26- Absence


    Il est maintenant dix-neuf heures trente, Thomas est assis sur son lit, immobile. Il soupire longuement tout en posant sa main sur son cœur, la nouvelle que Chloé lui a annoncé l'obsède et l'effraie en même temps. Il a peur qu'à tout moment son cœur cesse de battre. Cette pensée remplace toutes celles qui le tourmentait jusqu'à présent.

    Il finit par s'allonger, ses yeux fixent le lit au-dessus du sien, celui de Johan. Thomas est seul dans la chambre, Chris, Alex, et Johan ont été dîner. Le jeune homme leur a juste dit qu'il ne se sentait pas bien, et qu'il n'irait pas au réfectoire ce soir, il a aussi prévenu qu'il serait absent en cours le lendemain. « J'ai le justificatif de Chloé, alors j'ai le droit de sécher quelques heures de cours, qui de toute façon ne me sont pas utiles ». À l'entente de cette annonce, il se souvient de Johan qui s'était mis à pouffer de rire en l'insultant. Chris paraissait étonné, mais ne posa pas de question. Quant à Alex... « Aucune réaction de sa part, il ne m'a même pas regardé. Mais Je suppose que c'est mieux comme ça. »

    Thomas pose deux doigts sur ses lèvres en repensant au baiser d'Alex, même s'il sait qu'il y a plus important maintenant, cela continue de l'intriguer. Il ne comprend toujours pas la raison qui à pousser Alex à l'embrasser, mais il est sûr d'une chose, ce qu'il a ressenti à ce moment-là ne l'a pas déplu. Ces sensations ne sont pas les mêmes que celles ressenti pour Théo, mais Thomas n'en reste quand même pas indemne.

    Il inspire profondément en plaçant ses mains sur ses yeux, l'air éreinté.

– J'en suis certaine maintenant, dit Thomas tout haut, le sort s'acharne contre moi.

    Il se relève avec paresse, et profite du fait que les douches soient désertes pour les utiliser. Il attrape son pyjama rayé, et sort de la chambre. Il ne peut pas fermer la porte à clef, car comme d'habitude Johan garde la clef avec lui. « Il aime bien se prendre pour le chef lui » Remarque Thomas. Arrivé aux douches, il vérifie une dernière fois que personne ne traîne dans les parages, puis retire enfin son uniforme militaire. Il détache les bandages compressant sa poitrine avant d'entrer dans une cabine de douche.

    L'eau froide commence à couler le long de ses cheveux, puis sur son corps, le faisant frissonner sous le choc de température. Il s'aperçoit des rougeurs juste au-dessus de ses hanches causées par ses bandages, elles sont presque violacées. Il passe sa main sur ces rougeurs, et ressent une étrange brûlure qui mène à une sorte de démangeaison. Il réalise alors la gravité de la situation. En sortant de la cabine de douche, Thomas enfile son pyjama et laisse ses bandages. Il boutonne sa veste et regarde dans le miroir en face de lui ce que cela donne. Même si la veste est large, ses formes ne passent pas inaperçues. Il reste immobile un moment sans rien faire, la mine dépitée, se fixant toujours dans le miroir. Pendant un instant, il pense à remettre les bandages, mais les paroles de Chloé l'effraie encore. Il préfère l'écouter, et ne pas prendre le risque de mettre sa vie en danger plus qu'elle ne l'est déjà.

    Il sort des douches et retourne dans sa chambre, les couloirs sont encore déserts mais le couvre-feu aura bientôt lieu. Ce qui signifie que les élèves de l'école vont bientôt regagner leurs dortoirs. Une fois dans la chambre, Thomas range son uniforme ainsi que ses bandages, et se glisse directement sous ses draps. La journée l'a exténué, et la seule chose qu'il veut maintenant est de dormir à poings fermés. Mais au moment où il s'apprête à lâcher prise, la porte s'ouvre violemment sur Johan se plaignant, suivi d'Alex et Chris.

– Quelle connasse celle-là ! Grogne-t-il. Elle se prend pour qui ? Me mettre une note comme ça, cette pauvre conne.

– Bah c'est l'inspectrice, ajoute Alex en riant. Fallait pas la siffler.

