41- La voleuse d'alcool

    « Adieu, satanée école militaire. »

Se répétant en boucle cette phrase tout en souriant, Thomas monte à bord du train qui va l'éloigner de cette école qui lui a causé tant de soucis ces derniers mois. Certes, il y reviendra dans deux semaines mais d'ici là il espère ne plus en entendre parler. Les vacances vont lui permettre de se changer les idées, de revoir ses amis, de retrouver sa ville natale. Et surtout de ne plus se lever à l'aube.

Pendant deux semaines il va pouvoir redevenir Judy, ou du moins il le pense, jusqu'à ce qu'il entende son téléphone vibrer. Un énième message d'Alya lui demandant pourquoi Alex a annulé leur sortie vendredi soir. Il reçoit au même moment un message de l'administration de l'école lui rappelant que ses séances quotidiennes avec la psychologue reprendront dès la fin des vacances. Il n'était pas au courant que l'administration avait réussi à avoir son numéro.

En choisissant un siège côté hublot, il tente de garder sa bonne humeur en se répétant encore et encore cette phrase, mais le pseudonyme de Thomas Arguer lui colle à la peau et jamais il ne pourra ignorer sa vie à l'école militaire.

Après une demi-heure de trajet passé à écouter de la musique et à regarder le paysage défiler à toute vitesse sous ses yeux, un contrôleur vient tapoter l'épaule de Thomas.

– Billet de train et pièce d'identité, s'il vous plaît.

L'adolescent cherche dans les poches de son manteau les documents nécessaires et les donne à l'homme. Ce dernier vérifie le tout puis se met à le toiser en levant un sourcil.

– Enlevez votre casquette, jeune homme.

Thomas trésaille en entendant cela, il hésite un moment mais face à l'impatience du contrôleur il s'exécute lentement. Terrifié à l'idée qu'on doute de son identité, il préfère baisser la tête et attendre que l'homme ait enfin validé son billet de train pour pousser un soupir de soulagement. Même s'il est en vacances, il devra sans cesse rester sur ses gardes face aux autres.

Le train arrive quelques heures plus tard en gare, les passagers font la queue afin de pouvoir sortir du wagon. Thomas qui s'était assoupi cherche des yeux son sac à dos qu'il avait soigneusement rangé dans le compartiment bagage, il le retrouve par terre à moitié ouvert, surement un des passagers qui l'a malencontreusement fait tomber. L'adolescent s'agace tout de même et se précipite pour reprendre son sac ainsi que tout ce qui s'est répandu au sol. Une passagère l'aide à récupérer ses affaires, il la remercie brièvement mais s'étonne en voyant qu'elle affiche une mine surprise. En effet, elle lui tend une boîte de tampons. Il devient alors rouge de honte et reprend ce qui lui appartient avant de déguerpir hors du train. Avec l'immense foule de la gare, il ne risque plus de croiser cette passagère, mais il ne risquera pas non plus de croiser Chloé qui est censée venir le récupérer.

Thomas ne réalise que maintenant qu'il ne connaît pas son numéro de téléphone, il n'a donc aucun moyen de la contacter. Il plaque ses mains contre son visage exaspéré et se met en quête de retrouver Chloé. Il chemine entre les gens, scrute les alentours mais aucune trace de l'infirmière. Il jette un coup d'œil à son téléphone afin de vérifier l'heure, son train a eu plusieurs minutes d'avance, il émet donc la possibilité qu'elle ne soit pas encore arrivée.

Ne sachant où aller, son principal objectif est désormais de trouver un endroit où patienter et qui ne soit pas noir de monde. Mais peu importe où il va, cela ne lui convient pas. Le brouhaha de la foule, les mégots immondes de cigarette, l'odeur de transpiration, et la fatigue de chercher en vain, tout cela l'étouffe. Il ne désire plus qu'une chose : sortir. Une grande bouffée d'air lui serait plus que bénéfique, il se met donc en quête de la sortie. Sa gorge commençant à s'assécher, il sort une petite bouteille d'eau à moitié vide de son sac à dos et la porte à sa bouche. Mais le mouvement de foule et un mauvais timing fait que quelqu'un le bouscule à cet instant précis. Le peu d'eau qu'il restait dans la bouteille se déverse alors sur ses vêtements. Thomas observe d'un air ahuri l'homme qui l'a bousculé et qui ne prend pas la peine de s'excuser, puis souffle longuement en se murmurant à lui-même :

– Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ?

