38- Mauvais coup de cœur
La tête appuyée contre la vitre du car, Thomas ressent les vibrations de la route. Il trouve cela relaxant, surtout après l'enfer de la randonnée militaire. La nuit précédente n'a pas été facile, entre le froid, les insectes et les maux de dos, il se laisserait bien emporter par le sommeil. Plus de la moitié des élèves s'est endormie dans le véhicule. Chris qui est à ses côtés, dort tellement profondément que sa tête est penchée en arrière et sa bouche grande ouverte. L'adolescent aurait trouvé ça drôle, mais depuis la nuit précédente il se sent d'une humeur maussade. Ce que Théo lui a dit tourne en boucle dans sa tête « je n'ai certainement pas confiance en toi ». S'il n'a pas confiance en lui, sera-t-il capable de garder son secret ?
Dans le car, Thomas ne voit pas où est assis Théo, certainement à l'arrière avec ses amis. Mais il est sûr qu'il ne dort pas, pas plus que la précédente nuit.
Une main venant du siège derrière lui commence à venir lui tapoter la tête et lui ébouriffer les cheveux.
– C'est toi Thomas ? Chuchote Yann ne cessant pas de jouer avec ses cheveux.
– Tu sais bien que c'est moi ! Chuchote un peu plus fort Thomas Qu'est-ce que tu veux ?
Il entend Yann bouger de son siège pour se redresser un maximum, en levant la tête il parvient à l'apercevoir.
– Je me suis demandé, continu le jeune homme, pourquoi le sergent Leonhard a échangé nos places dans la tente ? C'est pas que j'aime pas tes potes, mais il ronfle fort Johan. Et Chris, il bave en dormant.
– Je sais pas, ment Thomas n'ayant pas la force d'inventer un autre mensonge.
– Pourtant, j'ai entendu que c'était pour régler un problème.
Il avait oublié que Yann avait entendu ce détail hier soir, il ferme alors les yeux afin de trouver une réponse assez convaincante pour qu'il ne pose plus de question.
– Je supporte pas Johan, on se dispute tout le temps et dormir dans la même tente que lui était juste impossible pour moi.
N'entendant plus que la respiration de Yann, il se tourne et tente de l'observer dans l'espace laissé par son siège et celui de Chris. Le jeune homme paraît d'abord pensif, puis laisse échapper un très vague "mouais... " avant de ne plus quitter son téléphone des yeux. Thomas se contente de cette réponse, Yann est peut-être curieux mais il ne creuse jamais très loin.
***
Le retour dans les dortoirs se fait dans le silence absolu, la fatigue encore présente, aucun adolescent n'a la force de dire quoi que ce soit.
Devant la porte de leur chambre, Johan fouille dans sa poche à la recherche de la clef, il fouille dans son autre poche mais semble ne pas la trouver. Il soupir d'agacement, puis reprend sa recherche en vidant toutes ses poches.
– Pitié dis-moi que c'est une blague, souffle Alex.
– Parce que j'ai l'air de plaisanter ? Riposte Johan. J'ai dû la perdre quand je suis tombé pendant le trail.
« Manquait plus que ça » Pense Thomas en se laissant glisser le long du mur. Il observe Alex et Johan débattre pendant plusieurs minutes sur ce qu'ils vont faire puisque la porte est fermée à doubles tours, mais aucun d'eux ne parvient à trouver une solution réaliste. Chris essaye d'intervenir, mais leur petite altercation l'empêche d'en place une. Il profite d'un court instant de calme pour évoquer son idée.
– Le premier jour, dit-il d'une petite voix, le sergent Werden nous a aussi donnés un double des clefs.
– Mais oui ! S'écrie Alex en lui ébouriffant les cheveux. T'es un génie toi. Alors Johan, tu l'as planqué où le double ?
Tous deux se regardent pendant quelques secondes, avant de cracher des insultes avec exaspération.
– T'es con aussi d'avoir perdu les clefs.
– C'est bon toi ! T'avais qu'à les prendre avec toi. Et je crois que le double est à l'intérieur...
– Il faut en parler à Werden, intervient Thomas.
