Chapitre 1 (Mckensie)
Je suis bonne pour changer de chemisier ! Comme si m'être levée en retard ne suffisait pas.
Maudit karma.
Je frotte comme une folle cette abominable tâche de café pour tenter de la faire disparaître, mais il n'y a rien à faire. Pire, je suis en train de l'étaler en m'acharnant dessus. Avec ces conneries, je vais être à labour au boulot et le directeur ne va certainement pas me louper dès que j'aurais franchi la porte.
À croire que je l'entend déjà me sermonner, avec tout un tas de phrases construites à l'avance et répétées sans cesse mot à mot durant des années comme une litanie.
— Cela fait déjà deux fois ce mois-ci, mademoiselle Clark ! Vous savez que des tas de personnes toutes aussi qualifiées que vous n'attendent qu'une chose ? C'est pouvoir travailler en étroite collaboration avec cette banque de prestige. Vous devriez être plus consciencieuse et respecter vos collègues qui sont dans l'obligation de vous remplacer, en plus de leur tâche, pour satisfaire les clients qui vous attendent. Et le temps, c'est de l'argent, mademoiselle Clark !
Et bla bla bla...
Pourquoi faut-il toujours être tirée à quatre épingles pour des gens qui ne vous calculent même pas ? Franchement, ça me dépasse. Affublée en jean basket, ça ferait le même effet et je ne courrai pas après le temps pour être à l'heure. Tout ce qu'ils leur importent, c'est de pouvoir récupérer leurs petites liasses de billets verts et puis basta. Enfin pas tout à fait... D'abord, ils comptent devant vous, au cas où vous en auriez mis un dans votre poche comme un mauvais tour de passe-passe qu'ils n'auraient pas vu venir. Sait-on jamais ?
C'est bien connu. Les banquiers sont des voleurs. Une belle étiquette que je traîne depuis que je bosse là-dedans.
Et tout cela, il faut l'accepter avec le sourire. S'il vous plaît ! Un masque que je me suis habituée à porter, qu'importe la situation. Bonne ou mauvaise. Tout est faux, l'image, le comportement, la passivité. Alors que l'envie de les envoyer balader devient de plus en plus présent à chaque nouvel accrochage.
J'abandonne mon haut blanc et opte pour un autre couleur crème. Toujours rester dans les tons clairs, ça fait plus chic aux yeux des clients. Je lisse ma jupe droite noire sous mes paumes, récupère mes clefs et jette un coup d'œil dans le miroir de l'entrée pour vérifier mon rouge à lèvre et contempler mes yeux à la recherche d'une certaine imperfection visible. Ma paume passe sur mon crâne pour plaquer mes cheveux bruns rebelles jusqu'au chignon, pour que l'image soit parfaite. Me voilà enfin prête à prendre le chemin de ma vie professionnelle sans aucune saveur. Ma veste sur mon avant-bras, mon sac à main sur l'épaule, je descends rapidement les marches de mon immeuble pour gagner la station de métro où l'affluence est déjà à son apogée. 8h20, c'est l'heure de pointe et je crains d'être vraiment à la bourre cette fois.
Presqu'au pas de course, je passe la porte de la banque et aussitôt, je me faufile derrière mon comptoir pour accueillir les premiers clients en affichant un sourire pour le moins forcé tout en essayant de retrouver mon souffle. Ni vu, ni connu, pile à l'heure, sans compter les regards en coin de mes chers collègues, agréables et charmants. Comme d'habitude.
L'envie de compter jusqu'à trois et de leur adresser mon respect la plus totale en affichant mon majeur me brûle de l'intérieur. Seulement, je n'en ferai rien. Ce serait leur donner du grain à moudre et j'ai d'autre chat à fouetter.
C'était quand même moins une, lorsque je vois le directeur sortir de son bureau en observant sa montre et levant les yeux aux ciel d'un air contrit.
Je lui réponds d'un signe de main exagéré pour le saluer et aussitôt il retourne dans son bureau en pinçant les lèvres.
