Chapitre14

Blake.

– Alors tu avances sur ta commande ? Me demande Brent.

– Pas comme je le voudrais.

– Tu devrais peut-être faire une pause, ça t'aiderait peut-être. T'as une sale gueule.

– Tu sais comment ça marche Brent, je lui réponds en soupirant.

– Sérieusement, ça m'inquiète Blake. Regarde toi, ça vire à l'obsession. A chaque fois que tu galère, tu t'enfermes jusqu'à ce que tu aies réussi à aller où tu veux.

– Ce n'est pas de l'obsession, arrête avec ça ! Si vouloir que ce soit au top est synonyme pour toi d'obsession alors soit ! Moi, j'appelle ça du perfectionnisme.

– Tu sais très bien où je veux en venir. Ce n'est pas la première fois que nous avons cette conversation. Si tu n'avais pas tes cours à assurer, tu serai encore enfermer dans ton atelier.

– Et comme la dernière fois, je te répète que ça va.

– Merde Blake ! Arrête tu veux, pas avec moi ! J'en ai marre de tes conneries. Tu as besoin de reprendre le contrôle, de retourner dans le cercle. C'est ça ta vraie façon de fonctionner, pas cet ersatz de vie. Tu n'es plus celui que j'ai connu, tu en es tout juste une pâle copie.

Je ne sais pas ce qui pousse à endurer les sempiternelles remontrances de Brent ! La fatigue sûrement, ça doit être ça. Cette dernière se fait si violente, que même mon besoin de retourner devant ce putain de bloc de pierre s'efface. Mes épaules sont endolories, mes muscles tendus, me rappellent ce que j'étais en train de faire avant qu'il ne vienne me faire chier. Qu'il retourne dans les bras de Blondie et tire un coup, au moins l'un de nous ne sera plus frustré.

Je ne l'écoute que d'une oreille, je sais ce qu'il me rabâche. Je sais qu'il me veut que du bien, mais ce qu'il me dit, me demande, ce n'est juste plus possible. Je ne peux pas, ne peux plus vivre ainsi. Ouvrant le frigo, je nous sors une bière chacun et ouvre la mienne. Lui ne touche pas à la sienne, il continue à me regarder de travers. J'attends, je sais qu'il n'a pas fini. La dernière fois qu'il est venu me casser les couilles avec ça, j'ai fini par lui enfoncer mon poing dans la gueule.

– Ça fait quatre ans Blake, il serait temps que tu tires un trait sur cette histoire, que tu arrêtes de culpabiliser.

– Brent, dis-je en serrant mes mains sur le goulot de ma cannette.

– Non, c'est fini ! J'en ai assez de m'écraser, de te voir sombrer un peu plus chaque jour.

– Sors de chez moi Brent. Maintenant !

Je sens la tension montée dangereusement entre nous. Demander à mon ami de partir maintenant est à coups sur le meilleur moyen de la faire redescendre même si cela ne résoudra pas le problème. Cela évitera juste que je lui casse nez. J'en ai marre que ce pan de ma vie me revienne sans arrêt en pleine poire, marre qu'on me dise que ce n'est pas de ma faute. Que je ne suis pas responsable de ce qu'il s'est passé cette nuit là, ni des ses actes.

Passant nerveusement une main dans mes cheveux, je tente de faire redescendre la pression. Rien n'y fait, c'est juste impossible. Cette fois, Brent ne reculera pas, je vois la détermination dans son regard. Nous ne ressortirons pas indemnes de cette confrontation. Comme un fou, je me mets à faire les cents pas, dans l'attente de coup qui me fera disjoncter.

– Tu dois réagir, t'auto-détruire ne la fera pas revenir. Regarde-toi, aborder le sujet te rend dingue !

– Mais, merde tu veux quoi ? Que je te dise quoi ? C'est de ma faute, Brent, de ma putain de faute ! Je l'ai tué avec ces conneries, le cercle ! Je lui crie en m'arrêtant pour lui faire face, mes mains tirant sur mes cheveux, ma cannette gisant en milles éclats sur le sol.

– Tu ne l'as pas tué. Rentre-toi ça dans le crâne,bordel! Tu ne l'as pas tué. April s'est pendue ! Tout le monde le sait ! Tout le monde, même sa famille le sait.

– Qu'est-ce que tu en sais Brent, tu n'étais pas là. Moi, si ! C'est moi qui l'ai trouvé chez-elle, qui suis arrivé trop tard ! Je l'ai tué !

– Putain arrête ! Tu te rends malade pour rien !

– Tu ne comprends pas ! Je n'ai rien vu, rien!J'ai tout perdu !

– Non, c'est faux, Blake, tu n'as rien perdu ! C'est toi, qui refuse de voir la réalité en face. Tu te complais dans la culpabilité. Tu vas finir comme elle.

– Ça suffit, ça suffit, tais-toi ! Putain, barre-toi ! Lui craché-je au visage, alors que je viens de le saisir par le col de son pull, l'autre main prête à frapper.

Sans que je ne comprenne comment, je me suis vu retourné, un bras immobilisé dans le dos, la tête plaquée contre le mur qui était le plus proche de nous. La hargne avec laquelle, Brent m'a immobilisé, me refroidit. La honte se jette sur moi et me percute de plein fouet ! Le dégoût de moi est tel que tout mon corps se relâche. Je ne suis plus qu'un tas de chair molle.

