29- Dara et Névan

Tenant toujours le papier du bout des doigts, Cynthia grimace en relisant le mot. Elle finit par lancer un regard interrogateur à Thomas, qui lui répond par ce même regard.

- Qu'est-ce que t'as fait ? Questionne la jeune fille.

- C'est ce que tout le monde aimerait savoir ! Ajoute vivement Yann.

Face à la réaction de Yann, quelques élèves de la bibliothèque se retournent et toisent les quatre adolescents, signifiant qu'ils sont trop bruyants. Thomas ne fait pas attention à eux, tout un tas de questions concernant Cynthia lui viennent à l'esprit. Mais la précipitation et l'incompréhension le font bégayer.

- A... Attend... Tente-t-il de prononcer. Mais comment...

- S'il vous plaît ! Intervient une vieille femme.

Il s'agit de la bibliothécaire de l'école qui avance vers les adolescents, l'expression ferme et le pas lourd.

- Si vous ne faites que discuter en dérangeant les autres, veuillez vous en allez.

- Ouais... Déclare Théo à ses camarades. On devrait partir.

Sans un mot de plus, ils partent vers le couloir. Cynthia marmonne tout de même un vague « excusez-nous » avant de refermer la porte de la bibliothèque. Thomas suit le groupe sans réellement savoir ce qui se passe, Théo trouve une rangée de chaises près de l'une des baies vitrées du couloir, et s'assoit sur l'une d'entre elles. Cynthia s'adosse contre un mur.

- Pourquoi vous m'avez entraîné ici, demande-t-elle agacée.

- C'est qui ? Rétorque soudainement Thomas en désignant le mot. Ça m'obsède depuis hier, alors dit moi.

L'adolescente, surprise par l'attitude de Thomas, prend quelques secondes avant de réagir. Elle remonte ses lunettes sur sa tête, et croise les bras.

- En fait, je ne suis pas sûre à cent pour cent. Mais une écriture aussi illisible et indiscernable ne peut appartenir qu'à une seule personne.

- Qui est ? S'impatiente Thomas.

- Névan.

Brusquement, Théo s'agite à l'entente de ce nom, et son regard s'emplit de férocité.

- Névan ? Répète-t-il. Ce chien de Névan Keller ?

- Tu le connais ? Interroge la jeune fille.

Théo acquiesce avant de pester, pendant que Thomas l'observe totalement perdu. Celui qui a écrit le mot se nommerait donc Névan. Il a beau fouiller dans sa mémoire, il ne connaît personne qui porte ce nom. « Alors comment se fait-il que lui me connaisse ? » Il commence à se ronger l'ongle du pouce machinalement, tellement cela lui paraît incompréhensible. Cependant, le nom Keller lui rappelle vaguement quelque chose, mais impossible de s'en souvenir.

- Je le déteste, ce mec... Reprend Théo. Il y a deux ans, il a poussé Billy à bout, à cause d'une histoire de joints qu'on avait planqués dans l'école.

- Je savais que c'était un camé lui aussi ! Intervient Yann avec un certain enthousiasme.

- Toi et Billy vous avez caché de la drogue !? S'offusque Cynthia.

- Névan était aussi dans le coup ! Se défend Théo en se levant pour faire face à l'adolescente. Mais à la visite des inspecteurs, il a retourné sa veste et a préféré jouer le lèche-bottes en voulant nous dénoncer.

- Il l'a fait ?

- Non. Il a essayé, mais Billy avait complètement disjoncté. Ils se sont battus, et Névan a fini à l'hôpital.

- Et pour le dépressif ? Demande Yann.

- C'est Billy. Il a failli se faire renvoyer, mais ses parents ont parlé à Oswald... Enfin après je connais pas l'histoire.

Thomas écoute attentivement le récit de Théo, et en apprend un plus sur celui qui est certainement l'auteur du mot, autrement dit, celui qui connaît sa véritable identité. Et malheureusement cet individu s'avère être une véritable ordure adepte de l'hypocrisie. Cette pensée le terrorise, mais Thomas essaye de ne pas perdre la face, il est proche du but et peut-être a-t-il encore une chance d'arrêter Névan.

- Tu sais où il est ? Questionne-t-il en s'adressant à Cynthia. Et, comment tu peux être sûre que c'est bien son écriture ?