Regrettant presque d'avoir quitté l'école militaire, il se met à maudire toute la gare ainsi que Chloé qui n'a pas pensé à lui donner son numéro. Il trouve enfin l'entrée de la gare, et par chance à l'angle de celle-ci se situe une petite supérette. Possédant un peu de monnaie il espère en avoir suffisamment pour s'acheter à boire et de quoi grignoter en attendant Chloé.

Malgré l'état un peu misérable de la supérette, Thomas trouve son bonheur. Il se promène entre les étalages et cogne par mégarde son pied dans le fauteuil roulant d'une jeune fille, celle-ci ne s'en préoccupe pas, concentrée sur des bouteilles d'alcool. Au moment du passage en caisse, elle le double et présente au vendeur un simple paquet de bonbons. Thomas remarque que de la poche de son manteau dépasse une bouteille de rhum. Il ne dit néanmoins rien jugeant que cela ne le concerne pas.

Le vendeur ne tarde tout de même pas à distinguer à son tour la bouteille volée par la jeune fille lorsque l'antivol se déclenche.

– Eh toi gamine ! Aboie-t-il en se mettant en travers de son chemin. Qu'est-ce que tu caches dans ta poche ? Tu pensais pouvoir filer comme ça ?

– C'est bon, réplique l'adolescente, c'est que du rhum.

Elle lève les yeux au ciel faisant mine de réfléchir avant de fixer le vendeur.

– Ok, je vais la payer.

Les autres clients de la supérette assistent à la scène offusqués, certains se sentent gênés et ne savent plus où se mettre, d'autres pouffent de rire dans leur coin.

– Tu ne payeras rien du tout, à moins que tu possèdes une pièce d'identité qui me prouve que tu es majeure.

Elle ne rétorque pas et commence à mordiller sa lèvre, signe suffisamment explicite pour donner raison au vendeur. Il reprend ainsi son bien et pousse le fauteuil de l'adolescente en dehors du magasin.

– Rentres chez toi, et que je ne te revois plus ici !

Thomas regarde la jeune fille partir, se demandant comment à son âge peut-on être désespérée au point de voler une bouteille de rhum bon marché. Son handicap ne doit pas en être la cause, du moins l'unique cause. Lui même ne s'est pas rabaissé à cela après ce qui lui est arrivé. 

Il entend ensuite les excuses du vendeur à cause du désagrément occasionné et se souvient qu'il doit passer en caisse.

Avant de quitter la supérette, il marche par inadvertance sur un trousseau de clefs qui traîne au sol. Il les ramasse et les montre au vendeur.

– Sans doute à la fille en fauteuil roulant, dit-il.

– Et donc ? Questionne Thomas. Vous les prenez ou pas ? Elle va peut-être venir les récupérer.

– Elle n'est plus mon problème, termine-t-il en lui tournant le dos.

L'adolescent met donc le trousseau dans sa poche, constatant que l'homme est encore énervé contre la voleuse de rhum. Il la croisera probablement sur son chemin, sinon il remettra les clefs au commissariat le plus proche.

En sortant, il reçoit de suite les milliers de gouttes de pluie qui martèlent le haut de sa casquette. Après avoir bu quelques gorgées d'eau il hésite à retourner à la gare afin de s'abriter. Mais un arrêt de bus à quelques pas de celle-ci retient son attention, il y aperçoit distinctement la jeune fille en fauteuil roulant. Portant un bonnet bordeau qui contraste avec ses cheveux châtains, ainsi qu'un grand manteau noir, elle patiente devant l'arrêt parmi quelques autres personnes.

Thomas avance donc jusqu'à elle et s'assoit sur le banc de l'abribus. Elle ne remarque pas sa présence, perdue dans les paroles de la chanson qui émane de ses écouteurs. Mais le regard insistant du jeune homme l'oblige à réagir.

