31- Amis

    Le soleil n'est pas encore levé, que le téléphone de Thomas vibre sous son oreiller. Après quelques secondes, il réagit enfin et soulève difficilement ses paupières. Il attrape son téléphone et désactive l'alarme en vérifiant l'heure : « Cinq heures quarante... Super. » Pense-t-il en râlant. Depuis la modification de son emploi du temps, il doit se lever plus tôt que d'habitude, à tel point que la nuit et les étoiles sont encore présentes. Ses yeux se referment peu à peu, mais l'adolescent lutte et trouve le courage de se lever discrètement sans réveiller Chris, Alex et Johan qui dorment comme des bébés. Ce parcours du matin est devenu une routine pour lui, il ouvre l'armoire et prend sa trousse de toilette ainsi qu'une serviette de bain et son uniforme. Mais cette fois-ci, il prend aussi avec lui une paire de ciseaux furtivement attrapé sur le bureau. Il sort ensuite de la chambre en refermant la porte doucement derrière lui, puis marche rapidement jusqu'aux douches. Il sait qu'il ne doit pas traîner car le réveil collectif est à six heures, il lui reste donc moins de vingt minutes. 

   Il appuie ensuite sur l'interrupteur de la pièce afin que les éclairages s'illuminent, il papillonne plusieurs fois des yeux car la lumière est puissante, mais il s'habitue rapidement. Il referme bien la porte puis pose son uniforme sur le rebord d'un évier. Il commence à se déshabiller, et entre dans l'une des cabines de douche. Il fait couler l'eau froide sur sa peau, et frissonne de tous ses membres, mais cela le réveille et le revigore instantanément. L'eau devient ensuite de plus en plus chaude, ses muscles peuvent se détendre et ses paupières se referment doucement. Thomas se perd alors dans ses pensées. Il repense à tous ce qu'il a vécu ces derniers temps, toutes les émotions, toutes les craintes. Il repense à Dara et à Névan, et se demande si tout est bel et bien terminé avec eux, en tout cas les documents ont bien été détruits, et il ne remerciera jamais assez Théo et Cynthia. Ils lui ont certainement sauvé la vie, ainsi qu'à son père, alors qu'ils n'étaient pas obligés de se mêler de cette histoire. L'adolescent réalise qu'il a peut-être trop sous-estimé Cynthia, car sous ses airs hautains se cache une personne prête à enfreindre les règles pour aider ses camarades. Il tentera de faire un effort pour travailler au mieux avec elle désormais.

    Quant à Théo... « On ne s'est pas reparlé depuis la sortie au fast-food... » Quelques regards qui se croisent dans les couloirs à la fin des cours, et parfois l'esquisse d'un sourire, voilà ce que Thomas a reçu de lui ces derniers jours. Il se contente de cela. En brûlant les papiers liés au délit du lieutenant Arguer, Théo a montré d'une certaine manière qu'il tenait à lui. Et Thomas s'en contente. Pourtant il aurait tant aimé avoir plus. 

    Le débit d'eau s'affaiblit, signifiant qu'il est temps pour le jeune homme de sortir. Entourant sa serviette autour de son buste il sort de la cabine de douche, les cheveux perlant de gouttes d'eau. Il ne lui reste plus beaucoup de temps, alors il se hâte de mettre son uniforme. Pour le moment, ses sentiments ne sont pas la priorité. Prenant la paire de ciseaux en main, il coupe mèche par mèche ses cheveux redevenus trop longs. Son cœur se serre à chaque coup de ciseaux, mais il n'a pas le choix, il doit raccourcir sa chevelure qui est susceptible de le trahir. Une fois fait, il jette les mèches de cheveux coupés dans une corbeille au coin de la salle.

    Il peut enfin s'en aller, mais alors qu'il s'apprête à poser la main sur la poignée de la porte, quelqu'un l'ouvre avant de façon assez brusque. Thomas se prend ainsi la porte en plein nez, le faisant gémir et reculer de quelques pas, tenant son nez des deux mains. Il aperçoit Yann entrer dans la salle tout sourire avant de s'excuser.

– Oh pardon j'ai pas fait exprès, dit-il. Je t'ai fait mal ?