- C'est vrai ça, renchérit Yann. Même si ce gars est le seul de l'école militaire à écrire comme un gamin de quatre ans, t'as mis moins d'une seconde à reconnaître son écriture. Tu l'aurais pas fréquenté par hasard ?

Le jeune homme regarde Cynthia avec un air malicieux et vicieux, cette dernière replace timidement ses lunettes sur son nez, et se retourne afin que personne n'aperçoive la couleur rosée qui teinte ses joues. Yann et Théo arquent un sourcil en même temps, tandis que Thomas s'impatiente.

- Bon, tu craches le morceau !?

-Fiche-moi la paix toi ! S'écrit-elle d'une voix vacillante avant de tout révéler. En fait, Névan a eu un coup de cœur pour moi l'année dernière...

Yann explose de rire en se tenant les côtes, avant qu'elle ne finisse de parler.

- J'en étais sûr, vous êtes sortis ensemble !

- Sérieux ? S'étonne Théo.

- Mais non ! Mais non !

L'adolescente commence alors à se mettre dans tous ses états sous le regard noir de Théo et les rires de Yann. Thomas les observe en silence, préférant rester en dehors de ces niaiseries d'histoires de cœur. Cynthia se comporte souvent comme une fille droite et inflexible, mais lorsqu'il s'agit de ses sentiments, son masque tombe et elle ne sait plus gérer ses émotions.

Intérieurement Thomas se moque d'elle, mais il réalise ensuite qu'il est exactement comme elle. Il n'arrive pas à contrôler ses émotions et ses sentiments quand il est en présence de Théo, et seulement Théo. Pour tout autre personne, son masque ne tombe pas et reste parfaitement en place. Même si en ce moment, il divague un peu pour Alex et Eva.

- Névan est de la vieille école en ce qui concerne les techniques de drague, continu-t-elle plus timidement après avoir repris son calme. Il... Il m'écrivait des lettres... Mais je le repoussais sans cesse, et il insistait. A force, j'ai fini par connaître sa sale écriture par cœur.

- Un amoureux transi, ajoute Yann. C'est beau.

- Ferme-la toi, marmonne Théo. Ce connard se croit tout permis, juste parce que sa sœur est une inspectrice.

« Sa sœur est une inspectrice. » Ces mots restent bloqués dans la tête de Thomas, son souffle se coupe un instant, et il se rappelle de l'inspectrice qu'il avait croisé devant la porte de l'infirmerie. Il ferme les yeux, et tente de revisualiser la scène. Sur son uniforme, elle portait un badge sur lequel était inscrit son nom. Keller. C'était donc elle. La première impression qu'il lui a faite n'était pas bonne, Thomas s'était montré hostile, froid et nonchalant.

« Elle serait le lien entre Névan et moi... » Songe-t-il. Il commence à y voir un peu plus clair, il se souvient de l'air surpris voire stupéfié qu'elle avait pris lorsqu'il lui avait dit son nom. Il se souvient aussi d'un bref sourire en coin qu'elle aurait fait, ou bien est-ce son imagination qui tente de lui jouer des tours ? « Je n'avais pas encore perdu ma photo à ce moment-là, elle ne savait donc pas que je suis une fille... Ou alors, elle le savait déjà. » Sa gorge se serre et des frissons remontent le long de son dos, il se sent chanceler. Mais il est près du but, il ne peut pas prendre peur. Il doit d'abord les retrouver. Le frère puis la sœur.

- Cynthia, dit-il en rouvrant lentement les yeux, tu sais où on peut trouver Névan ?

- Il est en première année de CPGE...

Elle s'arrête et constate l'air perdu de Thomas, avant de soupirer et de reformuler sa phrase.

- Il est dans la deuxième compagnie. Et puisque leur premier examen approche, Névan doit s'entraîner près du grand terrain ou au parcours d'obstacles. Il y avait du monde tout à l'heure en plus.

- Je vais y aller.

- Tu dois m'emmener voir le parcours d'obstacles aussi Théo, rappelle Yann.

- Et alors ? Grommelle Théo.

- Et alors on peut y aller avec lui, dit-il en désignant Thomas.

- Non c'est bon, proteste-t-il.