     « Qu'est-ce qu'ils en font du bruit ces deux-là... » Se dit Thomas en plaquant son oreiller contre ses oreilles.

– La pédale arrive pas à dormir on dirait ! Remarque Johan en parlant de plus en plus fort.

    À peine vient-il de rentrer, que les insultes recommencent. Thomas fait comme à son habitude, et l'ignore. Il se tourne face au mur, et remonte sa couverture jusqu'aux épaules. « J'espère qu'ils ne se douteront de rien ».

– Tu te sens un peu mieux ? Lui demande Chris. Les filles ont aussi demandées pour toi... Et Rosa voulait savoir si tu es contagieux...

– Ça va, rétorque l'adolescent. T'inquiète, je suis pas contagieux.

    Il tente à nouveau de trouver le sommeil, mais le dortoir s'anime de plus en plus avec les allers et retours aux douches et aux toilettes, ainsi que les rires et les cris des élèves des autres chambres. Mais le chahut finit peu à peu par cesser avec l'annonce du couvre-feu, l'adolescent trouve enfin un peu répit.

– Bonne nuit la macchina, déclare Alex.

    Thomas tressaille légèrement ne s'attendant pas à ce qu'Alex lui parle, l'intonation de sa voix semble normale, neutre. Mais un tremblement presque inaudible se fait ressentir dans ses paroles. Thomas ne lui répond pas, et presse sa couverture contre lui. Les mots lui manquent, et il n'ose même pas le regarder. Alors il fait mine de dormir, évitant comme cela tout autre problème.

***

    La sonnerie stridente de l'école se met à retentir, annonçant que les cours de la matinée commenceront bientôt.  Alex, Johan et Chris se réveillent avec difficultés afin d'aller se préparer. Tandis que Thomas s'emmitoufle un peu plus dans sa couverture, sachant qu'aujourd'hui il n'a pas à aller en cours.

– Vas-y nargue nous ! Peste Johan.

– Je vais me gêner, raille Thomas avant de fermer les yeux en espérant se rendormir

   Il entend Chris pouffer de rire dans son coin et Johan grogner, certainement retenu par Alex. Les trois adolescents finissent par partir au réfectoire, laissant Thomas seul. Pourtant, la solitude ne lui a jamais fait peur, au contraire, il a toujours aimé être seul. Enfant, il aimait être seul dans la cour de récréation, mais d'autres venaient vers lui. À l'école militaire, il voulait être seul, mais il a rencontré Chris, Eva, Rosa, Aurore et d'autres encore.

    Mais la solitude qu'il subit en ce moment, elle lui pèse, et il a du mal à la supporter. N'arrivant plus à retrouver le sommeil, il décide de sortir de son lit. De plus la faim commence à se faire ressentir, surtout qu'il n'a rien manger la veille. « Mais je peux pas sortir... Pas comme ça. » Songe-t-il. Il remarque cependant un paquet de biscuits posé sur le bureau de la chambre. « C'est vrai que Chris les avait apportés pour moi ».

– Merci Chris, dit-il.

    Thomas s'installe alors en face du bureau, et commence à entamer un des biscuits. Il en profite aussi pour avancer sur son exposé avec Cynthia, même s'il n'en a pas envie, il n'a rien d'autre de mieux à faire. Il tente de faire passer le temps plus vite en attendant que Chloé trouve la solution à son problème. Il sort des livres qu'il utilise en cours et cherche des documents qui peuvent lui être utile pour son exposé.

    Les heures défilent lentement, et l'adolescent ne trouve que très peu d'informations susceptibles de l'aider dans son travail. Il préfère somnoler la plupart du temps, et prend peu de notes. Cependant, un bruit le fait sursauter. « Quelqu'un toque à la porte... ».Il reste paralysé, il ne peut pas aller ouvrir. La personne de l'autre côté de la porte insiste à ce qu'on lui ouvre, Thomas ne sait pas quoi faire.

– Thomas Arguer ? Annonce une voix féminine.

    Le jeune homme reconnaît la voix du sergent Werden, et il ne peut pas refuser d'ouvrir la porte à un sergent. Il se mord la lèvre, et se décide à lui ouvrir en faisant attention à garder la porte entre ouverte, de manière à ce que le sergent n'aperçoive que sa tête.