    Thomas le regarde avec fureur tout en massant son nez pour faire partir la douleur.

– Je dois vraiment répondre ? Réplique-t-il. À ton avis ? 

    Yann hausse les épaules en faisant une moue désolée, puis avance jusqu'au lavabo afin d'arranger sa coiffure.

– En tout cas, ajoute-t-il, je vois que t'es un lève tôt comme moi. C'est plus pratique pas vrai ? Surtout pour passer une belle journée.

– Je suppose.

– Bah oui ! Sinon on doit faire la queue pour se laver, et avec un minimum de temps. J'aime profiter de ma douche moi.

Á l'inverse de Thomas, Yann est une pile électrique dès l'aube, et il ne sait pas où il puise toute cette énergie. Mais ce qu'il sait, c'est que sa routine matinale est mise en péril à cause de lui. Et il ne peut pas se lever encore plus tôt, il ne tiendra jamais le coup, il doit rester vigilant. 

    Thomas marche de nouveau vers la porte en emportant ses affaires, mais Yann reprend la parole sur un ton plus sérieux.

– Tu sais à propos du camé...

– Théo ? Rétorque Thomas en haussant les sourcils.

– Oui, le camé. Depuis que vous êtes partis régler les problèmes de ton père... Tu sais dimanche dernier avec le mec à la casquette qui voulait te dénoncer. Eh bien, je trouve que Théo est carrément plus agressif que d'habitude. Avant-hier je lui ai dit qu'il fumait trop, et il a failli me tuer. Hier il s'est engueulé avec un de ses potes qui est un peu hyperactif aussi, Alex je crois.

    Le cœur de Thomas bondit, un frisson parcours rapidement son dos en entendant le prénom d'Alex. Il se racle la gorge, et espère en apprendre un peu plus sur cette dispute dont il n'a jamais entendu parler. Il a beaucoup de mal à imaginer Alex se disputer avec quelqu'un, et particulièrement avec un ami. Lui qui est d'habitude joyeux et plein d'humour, il rend les soirées dans le dortoir plus vivantes et agréables. Pourtant, depuis un certain temps il n'est plus aussi jovial, il parle et sourit peu en présence de Thomas. Ce dernier avait bien ressenti un malaise la veille dans le dortoir, en effet, ni Alex ni Johan n'a ouvert la bouche de la soirée. L'un griffonnait nerveusement sur des feuilles de papier, l'autre écoutait de la musique à s'en exploser les tympans. Jamais l'adolescent ne se serait douté d'une quelconque altercation. « Et je suis peut-être à l'origine de cette prise de bec si on y réfléchit bien... Alex a des sentiments envers moi, et il sait que j'ai des sentiments envers Théo. C'est probablement à cause de ça, merde. J'aimerais en savoir plus. » Pense-t-il.

– Pourquoi ils se sont disputés ?

– J'en sais rien, quand je suis arrivé le dépressif et l'hyperactif essayaient de les calmer. Personne n'a voulu m'en dire plus, à croire que Yann Torres n'est pas digne de confiance. Souffle-t-il en commençant à déboutonner le haut de son pyjama.

    La première sonnerie du matin se met à retentir, Thomas sursaute légèrement en entendant le bruit strident résonnant dans le couloir des dortoirs. Il sort de la salle avant que Yann ne finisse de se déshabiller complètement.

    Sa question est restée sans réponse, et cela l'intrigue. Il hésite à demander directement à Alex, mais dès qu'il le regarde les mots restent bloqués dans sa gorge et son souffle se coupe. Il songe alors à interroger Théo, avec qui il se sentira sûrement plus à l'aise.

    Le couloir commence à s'animer et très vite les élèves se bousculent afin de s'introduire dans les douches. Thomas retourne dans sa chambre, il percute brièvement Johan en entrant qui de mauvaise humeur matinale, le fusille du regard en grommelant :

– Dégage putain !

    Il se décale en soupirant et replace sa trousse de toilette dans l'armoire, pour ensuite attraper sa paire de bottes. Il aperçoit Alex encore dans son lit, se frottant les yeux pour effacer sa fatigue.

– Faut se dépêcher, dit-il d'une voix enrouée, sinon y aura trop de monde aux douches.

