Chapitre 45

Une semaine plus tard, je vais bien mieux, enfin selon les médecins qui s'apprêtent à signer mon bon de sortie. Si physiquement ça va à peu près, mentalement c'est totalement différent.

Bien que j'aie entendu les récits de Blake et Cassandre, je me sens toujours aussi sale, comme si finalement l'acte avait eu lieu. En même temps c'est tout comme. Chaque nuit, c'est pareil. Mon esprit revit les évènements tels qu'ils se sont produits. Alors, mon pouls s'emballe , je transpire abondamment et je me débats dans ce cauchemar que je revis sans fin.

Je ressens toujours cette même terreur, je ne dors que par intermittence, sauf quand les bras et le corps de Blake viennent se poser en protection autour de moi. Les deux premières journées ont été les plus dures, mon corps douloureux et affaibli, ainsi que mon horloge interne étaient complètement déphasés. Ne rien y voir, c'est dur, je dirais même c'est moche. Tout ce noir, toutes ces absences de repères, me terrorisent. J'ai peur de tout, y compris de mon évolution, de mes sens qui sans que je le veuille commencent à s'affiner .

Mon odorat est peut-être celui qui sest le plus développé. Dès que Blake entre dans la chambre, je le sens littéralement. Il y a cette odeur qui se dégage de lui, ce parfum d'homme qui libère en moi des endorphines bienvenues. Je suis beaucoup plus calme quand il est là. Ses absences, je les vis comme une torture, la nuit surtout. Maintenant que je ne suis plus dans les vapes, les médecins lui ont fait comprendre que s'il voulait continuer à venir, qu'il fallait qu'il respecte les heures de visite. J'attends sa venue avec impatience. Le contact avec les autres m'est difficile. Brent et Cassandre quant à eux sont repartis à Philadelphie, non sans m'avoir embrassée et assurée qu'ils attendent mon retour avec impatience.

Pour le restant, ça reste compliqué, mes parents sont venus, je les ai laissés me parler, pleurer, mais je suis restée silencieuse. Blake était là aussi, et rien de ce qu'il a pu me dire après leur départ ne m'a fait changer d'avis . Je suis trop en colère contre eux pour être capable aujourd'hui de leur pardonner leurs erreurs. Et surtout, tout mon être est bien trop dévasté pour entendre quoi que soit. Je lutte pour me raccrocher à quelque chose, que ce soit dans mes songes et quand je suis éveillée.

Quand Blake arrive enfin, je me sens moins oppressée. Mon corps à sa simple présence parvient à se détendre très légèrement. Mes poings que je garde la plupart du temps serrés se décrispent, et l'envie de frotter tous les endroits où ce salaud m'a touché se fait moins forte. Je dois cependant me tenir prête à son contact pour ne pas sursauter. J'ai besoin de lui, de ses bras, de sa chaleur, tout autant que je redoute le contact de ses lèvres qui ne m'embrassent pourtant que chastement. Un coup à la porte franc et bien audible, me ramène à l'instant présent. Cette façon de frapper, c'est lui. Je ne lui réponds pas, je sais qu'il n'attend pas que je lui dise d'entrer .

-Bonjour, ma belle. Me dit-il.

-Salut, je lui réponds machinalement.

-Tu es prête à rentrer ?

Je ne réponds pas de suite à sa question. Je ne sais pas quoi lui donner comme réponse. Est-ce que je suis prête ? à me tirer d'ici , surement, à affronter le restant certainement pas. Alors, histoire de montrer que ça va, je tente un sourire et lui sors le même mensonge que je dis à tout le monde.

-Oui, allons-y. Lui dis-je en me levant avec un truc qui je l'espère ressemble à un sourire convaincant.

-Ok, me dit-il. Je vais prendre ton bras et nous allons tranquillement sortir d'ici. Tous les papiers sont prêts, je m'en suis chargé en arrivant.

Sa voix  calme et assurée devrait m'apaiser , mais au lieu de ça, je me crispe. Maintenant que nous sommes sur le point de partir, mon mensonge me rattrape. L'idée d'arpenter des couloirs, l'agitation de l'hôpital me coupe les jambes et je me sens à nouveau faible. Si bien que mes jambes me lâchent et que je m'assois à nouveau sur le lit sans même vérifier que je l'atteindrais.

