21- Flash Back : Maintenant tu es Thomas


    Ça recommence...

– Je vais faire de mon mieux pour qu'elle soit en sécurité... Mais il faut que tu nous aides, bredouille Chloé au téléphone.

    Après plus d'une année de répit sous la protection de la famille de Chloé, les tueurs qui se proclament collègues de mon père sont revenus. Ils sont venus terminer leur travail, et me tuer.

– On va tous très bien... Continue-t-elle. On est juste un peu secoués.

    C'était tout juste hier. Tard dans la soirée, trois hommes habillés en policiers ont frappé à la porte de la maison de Chloé. Je dormais depuis peu avec Milah dans sa chambre, car depuis la mort de ma mère et de mon frère, je n'arrive plus à dormir seule. Mais bref, ces policiers faisaient un bruit infernal et étaient déterminés à ce qu'on leur ouvre. Chloé avait finit par les accueillir... De toute façon on ne refuse pas l'entrée à des policiers. Tout le monde était debout y compris moi, et avec ma curiosité légendaire j'avais été voir ce qui se passait.

    Je m'étais caché derrière un mur, ils ne me voyaient pas bien sur, mais je pouvais les observer et les écouter. Ils parlaient de moi, ils étaient à ma recherche... Après un an sans avoir affaire aux enquêteurs, aux journalistes et à la police, ils étaient revenus. Pourtant mon père a été clair : personne ne doit savoir où je suis, pas même les autorités. Il m'a alors confié à Chloé, la seule personne en qui il a une totale confiance, elle était la meilleure amie de ma mère. Et ses enfants, Milah et Joffrey sont mes meilleurs amis. Si elle n'avait pas accepté de me prendre sous son aile, je ne sais pas ce que je serais devenus.

    En tout cas, quand mon père nous a annoncé, avant de partir, que personne ne devait me retrouver, on l'a tous pris pour un fou complètement paranoïaque. Mais quand j'ai vu le visage de l'un des policiers, mon cœur à manquer un battement. Ce visage, je m'en souviens encore... La face terne, éclairé de grands yeux noirs très cernés. Cet homme je l'avais déjà vu lorsque j'ai suivi mon père pour comprendre ce qu'il faisait vraiment. Ils n'étaient donc pas de vrais flics. La peur commençait à m'envahir, surtout quand ils sont entrés dans la maison, et qu'ils fouillaient partout. Je ne les ai même pas vue sortir un mandat.

    En expliquant la situation à Joffrey qui était près de moi, il m'a tout de suite entraînée dans le sous-sol de la maison. Ils ne m'ont pas trouvé. Ils ont cherché dans le grenier, mais n'ont pas pensé au sous-sol. Peu de personnes savent que la maison de Chloé contient un sous-sol, c'était la cachette idéale.

    Mais maintenant, nous somme tous terrifiés à l'idée qu'ils reviennent... Et ils vont revenir j'en suis certaine. Je ne peux pas m'empêcher de trembler, en repensant à toutes les horreurs que j'ai vues. J'ai peur qu'ils me fassent la même chose, et ils s'en prendront aussi à Chloé, à Milah et à Joffrey. J'ai tellement peur que ça arrive... Mais je compte sur l'aide de mon père, il sera quoi faire car il connaît ces hommes. D'ailleurs, Chloé est avec lui au téléphone :

–Bon John, je te passe Judy, tu devrais lui expliquer.

    Elle me passe le combiné pour que je puisse lui parler.

–Papa... Dis-je les larmes aux yeux. Ils sont revenus.

Je sais, déclare-t-il, alors il faut que tu m'écoutes attentivement.

    Il me dit ça d'une voix très sérieuse, et je n'aime pas du tout quand il prend ce ton.

Ces hommes, ils font tout pour te retrouver...

–Mais tu ne peux pas les en empêcher !?

    Ma voix devient de plus en plus tremblante, ce qu'il me dit ne me rassure pas du tout. Et j'ai peur t'entendre la suite.

