Deux semaines se sont écoulées depuis ma conversation avec Stephen. C'est comme si, elle n'avait jamais eu lieue. Je l'en remercie. A chaque jour suffit sa peine, comme aime à le répéter une personne, dont je me suis éloignée.

Ce matin, je suis seule, Stephen vient travailler trois jours par semaine, voir plus ,quand je sens que je vais avoir besoin de renfort ou, que je suis dépassée par certaines choses. Je me sens particulièrement nerveuse en cette fin d' après-midi. Dès que j'ai un instant, je passe et repasse en revue tout ce que j'ai mis en place pour le groupe de lecture, qui devrait arriver d'ici une demi-heure.

Aujourd'hui, je reçois un auteur un peu particulier, du moins au sens des gens dits « normaux ». C'est aussi l'occasion de faire une lecture et de permettre de tester les nouveaux appareils que j'ai fait installer. Stephen était là pour les recevoir, pendant que je me terrais dans mon bureau. Je ne suis pas encore tout à fait sortie de mon état de déprime. Je pensais, depuis tout ce temps avoir accepté ce qui me pend au nez. Visiblement, je m'étais trompée, plus l échéance approche et plus j'ai ce sentiment que je le contrôle dont je ne me défait jamais, se fait la malle. Je n'aime pas cette sensation. Faire comme si tout est normal, me demande plus d'efforts.

Si j'arrive à duper mon entourage, tant mieux, c'est que j'arrive à maintenir l'illusion que tout va bien. Oui, oui, il y en a encore qui arrivent à croire que l'on vit dans un monde où les licornes sont nos meilleures amies. D'autres font comme si, et laisse tout glisser sur eux tels des robots.

Le son de la cloche au dessus de la porte, me ramène à la réalité. Deux personnes s'avancent accompagnées par un chien. Je reconnais tout de suite la première de ces deux personnes, grâce à la photo que j'ai vu sur le net, il y a quelques semaines quand je cherchais une façon d'attirer plus de monde à mes cessions de lectures un peu particulières.

- Bonjour, leur dis-je en allant à leur rencontre. Je suis Sibylle Martin, bienvenue au Book & Coffee.

- Bonjour, Mlle Martin. Je suis Noa Westerling. Laissez-moi vous présenter Brittany Ewing. Nous sommes enchantées de faire votre connaissance.

- Je suis très honorée par votre présence. Cela représente beaucoup pour moi et pour pour l'établissement.

- Nous sommes en avance sur l'horaire convenu. Brit voulait savoir si cela vous dérangeait si son chien guide soit présent. Chance saura se faire discret.

- Aucun soucis, je pense que certaines des personnes ce soir, seront elles-aussi accompagnées par leur chien.

- Puis-je vous offrir une boisson ? Un thé? Un café ? Nous avons encore du temps avant l'arrivée des premières personnes.

- Volontiers Mlle Martin.

Je m'empresse d'installer à une table Brittany Ewing et son éditrice et me dépêche d'aller leur préparer leur commande. Je me sens moins nerveuse qu'avant leur arrivée. Je ne sais pas, j'ai comme un bon feeling avec elle. Pourtant Brittany, elle reste silencieuse et jusque là, c'est Noa qui a fait toute la conversation.

- J'espère que le matériel sera facilement utilisable, dis-je en déposant un plateau au centre de la table.

- Dîtes-moi Sibylle, comment vous est venue cette idée de café-bibliothèque, et ces soirées à thème je peux vous appeler par votre prénom, ça ne vous gêne pas ? Me demande la jeune auteure mal-voyante.

La question pourtant simple, de la jeune femme, me déstabilise. Je sens dans sa question, une autre question qui n'est pas posée pas franchement. Je me sens d'un coup petite, et surtout cela va m'obliger à m'ouvrir à deux parfaites inconnues. Je n'aime pas étaler ma vie, j'évite de trop en dire. Peu de personnes connaissent mon histoire. En dehors de ma famille que je fuis, Cassandre est la seule et elle ne connaît pas toute l'histoire. Même l'ancien propriétaire de la librairie n'en connaissait qu'une infime partie. Je mets un peu de temps à répondre.