La prise de mon pote se desserre elle aussi. J'entends le bruit de ses semelles qui reculent et écrasent au passage quelques débris de pierre. Il s'éloigne de moi, et moi, je tombe à genoux sur le sol en béton. Des larmes viennent s'écraser sur le sol entre mes mains. Un bruit de clés parvient jusqu'à moi. Brent s'en va, je ne lui en veut pas de partir. Je sais que j'ai déconné, une fois de plus. Chaque fois, la crise démarre de la même façon, et son issue quand à elle est incertaine. C'est en quelque sorte cyclique. C'est ce que l'on m'a dit, lorsqu'il a fallut m'hospitaliser de force pour me faire dormir. La voix de Brent me ramène à l'instant présent.

– Reprends-toi en mains une bonne fois pour toutes. Je veux retrouver mon pote, celui que je vois là, ce n'est pas lui. J'ai essayé Blake, je ne peux plus là. Fais-toi aider, s'il te plaît !

La porte se referme doucement, me laissant là sur le béton froid de mon atelier. Je finis par m'asseoir, le dos contre le mur, genoux repliés devant moi. Comme un fou, comme le naufragé que je suis, je me balance d'avant en arrière, impuissant face à cette culpabilité qui me ronge, qui m' engloutit.

Quatre années que j'en suis la victime consentante. Quatre ans, que je n'arrive plus à me regarder en face. Tout autant de temps à me demander comment mon entourage peut continuer à me regarder en face. Aux yeux de ma famille, je vis le deuil difficile de la perte de ma compagne. A ceux de ses parents, je ne suis que le pauvre gars qui n'a rien vu, celui qui avait eu l'air d'apporter de la stabilité dans la vie de leur fille. Eux savaient, moi pas. Vivre avec elle et ses démons au quotidien devait être une bagarre constante.

Pourtant en deux ans de relation, je n'ai rien vu, rien pressenti. Elle savait masquer ses symptômes, sa bipolarité m'étais inconnue. April était une jeune femme pleine de vie, artiste peindre à ses heures perdues, secrétaire à la PAFA le reste du temps.

A l'époque où je l'ai rencontré, elle venait de se faire embaucher à l' université. Le poste de secrétaire du directeur des études était vacante depuis plusieurs semaines. Nous étions tous touchés, l'organisation des cours et la gestion administrative avait pris un retard monstres. La rentrée venait de se faire et s'était le chaos.

Puis son recrutement avait eu lieu et tout était rentré dans l'ordre ou presque. Le jour où je l'ai rencontré, je sortais d'une nuit blanche. Pas de celles que je vis maintenant. La veille j'avais passé la nuit au cercle et avait assisté à une nouvelle initiation. Ces soirées finissaient en général très bien, j'y prenais mon pied sans pour autant être attaché à une personne en particulier.

Je vivais au jour le jour, assouvissant mon besoin de dominer au gré de mes envies. Je n'avais jusque là jamais souhaiter avoir de soumise attitrée. Je ne mélangeais d'ailleurs pas du tout ma vie amoureuse, à ma vie dans le cercle. Jusqu'à elle, jusqu'à April. Ce petit bout de femme m'avait subjugué dès le premier instant. Elle avait remué quelque chose en moi.

Si j'avais su alors, si j'avais vu qu'elle était malade. Jamais, je ne l'aurais emmené dans le cercle, jamais je n'en aurais fait ma soumise. Je l'aimais du moins au début. Nous étions heureux, sexuellement c'était le pied. Elle aimait les jeux, elle en était même l'instigatrice. Au début je ne voulais pas, elle avait l'air si innocent et puis je me suis dit pourquoi pas. Sauf qu'au bout d'un moment, cela n'a plus été pareil, ça a commencé à dériver vers quelque chose que je ne voulais. Prendre le contrôle totalement, ça tournait à l'obsession pour April. Si bien que notre relation a fini par s'envenimer face à mes refus.

La séparation a été nette, pas de heurts, rien. Je pensais qu'elle avait compris et accepté que notre relation, ne pouvait aller plus loin. Chacun de nous avait repris sa route, se croisant occasionnellement. Jusqu'à ce qu'un jour, un membre du cercle me contacte et me dise qu' April venait presque tous les jours et tentait de repousser ses limites.

Pour moi, il n'y avait rien d'alarmant, comme nous n'étions plus rien l'un pour l'autre, je ne me sentais pas en droit de lui dire quoi que soit. Jusqu'au jour, quelques semaines plus tard, je l'ai croisé dans les couloirs de la fac. April ne ressemblait plus à la femme que j'avais quitté et aimé. Ce jour là, je l'ai pris à part, et nous nous sommes disputés comme jamais auparavant.

Le soir même, j'étais devant chez elle, pour tenter de reprendre la conversation entamée. Sa voiture était garée devant la petite maison qu'elle louait, une lampe était allumée. J'avais beau sonner à la porte, elle ne répondait pas. Chaque fois que j'essayais de l'appeler, j'entendais son portable sonner à l'intérieur. Quelque chose clochait, je le sentais. Comme j'avais encore un double de ses clés sur mon trousseau, je me suis risqué à ouvrir la porte. Et c'est là que je l'ai trouvé, les pieds suspendus à une cinquantaine de centimètre du sol. Elle s'était pendue, et il était trop tard pour elle. De là à commencé ma chute.

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