9 - le muret des confidences
Marzia se força à détendre ses muscles et ralentit légèrement. Mais son attention était autre-part, si bien qu'elle n'entendit pas le son des pas retentissant derrière elle. Elle n'entendit pas non plus une voix prononcer son nom – et ne se rendit compte que quelqu'un la suivait seulement lorsqu'une main se posa sur son bras.
— Attends.
Elle tourna vivement la tête pour dévisager la personne qui la retenait. Viktor. Elle se dégagea, sans s'arrêter de marcher. Mais il resta à ses côtés.
La jeune femme tenta du mieux qu'elle le pouvait d'imiter sa voix froide et dénuée d'émotion :
— Ne t'inquiète pas, je ne compte pas aller voir les autorités.
Elle l'entendit soupirer. Cependant, son soupire ressemblait plus à de l'ennui qu'à du soulagement. Il continua à suivre son rythme. Devant son silence, Marzia supposa qu'il n'avait plus rien à dire, mais elle se rendit rapidement compte qu'il cherchait ses mots.
— Tant mieux.
Leurs yeux se croisèrent malgré elle. Elle s'arrêta brusquement.
— Alors pourquoi tu me suis ?
— Parce que tu es imprévisible et que tu pourrais changer d'avis.
Les paroles du jeune homme la prirent au dépourvu. Marzia raffermit machinalement sa prise sur sa veste et haussa les sourcils.
— Je ne suis pas imprévisible.
La jeune femme soutint son regard. Mais eu lieu de répondre, Viktor posa son regard sur quelque chose derrière elle. Elle se retourna. Alya s'avançait vers eux, un paquet dans les mains et un sourire accroché au visage. Marzia la dévisagea puis lança un coup d'oeil à Viktor.
Celui-ci prit le paquet des mains du robot en la remerciant et le glissa dans un sac.
— Rebonjour Marzia. La remise des prix s'est bien passé ?
La jeune femme hésita et Viktor fut plus rapide qu'elle pour répondre.
— Oui. Tu as fini les courses que je t'avais demandé de faire ?
— Presque, il me reste une chose à faire. J'y vais maintenant. Bonne journée, Marzia.
— Bonne journée, répondit-elle.
Viktor sourit au robot. Un sourire franc, qui surprit Marzia. Elle avait déjà remarqué le matin que le créateur semblait plus à l'aise quand il était en compagnie de intelligence artificielle que lorsqu'il était avec elle. Ou avec le groupe de Rhysa.
Elle attendit qu'Alya soit déjà loin pour se tourner vers lui :
— Pourquoi est-elle hors de l'atelier ?
— Elle est bientôt prête.
— Prête pour être vendue à un acheteur ?
Il ne répondit pas, mais elle devina que la réponse devait être positive. Marzia se remit à marcher, plus doucement qu'auparavant. Elle ne s'attendait cependant pas à ce que Viktor la suive.
— Viens. Tu voulais discuter, alors on va discuter.
Marzia aurait presque pu être amusée par son changement d'attitude. Et il disait que c'était elle qui était imprévisible ?
A peine quelques minutes avant, il l'avait repoussé avec la voix la plus froide qu'elle n'avait jamais entendu. Et maintenant, il était d'accord pour parler. La jeune femme se demanda si c'était leur rencontre avec Alya qui l'avait fait changé d'avis – étrangement, cela semblait être le cas.
Elle le suivit cependant. Ils traversèrent deux rues avant d'arriver dans un petit parc, vide à cette heure-ci de la journée. Viktor se hissa pour s'installer sur un muret et Marzia resta debout devant lui. Le vent faisait virevolter des feuilles mortes dans l'herbe autour d'eux, mais le soleil était toujours assez puissant pour qu'elle n'ait pas froid.
Viktor leva le regard vers le ciel orangé.
— La fille qui a commandé Alya vit dans la ville d'à côté. Elle vient d'emménager. Toute sa famille a perdu la vie à cause d'un incident qui a eu lieu dans l'usine à côté de chez eux, sur Caral. Ses parents, et sa sœur.
Marzia resta silencieuse. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait parler d'un accident du même genre. Son cœur se serra.