S'il doit chercher Névan, il préfère être seul et ne pas mêler Théo et Yann dans cette affaire. Même si ce dernier semble déterminer à le suivre, ce qui n'est par contre pas le cas de Théo, qui semble lassé et énervé de jouer le guide. Thomas ne compte pas attendre plus longtemps, maintenant qu'il a les informations nécessaires. Il décolle son dos du mur, et commence à avancer doucement vers la sortie. Cependant, son bras est retenu par la main de Cynthia. Elle lui jette un regard furieux en haussant soudainement la voix :

- Tu penses que je vais encore te laisser partir !?

Thomas se retourne afin de lui faire face, et dégage son bras. Il affronte son regard tout en restant impassible, même s'il commence à bouillonner intérieurement. Il déteste son comportement excentrique, et sa manie de vouloirs donner des ordres aux autres. Malgré cela, il garde son calme, se mettre en colère contre elle dans un tel moment serait totalement stupide. Mais il est sûr d'une chose, elle ne l'empêchera pas de s'en aller.

- Chaque fois que j'essaye de te voir pour travailler, poursuit Cynthia, t'arrives à te défiler. Si j'avais eu le choix, c'est certainement pas avec toi que je ferais cet exposé. Et pourtant, je me retrouve avec le pire crétin, à qui il arrive toujours des tonnes de problèmes. Mais je ne vais pas me laisser faire, et je ne vais pas réaliser l'exposé seule. Alors cette fois je ne te laisse pas partir !

- J'adore cette nana ! S'exclame Yann.

- T'as dit quoi !?

- Elle est complètement folle surtout, ajoute Thomas.

- Vous n'êtes que deux abrutis...

- Il va juste régler ses comptes avec l'autre con, coupe Théo. Va avec lui si tu veux pas le perdre.

« Merde, pourquoi il a dit ça lui... » Thomas fixe la jeune fille, et l'idée de Théo ne semble pas lui déplaire, elle se dessine même un sourire en coin.

- C'est une bonne idée, affirme-t-elle. En plus Thomas, tu ne sais même pas comment est Névan.

- Je veux y aller seu...

- Je viens aussi ! Déclare Yann. Dans tous les cas, le camé doit me faire la visite du terrain.

- Et tu me lâches après ? Questionne brusquement Théo. Si je vois la gueule de Névan, c'est toi que je tue.

Ça y est, Thomas sent de nouveau l'angoisse lui nouer l'estomac. Il en vient même à espérer à ne pas rencontrer Névan, car s'il révèle toute son identité à ses camarades, il peut être certain de voir son monde s'écrouler. Théo, Yann et Cynthia ne se doutent pas de l'importance, et de l'enjeu de cette rencontre pour Thomas. Il ne peut pourtant pas les mettre dans la confidence, pas comme il l'a fait avec Leonhard, ou même les empêcher de le suivre au risque de paraître trop étrange et suspect. Et si ils l'interrogent, il serait capable de fondre en larmes.

Alors il ne fait rien, et se contente de suivre le groupe, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Il espère que pour une fois le sort joue en sa faveur, qu'un coup de chance survienne. Même si en vérité, il a cessé d'y croire depuis longtemps. Cynthia marche d'un pas assuré au-devant du groupe, suivit de Théo et Yann la suivant de près. Thomas reste à l'écart et avance plus lentement, comme pour ne pas se faire repérer et rester discret. Une fois dehors, l'air frais s'engouffre dans ses vêtements et une première goutte de pluie se jette sur le bout de son nez. Cynthia se stop soudainement et sans prévenir, faisant Yann la percuter.

- Doucement ma belle, plaisante-t-il avec un sous-entendu. On en est pas encore là.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Il y avait des gouttes de pluie sur mes lunettes... Et puis arrête de me coller.

Elle se met à marcher de plus en plus vite cette fois-ci. Thomas aperçoit déjà le grand terrain et ses grandes bordures bétonnées. Une trentaine d'élèves font du footing et divers exercices physiques, sous les ordres d'un instructeur ou de leur plein gré, et Névan est peut-être l'un de ces élèves.

- Donc voilà, explique Théo à Yann, c'est le grand terrain de l'école. C'est ici qu'on fait la plupart de nos entraînements, donc maintenant que tu l'as vu je peux me casser d'ici.