Écoute-moi, poursuit-il, je vais les arrêter je te le promets. Mais avant, tu vas devoir quitter le domicile de Chloé. Même s'ils ne t'ont pas trouvé, c'est trop dangereux de rester, ils pourraient revenir.

–Et où est-ce que je vais aller ?

    Je sens les larmes qui commencent à s'écouler le long de mes joues, et je n'arrive pas à les stopper. Milah et Joffrey me regardent d'un air confus et attristé en même temps, je n'aime pas les voir comme ça, ils sont si joyeux d'habitude.

Judy... Je... Je ne sais pas, bégaye mon père. Je ne peux pas t'aider sur ce point-là. Et il y a autre chose, si je veux régler ce... Ce problème familial, il va falloir qu'on coupe tout contact.

– Mais pourquoi Papa ? Non... Je ne veux pas... Objecté-je en pleurant.

Je suis désolé Judy, mais c'est la dernière fois qu'on se parle avant un long moment... Pour l'instant, on ne peut plus rester en contact. C'est pour ta sécurité... Ne pleure pas, Chloé veillera très bien sur toi, fais-moi confiance...

    C'est la dernière fois que j'entends sa voix. C'est lui qui a raccroché, moi je n'aurais pas eu le courage de le faire.

***

– Je pense qu'on devrait la cacher sur une île déserte, propose Joffrey en riant, comme ça personne ne la retrouvera.

    Assise sur le canapé en sirotant un soda, je regarde Milah et Joffrey débattre sur ce que je vais devenir. Ça fait des jours qu'ils en discutent. J'ai l'impression d'être un trésor, et qu'on cherche le bon endroit où m'enterrer. Mais j'essaye de prendre avec détachement ce que mon père m'a annoncé la dernière fois, c'est ce que je fais toujours.

    Au moins ces deux-là sont déterminés à m'aider, de vrais jumeaux solidaires. Je laisse échapper un sourire en les voyant.

– Soyez sérieux, intervient Chloé en s'asseyant près de moi. Il faudrait que tu ailles quelque part où tu ne serais pas privé du monde extérieur, tu es déjà resté un an sans aller au lycée. Ton éducation reste importante.

– Et à quoi tu penses ?

– Un internat.

    J'aurais dû m'en douter...

– Je suis d'accord, mais ce ne sera pas gratuit.

– Ce n'est pas un problème, reprend Chloé. Sinon j'ai aussi pensé au couvent.

    Milah se met à éclater de rire, et moi aussi machinalement. Je ne suis pas baptisée, enfaîte je ne suis même pas croyante. J'ai du mal à me voir dans un couvent, je n'y connais absolument rien en religion.

– C'est hors de question, je ne suis pas croyante, ils le verront tout de suite.

– Mais il y a un truc que vous avez oublié, annonce Milah en se postant devant moi. Judy, tu comptes intégrer un internat ou un couvent en gardant ton identité alors que le pays entier essaye de te retrouver ?

    Elle n'a pas tort, j'avais complètement oublié cet élément. Je ne peux pas avoir de vie sociale normale en gardant mon nom, c'est trop risqué. Je baisse les yeux ne sachant pas quoi répondre. Je me tourne vers Chloé, et apparemment elle non plus ne sais pas quoi faire.

– L'oncle William pourrait lui faire de faux papiers, ajoute Joffrey. Il connaît des personnes qui pourraient s'en occuper, non ?

– C'était dans sa jeunesse qu'il faisait ce genre de... Trafic. Mais tu as raison, affirme Chloé, on peut toujours lui demander.

    Je commence un peu à perdre le fil de la discussion, je ne sais pas qui est cet oncle William, ni ce trafic de faux papiers. Tout ça prend une tournure un peu bizarre... Quoiqu'elle l'était déjà au départ.

– C'est qui l'oncle William ? Demandé-je.

– C'est l'oncle de maman, répond Milah, il a des contacts qui peuvent faire de faux documents. avant il était dans l'armée, et à mon avis c'est là qu'il s'est fait ses fameux contacts.

– Je vois...

– Mais j'y pense ! Reprend-elle d'une voix plus forte. Autant faire une pierre deux coups !

