Chapitre 15

Je me réveille en sueur, frigorifiée et effrayée. Dressée dans mon lit, je cherche tout autour de moi une lueur, rien. Le noir total, même pas l'ombre de mes doigts devant mes yeux. Ça y est, le moment tant redouté est enfin arrivé.

Je replie mes jambes sous mon menton et les entourent de mes bras. Je pleure fort, très fort tout en me balançant d'avant en arrière. Je me répète dans ma tête, puis à voix haute :

– Non, non, pas déjà ! Pitié, qu'on me laisse encore du temps. Je ne suis pas prête !

Cette litanie continue, je la hurle. Je suis perdue, je ne me sens pas en sécurité dans tout ce noir. Mes repères, partis, envolés. Ma tête tourne, impossible de me souvenir où j'ai posé mon kit d'insuline. Et puis comment faire ! Comment lire ma glycémie et m'injecter la bonne dose.

J'essaie à tâtons de retrouver mon téléphone. Il faut que j'appelle Cassandre. Elle saura m'aider, elle viendra. Je lui dirai quoi faire, lui dirai où trouver mes listes de choses à faire. La panique me fait suffoquer, j'ai l'impression que l'on enserre ma poitrine, m'empêchant de respirer. Je ne trouve pas mon téléphone.

Plus je panique, plus ma tête tourne. Je commence à me sentir mal, et j'ai peur. Peur que personne ne se rende compte de mon absence. Je tente encore de trouver cette insuline qui assurera ma survie. Mon corps ce lâche part déjà me laissant m' effondrer au sol. Je tâtonne par terre à la recherche de mon téléphone, ou de l'insuline, en vain.

Affaiblie, je renonce et me laisse sombrer doucement dans l'inconscience. Une voix pourtant me tire de ma brume. C'est d'abord un murmure, puis ça devient plus fort. J'ai l'impression que l'on me secoue. La voix ne m'est pas inconnue, elle me blesse dans mon cœur et mon corps. Je rassemble le peu de forces que j'ai et me redresse. Mon dos butte contre quelque chose et je peux me maintenir assise grâce à ça.

La voix continue, elle me parle, elle me dit de lutter. Elle se fâche, elle me traite de lâche, dit que tout est de ma faute. Que je ne tiens pas ma parole. Alors j'ouvre les yeux et la regarde, elle se tient accroupi devant moi.

– Peyton ! Dis-je dans un souffle.

Je me redresse d'un bond dans mon lit. Je suis essoufflée comme si j'avais couru et une sueur froide coule le long de mon dos. Mes cheveux, eux aussi sont trempés et me tombent dans les yeux. Je souffle fort tout en ouvrant les yeux, la lueur du jour m'agresse. Ma tête me fait très mal, plus que d'habitude. Mes yeux brûlent de larmes versées.

Je mets quelques minutes pour retrouver mon calme et toute ma tête. Péniblement, je tourne celle-ci vers mon réveil pour y lire l'heure. Je n'y parviens pas, je dois me tourner complètement pour déchiffrer les nombres inscrits. Il est six heures vingt du matin, mon réveil aurait dû sonner il y a vingt minutes. Passant mes mains sur mon visage, je réalise en tremblant que ce n'était qu'un rêve. Un putain de mauvais rêve. Ça avait l'air si réel ! Cette panique, je la ressens encore jusque dans mes os. L'odeur désagréable de la peur me colle à la peau. C'était si réaliste, puis je l'ai vu, elle. Peyton était dans mon cauchemar, elle me secouait verbalement ! M'accusait de je ne sais quel méfait.

Des putains de larmes se remettent à couler. Je lâche prise, je laisse cette terreur gagner. Je n'ai plus la force de lutter. Ce rêve était trop tenace, il a fait remonter des souvenirs douloureux. Qu'elle me manque ! Que ne donnerai-je pas pour qu'on revienne à ces jours heureux, à notre rencontre. Nous étions si jeunes, la vie aurait dû lui sourire, si seulement elle était tombée dans la bonne famille. Si seulement, nous ne nous étions pas amusées à repousser les limites imposées par notre maladie.

Le rappel du réveil se manifeste et me sort de mes sombres pensées. Je traîne les pieds dans la cuisine et me fait couler un café très serré. Ma glycémie ne doit pas être au top, pas besoin de la vérifier pour le savoir. En attendant que la cafetière ai fini de faire passer le café, je reste prostrée les bras tendus sur le bord du plan de travail, la tête rentrée dans les épaules. Je réfléchis un instant, puis me rappelle quel jour nous sommes.

Au même instant, le bruit caractéristique de la cafetière qui vient de se terminer se fait entendre. Des larmes silencieuses coulent à nouveau le long de mes joues.

Aujourd'hui nous sommes le jour ! Le jour où tout à basculer, ce jour où j'ai compris que rien ne serait jamais plus pareil. Dix ans qu'à cette même date, la plaie s'ouvre à nouveau. Neuf ans depuis que je suis partie, Neuf années à  retourner là bas pour y déposer une unique fleur et à me faire discrète pour ne croiser personne qui puisse me reconnaître.