- Ah ouais, il est cool le grand terrain. Mais il est où le type que vous cherchez ?

- Me parle pas de ce chien de...

Théo est interrompu par un long sifflement strident venant d'un jeune homme portant une casquette noire, et assez maigre d'apparence.

- Bah tiens, dit Cynthia, le voilà.

- Vous aurez pas cherché bien longtemps, ajoute Yann.

Le dénommé Névan s'approche du groupe en trottinant comme s'il continuait ses exercices. Le visage de Théo se décompose, tout comme celui de Thomas, mais les raisons en sont bien différentes. Les deux adolescents se figent alors que Névan arrive vers eux, un rictus en coin.

- Ça fait longtemps, déclare-t-il à Théo sur un ton ironique, sinon toi et les autres vous fumer encore ?

- Ferme ta gueule ! Vocifère Théo s'apprêtant à donner un coup de poing.

Cynthia s'interpose à temps entre eux avant que le drame ne se produise, et repousse Névan afin qu'il reste le plus éloigné de Théo.

- Les mecs sont vraiment tous pareils, peste-t-elle.

Elle sort le bout de papier de Thomas, et le colle au visage de son auteur. Thomas assiste à la scène, et est terrifié à l'idée de ce que va dire Névan. Il veut à tout prix savoir, mais en même temps il ne veut rien entendre, ou plutôt il ne veut pas que ses camarades l'entendent. D'interminables secondes défilent, l'adolescent est complètement paralysé. Névan ne réagit pas beaucoup, il se contente de prendre le mot et de le lire. Puis, son sourire s'agrandit et ses yeux quittent le mot pour aller observer narquoisement l'adolescent.

- Je vois que tu as trouvé mon mot... Imposteur.

Et soudain tout semble s'écrouler autour de Thomas, les regards fusent vers lui. Il bégaye des paroles que lui-même ne comprend pas, car c'est la seule défense qui lui reste.

- Imposteur ? S'étonne Yann. Pourquoi c'est un imposteur ?

À ses mots, Névan paraît réfléchir. Il ne répond pas directement, et affiche une moue perplexe.

- C'est pas vraiment lui l'imposteur, reprend-il, c'est son père. Mais c'est pareil, c'est le fils d'un imposteur.

Thomas se ressaisit, mais prend un certain temps avant de bien comprendre les paroles du jeune homme. « Il ne m'a pas découvert alors ? Et pourquoi il parle de mon père ? ».

- En quoi mon père est un imposteur ? Et pourquoi tu dis que tu vas me dénoncer ?

- Le lieutenant Arguer est un falsificateur, ce qui fait de toi le fils d'un falsificateur. Ma sœur est inspectrice, et elle a eu suffisamment de document sur lui pour le dénoncer. Je l'ai aidé bien sûr. D'ailleurs, je déjeune avec elle en ville, je lui parlerais bien de toi et de la tête que t'as tirée quand je t'ai annoncé qu'on ferait boucler ton père.

Névan commence à repartir, un sourire arrogant au visage, laissant Thomas et son groupe bouche bée. Mais il s'arrête et dit une dernière chose :

- Et en fait, j'ai écrit : T.A je sais qui tu es, je vais le dénoncer. Et pas je vais te dénoncer. C'était un L et pas un T, j'ai juste pas finis ma boucle.

***

Après l'annonce de Névan, Thomas se retrouve tiraillé entre deux émotions, l'immense joie de ne pas avoir été découvert, et la peur de ce qui va probablement arriver à son pseudo père. Il sait très bien que le lieutenant Arguer à falsifié de nombreux documents, c'est même grâce à cela qu'il a pu entrer à l'école militaire sous une autre identité. Névan et sa sœur ont mené à bien leur enquête sur le lieutenant, mais ils n'ont pas encore découvert la falsification de l'identité de Thomas Arguer. Ce n'est peut-être qu'une question de temps avant qu'ils le découvrent. Et même s'ils passent à côté de ça, le lieutenant ira en prison pour ce qu'il a fait et ne pourra plus assurer la place de Thomas dans l'école. L'adolescent tient sa tête entre ses deux mains, s'arrachant presque le cuir chevelu avec ses ongles. Il a beau réfléchir encore et encore, le seul moyen pour lui afin de rester dans l'école, est de convaincre Névan et sa sœur de ne pas dénoncer le lieutenant Arguer.

