23- Gay ?
« Tu es gay. »
À trois heures du matin passées, Thomas n'arrive pas à se débarrasser de ces mots prononcé par Clara, qui se répètent en boucle dans sa tête. Allongé sur son lit, parmi les ronflements d'Alex et Johan, il ne réalise toujours pas la situation. Elle a tenté de le séduire, et même plus, puis elle a affirmé qu'il était gay. Il fut tellement surpris, qu'il en oublia son rendez-vous à la bibliothèque avec Cynthia. Lorsqu'il revenu dans son dortoir, aucun un mot ne pu sortir de sa bouche.
Après des heures de silence Thomas réagit enfin, il se met à rire, un rire nerveux, convulsif et aigu qu'il ne contrôle pas. Il en vient même à pleurer tellement il rit. Mais il finit par se ressaisir, essuie ses larmes, et regarde aux alentours de la chambre pour voir s'il n'a réveillé personne.
Ils sont tous endormis, Thomas soupir et tente de dormir lui aussi, même si ce que lui a dit Clara ne cesse de le tourmenter.
– Si tu savais pauvre idiote... Murmure-t-il.
***
Le matin venu, les quatre garçons revêtent leurs uniformes avant de partir au le réfectoire.
– Et n'oubliez pas que c'est cet après-midi qu'on commence les activités des clubs sportifs, déclare Alex en boutonnant sa chemise. Du coup je pense qu'on aura le droit de remettre nos uniformes militaires.
– Tu croyais qu'on n'était pas déjà au courant ? Grogne Johan.
– Bah toi peut être, mais les deux autres ne retiennent jamais rien. Surtout lui là, dit-il en désignant Thomas affalé sur la chaise de bureau. Et... Pourquoi t'as pas mis ta cravate ? Je t'ai montré comment faire hier en plus.
L'adolescent hausse simplement les épaules en guise de réponse, avant de baisser la tête. En vérité, il ne sait toujours pas faire un nœud de cravate, mais il n'en a surtout pas l'envie. La nuit a été longue, et il n'a pratiquement pas dormi à cause de l'événement de la veille. Il est toujours aussi perturbé par ce qu'il s'est passé avec Clara, et le manque de sommeil n'arrange en rien les choses, lui donnant un air taciturne. « N'y pense plus Judy, ce ne sont que des gamineries, des conneries de la part d'une garce rien de plus... » Se dit-il afin de se raisonner.
Soudain, Thomas tressaille lorsqu'il sent deux mains effleurer son cou. Il relève la tête et se retrouve nez à nez avec Alex qui tente de lui mettre une nouvelle fois sa cravate. La faible distance qui sépare les deux adolescents déstabilise beaucoup Thomas qui se met à rougir.
– Trop... Près... Bredouille-t-il.
Il se souvient alors de la situation quasi similaire de la veille : le visage de Clara trop près de lui, sur le point de l'embrasser. Mais cette fois, les sensations qu'il ressent ne sont pas violentes et dérangeantes, elles sont beaucoup plus agréables.
– Attend, déclare Alex en terminant le nœud. J'ai presque fini... Et demain tu le fais tout seul d'accord ?
– Mais pourquoi tu l'aides aussi ? Intervient Johan. T'es pas sa mère que je sache, si ?
– S'il se fait sanctionner à cause de ça pendant le séjour des inspecteurs, ça peut nous retomber dessus. Donc toi, continu Alex en s'adressant à Thomas, entraîne-toi à faire les nœuds de cravate.
Le jeune homme acquiesce lentement, il se résout à apprendre à faire ces nœuds s'il ne veut pas se retrouver une fois de plus "trop" près d'Alex. Son secret serait de plus mis en péril.
Quelques minutes plus tard, les quatre garçons sortent du dortoir pour rejoindre le réfectoire. Alex et Johan marchent à grands pas au-devant, tandis que Thomas avance aux côtés de Chris, tout en ayant les mains dans les poches. Il est presque somnolant, et garde le regard baissé.
