Chapitre 53
Derrière moi Blake s'est raidi. Sa main qui peignait ma tignasse s'est arrêtée. Ce que je m'apprête à lui dire est difficile à entendre. J'ai besoin d'être honnête avec lui. Besoin de soulager ma conscience. Plus que ça, je me dois d'être franche, lui cacher ça, c'est mal, alors que lui prend soin de moi.
-Pour la table...
-Ce n'est rien Sibylle, tu n'as pas à t'excuser pour ça, me dit-il en me coupant la parole.
-Blake, s'il te plait ! Ce n'est pas que la table, c'est... c'est...
Tendant la main par-dessus ma tête, je cherche à entrer en contact avec lui. J'ai besoin de sa force pour pouvoir continuer. J'ai beau tâtonner, je ne trouve pas sa main. Je sens la chaleur de son corps, pourtant , sa main que je sentais sous mes doigts, s'est fait la malle. Réprimant un frisson, j'inspire un grand coup, espérant trouver la force de me montrer honnête avec lui. De toute façon, je suis trop loin
-C'est... c'est l'après . J'ai...
-Tu as quoi ? Tu es tombée, non ? Me demande-t-il.
-Oui, mais... Quand j'ai senti le verre sous mes doigts, le... le sang qui coulait... Je sais pas... J'ai perdu pied, je...
-Tu ?
-J'ai senti ce morceau plus pointu. Je n'ai pas réfléchi. Je l'ai pris, et... J'ai voulu que tout s'arrête. La douleur, tout je suis désolée.
Je ne poursuis pas, je n'y arrive plus. Je suis aussi vide qu'une coquille. Je ne me sens même pas apaisée. Le froid me gagne de plus en plus, si bien que j'en claque des dents. Remontant mes genoux, j'essaie de me réchauffer comme je peux. Sexy Connard quant à lui, ben je ne sais pas. Je l'entends faire du bruit, sans que je sache ce qu'il fabrique. Ses gestes me paraissent brusques.
Enfermée dans ma bulle glacée, je ne perçois même pas quand ses bras me soulèvent délicatement. Tout comme, je me retrouve dans ses bras, ni que ces derniers m'enserrent fort contre lui. Seul son souffle sur ma nuque me ramène progressivement à la réalité et me réchauffe. Quand les tremblements cessent, je ne suis plus que chiffon contre lui.
Lorsqu'il se tend en avant pour attraper quelque chose, je ne réagis pas, je sais qu'il ne me laissera pas tomber. Mon corps lui laisse les rênes. Prenant une de mes mains, il dépose ce qui ressemble à une tasse.
-Bois, m'ordonne-t-il à voix basse.
Je ne lutte pas et porte machinalement cette dernière à mes lèvres. Le liquide, du thé, est brûlant et archi sucré. Tellement que je manque de le recracher en avalant la première gorgée, tout en ne pouvant m'empêcher de grimacer.
-Beurk, dis-je en éloignant la tasse de mon visage.
-Bois-en encore, m'ordonne mon compagnon.
-Je...
-Ne discute pas ! Tu en as besoin !
Le ton employé est tel, que je m'exécute . Le thé est tout aussi chaud et sucré que lors de la précédente gorgée. Je sirote ce dernier, qui contre toute attente me redonne un peu d'énergie . Je me sens beaucoup mieux quand Blake me prend la tasse des mains. Je suppose qu'il pose la tasse au sol, juste avant que ses bras me serrent fort, cette fois.
Je sens la tension irradier de tout son corps. Son souffle lui est lent, profond. Ses doigts sont crispés sur mes bras. Doucement, il vient appuyer son front contre ma tempe. Il prend son temps, et la tension en moi monte.
-Ne refais, plus jamais ça ! Me dit-il.
-Je suis désolée, Blake. Je...
-Promets-le-moi, c'est tout !
-Je...
-Non, promets-le ! M'ordonne-t-il cette fois plus fortement.
-Je te le promets, lui dis-je en capitulant.
À peine ai-je prononcé ces mots, que je sens son corps se détendre. Sa prise sur moi se desserre et son bras vient poser ma tête contre son épaule. Nous restons là sans bouger un long moment, sa main massant mon cuir chevelu. Ce geste pourtant anodin signifie beaucoup à mes yeux. Ça me rassure, me tranquillise et je sens que je peux me laisser aller complètement avec lui.
