J'ai toujours aimé Halloween.

L'atmosphère lugubre et festive en même temps.

La nuit où les monstres peuvent s'amuser en effrayant les autres.

Ce soir, les enfants du quartier vont enfiler leur plus beau costume d'Halloween puis attendre impatiemment de pouvoir faire le tour des maisons en demandant des sucreries ou un sort. Je ne compte pas sortir pour demander des bonbons, je n'aime pas ça. J'aime voir toutes les personnes dehors déguisées en étranges personnages, contempler les maisons illuminées la nuit. Cette année, beaucoup de maisons sont décorées selon un thème précis, je suis curieuse de voir ça.

- Vous êtes tellement chou les enfants ! S'enthousiasme Chloé. Rapprochez-vous pour prendre une photo.

- On n'est pas censé être "chou" maman, râle Joffrey à côté de moi. Nos déguisements doivent faire peur.

Chloé, Milah et Joffrey sont venu fêter Halloween avec nous, Jimmy ne tient plus en place, il a hâte de montrer son costume de mort-vivant à tout le monde. Les jumeaux ont optés pour le déguisement de clowns tueurs et moi j'ai choisi un déguisement classique, une sorcière. Ma mère s'est chargée elle-même de sa confection... Il fallait s'y attendre.

- Approche Judy, me dit-elle sans lever les yeux de son travail de couture, j'ai fini la cape. Essaye-la.

Je m'exécute et essaye la cape de sorcière, au même instant mon père descend nous rejoindre. C'est lui qui va nous accompagner pour faire le tour des maisons ce soir. Il est habillé en civil, c'est étrange de le voir sans son costume d'homme d'affaire. C'est étrange de le voir tout court, il n'est presque jamais à la maison.

- Tu ne te déguise pas ? Plaisante ma mère en s'adressant à lui.

- Son mètre quatre-vingt-dix et sa grosse barbe effraient déjà pas mal d'enfants, ajoute Chloé l'air taquin.

Il soupire en lui lançant un regard noir et attrape ses clefs et son manteau.

- Merci Chloé. On y va les gosses, j'entends déjà les gamins du quartier crier et courir partout.

Jimmy accourt vers lui tout sourire pour lui tenir la main, et on suit le mouvement. En sortant, le froid me frappe de plein fouet, mon déguisement est peut-être joli il ne tient pas chaud pour autant. Mais la nuit s'annonce magnifique, les lumières orangées, les citrouilles que l'ont voit un peu partout, les maisons et leurs ornements horrifiques, et surtout les gens et leurs déguisements. Pirates, super-héros, zombies, personnages de film d'horreur, j'adore l'ambiance qui règne.

Un groupe d'adolescents s'approche de nous et essaye de faire peur à Jimmy avec leurs masques de monstres et leurs fausses haches. Mon frère pousse un cri et se réfugie derrière moi, je lève les yeux au ciel puis les dirige vers mon père pour qu'il intervienne. Celui-ci se contente de faire craquer ses poings, le groupe prend immédiatement peur en le voyant, ils s'excusent puis repartent.

Chloé avait raison, il n'a pas besoin de déguisement pour effrayer.

La soirée se passe plutôt bien, on frappe à quelques portes pour que Jimmy ait quelques bonbons à mettre dans son sceau, Milah et Joffrey se prêtent aussi au jeu. Certaines maisons sont horriblement bien décorées, une voisine a imité une scène de crime chez elle, une autre à transformé sa maison en manoir hanté.

Au loin, la mélodie d'une guitare électrique et d'une batterie se fait entendre. Un concert est prévu ce soir, la foule commence déjà à se diriger vers le lieu d'où provient la musique.

- On peut y aller papa ? Je demande en faisant la gentille fille.

Il hausse les épaules, je prends ça pour un oui. Milah et Joffrey n'ont pas l'air très emballés non plus.

- C'est un concert, il n'y aura que des gens bourrés, hésite Milah. On n'a que treize ans et ton frère sept, t'es sûre ?

- Oui.