S'il n'y avait pas eu ce léger retard de la rame de métro, j'étais bonne pour prendre le suivant et arriver quinze minutes plus tard.
Finalement, cette journée ne risque pas d'être pire que les autres si mon déo, qui vante une durée de 48 heures, tient le coup. Sous le regard presque médusé de ma première cliente fixé sur mes joues aussi rouge qu'une écrevisse avec ce même dédain habituel et épuisant. Elle ne me balancera pas la première pierre, celle-là.
L'air de rien, je la prends immédiatement en charge avant qu'elle n'ouvre la bouche pour me balancer une de ces piques blessantes comme elle sait si bien le faire d'ordinaire. Cette vieille bigote refuse de tirer de l'argent au guichet automatique et c'est toujours à moi qu'elle se présente au moins une fois par semaine pour remplir son portefeuille et en profiter pour me faire comprendre que je suis payée pour la servir comme une bonne petite employée modèle.
Je déteste ce boulot...
Mais il me faut un toit, de la bouffe, de la lumière et tout ce qui me permet de vivre comme une adulte responsable.
La matinée passe à un rythme effréné, et arrive l'heure du déjeuner. Toujours solitaire, sur une terrasse d'un bistrot, je picore une salade pendant que je lis le dernier roman en vogue, dont tout le monde parle, sous un soleil éclatant. Les pages défilent à une vitesse folle. L'écriture est fluide et l'histoire addictive. Il m'arrive parfois de m'imaginer à la place de ces filles qui tombent éperdument amoureuses de ce garçon que tout le monde évite comme la peste. Parce qu'il est infréquentable. Cassé par la vie. Il ne respecte personne et pourtant, il s'ouvre à elle. Panse ses plaies grâce à l'amour qu'elle lui donne. Et surtout j'adore les happy end.
À côté, ma vie est tellement fade. Mais ça me permet de m'évader quotidiennement pendant quelques chapitres. La dernière fois que je suis tombée amoureuse, c'était un type marié avec des gosses. Seulement, il s'était bien caché de le dire, jusqu'à ce que je découvre le pot aux roses. Depuis, plus rien. Même pas une aventure d'un soir. C'est le calme plat. La dernière chose à avoir propulsé mon cœur contre ma poitrine, c'était cette énorme araignée se baladant tranquillement sur ma table de chevet l'autre soir.
C'est dire !
Je regarde ma montre et me rends compte que le temps a filé à vitesse grand V. Je fourre rapidement mon bouquin dans mon sac pour repartir au taff jusqu'à 18h, encore au pas de course. Décidément, aujourd'hui était un jour où mes tennis n'auraient pas été de trop. Je vais le sentir ce soir quand je vais retirer mes escarpins. Mes pieds vont me maudire pendant des heures. Et moi, détester ces chaussures toute la soirée.
On débute l'après-midi par une réunion flash. Le boss annonce l'arrivée des nouveaux livrets d'épargne sur le marché avec cette perpétuelle voix soporifique. Discrètement, je me mets à bâiller d'ennui et le mets en sourdine, mais je me fais surprendre d'un regard noir et sans équivoque par le directeur. J'en ai assez d'être infantilisée par ce malotru. Parfois j'ai l'impression d'être retournée à l'école et de me faire réprimander par le professeur, à cause 'un devoir mal fait. Secouant les épaules d'exaspération, je baisse la tête et me demande si finalement c'est le bon métier que j'ai choisi pour les dizaines d'années à venir. J'ai voulu m'assurer un avenir pour faire plaisir à mes parents et voilà le résultat médiocre de ce sacrifice engendré dans le seul but qu'ils me foutent la paix. Pendant ce temps, j'ai mis de côté, jeunesse, bringue, et tout ce que les étudiants font pour profiter de la vie avant de rentrer dans la vie active.
Il est où le bouton pour tout recommencer ? Parce que s'il en existe un, j'aimerai bien savoir où il se trouve celui-là !