– Bah magne-toi ! Réplique Johan.

    Alex met quelques secondes avant de réagir, il semble avoir l'esprit ailleurs. Ses yeux parcourent la pièce, et viennent se poser sur Thomas. Pendant un instant, leurs regards se croisent mais aucune émotion ne paraît, juste une sensation vide et terne qui laisse un arrière-goût amer à Thomas. Il détourne alors les yeux pour les poser sur Chris, qui d'une main cherche ses lunettes posées sur une petite table de nuit près de son lit. Il baille, et les place sur son nez.

– Debout en avance comme d'habitude, dit-il en souriant.

– Ouais, confirme Thomas.

– Je devrais peut-être me lever à la même heure que toi pour éviter d'attendre après...

– Non ! Interrompt-il brusquement.

    Chris le regarde surpris, ne comprenant pas sa protestation et balbutie quelques mots.

– Euh... D'ac... D'accord.

– En fait, reprend l'adolescent en tentant de trouver une excuse, c'est juste que j'aime être seul quand je prends ma douche.

    Il passe machinalement sa main derrière sa nuque, peu convaincu de son excuse, mais cela ne semble pas avoir semé de doute.

– Oui je comprends, acquiesce Chris. Du coup, on... On se retrouve au réfectoire avec les filles.

***

    Aux alentours de six heures trente, le réfectoire de l'école est déjà au complet. Thomas scrute les environs afin de repérer la table de Théo, après quelques secondes de recherche il finit par la trouver vers le fond de la salle, une table rectangulaire prévue pour six personnes. Il y aperçoit Théo, ainsi que Billy et Simon. Mais il ne voit pas Alex et Johan qui sont généralement avec eux. Il les aperçoit à une table située au centre du réfectoire, en compagnie de Yann. Leur discussion semble animée, l'adolescent peut entendre les propos de Yann de là où il est. Cependant, il se demande si la dispute de Théo et Alex est la cause de cette soudaine prise de distance.

    Il ferme les yeux un instant ne sachant même pas pourquoi cela le perturbe autant, puisqu'en soi il n'est pas concerné par cette histoire. Et pourtant il est tourmenté, ne décrochant plus le regard de la table d'Alex.

    Une vive douleur apparaît soudainement à sa joue gauche, Thomas réalise alors que Rosa est en train de le pincer. Il dégage son visage et semasse la joue en toisant la jeune fille.

– T'es folle ? Lui dit-il.

– Tu m'écoutais pas, je devais remédier à ça.

    Les rires de Chris, Eva et Aurore se font entendre à la table tandis que Thomas peste dans son coin commençant à déguster son petit-déjeuner.

– Sinon, poursuit Rosa, je te demandais si t'étais prêt pour la grande randonnée de Leonhard, parce qu'avec lui il faut avoir un mental d'acier.

– Surtout qu'on devra dormir entassés dans des tentes minuscules, ajoute Aurore en soufflant.

– Et les insectes, grimace Eva.

– Je trouve que c'est un bon entraînement cette randonnée, renchérit Chris avant de prendre une bouchée de sa viennoiserie.

– Moi je ne veux même pas en entendre parler, déclare Thomas.

– Le rabat-joie, se moque Rosa et levant les yeux au ciel. 

    Thomas se souvient très bien du jour où Leonhard a annoncé un départ en randonnée prévu dans moins de deux semaines, il se rappelle aussi l'avoir maudit de toutes ses forces. Comment arrivera-t-il à cacher son identité deux jours d'affilés en pleine nature ? Il s'était posé cette question une centaine de fois avant de trouver une réponse acceptable : Chloé. En tant qu'infirmière scolaire, elle peut lui fournir une dispense l'empêchant de faire cette randonnée. C'est ainsi qu'il arrive à garder l'esprit tranquille.

    Alors qu'il commençait à se perdre dans ses pensées, une chose dite par Aurore retient son attention :

– D'ailleurs, Simon va organiser une soirée chez lui avant de partir en randonnée. Je serais de la partie et vous ?

– J'en ai entendu parlé, dit Rosa, mais ses soirées c'est quatre-vingt-dix pour cents d'alcool et de drogues. Donc je passe.

