32- Le détester ?

    Allongé sur son lit, les yeux mi-clos, Thomas observe le jour tomber depuis la fenêtre de la chambre. Légèrement ouverte, celle-ci laisse s'infiltrer un faible courant d'air rafraîchissant toute la pièce. En cette fin de journée, il n'aurait pas espéré mieux qu'un lit, du calme et de la fraîcheur. Pourtant un étrange sentiment lui noue l'estomac, et le ronge de l'intérieur. Il se sent misérable et pitoyable de ressentir de telles sensations pour quelqu'un qui ne le considère même pas comme un ami. La réalité le rattrape avec férocité lorsqu'il se rend compte que ses sentiments ne seront jamais partagés. 

    Il repense au sourire diabolique d'Alex qui l'a rendu pâle comme un linge : « maintenant tu sais ce que ça fait d'avoir le cœur brisé. » Cet acte vengeur lui en donnerait presque la nausée. « S'ils savaient qui je suis vraiment, tout serait tellement plus simple. » Songe-t-il les larmes aux yeux. Mais il ne peut pas pleurer, il n'est pas seul dans la chambre. Et il ne veut pas se sentir obligé de parler de ses problèmes, alors il ravale ses larmes et se redresse, observant Chris travailler devant le bureau. Son stylo ne cesse de noircir les pages de son cahier depuis presque une heure.

– Tu prépares encore ton exposé ? Questionne Thomas.

– Oui, soupire Chris, tout seul... Johan n'avait pas le temps à ce qui paraît.

– Il devait être occupé à préparer la soirée de Simon.

    Un nouveau soupir se fait entendre, tandis que l'adolescent se recouche dans son lit. Dans une vingtaine de minutes il devra descendre au réfectoire et dîner, ensuite il devra faire en sorte d'être le premier aux douches. Avec un peu de chance, il évitera le footing surprise de Leonhard. Enfin, il subira les regards mitrailleurs d'Alex et Johan, ainsi que la répugnante odeur de cigarette qui flottera dans la chambre. Cette routine commence à lourdement peser sur ses épaules, et changer d'air pourrait lui faire du bien.

    Malheureusement c'est impossible, et il le sait très bien.

– Hum... Toussote Chris. Concernant la soirée, justement on m'a invité mais...

    Thomas lève légèrement la tête vers Chris en arquant un sourcil, il n'ose plus parler et affiche un air perplexe commençant même à rougir.

– Bah vas-y, reprend Thomas, fais-toi plaisir.

– Oui je sais, mais je ne veux pas y aller seul. J'aimerais que tu viennes avec moi.

– Tu ne seras pas seul, Alex et Johan seront avec toi.

– Tu les connais bien, et tu sais autant que moi qu'ils vont m'abandonner à cette fête.

– Dans ce cas n'y va pas, finit par s'agacer Thomas en fermant les yeux.

    Les soirées alcoolisées sont probablement son pire cauchemar, il n'y a été qu'une seule fois mais il est sûr de ne plus jamais vouloir y remettre les pieds.

– Tu as déjà été à une soirée toi ? Demande Chris.

    Plusieurs secondes s'écoulent laissant les deux adolescents dans un silence pesant. Thomas hésite à lui parler de son expérience traumatisante, mais voyant l'inquiétude de son ami face à sa réticence il finit par hocher la tête.

– Une seule fois, et je ne me suis pas du tout amusé, explique-t-il d'une voix grave. La musique était trop forte, tout le monde était complètement bourré. J'étais assis toute la soirée près de mon amie ivre en attendant que mon père vienne nous chercher. Et puis... Non c'est tout.

    Il omet volontairement de parler de sa camarade s'ouvrant les veines dans l'une des chambres ce fameux soir, estimant que Chris n'a pas besoin de connaître une telle chose.

– Je vois... bredouille le jeune homme ne sachant pas vraiment quoi dire. Et c'est pour ça que tu ne veux pas m'accompagner ?