- Eh Thomas ! Appelle Théo.

Le jeune homme se redresse, et voit Théo, Yann et Cynthia lui faisant une mine incertaine.

- On t'avait perdu là, se moque Yann.

- J'avais dit que c'était un connard Névan, affirme Théo.

Thomas acquiesce brièvement, tandis que Cynthia commence à croiser les bras sur sa poitrine et à scruter l'adolescent derrière ses verres.

- Je ne vais pas juger ton père, mais s'il lui arrive quelque chose tu en subiras peut-être les conséquences. Alors qu'est-ce que tu vas faire ? Parce que si c'est pour rester assis dans l'herbe sous la pluie, je te rappelle qu'on a mieux à faire. Finit-elle en élevant la voix.

- Je vais les empêcher de dénoncer mon père. Déclare Thomas en se relevant.

- Névan a déjà dû partir, tu vas faire com...

- Il a dit qu'il déjeunerait en ville avec sa sœur, coupe Théo. Si tu demandes ta permission, tu peux essayer de le choper. Enfin si t'arrives à retrouver le bon resto.

- J'ai bien ma petite idée, ajoute Cynthia. Quand Névan avait le béguin pour moi, il voulait toujours m'emmener dans un fast-food pas très loin d'ici. Tu le trouveras sûrement là-bas.

- Ok, retient Thomas. La permission... Et le fast-food...

Il n'est plus sûr de ce qu'il va faire, l'idée de sortir en ville l'effraie encore. Il sera seul et il ne connaît pas bien les environs. Il n'a pas pris ses marques. Néanmoins il ne peut pas non plus reculer, et prendre le risque de voir William Arguer se faire arrêter.

- Tu veux qu'on vienne avec toi ? Demande Théo en remarquant son hésitation.

- Pas question que je sorte aujourd'hui ! Cette histoire ne me concerne pas.

- Moi j'ai pas encore le droit de demander des permissions... Se lamente Yann.

Le fait d'avoir Théo à ses côtés ne déplaît pas à Thomas, bien au contraire, le voir dans un autre environnement que l'école militaire l'intrigue beaucoup.

- Mais je croyais que tu ne voulais pas voir Névan, dit-il.

- Ouais, mais l'histoire de ton père est hors normes ! Je veux rien rater. Et pour ce chien de Névan, j'ai un plan pour le foutre plus bas que terre. Il va payer pour ce qu'il nous a fait l'an dernier.

Il prend son fameux air railleur, celui que Thomas ne connaît que trop bien maintenant. Il ne sait pas ce que Théo a en tête, mais il ne préfère pas à en chercher davantage. Pendant ce temps, Cynthia le toise sévèrement.

- T'en rates pas une Théo.

- La vie scolaire et militaire de ton compagnon d'exposé est en jeu, c'est toi qui n'en rates pas une.

L'adolescente lève les yeux au ciel en plaçant une main sur sa hanche et laisse échapper un soupire laissant penser qu'elle commence à réfléchir.

- Tu n'arriveras jamais à convaincre Névan et sa sœur de ne pas dénoncer ton père Thomas, ne te fait pas d'illusion. Mais si tu tiens vraiment à le retrouver, je veux bien te montrer le fast-food dans lequel ils pourraient être.

« Elle a raison... Mais je ne peux pas rester les bras croisés et attendre que ça se passe. » Songe-t-il. Tenter le tout pour le tout, c'est ce que Thomas a décidé de faire même si cela s'avérera inutile. Il n'affrontera au moins pas cette épreuve seul, puisque Théo et Cynthia l'accompagneront. En vérité, il aurait préféré être seul avec Théo et ne pas avoir à supporter Cynthia, mais si elle peut se montrer utile, il ne peut pas refuser. Il hoche alors la tête dans sa direction signifiant qu'il accepte son aide.