– T'es fou ! S'exclame Johan faisant sursauter Thomas. Cette pétasse va nous lapider. On peut... On peut essayer de crocheter la porte, personne n'en saura rien.
– Et c'est moi qui suis fou ?
Alex ne se retient pas de pouffer de rire. Et son rire, bien que mal adapté à la situation, arrive à détendre l'atmosphère arrachant un rictus à Chris et Johan. Seul Thomas reste neutre, tapotant sa tête contre le mur par agacement.
– En fait l'idée n'est pas bête, reprend Chris. Hier soir, Yann avait dit que quand il était petit il aimait entrer par effraction chez ses voisins. Il saura peut-être crocheter la porte.
– Yann a dit un tas de connerie hier, se moque Johan, j'ai vite arrêté de l'écouter.
– On s'en fout, déclare Alex, tant qu'il peut ouvrir cette porte. Il nous reste deux heures avant de reprendre les cours et je veux en profiter pour dormir un max.
Sur ces paroles, l'adolescent se hâte de toquer à la porte de ses amis quelques mètres plus loin, sous les regards attentifs de Chris et Johan. On lui ouvre directement la porte, et une discussion semble avoir lieu. Thomas ne voit et n'entend pas grand-chose, il espère juste que Yann n'accepte pas de crocheter la porte. L'idée lui paraît stupide et invraisemblable, il n'aimerait pas qu'on lui rajoute des problèmes, et surtout pas avec l'administration de l'école militaire.
Alex finit par revenir accompagné de Yann, ce dernier tient une sorte de petit crochet dans la main.
– Laissez-moi faire les enfants, dit-il en prenant l'allure d'un super héros.
– Ils sont où les autres ? Questionne Johan.
– L'hyperactif prend une douche, le dépressif a disparu et le camé devait aller voir l'infirmière, répond Yann en commençant à crocheter la porte.
– Le dépressif c'est Billy c'est ça ? Demande Alex en haussant le sourcil.
Thomas écoute leur conversation d'un air las, il prie pour qu'aucun sergent ou professeur ne passe par là.
Puis il réalise.
Yann a prit l'habitude de surnommé Théo « le camé », et apparemment celui-ci se trouve en ce moment même à l'infirmerie, avec Chloé. Thomas se met à trembler malgré lui, Chris le remarque et lui demande si tout va bien. Il l'ignore et se lève d'un bon, n'écoutant plus personne il se rue en direction de l'infirmerie. Dévalant les escaliers, il manque plusieurs fois de tomber mais se rattrape toujours au bon moment. Devant l'infirmerie, il ne prend pas la peine de toquer et ouvre la porte à la volée haletant comme s'il venait de faire plusieurs tours de piste.
Chloé et Théo se tournent vers lui étonnés de le voir ainsi, essoufflé et dégoulinant de sueur pour peu d'efforts. L'infirmière crispe un sourire mais son teint pâle la trahit, Thomas en déduit que Théo lui a déjà fait passer son interrogatoire. Quant à lui, son sourire en est presque diabolique.
– Elle est là, dit-il en appuyant fortement sur le premier mot.
– Il sait... Murmure Chloé d'une voix étranglée.
Thomas hoche la tête lentement puis passe une main derrière sa nuque. Chloé pousse un long soupir puis prend sa tasse posée au bord de son bureau avec des mains tremblantes. Elle boit une gorgée de café tout en fixant Théo assis sur une chaise en face d'elle.
– Tu... Tu ne diras rien n'est-ce pas ? Reprend-elle.
Il hausse les épaules sans rien ajouter.
– Je savais que cette randonnée allait nous compliquer les choses, s'agite Chloé en faisant les cent pas, tu n'aurais pas dû y aller.
– Je ne voulais pas y aller.
– Je sais ! Et c'est trop tard maintenant, quelqu'un d'autre est au courant.
L'infirmière continue ses cent pas dans la pièce, marchant nerveusement de son bureau à la table d'examen, faisant plus d'une vingtaine d'aller-retour. Thomas ne trouve pas les mots pour la calmer, et même s'il ne le montre pas, il est aussi angoissé qu'elle.
– Ton père me tuerais s'il savait ça.
Théo ne retient pas de rire en entendant ces mots.
– Son père le tueur à gages ?
