Chapitre 38

Le bruit d'une portière qui claque me ramène au présent. Il semblerait que nous soyons arrivés à destination. Quel que soit l'endroit , je doute que cela me convienne. Je pourrais me rebiffer, si seulement je n'étais pas aussi faible qu'un oisillon.

Je ne leur parle pas, je n'en ai pas envie. Ils ne méritent pas ça, j'en suis consciente. Mais le noir ambiant, ce noir qui va devenir ma maison me submerge, me broie dans ses bras. J'avais tiré un trait sur eux, par bravade, par besoin de voler de mes propres ailes, mais pas que...

Il n'avait jamais été question que je me coupe définitivement de ma famille. Seulement, de le savoir, lui toujours présent dans leur entourage, ce n'était pas possible. Même pour la fille de Peyton, je n'en étais pas capable.

Maintenant qu'ils sont là, le dialogue ne veut pas se renouer. Mon père se terre dans un silence, il ne me parle pas. C'est ma mère qui le fait, qui rompt ce silence lourd de sens. C'est aussi elle qui m'a tenu la main avant mon réveil, qui a organisé ma sortie.

Je suis salement amochée, pas physiquement, mais psychologiquement. Savoir que tout ce que j'avais envisagé, prévu, ne m'a servi à rien, m'anéantit. À quoi bon avoir passé, ces dernières années, ces derniers mois à bosser d'arrache-pied pour sombrer de cette façon.

Je suis une épave à l'intérieur et même si mes pensées me mènent vers Cass et Blake, le Book and Coffee rien ne me fera remonter. Alors, je ne dis rien, me laisse porter en ayant pour moi, que la culpabilité que je ressens pour ceux qui doivent m'attendre .

-Sibylle, il faut descendre, me dit la voix de ma mère.

Je ne bouge pas, je reste assise immobilisée par la ceinture de sécurité. Un courant d'air pénètre dans la voiture et me glace le sang. Mes sens sont exacerbés et la moindre stimulation provoque des réactions incontrôlables. Lorsque la main de ma mère me touche l'épaule , c'est comme si l'on venait de me frapper. La surprise est telle que par réflexe, je lève mes mains pour me protéger d'un éventuel coup. Je ne me sens pas en sécurité, j'ai peur de tout, et même de mon ombre, si seulement je pouvais la voir.

-Sibylle, s'il te plaît, viens. Laisse-moi t'aider , souffle ma mère.

Je ne bronche pas, je veux juste ne plus rien ressentir. Précautionneusement, je sens contre mon corps, le bras de ma génitrice. Cette dernière me prend en charge, détache ma ceinture et me manipule comme une marionnette. L'instant d'après , je me retrouve debout hors du véhicule. Un bras vient se glisser sous mon bras gauche, pendant qu'une main se pose sur ma main, avant de m'inciter à avancer.

-On va y aller doucement, Sibylle, reprend ma mère d'un ton qui sonne faux. Tu verras, tu vas vite t'y faire.

Alors que je la laisse me guider très lentement, je manque de rire en l'entendant me dire que je vais vite m'y faire. Peut-on justement se faire à cette situation ? Est-ce que là maintenant, j'ai envie de m'y faire ? Tout mon corps hurle au moindre mouvement. Mon état de faiblesse arrache des plaintes silencieuses à tout mon être.

Imaginez-vous marcher complètement dans le noir. Vous allez me dire, que vous l'avez déjà fait, et je vous répondrais que je l'ai fait aussi. Quand on voit, le noir total ne l'est jamais vraiment. Votre cerveau a cartographié l'endroit où vous trouvez. Vos yeux ont retransmis à votre unité centrale toutes les informations dont vous n'avez pas conscience. Alors, chez vous il est facile de vous déplacer, vous percevez même probablement des ombres, car vos rétines se sont habituées. Mais, quand le noir devient total parce que vos yeux ne fonctionnent plus, tous vos repères tombent les uns derrière les autres. C'est comme si l'on vous enfermait dans une cage immense et qu'on vous y laissait au milieu.

Faire un pas après l'autre me demande une énergie folle. Malgré le soutien de ma mère, je trébuche à plusieurs reprises. Cette dernière de sa voix posée m'énonce les différents obstacles. Je sais que je suis arrivée, quand ma mère me lâche un instant pour refermer la porte derrière moi. Une fois de plus, je sursaute. Je suis comme un nouveau-né qui découvre les bruits qui l'entourent . Une odeur familière me vient aux narines. Cette odeur est puissante, nauséabonde, c'est une odeur que je n'ai jamais pu apprécier. Ce parfum entêtant me renvoie des années en arrière, je comprends enfin où l'on m'a emmené. Du moins, je le suppose, et ça me terrorise. Pour la première fois, depuis que j'ai repris connaissance, je sors de mon mutisme. Ma voix me paraît étrangère, mes bras restent le long de mon corps, alors que les bruits ambiants me viennent progressivement aux oreilles. La peur suinte du moindre pore de ma peau.

-Où est-ce qu'on est ? Je demande, peu certaine d'avoir envie d'entendre sa réponse.

-À la clinique, me répond ma mère. Aller, viens tout est prêt pour toi, me dit-elle en me reprenant mon bras pour me guider. Ton père attend.