-Sibylle ?

-Je... Je  ne peux pas. Dis-je en étant secouée de sanglots.

-Qu'est-ce que tu ne peux pas ? Me demande-t-il

-Tout, lui réponds-je.

-Carotte, bien sûr que tu y arriveras, me dit-il en s'asseyant à côté de moi et en prenant ma main dans la sienne. Tu es une battante ma belle, tu as ça au fond de toi.

-Cette fois, je ne sais pas Blake.

-Justement, tu ne sais pas. Laisse-toi du temps, tu n'es pas seule. On est tous là pour t'aider , Cassandre, Brent, tes parents et moi.

-C'est si dur, lui dis-je en pleurant de plus belle.

-Un jour à la fois ma puce, ok ? On va y aller doucement et quand ça ira mieux, tu te rendras compte de tout ce que tu peux accomplir. Me dit Blake en me serrant contre lui tout en membrassant sur la tempe.

-Merci, lui dis-je un peu rassurée.

-De quoi, Sybille ?

-D'être là, d'être toi.

-Je ne voudrais être nulle part ailleurs, Carotte. Allons-y, sinon ils vont croire que nous faisons des cochonneries, finit-il par me dire pour alléger la tension qui règne.

Sa tentative de blague à défaut de me faire rire, me ramène à la réalité. Les derniers mots de Blake me touchent au plus profond de moi. J'aimerais croire à tout ce qu'il m'a dit. J'ignore si j'arriverai à le croire vraiment un jour, à savoir que ma nouvelle vie, ne sera pas ma prison, tout comme je ne peux m'empêcher de douter de sa sincérité quand il dit qu'il ne veut être nulle part ailleurs qu'à mes côtés.

Je décide donc que le moment ce sera suffisant, et je me laisse guider à travers les couloirs par cet homme auquel je me raccroche comme à une bouée. Dans cette mer agitée de noir, il est mon ancre.

Sortir de l'hôpital ne se fait pas aisément, chaque pas que je fais est difficile, tant sur le plan physique, qu'émotionnel. Blake fait preuve d'une patience sans faille, s'arrête quand je lui demande, même si notre progression est celle d'un escargot. Seule chose à laquelle, il ne déroge pas cependant, son refus de prendre un fauteuil pour me pousser. J'ai beau insister, essayé de l'amadouer, il ne cale pas. Il me répète à chaque fois, malgré ma faiblesse, que je m'en tire bien. Chaque bruit de pas, de matériel qu'on pousse et même chaque frôlement me fait sursauter et paniquer. Alors, à chaque fois, il prend le temps de me rassurer, me serre contre lui jusqu'à ce que je reprenne un semblant de contrôle.

Sa voix me guide, m'apaise et ne m'abreuve pas d'informations dont je n'ai aucune envie de savoir. La couleur des murs, je men tape, la taille du chariot qui vient de manquer de m'emboutir, je m'en cogne aussi. Seule la chaleur de son corps contre le mien, sa main posée sur mon bras m'intéresse .

Quand nous sortons enfin, je presse son bras pour lui faire signe de s'arrêter . J'ai besoin dun tout petit temps d'adaptation pour pouvoir continuer. Levant la tête, je sens la chaleur caresser mon visage, et je me laisse imprégnée par ces odeurs de rue, de gaz d'échappement . Je m'en gave comme si je n'allais plus pouvoir les sentir avant longtemps.

-Il fait beau, non ? Lui dis-je.

-Oui, si on reste planté là trop longtemps, tu vas finir par prendre un coup de soleil. Allez, viens allons à la voiture et rentrons à la maison.

Je le laisse à nouveau me servir de guide. Une fois installée dans la voiture, je le laisse attacher ma ceinture, et s'assurer que je suis bien. Sa main posée sur ma cuisse me transmet sa chaleur. Pendant que nous roulons en silence vers Phili, la radio pour seule compagnie, je me demande où se trouve ma maison, avant que je finisse par m'endormir , la tête contre la fenêtre.

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