– Ça va ? Interroge Chris. Tu as l'air fatigué.
– J'ai pas bien dormi cette nuit, c'est tout. Répond Thomas.
– C'est à cause de ce qu'il s'est passé hier ?
Thomas s'arrête brusquement de marcher et se place devant Chris.
– Comment t'es au courant de ce qu'il s'est passé hier !?
– Je... Je suis au courant de rien, bégaye le jeune homme en levant les mains comme pour prouver son innocence. C'est juste qu'hier tu paraissais étrange et silencieux... En tout cas plus que d'habitude. Tu veux en parler ?
– Certainement pas.
« Si c'est pour qu'il raconte tout aux filles après... » Pense-t-il en levant les yeux au ciel. Arrivés aux portes du réfectoire, Thomas entend une voix masculine l'interpeller.
– Eh toi !
Il s'agit de l'un des inspecteurs posté à l'entrée du réfectoire, ni Thomas ni Chris ne l'avait remarqué, en effet il n'est pas de carrure très imposante. Il regarde sournoisement Thomas, qui ne comprend pas la situation.
– Il est interdit de marcher les mains dans les poches dans l'enceinte de l'école, affirme l'inspecteur en prenant note sur son calepin, et tu devrais le savoir. Donne-moi ton matricule. Et toi, continu-t-il en dirigeant son regard vers Chris, je ne t'ai pas demandé de rester.
Ce dernier file à toute allure sans demander son reste. Thomas retire ses mains de ses poches, et regarde l'inspecteur.
– Alors ce matricule ? Insiste l'homme.
L'adolescent ne réagit pas, se demandant ce que peut bien être son matricule. Mais son temps de réaction est apparemment trop long puisque l'inspecteur poursuit différemment :
– Ok, bon on va laisser de côté le fait que tu sois bizarre, mais donne-moi au moins ton nom pour faire comme si tout allait bien chez toi.
– Arguer. Thomas Arguer.
– Bien, ajoute-t-il les yeux rivés sur son calepin, c'est noté tu peux partir.
Thomas reprend son chemin, il se retourne toutefois l'air intrigué vers cet inspecteur, tout en pensant que c'est plutôt chez lui que quelque chose ne va pas.
Au self-service, il prend son petit-déjeuner et rejoint Chris. Celui-ci est assis à table en compagnie de Rosa et Aurore.
– C'est quoi un matricule ? Lui demande-t-il en posant son plateau sur la table, et en s'asseyant.
– Oh, répond Chris, c'est ta plaque d'identité.
– Le collier ?
Un faux toussotement se fait entendre, il s'agit de Rosa qui tente d'attirer l'attention. Elle arbore une mine sérieuse, et lance de temps en temps des regards plus ou moins appuyés à Aurore.
– Qu'est-ce qu'il y a ? Prononce Thomas lentement, puis en remarquant l'absence de la troisième adolescente, enfaîte elle est où Eva ?
– Elle... Elle ne se sent pas très bien. Rétorque Aurore peu certaine de sa réponse.
– C'est le moins qu'on puisse dire. Marmonne Rosa.
Thomas arque un sourcil l'air perdu, mais il ne pose pas plus de questions et commence à entamer son petit-déjeuner. Le repas se déroule pour une fois en silence, Rosa et Aurore qui ont l'habitude de discuter et de rire aux éclats ne disent étonnamment pas un mot. L'ambiance en devient presque gênante, et l'adolescent surprend le regard de Rosa qui le dévisage sans arrêt. Malgré le fait qu'il commence sérieusement à s'agacer, il ne dit rien, il sait qu'elle va finir par révéler le fond de sa pensée. Et quelques secondes plus tard, la jeune femme laisse bruyamment retomber sa fourchette contre son assiette sous les regards surpris de Chris et Aurore, avant de demander :
– Est-ce que c'est vrai Thomas ?
– Je ne vois pas de quoi tu parles.