– Un problème ? S'agace-t-elle.

– Non, répond Thomas en sortant le trousseau de clefs, mais j'ai trouvé ça et je crois que ça t'appartiens.

– C'est à moi, confirme-t-elle en inspectant les clefs, tu les as trouvés où ?

– Le magasin de ta tentative de vol raté.

– Tentative de vol raté ? Sourit-elle tandis qu'un bus s'arrête tout juste devant eux.

Les quelques personnes qui patientaient à l'arrêt peinent à monter dans le bus bondé, Thomas jette un coup d'œil curieux à l'adolescente.

– C'est ce que j'ai dit... Ton bus s'apprête à partir.

– Il est plein, rétorque-t-elle sèchement. Personne ne pourra faire assez de place pour laisser une paraplégique s'installer. Puis ça agacerait tout le monde.

Le bus reprend alors sa route, Thomas se retrouve seul sous cet abribus avec la jeune inconnue à qui il vient de rendre les clefs. Il retient de plus que pas un merci ne lui a été accordé.

Quelques secondes plus tard, la jeune fille sort de la poche intérieure de son manteau une bouteille de rhum similaire à celle qu'elle avait tenté de voler à la supérette. Elle sort aussi une petite plate afin de briser l'antivol. Elle constate l'air interloqué de l'adolescent et lui lance un sourire de fierté.

– Les hommes sont tellement cons, lance-t-elle avant d'avaler une gorgée de rhum, et surtout les vendeurs.

– Et les voleuses d'alcool ? Interroge Thomas sérieusement.

Elle s'arrête de boire afin de le toiser de haut en bas et perd son sourire pour laisser place à un regard glacial.

– Elles ne le sont pas autant que les militaires.

– Comment tu sais...

Il ne termine pas sa phrase se souvenant qu'il porte une casquette ayant pour motif le logo de l'école militaire. Machinalement, il la retire et la garde entre ses mains tout en observant le patch qui représente grossièrement son école.

– T'as pas la carrure d'un militaire, poursuit l'adolescente, ni d'un mec qui fait du sport. T'es tout frêle. A mon avis tu ne vas pas à l'école militaire de ton plein gré, tes parents t'y ont sans doute forcé.

– Ouais mais je t'ai pas demandé ton avis, riposte-t-il, le sport ça plaît pas à tout le monde.

– Mais quand on la chance de pouvoir en faire... Argumente-t-elle entre deux gorgées de rhum. Pourquoi détester ça ?

Ces mots prononcés avec détachement et sous l'effet de l'alcool commençant à agir, ne laissent pas Thomas de marbre qui sans prévenir s'empare de la bouteille de rhum et renverse son contenu par terre.

– T'es complètement dingue ! S'écrie l'adolescente.

– De toute façon tu la pas payé, se justifie-t-il.

– Et alors !?

– Et alors au lieu de te noyer dans l'alcool, vas faire du sport, tu as aussi la chance de pouvoir en faire.

– Tu veux te faire moralisateur ? peste-t-elle. Tu ne sais absolument pas ce que j'ai vécu.

Son dernier mot est suivi par un coup de klaxon provenant d'une voiture blanche garée juste en face de l'arrêt. Thomas aperçoit la femme aux boucles dorées au volant, ainsi que deux autres têtes blondes assises dans le véhicule. Il reconnaît immédiatement Chloé, Milah et Joffrey. Un sourire se dessine instantanément sur son visage. Il voit les jumeaux lui faire de grands signes tout en ayant le sourire jusqu'aux oreilles. Après un long moment passé loin d'eux, l'immense joie de retrouver ceux qui sont devenus sa famille lui donne du baume au cœur.

Il quitte le banc de l'abribus sans regarder la jeune inconnue et lui répond avant de s'en aller :

– Toi non plus... Tu ne sais pas ce que j'ai vécu. 


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Chapitre enfin posté ! 

Et si certains connaissent ma fiction Laissez-moi rêver je me suis permise de me faire un peu de pub en consacrant ce chapitre de transition école militaire-retour à la maison au personnage principal de cette fiction.

Donc si le thème de l'handicap vous intéresse je vous invite à la lire !


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