Il a ainsi droit au regard noir de Thomas mais l'ignore comme s'il avait dit la chose la plus normal du monde. Chloé y fait abstraction en essayant de se calmer, elle s'assoit en face de son bureau et bois une nouvelle gorgée de café.
– Viens passer une journée à la maison pendant les vacances, déclare-t-elle en souriant. Tu verras que nous ne sommes pas dangereux ou fous.
– Chloé ! S'exclame Thomas, mais si, tu es folle de lui proposer ça.
– Il faut le prendre par les sentiments ma belle, sinon il nous dénoncera.
– Je suis dans la même pièce que vous, rappelle Théo, j'entends tout et personne ne me prendra par les sentiments.
– Qu'est-ce que tu vas faire alors ? Demande impatiemment Thomas.
Les yeux fixés dans les siens, il attend qu'une quelconque réponse sorte de sa bouche, tout en espérant que cette réponse ne lui fasse pas trop de mal. Théo semble pensif un instant, puis se lève et avance jusqu'à la porte.
– Je ne veux pas être mêlé à une histoire de tarés.
Il part ensuite en claquant la porte. Thomas regarde la porte un long moment avant d'aller s'asseoir sur la table d'examen.
– Une histoire de tarés... Soupire-t-il.
– Fait pas attention à ce qu'il dit, il est encore sous le choc. Je ne pense pas qu'il va nous dénoncer.
– Leonhard l'a menacé de toute façon.
Sa voix vacille un peu et est à peine audible. Chloé marmonne une chose incompréhensible à propos du sergent Leonhard, puis recentre son attention sur l'adolescent.
– Tu devrais aller te reposer quelques heures, tu es cernée comme pas possible. Je peux te faire un mot pour sécher quelques cours si tu veux.
– Ça va aller, Chloé. Merci.
Sur ces mots, Thomas retourne aux dortoirs, un air dépité au visage. La porte de sa chambre est enfin ouverte, Chris, Alex et Johan dorment tous à poings fermés. Lui ne réussit pas à dormir. Il pense à Théo, au fait qu'il vient de découvrir son secret et à tout ce qu'il a dit.
Il pense à lui toute la journée, et pourtant il ne l'a pas croisé une seule fois. Il tente de l'oublier le temps d'une soirée passé à travailler sur son exposé avec Cynthia, et la nuit venue son esprit sature et réclame du repos. Il s'endort sans s'en rendre compte.
***
Lorsque son téléphone vibre sous son oreiller, l'impression de n'avoir dormi que quelques minutes le rend d'une humeur maussade, il se lève en râlant et désactive son réveil. La luminosité de l'écran l'aveugle un instant, et en se levant il bute contre la chaise de bureau. Il étouffe un cri aiguë qui manque de réveiller Chris. Thomas arrête tout mouvement et observe malgré l'obscurité s'il est toujours endormi.
Tout semble correcte.
Il part alors comme à son habitude en direction des douches, il remarque en sortant que la porte de la chambre est déjà entrouverte, pourtant il est sûr de l'avoir bien fermé hier soir. Sans trop s'y attarder, il se dit que l'un des garçons s'est levé cette nuit et n'a pas pensé à refermer la porte.
Juste avant de prendre sa douche il vérifie que personne n'est dans les parages, et enfin il retire son hideux pyjama rayé pour laisser l'eau couler sur son corps. Son seul instant de détente en ce moment. Un instant de détente bien éphémère, puisque des bruits de pas en provenance du couloir se rapprochent de plus en plus. Thomas sent son cœur faire d'énormes bonds dans sa poitrine, il stop l'eau et enroule une serviette autour de sa poitrine. Il sait que Yann se lève presque aussi tôt que lui, mais ce n'est pas son heure habituelle.
La poignée de la porte s'incline légèrement, Thomas se colle au muret de sa cabine de douche en espérant qu'on ne l'aperçoive pas. Il entend la personne entrer et vagabonder dans la salle, sa respiration se saccade.
– C'est bon pas la peine de te cacher je sais que t'es là, ma belle.