Il y a tellement de gens passionnés par ce qu'ils font. Ils aiment leur métier. Pour eux, c'est une véritable vocation et moi, je suis en train de me croûter dans une boîte qui ne m'amène aucune satisfaction. Un salaire convenable, je le concède, mais au-delà de ça, qu'est-ce qu'il m'apporte de plus ?
Définitivement rien...
Des clients ennuyeux et d'une exigence sans pareil...Un directeur qui sourit quand il se brûle avec une allumette. Des collègues coincés du cul, avec un faciès crispé du matin au soir. Des murs fadasses sans aucune once de couleur. Un mobilier tout aussi terne. De plus, je ne me suis jamais sentie à l'aise dans cet accoutrement hors de prix pour faire partie du décor.
Bordel, mais qu'est-ce que je fous ici ?
Je boue de l'intérieur et j'ai envie d'hurler pour évacuer ce trop plein de médiocrité et de faux semblant. Ma jambe tremble d'énervement. Mes muscles bandés persécutent mon mental en perdition. La douleur devient intenable et je suis sur le point d'éclater ma rage que je retiens depuis bien trop longtemps.
Oh et puis merde ! J'en ai ras le cul de cette boîte à la con ! De toute façon, qu'est-ce que j'ai à perdre au final ? J'ai besoin de vivre bordel ! Je veux moi aussi ressentir l'épanouissement d'une existence accomplie. Vivre à 100 à l'heure ! Éprouver une plénitude permanente sans ne plus jamais devoir me poser de question.
Déterminée, je me lève sans que la réunion soit clôturée et commence à passer la porte sous le regard médusé de mes collègues quand je vois du coin de l'œil une ombre me foncer dessus comme un boulet de canon.
Il empoigne mon bras, me fait faire un demi-tour, plaque mon dos contre son torse et appuie, ce que je suppose être, le canon d'un pistolet sur ma tempe. C'est froid, désagréable et terrifiant.
En une fraction de seconde, ma vie vient de virer à 180° sans comprendre un seul instant ce qu'il se passe.
La stupéfaction s'entend dans la salle et d'un seul homme tout le monde se lève pour s'éloigner de ce qui les effraie. Les yeux vissés sur ma personne, mais également sur celui qui me tient en joue avec une force sans pareil.
Incapable de respirer, l'air reste bloqué dans mes poumons. Mon cœur menace d'exploser et mon corps tout entier est pris d'un tremblement incontrôlable. Les rouages de mon cerveau tentent de comprendre ce qu'il se passe dans ces eaux troubles. Des cris se font entendre, pendant que le mien s'évertue désespérément de sortir de ma gorge. Sans aucun résultat. Devenue aphone, ça hurle dans ma tête et j'ai l'impression d'être prise au piège dans une enveloppe charnelle qui n'est plus la mienne.
Je voulais un changement de vie ! Non pas perdre celle-là avant d'atteindre un but concret ?
— Personne ne bouge, ou je la bute, c'est compris ? Et fermez vos gueules !
Je vais mourir...
La voix est rauque et sans hésitation. Ils lèvent tous les mains au-dessus de leur tête et le silence règne de nouveau. La petite nouvelle tombe dans les pommes et personne ne réagit, paralysé par la peur. L'agresseur nous pousse à l'intérieur et referme la porte derrière lui. Je suis face à des statues aux yeux horrifiés, remplis de larmes pour certains ou bien même fermés pour d' autres, alors que c'est moi qui est pointée d'un flingue et qu'ils ont ma vie entre leurs mains.
— Qui a la clef du coffre-fort ?
Inconsciemment les têtes se tournent vers le directeur qui commence à suer de tous ses pores.
En même temps, qui d'autre peut avoir dans ses poches le pouvoir d'ouvrir cette porte au trésor ? Certainement pas moi, la pauvre conseillère que je suis.
Le type passe son bras sur mon ventre et m'encercle plus férocement contre lui. Pressée comme un citron entre cet étau de muscles, j'ose à peine reprendre mon souffle et le toucher.