– Sergent Werden ? Questionne-t-il en l'observant.

    La jeune femme paraît surprise au premier abord, mais se ressaisit vite.

– Vous étiez absent en cours ce matin, déclare-t-elle. Avez-vous un justificatif ?

– Euh... Oui !Je vais le chercher.

   Thomas referme la porte, et se précipite pour retrouver le justificatif de Chloé. Il finit par le trouver sous son oreiller plié en quatre. Il rouvre la porte à demi, et tend le papier à la jeune femme, qui affiche une mine étonnée.

– Merci... Hésite-t-elle à dire. Est-ce que tout se passe bien ?

– Oui, réplique Thomas. Je me sens juste pas très bien, mais je vais aller me reposer. Merci.

– Très bien, je vous laisse alors.

    La jeune femme tourne les talons, tandis que l'adolescent pousse un soupir de soulagement en claquant la porte. Il retourne s'asseoir en face du bureau, et essaye de reprendre ses recherches. Mais il n'arrive pas à travailler, le sujet ne l'intéresse pas, et beaucoup trop de choses le préoccupe pour qu'il puisse se concentrer.

    Il se résigne, et range les livres dans son sac de cours. En rangeant ses manuels, il remarque, froissée entre deux cahiers, la photo que Leonhard lui avait donné. L'article de journal représentant sa photo de famille. Thomas la sort, et se met à la contempler, ce qu'il pourrait faire pendant des heures entières. Observer le visage souriant de sa mère, de son père, de son frère, et de Judy. Le visage souriant de Judy, dans cette jolie robe bleu marine.

– T'avais pas besoin de cacher ta poitrine là... Murmure Thomas.

    Il souffle, puis glisse machinalement la photo dans sa poche. L'heure du déjeuner approche, et les couloirs vont de nouveau s'animer. Le jeune homme profite du fait que les douches sont encore désertes pour les utiliser, et surtout apaiser un peu ses rougeurs avec de l'eau froide.

    Il traverse le couloir avec prudence, de peur que quiconque ne le repère. Ils'arrête cependant devant la porte de la chambre de Théo, et observe la plaque sur laquelle sont inscrits les noms des occupants de la chambre.

–Hofmann, Jerry, Renzi... Torres ?

    Un nouveau nom a été gravé sur cette plaque. « Rosa parlait de l'arrivée d'un nouvel élève, il s'agit probablement de lui » Pense Thomas en poursuivant son chemin. En entrant dans une cabine, il se hâte de prendre sa douche, afin de se rhabiller en vitesse et ne pas être vu. Il remet son pyjama rayé, et retourne dans sa chambre sans s'arrêter.

    Il s'assoit de nouveau en face du bureau, et cette fois-ci, il se contente d'attendre. Il attend que Chloé vienne toquer à la porte en lui apportant la solution à ce problème inattendu. Mais le temps défile, rien ne se passe, et Thomas s'ennuie. Il ressort un de ses livres, et lit une page au hasard. Mais il finit par s'agacer, car il ne comprend rien.

    Soudainement, des bruits de pas en direction de la chambre se font entendre, puis la porte s'ouvre lentement. Dans un drôle de réflexe, l'adolescent referme son livre et le plaque contre sa poitrine dans le but de la cacher un minimum. Il tourne sa tête pour observer la personne qui se tient à l'entrée, et voit Alex.

    Le jeune homme reste dans l'encadrement de la porte, il semble embarrassé et ne cesse de triturer ses doigts. Il finit par entrer dans la pièce, et sans un mot s'assoit sur le lit de Thomas. Ce dernier détourne vite le regard et se met à fixer le bureau tout en serrant contre lui son livre de cours. « Mais qu'est-ce qu'il fiche ici ? C'est vraiment pas le moment. » Se dit-il en se raclant la gorge. Un silence pesant commence à prendre place dans la chambre. Thomas ne pose pas les yeux sur Alex, le souvenir de ce qui s'est déroulé la veille l'en empêche. Il tente tout de même de briser ce silence, et connaître la raison de sa venue.

– Qu'est-ce que tu veux ?