« Théo... » L'adolescent place une main sur son cœur pour calmer sa nervosité, et sors de sa cabine les cheveux perlant de gouttes d'eau pour faire face au jeune homme. Il vient de se lever, ses cheveux sont en pagailles et ses yeux à peine ouverts. Il s'est appuyé les bras croisés contre la lignée de lavabos faisant face aux cabines de douches. Un sourire se dessine au coin de ses lèvres lorsqu'il voit Thomas.
– Il n'y a que Chloé qui m'appelle comme ça, dit sèchement Thomas.
– Mais je connais pas ton prénom, riposte Théo, et Thomas ça fait pas très féminin alors j'innove un peu.
– Qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu ne voulais pas être mêlé à notre histoire de tarés.
– Je me demandais toujours pourquoi on ne voyait jamais Thomas aux douches. La réponse est simple, tu te lèves plus tôt parce que t'es une meuf et tu veux pas qu'on te choppe.
Thomas place son bras devant sa poitrine comme pour la cacher, et serre sa serviette entre sa main.
– T'es venu pour me dire ça ? Demande-t-il la tête baissée.
– Et dire qu'on s'est battu ici... Poursuit Théo en l'ignorant. T'en as encore la marque sur ton bras.
L'adolescent jette un coup d'œil à son avant-bras pour y observer sa cicatrice, trace du passage du couteau de lancer que Théo avait volé.
– Je voulais te demander quelque chose, reprend Théo sur un ton narquois
– Quoi ?
– Alex est au courant que t'es une fille ?
– Non pourquoi ?
– Alors cet abruti est gay.
Les joues de Thomas commencent peu à peu à s'empourprer, ce qui accentue le sourire mesquin de Théo.
– Ne dit pas le contraire, il a un coup de cœur pour toi. Je suis pas con, j'ai remarqué ça depuis le premier cours de badminton.
– Et... Et c'est ce qui te pose problème ? Bégaye Thomas.
– Ce qui me pose problème, répète Théo en écho, c'est qu'il est en froid avec moi parce qu'il pense que tu as eu un coup de cœur pour moi.
Il fait une pause pour détailler une fois de plus le visage cramoisi de l'adolescent, ce n'est définitivement plus Thomas qui se tient devant lui mais bel et bien une usurpatrice rongée par toutes sortes d'émotions.
– Je voulais pas y croire au début, poursuit-il, même quand Alex a péter les plombs à la soirée de Simon. Mais ta complice l'infirmière à avouée hier, juste avant que tu débarque, que tu te tenais beaucoup à moi... Vraiment beaucoup.
Il répète cette phrase, son sourire railleur scotché au visage et sans lever les yeux de Thomas. Ce dernier ne réagit pas à cette provocation malgré une larme qui menace de s'échapper.
– Je dois m'habiller avant que les autres arrivent, dit-il en se forçant à prendre une intonation neutre.
Théo comprend qu'il doit s'en aller alors il n'insiste pas. Avant de sortir il déclare une dernière chose d'un air sérieux :
– Je suis un très mauvais coup de cœur, tu verras.
– C'est ce que je commence à croire, murmure l'adolescent.
Mais Théo est déjà parti. Thomas savait que rien ne pouvait se passer entre eux, mais maintenant qu'il est au courant pour son identité, les miettes d'espoirs qui lui restait se sont envolés.
Il ne doit pas se laisser abattre pour si peu, même si un sentiment désagréable, semblable à du vide s'empare de lui.
***
Des heures plus tard, en milieu d'après-midi, Thomas décide de ne pas se rendre au cours de badminton à ses risques et périls. Son corps ne supporterait pas une nouvelle torture sportive. Il préfère, bien au contraire, s'allonger sur son lit pendant que les autres ne sont pas là.
Il pense être tranquille jusqu'à ce que son téléphone se mette à vibrer.
Il se redresse à une vitesse éclair. Cette situation lui rappelle le jour où son père l'a appelé.
En y jetant un coup d'œil, il voit qu'on lui a laisser deux messages. Le numéro n'est pas masqué mais il ne fait pas parti de ses contacts.
16 : 15 - De Inconnu : Salut Thomas ! C'est Alya tu te souviens de moi ?
16 : 15 - De Inconnu : J'aimerais te demander quelque chose... C'est à propos d'Alex 😁
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