***

À peine une heure plus tard, et alors que la pluie s'abat de plus en plus, Thomas, Théo et Cynthia se rencontrent devant les grilles de l'école. Théo remonte la capuche de sa veste sur sa tête, Cynthia tenant un grand sac à main sur l'épaule, ouvre celui-ci pour en sortir un parapluie qu'elle déploie immédiatement. Thomas n'ayant ni capuche ni parapluie et ayant l'impression de passer pour un idiot s'apprête à avancer le premier, lorsque Cynthia roulant des yeux agacés, lui tend son parapluie.

- T'es plus grand que moi, alors tu le tiens.

Il ne dit rien, et se contente de faire ce qu'elle dit. Ce qui le gêne le plus est la rapidité de ses pas, tandis que lui est un marcheur lent de nature. Or, ils sont obligés de marcher côte à côte pour rester protégés de la pluie. Thomas jette un coup d'œil du côté de Théo et remarque qu'il a réussi à allumer une cigarette, la fumée ne tarde d'ailleurs pas à s'emparer des narines des adolescents.

- Ça fait du bien de plus entendre Yann, avoue Théo en riant.

- Ça ferait du bien que tu fumes ailleurs aussi, rétorque Cynthia. Garde ton futur cancer pour toi.

Le jeune homme fait ce qu'elle dit reste un peu en retrait du groupe, cela ne l'empêche pourtant pas de lever le majeur en sa direction en prenant un air narquois, et sans qu'elle ne le remarque. Thomas le voit et lâche brièvement un rire, Théo se met à l'imiter tout aspirant sa fumée. Leur relation s'améliore de plus en plus, et la tension hostile qui régnait entre eux a disparu pour laisser place à ce qui semblerait être un début d'amitié. Mais seulement de l'amitié. Thomas ne veut pas se contenter de ça, ses sentiments amoureux ne l'accepteront pas. Il ne peut pas non plus lui dire qui il est juste pour une idylle, ce serait stupide. Il l'aime, mais peut-il avoir confiance en lui ? Et si c'est le cas, aimera-t-il Judy ? Des questions qui troublent sans cesse Thomas depuis un moment, mais auxquelles il n'aura peut-être jamais de réponses.

Le reste du trajet se fait dans un silence absolu, seul le bruit des voitures et le son de la pluie tapotant sur le parapluie se font entendre. Les rues commerçantes ne sont pas aussi vives que lorsque Thomas était sorti avec Eva, Rosa et Chris, elles sont calmes et peu de personnes visitent les boutiques. Cynthia s'arrête au coin d'une rue, et pointe du doigt l'enseigne d'un petit restaurant.

- C'est ici, s'ils ne sont pas à l'intérieur vous pouvez toujours faire le tour des restaurants et des bars.

- Viens avec nous, dit Théo, tu vas pas rester sous la pluie. Et à mon avis ça sera rapide.

- Que tu dis... Soupire Thomas.

Après une dizaine de secondes d'hésitation et de réflexion, Cynthia décide de suivre les garçons jusqu'au bout. Ils entrent alors dans le fast-food, l'odeur de friture et le bruit des grésillements envahissent directement les alentours. Thomas voit une ribambelle d'enfants courir dans tous les sens, et les parents tenter de les calmer. Une petite fille aux boucles rousses d'à peine cinq ans le bouscule légèrement, elle lève la tête pour l'observer et dit d'une voix aiguë :

- Pardon madame.

Elle repart ensuite en courant rejoindre ses parents, personne n'a entendu ce qu'elle a dit, Théo et Cynthia cherchent Névan et sa sœur. Thomas reste halluciné par les paroles de la petite fille, elle a tout de suite deviné qu'il était une fille, sans même se poser de questions. Il prend une mèche de cheveux dans sa main, et suppose que ses cheveux sont peut-être trop longs.

- Je les ai trouvés, annonce Cynthia.

Au fond du restaurant, près d'une grande fenêtre condamnée se trouve une table à laquelle Thomas reconnaît un jeune homme portant une casquette, Théo sourit de façon mesquine en le voyant. Assise juste en face de lui, une femme aux longs cheveux bruns. Il devine qu'il s'agit de l'inspectrice. Les trois adolescents avancent en direction de leur table, Névan les aperçoit et écarquille les yeux en lâchant :

- Oh putain, Dara !

L'inspectrice se retourne alors mécaniquement, et fronce les sourcils en remarquant Thomas. Sans plus attendre, ce dernier prend place en face d'elle, faisant Névan se déplacer sur le côté.

