fasciné par son reflet, qu'il imaginait des histoires improbables.
Thane pleure toujours dans les bras de son père, il regarde derrière lui, angoissé à l'idée de ne plus jamais revoir sa ville, sa chambre, de perdre ses habitudes, ses jouets, son ami Harry, de perdre sa mère, ses frères et sa sœur.
Le vent souffle plus fort quand ils arrivent près des falaises, le tonnerre puissant secoue la planète entière. Des dizaines d'éclairs fendent le ciel. Le tumulte de la ville est déjà loin. L'homme pose son fils, s'accroupit devant lui et le fixe un instant. La première fois qu'il observe attentivement Thane. Il a le visage de sa mère, le nez de son père et l'attitude de son grand-père. La future carrure d'une machine de guerre. Il n'a que huit ans et pourtant à tout d'un futur danger, d'une future menace. Ce garçon est son dernier mais il pourrait être l'élément déclencheur d'une grande rébellion, il pourrait tuer le roi...
Les yeux gris profonds de Thane accrochent ceux de son père. Il continue de pleurer, de le supplier de retrouver sa mère et le reste de sa famille. Hippias se relève, prend la main de son garçon encore une fois et la serre, un peu trop fort. Le premier et le dernier geste de sympathie. Le sang sur les mains du petit contraste avec son innocence.
Ils sont postés tous les deux face à un gouffre immense, presque sans fin, sombre. Thane n'a jamais eu peur du vide. Il regarde fixement les parois de la crevasse. Le jeune garçon se tourne vers son père.
- Je n'ai pas le choix mon fils, tout est difficile et si je veux m'en sortir il faut que j'agisse ainsi. Tout ira bien, tu retrouveras maman, Khaos, Ponòs et Katayga.
Les lèvres de Thane sont alors étirées par un large sourire. Le garçon est soulagé que toute cette histoire ne soit qu'une diversion, qu'il va retrouver sa famille et pouvoir les serrer dans ses bras même si ce genre de démonstration d'affection reste exceptionnel. La joie le submerge, il est heureux que son père lui ait menti pour protéger sa famille.
- Merci, déclare le garçon, apaisé.
Sans prévenir, Hippias pousse violemment son fils dans le gouffre. Il s'empresse alors de fuir.
Thane se sent chuter, il n'a pas le temps d'attraper la main de son père. Il voit sa mère au bord du trou, pleurant et tendant les bras pour l'empêcher de tomber.
- Maman !!!! hurle-t-il en étirant ses mains, espérant saisir celles de sa mère.
Hippias se fige en entendant la voix de son fils, serre les poings et reprend rapidement son chemin. L'instinct est plus fort. Le tonnerre fait vibrer le sol, des faisceaux lumineux déchirent les nuages noirs.
Le garçon heurte alors le sol, il s'évanouit sous la violence du choc. Une impression d'être détruit, que ses os se sont broyés, que sa tête pèse des tonnes, qu'une force invisible pousse son corps à presque entrer dans la terre, que le monde entier s'écroule autour de lui, qu'il n'est plus rien, que tout a disparu. Le néant.
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