    Ses yeux se mettent à pétiller, elle a une idée derrière la tête.

– Tu pourrais te faire passer pour la fille de l'oncle William, et intégrer l'armée... Ou plutôt une école militaire puisque tu es mineure. En plus, il n'y aura pas beaucoup de frais si tu dis qu'il est ton père.

    Une école militaire... Je préfère encore le couvent. Et puis, je suppose que le sport est une matière privilégiée là-bas, et je déteste le sport.

– Y'a pas moyen, dis-je. Je préfère le couvent.

– Décidément, ajoute Chloé en souriant, mes enfants sont de vrais génies. La rentrée scolaire est dans quelques mois, et il faut te trouver une école et une identité Judy. Pour l'instant, l'idée de Milah est la meilleure. Je vais appeler William.

    Je soupire d'agacement, pendant que Milah saute de joie. Mais je dois l'avouer, si ça me permet de rester saine et sauve, alors autant tout tenter.

***

– Si j'ai bien compris, déclare William, il faut que cette enfant se fasse passer pour ma fille, pour entrer dans une école militaire ?

– C'est ça ! Confirme Chloé avec un sourire forcé. Si tu pouvais nous aider, ce serait vraiment gentil.

    Je n'ai pas l'impression qu'il soit très aimable, vu sa façon de me regarder avec cet air dur, mais j'arrive à supporter. Il a déjà accepté de me recevoir chez lui, c'est déjà ça. Il n'y a plus qu'à espérer qu'il accepte de se faire passer pour mon père.

– Si j'accepte, poursuit-il, je serais mêlé à une sordide affaire. Je ne suis pas sûr de vouloir mettre ma vie en danger.

    Sur ce point il a raison, si j'étais à sa place je n'aurais pas accepté. Mais s'il refuse, qu'est-ce que je vais faire ?

– S'il te plaît oncle William, supplie Milah. Tu es notre seul espoir, tout ce qui lui faut ce sont des papiers d'identité.

    Il soupir, puis décide de s'asseoir à une table. C'est un homme assez vieux, il ne peut probablement pas rester debout très longtemps. Il semble réfléchir, je lance un regard furtif à Milah, qui se contente de hausser les épaules.

– J'aimerais entendre cette jeune fille parler, ajoute-t-il en me désignant de la tête. Si elle doit se faire passer pour mon enfant, je veux qu'elle me persuade de le faire.

    Je me mords la lèvre un peu surprise, je ne sais pas quoi lui dire, je ne le connais même pas. Je pourrais essayer de l'attrister avec tout ce qui m'est arrivé, mais je n'aime pas attirer la pitié des gens. Je vais juste lui dire ce que je pense.

– Je sais que vous ne me connaissez pas, commencé-je. Mais j'ai besoin de votre aide, parce que des gens cherchent à me faire du mal... Je ne veux pas éternellement me cacher dans une maison à cause d'eux, je veux retrouver une vie normale et continuer à aller au lycée. Vous êtes le plus apte à m'aider.

    Cette fois son regard à changer, je pense que j'ai réussie à le convaincre.

– Il y a bien l'école militaire de Sinah dans le sud, soupire-t-il, elle est très prestigieuse et tu y seras certainement en sécurité. Mais il y a un problème, te fabriquer de nouveaux documents d'identité demande du temps et de l'argent, et il faut que tu t'inscrives dans cette école au plus vite si tu veux l'intégrer cette année.

– Mais... Dans ce cas, s'inquiète Chloé, qu'est-ce qu'on peut faire pour elle ?

    Je ne sais pas si je peux me permettre d'attendre un an de plus, c'est trop dangereux. Je pourrais faire ce que Joffrey avait dit, et m'exiler sur une île déserte, manque plus qu'à trouver une île déserte...

    Je vois William se lever péniblement et se diriger vers une fenêtre, regardant au travers. Il a l'air songeur et hésitant.