Je crois bien que je suis dans un cauchemar. Je sais que je ne suis pas un ange, mais là Damoclès m'a frappé durement. Je n'ai pas besoin d'avoir plus d'explications , j'avais deviné rien qu'au parfum des lys que je n'étais pas de retour chez mes parents. Il a fallu qu'ils me conduisent ici, dans le temple de ce connard. Dix ans à fuir cette ville, cet endroit, et cet enfoiré, tout ça pour rien.

Le bras ferme de ma mère me traîne à travers le couloir. Je l'entends qui salue quelques personnes. Nous traversons, je ne sais combien de couloirs, prenant parfois à droite, à gauche. Je suis complètement perdue, isolée, et n'ai dautres choix que de me laisser conduire. Nous finissons par entrer dans une pièce, où j'entends la voix de mon père parler avec une femme.

Pendant un court instant, je souffle. Ce n'est pas sa voix à lui que j'entends . De courtes, très courtes secondes durant lesquelles, je prie pour ne pas entendre ce son . Je savoure ce répit, tout ce que je veux, cest qu'on éclaire ma lanterne, sur ma présence ici.

Une main que je ne connais pas vient prendre le relais, à l'instant où ma mère me lâche. On me conduit à un lit sur lequel on me dit de m'asseoir . Mes gestes sont gauches et j'attends qu'on me donne ces satanées explications qui ne viennent pas. Mais non, la voix me dit qu'elle est l'infirmière de garde de jour et que c'est elle qui s'occupera de moi aujourd'hui .

Au moins, c'est clair, ce nest pas Rosie machin chose qui va m'apporter ma réponse. À part me dire qu'elle reviendra tout à l'heure , elle ne m'est d'aucune utilité. Mes parents quant à eux ont le droit à un peu plus de considération, vu quelle prend le temps de les saluer par leur fonction.

-Pourquoi je suis là, finis-je par demander.

-Parce que c'est mieux pour toi, me répond ma mère.

-Pourquoi pas la maison ?

-Parce que n'est pas possible Sibylle, dit mon père calmement.

-Je ne resterai pas ici, les prévins-je.

-Tu n'as pas le choix Sibylle.

-J'aurais pu tout aussi bien rester à Philadelphie, j'aurais pu me débrouiller seule.

-Ah oui et comment Sibylle ? S'emporte ma mère.

-Georgia, doucement s'il te plaît ! Gronde mon père.

-Non, Ron ! Neuf ans Sibylle, neuf années sans nouvelles, et puis hop, le téléphone sonne et on nous annonce que tu es à l'hôpital . Que ma fille est mal en point !

-Maman.

-Non, tu sais quoi ? Tu es là parce que Erik s'est démené pour te trouver une chambre ici, en attendant que tu te retapes suffisamment pour entrer en centre de réadaptation. Tu as su nous rayer de ta vie, alors maintenant tu vas faire ce qu'on te dit ! Mais c'est la dernière fois que je te viens en aide ! Pour ma part, je n'ai plus de fille !

Je suis sidérée par ses paroles. Jamais ma mère ne m'a parlé ainsi. Même si j'ai conscience d'avoir coupé les ponts et d'être responsable de cette situation, ses mots n'en sont pas moins douloureux. Un poids vient creuser le matelas à côté de moi, et une main d'homme vient se saisir de la mienne.

-Ne juge pas trop durement ta mère. Me dit ce dernier.

-Tu sais pourquoi je suis partie.

-Je crois savoir en effet, même si je n'en suis pas sûr. Ce que tu as fait, ton départ, ça fait a démolit ta mère, Sibylle. Ça nous a fait mal, tu nous as fait mal. Même si je comprends, je suis toujours en colère.

-Papa, je...

-Laisse-lui du temps, elle finira par se calmer. Elle a eu peur, te voir dans ce lit, ne pas savoir s'il n'était pas trop tard. Tu es notre seul enfant, on n'est pas parfaits, on a fait des erreurs, mais on ne te laissera pas comme ça.

-Erik ?

-Sois sans crainte, il est absent. Il ne sera pas de retour avant trois semaines, d'ici là tu auras intégré le centre.

-Est-ce que Maman sait, pour...

-Pour Casey ?

-Oui, qu'elle est sa fille biologique et que...

-Non, je ne lui ai jamais dit.

-Pourquoi ?

-Elle s'est beaucoup occupée de Casey après ton départ. Elle aime beaucoup la petite.

-Je l'ignorais.

-Comment aurais-tu pu le savoir ?

-Je suis peut-être partie, Papa, mais je n'ai jamais tourné le dos à Casey.

-Les objets sur la tombe, les fleurs tous les ans, c'était toi ?

-Oui.

Alors que le silence nous gagne, je sens le bras de mon père s'enrouler autour de mes épaules et me serrer contre lui. Jai le cœur au bord des lèvres, des larmes dans les yeux. Jamais, je n'ai parlé comme ça avec lui. Je pensais que ce serait lui qui me rejetterait, et non ma mère. Je leur ai fait du mal en partant, je le sais. Je m'en veux, mais c'était ça où je sombrais encore plus.

Après son départ, et la promesse de venir me voir, je m'écroule sur ce lit. Je me roule en boule, tout en tentant de tenir loin de moi ses ombres qui me gagnent et me font suffoquer.

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