Sans plus attendre, j'avance à grands pas pour rattraper la foule mais je percute quelqu'un qui marchait dans la direction opposée. Je titube un peu avant de relever la tête vers lui, c'est un homme grand et mince, les cheveux court tirés en arrière et vêtu d'un costard cravate. Une cigarette entre les lèvres, il me fixe d'un air sévère. Il n'a pas de déguisement... Ou alors il est déguisé en parrain de la mafia. A côté de lui se trouve un garçon. Il porte un sweat noir, la capuche rabattue sur la tête et un étrange masque à LED sur le visage.

- Bonsoir John, dit l'homme en regardant mon père. Je vois que toi aussi tu as emmené tes enfants faire la fête ce soir.

Mon père ne réagit pas, il reste complètement neutre. Il semble tendu et contracte même la mâchoire. Je crois que je ne l'ai jamais vu comme ça auparavant. Apparemment, lui et cet homme se connaissent, c'est surement un de ses collègues de travail vu la façon dont il est habillé.

- J'ai aussi amené mon fils Alan, on reviens de vacances on a été chasser le gibier. On passe par ta ville pour rentrer chez nous, et quand on a vu tous ces gens en costume Alan a voulu y participer.

- Yo, ajoute le garçon en faisant un signe de la main.

Les jumeaux et moi le saluons à notre tour sans réellement comprendre la situation. L'homme avance un peu plus vers mon père et sors son paquet de cigarettes pour lui en proposer une. On les regarde discuter avec un air perdu. Jimmy se cache derrière moi, je crois que cet homme lui fait peur, plus que n'importe quel déguisement de monstre.

- C'est le soir d'Halloween, lance l'homme, tu devrais laisser les enfants s'amuser un peu au lieu de les suivre partout.

- Ils sont encore jeunes pour rester seuls le soir, dit mon père en prenant une cigarette. Jimmy n'a que sept ans et j'ai promis de surveiller les enfants d'une amie.

- Profitons-en pour discuter du boulot, réplique l'homme en haussant le ton, c'est le soir parfait. Alan a seize ans, il restera avec tes enfants.

Je ne comprends plus rien, papa semble pensif, presque nerveux. Son collègue lui demande de nous laisser pour qu'ils puissent discuter de leur boulot, il ne va quand même pas accepter ?

- C'est l'affaire d'une vingtaine de minutes, insiste le collègue.

***

Je ne pensais pas qu'il allait accepter... Il n'est jamais à la maison, et quand on a l'occasion de passer du temps avec lui il nous abandonne pour son collègue à la chevelure impeccable. Je souffle et m'assois par terre adossé contre un muret, je ressens les vibrations de la musique rock dans le sol. Mon frère m'imite, et viens se coller contre moi.

- Tu vas abîmer ta robe jolie petite sorcière, me dit Alan sur un ton rieur en s'asseyant à côté de moi.

- T'approche pas trop de moi. J'accepte que mon frère se colle à moi, mais lui je le connais depuis sept ans, alors que toi je te connais depuis cinq minutes.

Il se décale illico, je ne vois pas sa réaction sous son masque mais il va s'en souvenir. Judy Cletone ne se laisse pas séduire.

- La sorcière, le mort-vivant et le type au masque flippant, se moque Milah avant de nous prendre en photo avec son téléphone.

- Jalouse la clown tueuse ? Réplique Alan.

Son masque est assez flippant comme le dit Milah, il est noir, l'endroit des yeux est remplacé par des croix illuminées par des LEDS vertes. La bouche donne l'impression d'être cousue et est aussi illuminée. Il ne l'a toujours pas retiré, on ne sait pas à quoi il ressemble.

Je crois que je m'en fiche en fait.

- En attendant que mon père revienne, on peut aller au concert.

Je me lève en époussetant ma robe et ma cape, et incite les autres à me rejoindre. Alan se relève aussi mais il semble avoir une autre idée.

- Il y a une vieille maison hantée pas loin, je l'ai aperçu en passant en voiture tout à l'heure. On peut aller la visiter, c'est toujours mieux qu'on concert d'amateurs.

- C'est pas une maison hantée, elle a juste été abandonnée. Puis mon père nous a dit de ne pas s'éloigner.

- Déjà, riposte Alan, si elle est abandonnée elle est forcément hantée. Ensuite, on est des ados il est temps de se rebeller.