Pendant que je cherche mes mots, j'observe les deux femmes à ma table. Je vois Noa prendre la tasse de thé vert et la placer d'une certaine façon devant Brittany et lui indiquer où celle-ci se trouve. Dans ces gestes, je vois ce qui m'attend et cela fait ressurgir une fois encore, cette peur ancrée à mes chevilles.

- Non, non, bien au contraire. J'essaie de créer une ambiance détendue à chaque nocturne ou séance de lecture. Pour moi, il est primordial que les gens qui viennent ici puissent se détendre au milieu des livres.

- Vous avez bien raison. En fait quand vous nous avez contacté, j'ai fait quelques recherches de mon côté sur l'histoire du lieu, me dit Noa.

- Je comprends, ma demande est atypique.

- Il y a ça et aussi le fait que...

- Que je sois une auteure aveugle, la coupe Brittany.

- A vrai dire, je l'ignorais, jusqu'à ce que mon employé me l'apprenne. J'ai lu votre roman que j'ai adoré et jamais je n'aurais deviné qu'une personne mal-voyante puisse en être l'auteure. Je vous admire vraiment pour ce que vous faîte.

- Et c'est de là que vous ai venue l'idée de faire cette lecture, où est-ce quelque chose que vous faîtes régulièrement ?

- A vrai dire, cette lecture sera une première. Nous organisons régulièrement des nocturnes avec des groupes de lecture sur des thèmes bien précis.

- Qui est ? Me demande Brittany.

- Je souhaite rendre la lecture accessible à tous, sans distinction. Quand, je suis arrivée ici, je n'avais aucun but. Je voulais juste m'en sortir, me construire. Je suis restée un moment complètement paumée, jusqu'à ce qu'on me tende la main. L'une des deux personnes à m'avoir tendue la main, est celle a qui j'ai racheté cet endroit.

- Oui, j'ai vu que c'était une librairie avant, remarque Noa.

- En effet, c'en était une, la bâtisse regorgeait de livres. Ce n'était pas une librairie comme on en trouve aujourd'hui. Herb l'ancien propriétaire avait des goûts bien tranchés et surtout un goût prononcé pour le bordel. Quand j'ai commencé à y travailler, je pouvais passer des heures à chercher un ouvrage précis, alors que lui il savait où chercher.

- Pourquoi avoir choisi de racheter la librairie ?

- C'est une longue histoire. Disons simplement que l'affaire avait de plus en plus de mal à faire des bénéfices et quand Herb est décédé, sa famille voulait vendre. J'ai saisi cette opportunité, j'ai racheté le bâtiment. J'avais un second emploi qui payait bien. Je ne voulais pas voir se perdre cet endroit. J'ai fini par le restaurer, pour qu'il soit tel que j'avais imaginé l'endroit. Je voulais le faire vivre, qu'il soit vivant et que ce calme que m'ont apporté les livres, soit partagé avec d'autres.

- C'est une belle histoire que vous nous racontez là. Brittany a sa propre histoire, on sent que vous avez vos fêlures. Je pense que je peux m'exprimer au nom de Brittany en disant que nous sommes honorées d'être ici aujourd'hui.

- Tu peux Noa.

- Merci, à toutes les deux, ça me touche. Les premiers participants à la lecture devraient arriver sous peu. Avez-vous besoin d'un peu de temps pour vous préparer ?

- Non, cela ira. Montrez-moi juste où nous nous installerons. Du moment que Chance puisse rester près de moi, c'est le principal.

Vingt minutes plus tard, c'est le rush. Enfin ça le sera à la fin. Après vérifications de la liste des invités, je me surprends à prier que cela se passe bien. Cette soirée compte tellement pour moi, pas que pour le Book & Coffee.