– Moi aussi, ajoute Eva, je ne me sentirais pas très à l'aise.

    En les écoutant, Thomas se remémore malgré lui la seule fois où il a mis les pieds dans une soirée. Ce sont des souvenirs ancrés profondément dans sa mémoire, des images traumatisantes qui lui ont fait prendre conscience que l'on ne plaisante pas avec la vie.

    Le reste de la matinée se déroule sans encombre, les cours semblent durer une éternité et tout particulièrement celui d'histoire, dont la professeure à la voix soporifique réussie à endormir la moitié de sa classe. Thomas ne fait pas exception. À peine ferme-t-il les yeux au début du cours, que la sonnerie de fin de matinée résonne dans sa tête lorsqu'il les rouvre. La forme de sa main qui tenait sa tête quand il était assoupi, s'est imprimé sur sa joue rougit. Il est le dernier à sortir de la classe. Encore somnolent, il se met à bailler, puis sent que quelqu'un lui agrippe la manche.

– Thomas ? Dit une voix dans son dos.

Il se retourne, et fait face à Cynthia qui ne lâche toujours pas sa manche. Il la regarde dans les yeux un moment, puis lâche un soupir.

– Laisse-moi deviner, c'est pour l'exposé ?

– Exactement, affirme-t-elle. Donc soit disponible après le club sportif, je te retrouve au foyer des élèves cette fois.

    Le jeune homme se contente d'acquiescer, même s'il n'a vraiment pas envie de travailler après sa séance de badminton au club sportif. Il allait continuer son chemin, mais l'adolescente le retient une fois de plus en se rapprochant de lui. Thomas prend immédiatement peur, et recule d'un pas. Elle passe ensuite sa main près de son cou, et trouve une fine mèche de cheveux s'étant faufilé dans le col de sa veste.

– Tu t'es coupé les cheveux ? Demande-t-elle en lui montrant la mèche en question.

– Euh... Hum... Ne réussit-il qu'à prononcer sous le choc.

– Tu veux bien arrêter de le draguer Cynthia ? Se moque Clara adossée à un mur. Tu sais bien qu'il est d'un autre bord.

    La jeune fille s'approche de son amie et la prend par les épaules tout en ayant un regard perçant envers Thomas. Ce dernier la reconnaît à peine avec son nouveau style de coiffure, des mèches blondes satinées contrastant avec ses cheveux bruns naturels, mais qui colle parfaitement avec sa personnalité frivole.

– Ne dit pas n'importe quoi Clara ! S'agace l'adolescente en devenant rouge de honte.

    Thomas profite de leur petite querelle pour s'éclipser furtivement, il préfère rester le plus loin possible de Clara, elle lui a déjà causé assez de problèmes. Il préfère aussi s'éloigner de Cynthia, le coup qu'elle vient de lui faire ne l'a pas laissé de marbre. Il a vraiment cru qu'une chose semblable à ce qu'avait fait Clara ou Alex allait se reproduire, les battements de son cœur ne ralentissent toujours pas. « Mais bon sang, à quoi je pense aussi ? ».

    Il marche en direction de l'infirmerie d'un pas rapide, et espère y trouver Chloé qui lui fait souvent faux bond avec ses réunions par dizaines qui l'empêche d'être présente à l'école. Par chance, la porte du cabinet est ouverte et Thomas aperçoit la silhouette de la jeune femme assise devant son bureau remplissant diverses paperasses. Il toque afin de se faire remarquer.

– ... Oui ? Demande l'infirmière concentrée dans son travail avant de se retourner. Oh, c'est toi ma belle !

    Thomas ferme ensuite la porte et s'assoit sur la table d'examen, faisant balancer ses jambes.

– Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça, se plaint-il. Sinon, comment ça se passe avec ton oncle William ? Tu lui as bien dit ce que je t'ai raconté ?

– Je l'ai bien prévenue pour cette histoire de falsification, il était très en colère contre l'inspectrice Keller, apparemment ils se connaissent très bien tous les deux. Mais il ne m'en a pas dit plus. En revanche il te remercie toi et tes amis, et va prendre les dispositions nécessaires afin d'enterrer à jamais cette affaire.

