CHAPITRE CINQUANTE-ET-UN




ASAL


Je me réveille allongée sur le sol, mes bras sont enchaînés au sol, on a attaché des entraves à mes chevilles. Les chaînes sont assez longues pour que je puisse me relever et faire quelques pas. Elles sont lourdes et mes épaules tremblent sous leur poids. On m'a enfermé dans l'un des salons de l'immense demeure de Thane.

Elle a été vidée de tout son mobilier, les rideaux, les tableaux ont disparu. La pièce n'est même plus chauffée. De grands frissons parcourent mon corps, mes dents claquent. Mon flux est faible mais toujours là. Le nouveau mouchard est surpuissant. Il diminue l'intensité de l'énergie électrique qui parcourt mon corps puis il la bloque, impossible de l'éveiller. Je soupire.

Toujours cette même question qui tourne dans ma tête : Quand est-ce que toutes ces horreurs seront terminées ? Je suis fatiguée, épuisée par ces événements. Je suis lassée de subir toutes ces choses, lassée d'être une foutue esclave d'Hippias. Je retiens mes larmes. J'entends qu'on insère une clé dans le verrou. La poignée se tourne et la porte grince pour laisser entrer l'être que j'ai en horreur. L'homme que je rêve de voir mort depuis des années.

Il vient se poster face à moi et un immense sourire étire ses lèvres. Hippias regarde vers l'entrée et indique à deux gardes d'entrer. Mais la personne qu'ils amènent avec eux est la dernière que je souhaite voir souffrir. Ils la poussent pour l'inciter à avancer. L'un des hommes casqués lui saisit la nuque pour qu'il s'agenouille en face de moi, devant Hippias. Thane.

Au fond de moi, je savais très bien que je ne voulais pas lui faire subir toutes ces épreuves. Je souhaitais le protéger mais au lieu de cela, je l'ai davantage mis en danger.

Thane lève les yeux vers moi alors que son père se met à rire. J'ai l'impression de revivre l'un de mes pires cauchemars. La scène de torture de Thane. Ses yeux sont bouffis par les larmes, son regard est vide, des égratignures et des plaies encore fraîches recouvrent son visage bleui par des coups. Ses cheveux sont sales, collés par le sang et la sueur, son oreille gauche est en sang, ses lèvres et ses bras lacérés, sa barbe est chargée de poussière, tâchée de rouge. La peau de son cou est tuméfiée et on distingue de grandes marques violacées. Ses vêtements sont déchirés et imbibés de liquide rougeâtre, sa main remplacée par la prothèse de carbone tremble. En fait, tout son corps est secoué par des spasmes. Je vois Hippias se reculer légèrement.

- Thane.., dis-je d'une voix presque inaudible.

Nos regards se croisent et je viens m'avancer vers lui, jusqu'à ce que la pression de mes chaînes soit trop importante. Il trouve la force de se lever. Quand les deux soldats viennent vers lui, Hippias les arrête et ils s'abstiennent d'intervenir.

Thane s'avance lentement vers moi, d'un pas hésitant. Des larmes finissent par rouler sur mes joues. Je fais deux pas en arrière. Le jeune soldat arrive à ma hauteur et nous nous regardons un moment avant que je ne le prenne contre moi. Il ne dit rien. Je le serre encore plus en veillant à ne pas le faire souffrir, pourtant il gémit. Thane finit par poser sa tête sur mon épaule et je l'entends soupirer, presque de soulagement. Mes mains viennent se réfugier dans sa chevelure. Ses bras viennent entourer mon corps.

- Je suis désolée... je n'ai jamais voulu cela. Je te le promets, pardonne-moi, je t'en supplie. Je suis désolée.., lâché-je entre deux sanglots.

Je ferme les yeux, je prie pour que ce soit un cauchemar et rien d'autre. Pitié, je ne veux pas qu'il souffre... Thane souffle une nouvelle fois. J'espère juste que quelqu'un ou que quelque chose nous sorte d'ici.

Sans que je ne le comprenne, mon flux s'agite soudainement et me supplie de partir au plus vite. Je l'ignore, je ne peux pas m'enfuir de toute façon. Un soldat saisit Thane par le peu de cheveux qu'il reste sur son crâne et le tire en arrière. Je ne l'ai pas vu arrivé et je le lâche malgré moi.