Je ferme les yeux et inspire profondément, il commence à m'énerver.

- On n'a qu'à faire un vote à main levé, je lui propose en souriant.

Il acquiesce, je suis sûre de gagner avec mon frère et les jumeaux de mon côté.

***

On marche maintenant depuis quelques minutes vers la petite maison en brique isolée du quartier.

Quelle bande de traîtres... Même mon frère.

Il fait de plus en plus froid, je m'emmitoufle comme je peux dans ma cape. Je jette entre-temps d'horribles regards noir à Joffrey et Milah qui me répondent par des sourires forcés. Alan marche à une vitesse folle, on a du mal à le suivre, il est si pressé que ça ?

On arrive à l'entrée de la maison, et là tout le monde se dégonfle.

­- J'ai peur Judy... Se plaint Jimmy.

­- Finalement... J'ai plus trop envie d'entrer, se plaint aussi Milah.

La maison est devenue une ruine au fil du temps, la gouttière et la cheminée se sont effondrées. Les murs extérieurs ont été partiellement détruits, l'humidité les a aussi rongés donnant à la bâtisse une couleur grisâtre et verdâtre en même temps. Le jour elle ne paraît pas aussi effrayante que la nuit.

- Trop tard pour reculer, déclare Alan.

- Il n'y a que les débiles de films d'horreur qui disent ça.

Et j'ai bien raison.

Mais il entre quand même, et on le suit. L'intérieur de la maison n'a rien d'impressionnant, il ressemble à squat de drogués. Des tags partout, le papier peint arraché, les meubles renversés et quelques pigeons qui ont fait leurs nids. Alan se sert de la lampe torche de son téléphone pour nous éclairer, on continu de le suivre.

Soudain il s'arrête.

- Quoi ? Lui demande Joffrey qui a failli lui rentrer dedans.

Il ne répond pas et se met à fixer intensément le sol, je suis son regard et à cet instant mon cœur se met à battre de plus en plus fort, mes mains commencent à trembler. Des traces rouges tapissent le parquet, elles mènent à la cuisine.

- On a traîné quelque chose ici, suppose Alan, quelque chose de mort... Ou presque mort.

Il suit les traces de sangs jusque devant la porte de la cuisine et pose sa main sur la poignée.

- Arrête ! Crie Milah d'une voix apeurée. N'ouvre pas la porte, il y a peut-être un tueur.

Alan se met à pouffer de rire et commence à ouvrir la porte.

­- C'est des conneries tout ça y'a rien...

Il ne finit même pas sa phrase face à l'horreur qui se présente sous ses yeux. Les images défilent à une vitesse folle dans ma tête. Une chaise, un homme avec un taie d'oreiller sur la tête, du sang qui imbibe ses vêtements. J'ai juste le temps de poser ma main sur les yeux de Jimmy. Milah pousse un hurlement et on sors de la maison le plus vite possible.

De retour dans la rue, l'air frais qui me frappe le visage me fait un bien fou. Mes ces images... Je n'arrive pas à les oublier. Je n'ai vu cet homme qu'une seconde, mais s'en était déjà trop. Milah a fondu en larme, elle veut rentrer. Alan bégaye à côté d'elle, c'est de sa faute.

Une main attrape mon épaule, je sursaute et me tourne hâtivement. Il s'agit de mon père, je n'ai jamais été aussi heureuse de le voir. Son regard est froid, mais il a aussi l'air inquiet. Son collègue est avec lui, il observe son fils de son air sévère, puis observe Milah en pleure qui, entre deux larmes, explique ce qu'elle a vu.

Il éclate de rire. Qu'est-ce qui se passe ?

- Vous êtes tomber dans le panneau les mioches ! Joyeux Halloween !

- Comment ça ? Questionne Milah en séchant ses larmes. C'était une blague ?

Papa se met aussi à rire.

- Souvenez-vous toutes les maisons du quartier ont été décorées, celle-ci n'a pas fait exception.

J'ai eu peur pour rien alors, c'était juste une mise en scène.

Juste une blague pour Halloween.

Avec du recul et tout ce qui s'est passé l'année suivante, j'ai fini par réaliser que ce n'était pas une mise en scène.

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Joyeux Halloween !