Thomas la regarde droit dans les yeux, essayant de déceler une quelconque émotion de sa part. Il aperçoit notamment ses yeux humidifiés, mais aucune larme ne semble vouloir couler. Elle prend une grande inspiration avant de reprendre :
– Hier soir Clara est venue nous voir, on ne voulait pas la laisser entrer dans notre chambre... Enfin jusqu'à ce qu'elle parle de toi, et d'après elle tu es gay. C'est vrai ?
Le jeune homme écarquille les yeux et cesse immédiatement de manger, il entend près de lui Chris qui s'étouffe presque avec son jus de fruit. « C'est pas vrai, encore cette histoire... Je vais tuer Clara » Songe-t-il. Mais il n'a pas le temps de répondre que Rosa poursuit :
– Je dois dire que ça ne me surprend pas vraiment enfaîte, j'ai toujours eu quelques soupçons. Tu n'as pas l'air de t'intéresser aux filles, tu ignores même les sentiments d'Eva...
– J'ai refusé les avances de cette garce de Clara, enchaîne Thomas à bout de nerfs, et elle en a déduit que j'étais gay. Et toi comme une idiote que tu es, tu la crois sur parole, puis tu me dis que ça ne te surprend pas...
Il marque un temps de pause, avant de se rendre compte de la dernière chose qu'a évoquée Rosa.
– Comment... Comment ça les sentiments d'Eva ?
– Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer qu'elle était folle de toi. Réplique la jeune fille en soufflant. Et maintenant, elle est vraiment bouleversée...
– Tu vas un peu loin, intervient Aurore, elle est pas en train de déprimer non plus. Et puis, je crois pas les propos d'une salope menteuse et superficielle. Il suffit qu'un mec la repousse pour qu'il soit automatiquement déclaré gay.
Elle imite des guillemets avec ses doigts en disant ce dernier mot.
– T'as raison, avoue Rosa, mais j'aimerais connaître ta position Thomas. Est-ce que Eva te plaît ? Ou même les filles en général ?
Thomas ne sait pas quoi répondre, sa gorge devient sèche et il sent la chaleur lui monter aux joues, il ne sait même pas pourquoi il se met dans cet état-là. Il a l'impression d'être au centre d'une mauvaise scène d'ironie tragique. Il ne s'était jamais posé de telles questions avant, mais en jetant un bref coup d'œil à la table de Théo un peu plus loin, il sait définitivement qu'il aime les garçons. « En tout cas, au moins un ».
Il est donc certain d'être hétéro en tant que Judy, mais il n'est plus sûr de rien en tant que Thomas. Il pourrait très bien dire que, oui il est gay, mais cela donnerait un rôle en plus à Thomas Arguer. Il attirerait les regards une fois de plus, et son secret pourrait être percé à jour. Il aurait aussi certainement le droit à quelques moqueries et insultes homophobes, ce qui serait le comble de l'ironie. Mais il pourrait mentir, et dire qu'il aime Eva, ou bien les filles en général. Cependant, il en est incapable. Ces mots ne veulent pas sortir de sa bouche, il se mord la lèvre inférieure lui-même frustré par son silence. Avouer que les filles lui plaisent serait une solution de facilité, mais Thomas est gêné par cette réponse, il ne sait pas encore pourquoi. Alors il ne dit rien.
Rosa en attente d'une réponse, commence à s'impatienter et finit par dire avec un faible sourire aux lèvres :
– Je m'en doutais, tu les préfères au masculin. Mais ne t'en fais pas on t'aime quand même.
À ces mots, Thomas se lève mécaniquement de sa chaise, les yeux dans le vide il s'apprête à s'en aller. Les mots de Rosa, même s'ils paraissent anodins l'ont atteint.
– J'ai fini de manger, je m'en vais.
– M-Mais, tu n'as presque rien mangé, remarque Chris.