    Aucune réponse, les secondes défilent et l'adolescent reste muet. Thomas se tourne alors légèrement afin de comprendre sa réaction. Il croise son regard pendant une fraction de seconde, mais se reconcentre vite sur le bureau, sentant la chaleur lui monter à la tête. C'est tout ce qu'il voulait éviter : ressentir cette sensation qui lui noue l'estomac.

–À propos d'hier... Commence soudainement Alex.

    Thomas rate un battement de cœur, pourtant il n'est pas surpris par cette annonce. Il savait qu'Alex allait lui parler de ce qui est arrivé la veille.

– Je suis désolé si je t'ai perturbé, continue-t-il. Mais je pensais que tu ressentais les mêmes choses que moi, alors j'ai pas hésité. Surtout quand... Quand j'ai su que toi aussi tu préférais les mecs.

– C'est une rumeur lancée par Clara, se défend Thomas.

– Et tu ne l'as pas démenti ! Réplique Alex. Et puis, j'ai bien vu que les filles ne t'intéressaient pas. Tiens, tu traînes la plupart du temps avec trois filles, et tu les regardes à peine. T'as même refusé les avances d'une des plus belles meufs de l'école.

– Ça ne veut rien dire.

    Il commence à regretter d'avoir suivi les conseils de Leonhard, et réalise que peu importe ce qu'il fait, les problèmes crouleront toujours sur ses épaules.

– Pourtant ces derniers temps, j'ai cru qu'il y avait quelque chose entre nous... Je sais pas, peut-être que tu me regardais bizarrement... Et c'était avant la rumeur.

    Thomas serre de plus en plus son cahier contre lui, sa gorge commence à devenir sèche et sans qu'il ne s'en aperçoive ses yeux commencent à s'humidifier.

– Tu ne dis rien ? Reprend Alex. T'as peut-être juste peur d'assumer ce que tu es...

– Et toi, tu n'as pas peur ? Coupe Thomas. Surtout que tu passes ton temps avec le plus grand homophobe du pays.

– Bien sûr que si ! S'exclame l'adolescent faisant tressaillir Thomas. Mais si tu es avec moi, je suis prêt à tout avouer, je me cacherais plus. Il se stop avant de reprendre plus doucement. Alors, est-ce que tu voudrais... sortir avec moi ? Au moins tenter l'expérience.

   Thomas sent son cœur se serrer, il a l'impression qu'on le tord dans tous les sens. Des larmes finissent par couler le long de ses joues sans qu'il ne sache pourquoi. Il est en train de craquer, et Alex ne doit pas voir ça.

– Va-t'en. S'il te plaît. Déclare-t-il en essayant de garder un ton neutre.

– Mais pourquoi ? Tente de comprendre Alex. Est-ce que tu aimes déjà quelqu'un ?

    L'adolescent ne répond pas, il laisse tomber le cahier qu'il tenait contre lui et met sa tête entre ses mains, s'arrachant presque les cheveux. Ce qui fait comprendre à Alex qu'il est probablement sur la bonne piste.

– Je peux au moins savoir qui c'est ? Chris ? Ne me dit pas Johan, je rigole. Billy peut-être ? Ou alors, Théo.

– Va-t'en Alex ! S'énerve Thomas à bout de nerfs.

– Alors c'est lui, confirme-t-il, j'en étais sûr.

    Il se lève du lit de Thomas, et rejoint la porte d'entrée. Il jette un dernier coup d'œil à Thomas, qui fixe toujours le bureau avant de lui dire :

– Tu ne m'as même pas regardé...

    Puis il sort en claquant la porte derrière lui. Thomas s'effondre la seconde d'après, c'est la première fois de sa vie qu'il fait face ce genre de situation. « Alex était sincère, ça m'a fait mal au cœur... Mais je ne pouvais rien faire. »

    Il essuie ses larmes et se calme peu à peu. Il quitte le bureau pour aller se laisser tomber sur son lit. « C'est dans des moments comme celui-ci, que je pouvais compter sur toi pour me consoler » Songe-t-il en pensant à sa mère. Il cherche dans la poche de sa veste sa photo de famille, celle qu'il pourrait contempler pendant des heures. Cependant, il ne la trouve pas. Il fouille l'autre poche, mais il ne la retrouve pas. Il reste figé pendant un instant, avant d'écarquiller les yeux et de se relever brusquement s'écriant :

– Merde, je l'ai perdu ! 

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