Progressivement, la réalité nous rattrape. Mon estomac, ce traître choisit de rompre cet instant de paix en se manifestant bruyamment, ce qui arrache un petit ricanement à Blake.
-Je crois qu'il est temps de bouger. Dit-il en se redressant tout en me gardant contre lui.
-Je n'ai pas si faim que ça, dis-je en mentant.
Mais c'est peine perdue, mon estomac est le plus fort. Les bruits sont tels qu'ils finissent par me tirer une grimace. Poussant un soupir, je prends appui sur Blake pour me lever et me stabilise comme je peux en cherchant l'appui réconfortant de mon compagnon. Ce dernier vient se coller à moi et embrasse ma tempe, avant de passer son bras sous mon coude et de me traîner sur une chaise du comptoir.
Une fois encore, j'ai ce sentiment d'être inutile, et d'être un fardeau que j'impose à Blake. Pendant que Sexy Connard s'affaire en cuisine en faisant un bruit de tous les diables, je reste là, assise mal à l'aise sur cette chaise de bar, n'osant pas bouger de peur de tomber. Très rapidement cependant les bruits s'arrêtent et j'entends quelque chose que l'on pose devant moi. Prudemment, je lâche d'une main le comptoir et balaie doucement le vide jusqu'à trouver un objet dont je me saisis. Ce n'est qu'un verre, un vulgaire verre d'eau , mais je m'en empare comme une assoiffée ayant été privée deau.
Je ne vis pas cet instant comme une victoire mais presque. Parvenir à me saisir d'un truc sans l'envoyer valser, me procure une minuscule étincelle de joie. Très vite cependant, elle s'éteint lorsque Blake se plaçant à côté de moi, pose une assiette et qu'il me met un couvert dans la main. Aussitôt, je me raidis de nouveau.
-C'est une cuillère à soupe, me dit ce dernier. J'ai paré au plus pressé.
-Merci, je lui réponds.
Comme pour le petit déjeuner, Blake me montre où se trouve mon assiette. Cette fois, il guide ma main libre vers l'assiette pour que je la tienne. Je m'y raccroche comme à une bouée et hésitante, je plonge la cuillère. Je me rate une première fois, une seconde. Cette fois, seulement Blake qui est derrière moi, me guide en me parlant doucement. Je parviens à manger sans provoquer trop de dégâts et en apprécie même la soupe.
C'est avec un certain soulagement, que nous abordons l'après-midi . Quoi que... Que faire quand on ne voit plus rien ? Blake me propose de nous installer tranquillement sur le canapé et de se détendre avec un livre audio. Pas motivée, j'acquiesce tout de même et le laisse me guider. Alors que je veux m'asseoir , ce dernier me fait s'allonger sur lui et me serre dans ses bras.
Une fois installée, je tente de caler ma respiration sur la sienne. Je suis à nouveau tendue, et je n'arrive pas à lâcher prise. Sentir tout son corps contre le mien, fait renaître toutes mes angoisses. C'est comme si je sentais le corps de ce salaud sur moi juste avant que je ne perde connaissance.
-Arrête de gigoter, me dit Blake.
-Pardon, lui dis-je.
-Tu n'es pas bien là ? Insiste-t-il.
-Je... Je ne peux pas lui dis-je. Je n'y arrive pas.
-Tu n'arrives pas à quoi ?
-À rester ainsi, j'ai des flashs de... Juste avant de perdre connaissance. Il... Il était sur moi. Dis-je en me essayant de me redresser.
-C'est juste moi, Carotte, uniquement moi. OK ? Il ne t'arrivera rien, sauf si tu décides de rouler du mauvais côté, et là encore ce ne sera pas lui. Juste le parquet.
-Je sais, mais...
-Pas de mais, Sibylle, en plus techniquement, c'est toi qui es sur moi, pas l'inverse . Alors détends-toi et écoute cette idiotie de livre audio.
-Blake...
-Putain, ça suffit, tu t'installes , tu te détends et tu arrêtes de me broyer les bijoux de famille en te tortillant dans tous les sens.
L'ordre est clair et sans appel même si c'est donné sur le ton de l'humour . Je n'ai de toute façon pas l'occasion de me rebeller, ses bras viennent me poser de force sur son torse et me serrent. Me concentrant sur la voix de celui qui lit le livre, je finis par m'endormir.
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