– Il y a peut-être un moyen. Mon fils Thomas, explique-t-il en se tournant vers moi, est mort il y a douze ans. Il aurait eu ton âge aujourd'hui. En empruntant son identité, tu auras plus de chances d'entrer dans cette école. Bien sûr il y aura quelques modifications à faire avec les papiers, mais ça sera toujours moins long que d'en fabriquer de nouveaux.

    Si j'ai bien compris, il avait un fils qui est mort... Et moi, je dois me faire passer pour lui pour intégrer l'école militaire... Un fils...

– C'est vraiment risqué de faire ça... Dit Chloé.

– Ce n'est pas risqué, coupé-je, c'est impossible.

– La rentrée est proche, ajoute William, ma proposition est à prendre tout de suite ou à laisser.

– Mais c'est de la folie, je ne peux pas me déguiser en garçon ! Enfin ça se verrait...

– Mais non ! Intervient Milah, il suffit de te couper les cheveux et de cacher ta poitrine, et tu deviens un garçon ! Tu as les traits du visage qui peuvent prêter à confusion en plus.

    Là je ne sais pas comment le prendre, je ne ressemble pourtant pas à un garçon, enfin je crois. J'ai toujours porté des robes et gardé les cheveux longs, et j'ai toujours détesté ça d'ailleurs.

– Je crois qu'on n'a plus le choix Judy, déclare Chloé l'air confus. Il faut essayer, mais je serais avec toi.

– Comment ça ? Interroge Milah.

– L'école militaire de Sinah recrute régulièrement des infirmières et des médecins scolaires, je vais postuler pour rester avec Judy. En plus, il serait temps que je me remette à travailler. Et toi et ton frère, dit-elle à sa fille avec un clin d'œil, vous irez chez votre père. Comme ça vous serez aussi en sécurité.

    Milah se contente de hocher la tête lentement. Quant à moi, je sens l'angoisse et la pression monter. Mais je sais que de toute manière, je n'ai pas le choix.

– D'accord, j'accepte. Dis-je faiblement à l'oncle de Chloé. Mais je ne me sens pas très à l'aise à l'idée d'usurper l'identité d'un mort.

– Ne t'en fais pas, réplique William, je ne pense pas qu'il t'en voudras. Et puis, si ça peut te sauver la vie...

***

    Toute la nuit, je n'ai fais que penser à la décision que j'ai prise : me faire passer pour un garçon. Ça n'a pas arrêté de m'obséder, et puis ce n'est pas une école comme les autres, j'y serais le matin, le midi et le soir... Et la nuit, à dormir parmi des garçons. Je ne tiendrais pas une journée là-bas, c'est obligé.

    Mais c'est trop tard, et J'ai intérêt à me forger un mental d'acier. J'ai l'habitude de ne laisser transparaître aucune émotion sur mon visage, il suffit de continuer sur ce chemin. Et puis ce seront des adolescents comme moi que je vais rencontrer, et des professeurs. Rien à craindre.

    Bon, je suis prête à subir l'une des étapes de ma transformation.

– Tu es prête Judy ?

– Oui, vas-y Chloé, et surtout ne fais pas trop court.

    Assise sur une chaise en face d'un miroir, j'aperçois la paire de ciseaux en acier que Chloé tient dans ses mains, et qui commence à couper plusieurs mèches de ma chevelure. Je dois dire, que ça me fais quand même mal au cœur de voir toutes ces mèches de cheveux tomber au sol.

    Finalement, le résultat est stupéfiant. Je reste bouche bée, Milah avait raison, je ressemble à un garçon une fois les cheveux courts.

– Alors qu'est-ce que t'en dis ? Je vais te donner des barrettes pour cacher les quelques mèches trop longues.

    Je me passe  la main dans les cheveux, et constate que ma nuque est complètement dégagée. C'est vraiment bizarre... Je n'ai jamais eu les cheveux aussi courts, et puis je me rappelle de ce que ma mère disait à propos de la chevelure d'une femme.

– Maman disait que la beauté d'une femme vient en partie de ses cheveux, dis-je. 

– Je sais, affirme Chloé. Mais maintenant tu es Thomas Arguer.

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