Il pousse un cri de douleur quand le militaire lui donne un violent coup de genou dans le dos pour qu'il se mette à terre. Je suis impuissante. Je hurle de toutes mes forces, tirant autant que je le peux sur mes chaînes pour tenter de gagner du terrain.

Le rire d'Hippias raisonne encore une fois dans la pièce. Thane se retrouve face contre terre. Il gémit. C'est à cause de moi, tout est à cause de moi... Si je n'avais pas ce foutu don, rien de tout cela ne serait arrivé ! Rien ! Je serais encore avec ma famille, heureuse... Et Thane ne serait pas sur le point de mourir.

L'autre soldat le redresse.

Thane se retrouve à genoux. L'homme vient le frapper à la tête de son poing. Cette dernière se lance vers l'avant et il manque de s'écrouler. Il se redresse lentement. Sa respiration est saccadée, ses gémissements et ses plaintes me torturent. J'ai l'impression d'entendre son crâne se briser.

Hippias s'approche de son fils et lui donne une claque dans le dos. Thane serre les dents pour éviter d'hurler, je n'imagine même pas l'état de son corps sous son t-shirt crasseux. Le tyran de Thumos croise mon regard désespéré et il sourit. Il se place à quelques centimètres de moi.

- Ma chère Asal... regarde ce que tu as fait.., dit-il en montrant son fils du doigt, tout pourrait être si simple. Tu as choisis, avec orgueil, de faire souffrir toutes les personnes de ton entourage et je dirais même, toute la galaxie. N'as-tu pas honte ?

Je n'ai même pas la force de répondre. Mon regard reste fixé sur Thane. Hippias reprend.

- Je te trouve bien silencieuse... Tu te souviens quand je t'ai dit que s'il le fallait je détruirai tous ceux qui te sont chers ? Je suppose que tu ne t'attendais pas à ce que je tienne parole mais je vais encore plus te surprendre aujourd'hui. Tu pensais peut-être que je n'oserais pas faire de mal à ma descendance, que je refuserai de torturer mon dernier fils. Je commence d'ailleurs à me demander pourquoi nous l'avons sauvé après l'incident sur Obihas....

Il se penche légèrement vers moi, aucune parole ne sort de ma bouche. Je me sens totalement faible et je sais très bien que la situation est en train de m'échapper. Mes yeux détaillent le visage d'Hippias ravagé par des cicatrices.

- Peut-être parce que j'ai encore besoin de lui... pour obtenir une chose que je convoite depuis des années... renchérit-il.

Je dois avouer que sa prothèse est surprenante mais le tout donne un rendu immonde et répugnant. Ses cheveux noirs mi-longs tombent sur son front, son attitude est presque bestiale. Le tyran de Thumos commence à tourner autour de moi, tel un lion cherchant à dévorer sa proie.

- Tu sais, ce n'est pas pour rien que Skepsi a perdu la vie. Oui, elle en savait beaucoup trop... Elle avait raison Asal mais j'ignore encore comment elle a pu avoir accès à tant de secrets...

Je vois alors le visage de Thane s'illuminer. Il sait maintenant que je lui ai dit la vérité, qu'il a bien fait de me croire. À la vue de cette réaction, je suis presque soulagée. Il a compris et il va m'aider. Nous pourrons peut-être nous en sortir ensemble.

- Je savais que vous étiez un monstre. Depuis le début, dis-je.

- Tu as cru que j'allais le garder en vie ? lâche-t-il en désignant Thane du menton et ricanant. Tu as eu le malheur de t'attacher à lui. Et lui, a fait la plus grande erreur de sa vie. Regarde où cela l'a mené.

- Je ne me suis jamais attaché à lui, craché-je.

- Ce n'est pas ce que prouvent tes actions Asal. Si tu crois que mentir le sauvera, tu te trompes. Mais je ne vais pas le tuer non, je vais faire bien pire...

Il s'arrête derrière moi et se penche vers mon oreille, quelques-uns de ses cheveux viennent la chatouiller. Son souffle chaud et chargé d'alcool contre ma nuque me paralyse. Impossible de réagir. Totalement prise au piège, je sens mon flux prendre en puissance. Il me supplie de m'enfuir, de réagir. Impossible. Le mouchard l'emporte comme Hippias est sur le point de m'écraser, de me terrasser.

- Je vais le détruire, anéantir sa personne et son esprit. Et c'est toi qui mettra fin à ses jours. Au final, je ne l'ai sauvé de ses blessures que pour cela.