Pour la première fois en neuf ans, je ne serais pas au rendez-vous. Ça me dévaste, me plonge encore plus loin dans les abîmes de ma détresse. Je me sens lâche, coupable d'être là, alors qu'elle n'est plus. Coupable de vivre le rêve de Peyton. Car c'était son rêve à elle. C'est Peyton qui était le cerveau de notre duo. Elle me manque toujours autant, à chaque seconde, à heure de chaque jour.

La matinée avance péniblement, enfermée dans mon bureau les stores baissés, je me cache de tout et tout le monde. C'est une journée calme comme ça arrive de l'être. Lundi rime avec tranquillité, du coup Stephen est aux commandes, tandis que généralement je m'occupe de renouveler les commandes et de passer en revue les animations de la semaine. Seulement aujourd'hui, je n'en fait rien. Je me terre et c 'est tout.

Mon employé l'a d'ailleurs bien compris, il ne vient pas me voir. En même temps, même si le café n'est pas plein, il y a quand même toujours du monde pour demander un conseil de lecture ou pour savoir si nous avons tel ou tel ouvrage.

Et moi, ben j'endosse mon costume d'autruche et enfouis ma tête tout au fond du trou pour échapper à ce chagrin que j'arrive pas à affronter. Mes yeux rouges et mon air lugubre étant mes amis du jour sont là avec moi, pour me rappeler qu'il a fallut la laisser partir.

Vers midi, un léger coup est donné sur ma porte et la tête de Stephen apparaît. Le bureau est plongé dans la pénombre, alors je distingue à peine son visage. Seule sa coupe de cheveux improbable m'indique que c'est lui. Alors que ses traits m'apparaissent plus nettement, je lis sur son visage, cet air qu'il prend quand il a peur. Il agit comme un enfant pris en faute.

Je me fais l'effet d'être un dragon qu'on a peur de déranger. Peut-être est-ce réellement le cas, aujourd'hui pourrait ne pas déroger à la règle sauf que je n'en ai ni le courage, ni la force. Être là dans mon bureau me demande un effort important. J'aurais mieux fait de rester là haut, à l'abri du monde extérieur.

– Je te dérange ? Me demande il.

– Oui ! Enfin non, lui réponds-je.

– Voilà, je me demandais, si tu en avais fini avec les entretiens ?

– C'est obligé d'en parler maintenant Steph ? Je ne me sens pas très bien.

– C'est que, je connais quelqu'un, qui cherche un boulot et...

– Pas aujourd'hui !

– Mais...

– Non Stephen.

– S'il te plaît, elle est là ! Je, je lui ai dit que tu la recevrai.

Putain, fait chier. Je regrette vraiment d'être descendue. Devant son insistance et son air de chien battu, je n'ai qu'une envie, lui balancer le cahier que j'ai sous les doigts. Même si c'est son cahier, celui dans lequel elle se confiait en dernier.

Je me saisis du cahier et me lève. J'en ai assez d'être ici, il me faut de l'air, j'étouffe. Il faut que je m'éloigne avant de m'emporter, de perdre le peu de contrôle qui me permet de tenir debout. Stephen est encore dans l'entrebâillement de la porte, ni dedans, ni dehors. Il me regarde d'un air inquiet, immobile comme une statue. Alors, je me saisis de la poignée et ouvre la porte en grand.

Je suis un instant aveuglée par la lumière de la salle qui agresse mes rétines. J'en suis un instant déséquilibrée. Me redressant, j'adresse mon regard le plus féroce à mon employé. J'imagine que vu l'état de mes yeux et probablement de mes cheveux, que je dois ressembler plus à une folle échappé de l'asile, que d'une patronne. L'envie de m'échapper se fait de plus en plus pressante, il faut que je parte. Je sens une larme couler le long de ma joue. Voilà que je me mets à pleurer sans que je sente les choses venir. Comme si l'on m'avait anesthésié.

– Sibylle, il y a un soucis ? Quelque chose ne va pas ? Me demande Stephen.

– Non. Dis à ton amie que je la recevrai demain à neuf heures.

– Je...OK.

Là dessus, je le plante et pars sans me retourner avec uniquement son cahier dans mes bras. Une fois dehors je prends machinalement à gauche, je ne regarde pas où je vais, je n'ai pas de destination précise. Je marche seulement d'un bon pas, tournant dans les rues de Philadelphie, allant tout droit dans d'autres. Je crois que je bouscule même quelques passant.

Je n'ai rien avec moi, ni téléphone, ni lunettes et encore moins une veste. Le temps est gris, il se charge à devenir noir, comme mon humeur. Je n'en tiens pas compte, même lorsque que les nuages finissent par s'ouvrir et déverser des trombes d'eau. Les gens autour de moi se mettent à courir pour se mettre à l'abri. Pas moi, je marche et marche encore. A l'abord d'un parc, je décide de m'arrêter. Je suis trempée, je devrais rentrer. Je n'en fais rien. J'avise un banc et je m'y assois, le cahier de Peyton toujours serré dans mes bras, protéger par sa couverture en plastique.

Je n'ai pas besoin de l'ouvrir, je connais chaque mot par cœur. Impossible d'oublier que sa vie s'est achevée à l'âge de vingt ans. Impossible aussi d'oublier ses derniers mots et ceux des médecins qui m'ont dit qu'il n'y avait plus rien à faire, et qu'il fallait prendre une décision.

– Carotte ?

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