    Un sentiment d'apaisement s'empare de l'adolescent qui se sent de nouveau en sécurité, il peut faire confiance au lieutenant Arguer et se focaliser pleinement sur sa vie à l'école militaire. C'est alors qu'il repense à la randonnée de Leonhard, une épreuve qu'il redoute et qu'il ne souhaite absolument pas affronter.

– Et... Dit-il d'un air inquiet. En ce qui concerne la randonnée, t'as réussi à me faire une dispense ?

    Un silence pesant prend place dans l'infirmerie, Chloé se pince les lèvres et détourne le regard. Son absence de réponse rend Thomas perplexe, mais il finit par comprendre qu'il n'aura pas ce qu'il veut.

– Oh non Chloé.

– Je m'excuse ! Réplique-t-elle de suite. Mais ce n'est pas comme-ci tu devais sécher les cours comme la dernière fois, il s'agit d'une épreuve importante. Je ne suis pas en mesure de te fournir une dispense, il faut que tu ailles voir le médecin scolaire.

    Son sentiment d'apaisement disparaît, laissant place à la peur et l'anxiété.

– Mais tu sais bien que c'est impossible !

– Oui je sais mais je ne peux rien faire cette fois, je suis désolé. Danny Leonhard nous a mis dans une sacrée impasse.

– Qu'il aille au diable, peste Thomas.

Il marque ensuite une pause avant de reprendre timidement, la voix tremblante :

– En plus, cette randonnée ne tombe pas le meilleur jour du mois... Si tu vois ce que je veux dire.

– Comment ça ? Questionne l'infirmière en levant les sourcils. Tu as des examens avant ?

– Non pas du tout ! S'écrie-t-il en rougissant. Tu sais bien, je vais avoir...

    Le rire soudain de Chloé interrompt l'adolescent dans son explication qui le met mal à l'aise au plus haut point.

– Je te taquine, admet-elle en ricanant. Mais là aussi je ne pourrais pas t'aider, tu vas devoir prendre tes précautions et faire en sorte que personne ne te remarque.

– C'est pas drôle ! Se vexe Thomas. Ça m'effraie tout ça.

    L'infirmière quitte alors sa paperasse et s'approche de lui, l'enlaçant dans ses bras, elle lui souffle quelques mots censés le réconforter :

– Tu as surmonté des épreuves bien pires, ne t'en fais pas. Je suis sûre que tout ira bien.

    Elle resserre son étreinte mais il ne fait pas de même, peu rassuré. Il pense que ces paroles ne lui sont pas destinés, que Chloé tente juste de se convaincre elle-même à travers ses mots que tout se passera bien. Il sait qu'en vérité elle est aussi terrifiée que lui.

    Il ne peut donc pas se laisser abattre, il doit aller de l'avant et prendre sur lui-même. Au moins encore une fois.

***

    L'après-midi s'annonce rude, les cours des clubs sportifs ne tarderont pas à commencer. Les rayons du soleil inondent toute l'école, ce qui est plutôt rare en cette saison pluvieuse. Les élèves en profitent pour retirer leur veste militaire et ne garder que le simple t-shirt blanc. Mais même en dépit de l'étonnante chaleur, Thomas n'enlève rien. Assis sur l'un des bancs du gymnase, il attend les instructions de la professeure de badminton. Il observe au loin Alex discuter avec une jeune fille aux cheveux blonds, ils déroulent ensemble les filets et préparent le terrain. Il aperçoit Théo de l'autre côté du gymnase, assis par terre dans un coin, lui aussi a gardé sa veste malgré la chaleur. Il semble pensif et sur ses gardes.

La professeure donne un grand coup de sifflet afin que les élèves se rassemblent, et fait ensuite son annonce :

– La semaine dernière j'ai pu observer les capacités de chacun, ce qui m'a permis de former des équipes en binôme. Vous aurez donc un partenaire possédant les mêmes aptitudes que vous. J'annoncerais les groupes à la fin de l'échauffement.

    Un nouveau coup de sifflet retenti, et toute la salle débute les exercices. Thomas voudrait en profiter pour se rapprocher de Théo et le questionner sur cette fameuse dispute, mais il risquerait de se faire surprendre par la professeure, et les élèves n'ont pas le droit de discuter pendant les échauffements. Il aimerait être son binôme, mais il est évident que leurs aptitudes sont différentes.