    Thomas hoche la tête une nouvelle fois pour se faire comprendre.

– La musique sera certainement forte et tout le monde sera aussi ivres, reprend Chris, mais je peux te jurer que ce ne sera pas mon cas. Je ne te forcerais pas bien sûr, mais tu n'as pas l'air très bien en ce moment et je me dis que changer d'environnement te ferait du bien.

     « Changer d'environnement me ferait du bien... Mais il lit dans mes pensées ? Ou je suis si transparente que ça ? »

– Mon père dit souvent qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, ajoute-t-il.

– Je ne suis pas un imbécile ! Se vexe Thomas. Je vais y réfléchir.

    Il est toujours certain de ne pas vouloir y aller, mais d'un autre côté voir ses camarades dans un autre environnement que l'école militaire lui fera peut-être oublier quelques tourments. Ses cauchemars du passé ne peuvent pas toujours restés ancrés dans sa mémoire, ils doivent disparaître.

– Je vais y réfléchir... Répète-t-il d'une voix presque inaudible.    

***

    Après avoir passé une nuit de sommeil à peu près tranquille, Thomas espère pouvoir commencer une nouvelle journée sans encombre et oublier les événements de la veille. Pour cela, il doit prendre ses distances avec Alex qui est en partie la cause de son mal-être. Mais le défi s'avère plus difficile que prévu, car lors de la deuxième heure de cours il est justement son voisin de table. Depuis la veille, aucun des deux ne s'est adressé la parole et lors du cours d'éducation civique, c'est toujours le cas. Thomas fait mine de suivre le cours prenant de vague notes dans son cahier, tandis qu'Alex griffonne comme à son habitude dans la marge de ses feuilles de cours. Chacun ignore la présence de l'autre, et pour Thomas c'est amplement suffisant.

    Cependant, en milieu d'heure il sent la main d'Alex frôler la sienne et y glisser un bout de papier plié en deux. Il se crispe un instant, puis tourne la tête vers le jeune homme toujours plongé dans ses dessins. N'osant rien demander, il regarde ensuite le papier au creux de sa main et le déplie. Une simple question est écrite au stylo, mais Thomas reste bloqué dessus pendant plusieurs minutes, le souffle coupé : 

« Est-ce que tu me détestes ? »

    Pour le moment, il est incapable de donner une réponse sincère à cette question. Il referme doucement la main, froissant le papier sous l'œil surpris et frustré d'Alex. En réalité, il n'a tout simplement pas envie de répondre, ne voulant pas s'attirer de nouveaux problèmes. Il pose le papier en boule au coin de sa table et replonge dans ses notes.

   Le professeur arrête son cours et déclare :

– Bien, aujourd'hui c'est au tour d'Océane et Alex de présenter leur exposé. Donc si vous voulez bien aller au tableau.

    Les deux désignés se lèvent aussitôt prenant quelques documents en main, et viennent se placer devant toute la classe. Alex arbore un sourire qui semble forcé aux yeux de Thomas, mais personne à part lui ne le remarque.

– Bonjour à tous, annonce-t-il avec entrain. On va parler aujourd'hui des unités spécialisées, comme par exemple les parachutistes.

– Ou encore les aviations légères de l'armée de terre, poursuit Océane.

    Pendant leur présentation, Thomas remarque une sorte de malaise chez Alex probablement dû au fait qu'il ait froissé son mot. Il observe longuement la boule de papier devant lui, et regrettant son geste il finit par la défroisser, plaçant le mot entre deux pages de son cahier. Car même s'il lui a volé son premier baiser, même s'il souriait lorsque son cœur a éclaté en mille morceaux, il est incapable de dire s'il le déteste.

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Bonjour, bonjour :) ce chapitre est plus court que d'habitude, c'est tout simplement parce qu'il a été coupé. La suite arrive très vite !

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