— Reste tranquille et il ne t'arrivera rien, murmure-t-il à l'oreille.
— D'acc...D'accord, marmonné-je.
— Toi ! Tu viens avec nous ! ordonne-t-il au patron d'un geste avec son arme.
— Il y a des sécurités sur le coffre ! J'aurais à peine mis la clef que les alarmes vont se déclencher ! J'ai des heures à respecter pour l'ouvrir !
— On a très exactement 12 minutes avant que la flicaille débarque ! Je sais déjà tout ça ! Alors grouille ton gros cul et emmène-moi où je t'ai demandé. Tout de suite ! vocifère-t-il. Mes gars n'ont pas que ça à faire de surveiller l'entrée !
Je me crispe un peu plus. Il n'est pas seul et le moindre faux pas peut créer un véritable carnage.
Complètement paniqué, le boss passe à côté de nous et le braqueur lui ouvre la porte se servant de moi comme bouclier.
— Pas d'entourloupe, ou je te troue la peau ! On est d'accord ?
Il acquiesce d'un hochement de tête et continue de nous devancer les mains levées à hauteur de crâne.
Derrière le détenteur de cette fameuse clef, je piétine comme je peux pour suivre sa cadence pendant qu'un autre type prend la relève pour surveiller les collègues entassés les uns contre les autres, en train de ventiler la malheureuse débutante.
— Garde un œil sur eux ! murmure-t-il à son second.
— Ça sera fait !
Je perds une chaussure dans le couloir alors que mes pieds touchent à peine le sol, légèrement soulevée par le bras puissant de mon agresseur. Son arme à feu fait des allées et venues entre ma tête et le dos de mon boss à chaque fois qu'il le bouscule pour qu'il presse le pas. L'angoisse et la peur panique me gagnent de plus en plus. Deux de ses acolytes nous suivent, avec l'intention probable de remplir jusqu'à la gueule deux gros sacs de sports qu'ils ont aux épaules. J'ai aperçu leur reflet au passage de la porte vitrée menant au coffre, alors qu'ils n'avaient fait aucun bruit, annonçant leur présence.
Derrière les bureaux d'accueil, je constate que l'entrée est gardée par un autre type et il veille à ce que personne n'entre ni ne sorte de la banque, armé lui aussi, mais également cagoulé, comme le reste des mercenaires.
On n'a aucune chance. Ils sont organisés et on n'a jamais été préparé à ce genre de situation. Cette banque a toujours été considérée comme une forteresse. Ils se sont largement plantés sur ce coup. Rien n'est impénétrable. Pour preuve...Leur assurance démesurée me vaut une vie mise sur la sellette. Des rapaces comptant le moindre centimes dépensé pour éviter une formation en cas de braquage. Voilà à quoi ça nous mène. Malheureusement, tout comme eux, jamais je n'aurais imaginé cet endroit se faire vandaliser un jour et pourtant j'assiste comme une poupée de chiffon à un vol à main armé sans être capable de me défendre au risque de me prendre une balle.
Est-ce mon dernier jour de vie sur cette terre ? J'ai encore des années devant moi. Beaucoup plus que ce qu'il y a derrière et je n'ai encore rien vécu !
Même s'il m'a dit qu'il ne m'arrivera rien si je coopère, je ne parierais pas sur ces mots sans aucune valeur.
À l'instant T, tu respires, vies, bouges et prends des décisions débiles et la seconde d'après tu fais un rapide tour d'horizon de ta vie, et au final, tu ne la trouves pas si mal. Mais il est trop tard.
Beaucoup trop tard et tu commences à regretter tes états d'âmes... Et surtout, tu maudis ce déo qui ne remplit plus ses fonctions. Si je m'en sors, ils vont avoir de mes nouvelles pour leur publicité mensongère !
****
Hello ! Alors que pensez-vous de ce premier chapitre ?
Mckensie était prête à renoncer à sa vie bien rangée, mais malheureusement, ce n'était visiblement pas le bon moment. Elle n'a vraiment pas de chance...
Je vous embrasse
Bina
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