    Une quinzaine de minutes s'écoulent, et tandis que le jeune homme reprend désespérément son souffle, l'annonce des équipes se réalise sans qu'il ne s'en rende compte. Une jeune fille d'origine asiatique avance dans sa direction et lui tend une raquette.

– C'est pas vrai, dit-elle d'un ton moqueur, t'es déjà essoufflé alors qu'on a même pas commencé à jouer. Tu veux pas enlever ta veste ? Il fait tellement chaud aujourd'hui.

    Thomas reconnaît cette fille, elle est dans sa classe et se prénomme Océane. Il prend la raquette et se place d'un côté du filet.

– Je garde ma veste, répond-il.

    Le match commence et le volant virevolte dans tous les sens. Thomas ne marque pas de points, ses pensées sont ailleurs. Il ne peut s'empêcher de jeter des regards du côté de Théo ou celui d'Alex. Tous deux sont concentrés dans le jeu, et pourtant une tension se fait ressentir.

– Tu peux rester focalisé sur notre match au lieu de regarder Alex ? Intervient Océane.

    L'adolescent sent immédiatement la chaleur lui monter aux joues suite à ce reproche, il ne pensait pas être aussi indiscret. De plus, la forte voix de la jeune fille a réussi à attirer l'attention d'Alex qui se tourne machinalement la tête pour faire face au visage gêné de Thomas.

– Il y a un problème ? Demande-t-il à Océane.

– Moi aucun, mais c'est à lui qu'il faut demander. Rétorque-t-elle en pointant Thomas.

    Il regarde de nouveau l'adolescent avant de déclarer d'un ton glacial :

– Non, pas la peine.

    Il se retourne ensuite pour terminer son match, laissant Thomas complètement désorbité par son attitude envers lui. Ses mots lui restent en travers de la gorge. « C'est se faire snober ça... » spécule-t-il. Mais étrangement, il peut comprendre son comportement envers lui

    Le cours touche maintenant à sa fin, quelques élèves aident à ranger le matériel et d'autres partent sans demander leur reste. Thomas serait bien parti lui aussi afin de se changer ou si possible prendre une douche car ses vêtements sont trempés de sueur. Cependant Théo étant resté aidé, il reste aussi. L'occasion de lui parler se présente enfin, alors il avance vers lui peu sûr et entame une discussion.

– Théo...

– Qu'est-ce que tu veux ? Questionne-t-il ne levant pas le regard de la boîte en carton dans laquelle il range les volants.

    Une certaine forme d'hostilité se distingue dans ses paroles rendant l'approche plus difficile pour Thomas. Malgré cela, il tente de rester le plus neutre possible.

– Yann m'a expliqué qu'il s'était passé quelque chose avec Alex.

    Théo renverse brusquement le carton faisant retomber tous les volants.

– Quel con, marmonne-t-il, il peut pas tenir sa langue. Ça te regarde pas, c'est mon problème.

Il s'accroupit, et ramasse tout ce qui est tombés au sol pour les remettre dans la boîte.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? Pourtant tu t'es bien mêlé de mes affaires.

– Oui parce que ça m'arrangeait ! Réplique-t-il. J'ai pas besoin de ton aide... On n'est même pas amis.

    Prenant le carton dans ses mains, il s'éloigne en direction des vestiaires sans même jeter un dernier regard à Thomas. Ce dernier reste paralysé, ayant l'impression que son estomac se tord, que des milliers de couteaux le poignardent en plein cœur.

« Même pas des amis. » Ces quelques mots ont suffi à le bouleverser, à lui rappeler qu'il n'est rien d'autre qu'un simple spectateur. « Il a raison on n'est pas des amis, je ne suis qu'un personnage secondaire sans intérêt ».

    Le gymnase est presque vide, Thomas décide alors de sortir prendre l'air et se remettre les idées en place. Mais il remarque Alex qui se tient devant la porte d'entrée. Il le guette, puis un rictus se trace sur son visage.

– Maintenant, tu sais ce que ça fait d'avoir le cœur brisé.

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