- Est-ce que je rêve ? S'offusque-t-elle.

Thomas sait maintenant qu'elle s'appelle Dara, il est assez déstabilisé de ne pas la voir en uniforme de travail, et portant un chignon. En effet, ses cheveux sont détachés et elle porte une simple robe. Pourtant son regard reste le même, sévère et nerveux.

- Dégage de là ! S'agace Névan.

Il lui donne un coup de coude, mais Thomas ne réagit pas, il lui jette un regard rapide et remarque qu'il porte un appareil auditif à l'oreille droite. Par ailleurs, son oreille comporte plusieurs petites cicatrices. Il n'avait pas remarqué cela la première fois qu'il a vu Névan.

- Ta gueule Névan, intervient Théo en s'emparant d'une chaise pour venir s'asseoir à la table.

Cynthia fait de même en posant son sac à main à ses pieds.

- Pourquoi êtes-vous ici ? Questionne Dara. Qu'est-ce que vous nous voulez ?

Tous les regards sont désormais braqués sur Thomas. Il sert ses poings et baisse la tête, fixant lourdement ses mains.

- Ne dénoncez pas mon père... S'il vous plaît.

L'inspectrice l'observe avec de grands yeux interloqués avant de tourner la tête vers son frère.

- Espèce d'abruti ! Pourquoi tu lui as parlé de ça !?

- Je... Je pensais pas que ça poserait problème.

Dara peste en regardant la fenêtre, fixant durement le paysage. Thomas sait d'avance que gagner ne sera pas simple, il ne sait pas comment s'y prendre afin de les convaincre de laisser le lieutenant Arguer. La jeune femme finit par lâcher un petit nerveux tout en disant :

- De toute façon, que tu saches ou pas ça ne changera rien. Et tes amis sont sans doute à la recherche d'histoire qui pourrait pimenter leur petite vie ennuyeuse de futur militaire.

Théo et Cynthia se lancent le même regard incertain.

- Mon enquête sur William Arguer est terminée... Ce salaud va finir ses jours en prison.

- Qu'est-ce que vous avez réellement contre lui ? Demande Thomas d'un air grave.

- Ça ne te regarde pas, mais si tu veux je peux te montrer tous les documents falsifiés de ton très cher et respecté père.

Sans attendre la réponse de Thomas elle prend son sac à main et le pose au bord de la table, près de son plateau. Ainsi, elle sort une grande chemise cartonnée dans laquelle se trouvent une vingtaine de documents qu'elle éparpille sur la table. Cynthia lâche un soupir de surprise en voyant tous ces papiers. Théo réagit à peine, et Thomas serre de plus en plus les poings en ayant une respiration saccadée.

- Code de justice militaire, récite Dara. Le fait pour tout militaire chargé de la tenue d'une comptabilité deniers ou matières de commettre un faux dans ses comptes ou de faire usage des actes faux, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Si le coupable est officier ou a rang d'officier, il encourt également la destitution ou la perte du grade.

Thomas découvre et observe d'un œil attentif chaque papier disposé sur la table. Fausses cartes d'identités, faux permis, fausses attestations, faux contrats. Il se racle la gorge et tente de répliquer.

- Donc vous avez mené votre enquête en solo sur lui, et comment avez-vous eu ses documents ?

- J'ai mes sources, avoue-t-elle avec mesquinerie. Bien sûr il faut aussi savoir y mettre le prix.

- J'ai aussi aidé, ajoute Névan, les archives de l'école et les casiers des salles administratives sont bourrés d'infos.

- C'est illégal de faire ça, intervient brusquement Cynthia.

- Ce n'est pas à toi de le dire, rétorque Dara.

Elle range les papiers dans la chemise cartonnée, et la replace dans son sac. Thomas tente de nouveau de la dissuader, mais elle le coupe.

- À moins que ton père ne décède dans les prochaines heures, rien ne pourra m'empêcher de le dénoncer aux autorités. Supplie-moi autant de fois que possible si tu le souhaites, termine-t-elle sur un sourire en coin, ça pardonnera peut-être la fois où tu as fait preuve d'insolence.