Thomas l'ignore et sort du réfectoire. En se dirigeant vers les portes, il sent plusieurs regards l'épier jusqu'à la sortie, mais il n'y tient pas compte. Il souffle, et commence à avancer vers l'infirmerie dans l'espoir de pouvoir parler à Chloé, pour le moment c'est tout ce qu'il veut. Ses pensées s'emmêlent, et il ne sait plus où il en est. Arrivé devant la salle, un mot est épinglé sur la porte disant que l'infirmière est absente pour la journée.
– Mais bien sûr Chloé ! S'exclame-t-il avec ironie. Toujours quand je dois te parler.
Il se résigne et fait demi-tour. Il se rend dans la cour afin de prendre l'air, il n'y a personne à cette heure-ci. Le vent souffle assez fort ce matin, mais le tout reste agréable. L'adolescent repense à ce que Rosa lui a dit : « T'en fais pas on t'aime quand même. Comme si j'avais honte d'être gay, et que j'avais besoin de sa pitié... Je vois même pas pourquoi je me prends la tête je ne suis pas gay. » Il peste, puis esquisse un sourire nerveux malgré lui.
– Alors ça y est t'as craqué fillette ? Dit une voix familière en s'avançant vers Thomas.
L'adolescent reconnaît la voix de Leonhard qui s'approche de lui, il se retourne et en effet il s'agit bien du sergent, tenant une cigarette à la main.
– Qu'est-ce que vous voulez ? Interroge Thomas.
– Toujours aussi aimable à ce que je vois, rétorque Leonhard, ce ne sont pas les tours de piste qui te calme toi, hein.
Le silence prend place un instant, avant qu'il reprenne sur un ton amusé :
– J'ai entendu une petite rumeur à propos de toi, alors comme ça t'es de la jaquette flottante ? Toi Thomas Arguer, la petite travestie !
– Elle se propage vite cette rumeur... Ajoute Thomas en soupirant. C'est à cause de Clara, elle s'est mise dans la tête que je suis gay.
– Elle n'est vraiment pas rusée celle-là, mais au moins t'es toujours un garçon, ton déguisement ne tombe pas à l'eau. Et puis dans un sens gamine, c'est vrai non ?
– Pour Judy, affirme-t-il, mais pour Thomas je n'en sais rien. Je ne veux pas lui donner ce statut, ça attirerait trop les regards... Et je n'arrive pas à faire semblant à admettre que j'aime les filles.
Leonhard tire une bouffée de sa cigarette et s'appuie contre un mur en pierre. Il semble vaguement réfléchir. Thomas le regarde, et se rend compte qu'il se confie à Leonhard à la place de Chloé, ce qu'il n'aurait jamais imaginé faire à ses débuts dans cette école. Il commence à lui accorder sa confiance, et ne sait pas si c'est une bonne à faire.
– J'te comprends pas, reprend le sergent sur un ton plus sérieux, la question ne devrait même pas se poser. Si Judy préfère les gars, Thomas aussi. Ne prend pas ton rôle trop au sérieux, il y a des choses que tu ne pas modifier, tu es Thomas Arguer mais tu reste quand même une gamine complètement stupide qui ne contrôle pas ses émotions.
– Pardon !? S'indigne Thomas.
– En plus, continu Leonhard en ignorant sa remarque, si l'une de tes camarades tombe sous ton charme, elle sait d'avance qu'elle n'a aucune chance.
Le cœur de Thomas rate un battement en entendant cela, il repense immédiatement à Eva qui, contrairement à Clara a de réels sentiments envers lui. Le jeune homme ne peut pas s'empêcher de se sentir très mal en imaginant ce qu'elle doit ressentir en ce moment même.
– Vous avez raison, admet-il. C'est peut-être mieux comme ça, et puis de toute façon la rumeur est déjà lancée.
– Ouais fillette, ajoute Leonhard en ébouriffant les cheveux de l'adolescent. Et n'oublie qu'il y a pas mal de cas sociaux dans cette école, ignore leurs commentaires homophobes.
Sur cette dernière remarque le sergent écrase sa cigarette au sol avant de retourner dans l'enceinte de l'établissement, laissant Thomas seul et pensif à ce qui pourrait lui arriver.
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