- J...jamais, balbutié-je, jamais je ne le tuerai, jamais je n'obéirai. Je ne répondrai pas à vos attentes.

- Ne pense pas être invincible. Au fond, tu es un monstre comme tous les êtres humains. Fais moi confiance Asal, c'est toi qui mettra fin à son existence. Tu n'échapperas pas à ton destin, celui que J'AI finalement choisi pour toi et lui non plus d'ailleurs...

Je ne veux pas le croire, ce n'est pas possible. Je ne pourrais pas abattre Thane, je refuse. Je suis persuadée maintenant que nous pouvons nous aider mutuellement. Nous ne nous sommes pas rencontrés par hasard. Hippias reprend après une longue pause. Il s'est éloigné de moi, il me tourne le dos.

- On a longtemps cru que je n'arriverais à rien, que le petit dernier sans aucune capacité, le plus faible ne réussirait pas dans la vie. Mais regarde, déclare-t-il en balayant la pièce de son bras, toutes ces choses m'appartiennent et la galaxie n'est devenue que néant. Sans que personne ne me soupçonne, j'ai gagné la plus grande partie d'échecs du monde entier. Et de ma main puissante, dit-il en serrant le poing, j'anéantirai tous les éléments qui, comme toi, m'empêchent d'avancer. Tuer des hommes est plus facile que l'on ne le pense mais je crois que tu le sais déjà.

Hippias fait volte face et sa cape ondule derrière lui. J'entends Thane se plaindre. Je me penche légèrement sur le côté et le regarde. Son thorax se creuse dangereusement à chaque expiration. Il est en sueur. Les gouttes de transpiration viennent se mêler au sang dégoulinant de ses nombreuses plaies. J'ai l'impression de les entendre s'écraser au sol. La culpabilité me ronge l'esprit. Je veux rester attentive au moindre mouvement de sa part.

- N'as-tu jamais ressenti une profonde satisfaction après avoir tué quelqu'un ?

- Jamais ! hurlé-je, et je n'en éprouvais pas en tuant votre fils.

- Asal je t'en prie, ne cherche pas à me mentir. Souviens-toi de ce soldat que tu as abattu en ville... pourquoi lui as-tu ôté la vie ?

- Il s'en prenait à des innocents. On ne s'attaque pas à des gens désœuvrés, affamés et faibles. Tirer sur des hommes fait de tout être humain un monstre.

- Mais quand tu as planté cette lame dans sa gorge et que tu l'as vu s'éteindre sous tes yeux, n'as-tu pas éprouvé un sentiment de fierté ?

Non... Il ne peut pas avoir raison. Je me mens à moi-même. Oui, j'ai éprouvé de la satisfaction après avoir tué cet homme. J'ai été satisfaite d'avoir sauvé et aidé cette mère et sa fille. Mais peut-on réellement comparer ? Je ne pense pas. Un sentiment de culpabilité me submerge et je suis sous le choc. Il vient de me démontrer que je me voile la face depuis le début, que je ne suis pas différente finalement...

Le sourire d'Hippias s'élargit. Il vient de comprendre qu'il a réussi à me bloquer. C'est vrai, tuer ce soldat a été simple et jamais je n'aurais imaginé pouvoir mettre fin à la vie d'un de mes semblables avant cet événement...

- Alors j'ai raison, souffle le tyran, tu es un monstre tout comme nous. Toi même tu avoues que tirer sur un homme change notre identité mais... planter une lame a les mêmes conséquences.

Je n'en reviens pas, Hippias vient de m'achever, de détruire le peu d'estime que j'avais encore pour ma personne. Il a réussi à me faire avouer ce que je refusais d'entendre ou d'admettre. Il s'éloigne de moi et, d'un geste de la main, indique à ses soldats de faire sortir Thane à sa suite. Le groupe quitte alors la salle en quelques secondes. Les deux hommes casqués soutiennent le fils du tyran sous les aisselles et l'aident à marcher... Il tente de regarder derrière lui une dernière fois, comme s'il savait qu'il ne me reverrait jamais.

Une fois que la porte se referme et que la clé quitte la serrure, je me mets à hurler de toutes mes forces. Je me débats. Je veux me libérer de ces chaînes, m'enfuir d'ici, remonter le temps, réparer toutes mes erreurs...

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