Thomas ne réagit pas et reste paralysé, ses mots restent bloqués dans sa gorge, et laissent place à des sanglots. Il n'arrive pas à ravaler la larme qui perle sur sa joue. C'est la première fois qu'il pleure en public, il ne sait pas ce qui lui arrive, c'est peut-être à cause du sentiment de défaite, un mélange de rage et de tristesse. À ce moment précis, il a juste envie de disparaître. Théo jette un regard à Cynthia et se lève maladroitement en trombe, faisant tomber le sac de l'inspectrice.

- Venez on s'en va, tant pis, dit-il.

Cynthia se lève à son tour et ramasse le sac, prenant le sien au passage.

- Excusez-nous, dit-elle à l'inspectrice.

- On part les premiers, annonce Dara en prenant ses affaires et son plateau. Viens Névan.

L'adolescent la suit, lançant un regard railleur à Théo. Thomas reste assis, et essuie ses yeux avec la manche de son sweat. Il se sent inutile, comme un moins que rien. Cynthia l'observe quelques secondes avant de lui parler :

- C'est fini Thomas, partons.

La pluie s'abat toujours dehors, le jeune homme se demande maintenant ce qui va se passer pour l'oncle de Chloé. La police va l'arrêter, mais avec un peu de chance elle ne tombera pas sur les documents liés à son identité. Une lueur d'espoir continue de vivre en lui, mais elle est faible. Il marche en retrait des autres, devant lui, Théo semble étonnamment serein. Et maintenant qu'il y pense, ce dernier n'a pas dit un mot lorsqu'ils étaient avec Dara et Névan. Thomas entend Cynthia marmonner :

- J'arrive pas à croire que j'ai faits ça.

- C'est bon, y'a une flaque d'eau ici, on s'arrête là.

Thomas s'approche d'eux en fronçant les sourcils.

- Qu'est-ce que vous avez fait tous les deux ?

- On a sauvé la vie de ton père, déclare Théo en riant et en sortant son briquet de sa poche.

Cynthia sort de son sac à main une pochette cartonnée, la même que celle de Dara. Thomas comprend alors ce qui s'est passé, et son cœur s'allège soudainement. Lorsque Théo a fait tomber le sac de l'inspectrice, Cynthia en a profité pour subtiliser les documents. « Ils avaient tout manigancé... » Un grand sourire vient alors se dessiner sur son visage, et il sent de nouveau une larme qui s'apprête à couler, mais cette fois il n'est ni triste, ni en colère.

- Merci, dit-il sincèrement.

- J'ai juste fait ça pour qu'on puisse continuer à travailler sur l'exposé, rétorque Cynthia. Et puis, est-ce que brûler les documents falsifiés va être suffisant ?

- Pour dénoncer le père de Thomas, explique Théo, Névan et sa sœur ont fait des choses par très légales comme tu l'as dit. Et j'ai enregistré toute la conversation, ils sont foutus.

- C'était ça ton plan pour te venger de Névan ? Interroge Thomas.

Théo acquiesce sournoisement, puis allume son briquet dont la flamme peine à rester vive à cause de la pluie. Il réduit ensuite en cendres chaque preuve de la culpabilité du lieutenant Arguer. Thomas ressent un immense soulagement à chaque document brûlé, et pour une fois il se dit que le sort lui a été favorable. Il regarde avec fascination Théo lui sauver la vie, et il ne peut que l'aimer plus encore.

***

De retour à l'école militaire, et le soir enfin venu, Thomas s'endort rapidement et paisiblement. Enfin débarrassé de ses problèmes, il n'avait pas aussi bien dormi depuis longtemps malgré les ronflements d'Alex et Johan. Le weekend terminé, les cours peuvent reprendre. Et lorsque la sonnerie annonçant le premier cours retenti, une onde de paresse s'empare de l'adolescent. Le premier cours de la semaine est celui du sergent Leonhard, et tous les élèves sont présents dans le grand terrain. En voyant la mine presque diabolique du sergent, Thomas comprend qu'il se trame quelque chose.

- Hey bande de petits branleurs ! Déclare vivement Leonhard. Je n'ai qu'une chose à vous dire, dans deux semaines exactement on part pour deux jours de randonnée. Et je peux vous garantir qu'on n'y va pas pour contempler le paysage.


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Mille fois pardon pour le retard ><

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