— Elle a entendu parler de mon atelier. Elle voulait une amie, quelqu'un pour rester avec elle et ne pas la laisser tomber. Quelqu'un de compréhensif et qui l'aiderait à traverser cette période.
Un instant, la jeune femme considéra l'idée que Viktor tentait seulement d'attiser sa compassion pour qu'elle ait une meilleure opinion sur son travail. Mais comme quelques heures plus tôt, elle eut l'étrange sensation qu'il disait la vérité. Elle pouvait sentir, sans savoir exactement comment, qu'il était sincère.
— C'est...
Mais elle ne trouva pas ses mots. Viktor baissa enfin les yeux sur elle.
— Pas ce que tu pensais ?
Elle ne répondit pas à haute voix, mais son regard la trahissait. Marzia posa sa veste sur le muret et s'y hissa à son tour. Assise à côté de Viktor, sa veste les séparant, elle observa la nature devant elle.
— Non, admit-elle finalement. Mais n'est pas juste, pour Alya. Pour les intelligences artificielles. Tu créer des robots capables avec une conscience similaire à celle d'un humain, et ils sont obligés de vivre pour une mission. Pour quelqu'un. Ils n'ont pas de liberté – pourtant ce ne sont pas de simples robots. Ils pensent comme nous, c'est toi qui l'a dit.
La mâchoire de Viktor se serra. Cependant, sa voix était posée lorsqu'il répondit :
— Ils ne sont pas exactement similaires à des humains. Contrairement à ceux de Dreelia.
— Comment cela ?
— Je leur permet de penser comme n'importe qui, mais ils ne ressentent pas toutes les émotions. Ils n'ont pas de peurs. Ne ressentent pas non plus la peine, ou la douleur. Ils peuvent être heureux, mais...
Marzia lut dans son expression qu'il n'arrivait pas à exprimer clairement ses pensées. Mais il prenait au moins la peine d'essayer de lui expliquer.
— Ce qu'ils ressentent est beaucoup plus constant que les humains. Crois-moi – ils ne sont pas malheureux. Je n'imposerais jamais la vie à un robot si c'était le cas.
La jeune femme se surprit à hocher doucement la tête.
— D'accord, souffla-t-elle finalement.
Il lui lança un regard. Mais Marzia avait toujours les yeux perdus sur les arbres colorés devant elle. De la même voix, elle glissa :
— Et tu n'as pas pensé à... créer une intelligence artificielle qui resterait avec toi ?
— Pour m'aider dans l'atelier ? Je...
— Non, le coupa-t-elle.
Elle tourna la tête vers lui.
— Pas forcément. Juste un ami, comme Alya.
Marzia n'avait pas réfléchis avant de parler. Viktor semblait plus à l'aise en compagnie des robots que des humains, et elle avait l'impression qu'il passait beaucoup de temps seul à son atelier. Mais sa question semblait l'avoir froissé : un léger pli barrait son front. Elle continua à l'observer jusqu'à qu'il pose les yeux sur elle.
— Non.
— D'accord, répondit-elle sur un ton léger, tentant de détendre l'atmosphère.
Elle regarda l'heure sur son poignet. L'après-midi touchait déjà à sa fin. Elle posa la main sur sa veste, mais se ravisa : après tout, il n'était pas si tard, et elle pouvait encore rester un moment. Mais son impression que Viktor était contrarié persistait, comme il posait son regard sur tout, sauf sur elle. Elle décida de briser le silence :
— Désolée si j'ai...
— Non, laisse tomber.
Il ne la regardait toujours pas.
— Il est tard, je suppose que tu as des choses à faire.
— C'est vrai. J'ai un truc à faire.
Marzia se mordit nerveusement la lèvre, tandis qu'un léger sourire s'esquissait sur ses lèvres. Elle attrapa sa veste et sauta du muret, puis se tourna pour faire face à Viktor. Elle leva la tête pour croiser son regard, mais il l'évitait toujours.
— Je voudrais un tatouage. Tu as un bon salon à me proposer ?
Une pointe se surprise se lut sur son visage. Il baissa enfin les yeux sur elle. Elle haussa les sourcils, montrant qu'elle attendait une réponse.
Il finit par retrousser ses lèvres dans un petit sourire amusé.
— Je peux te conduire au meilleur de la ville.
— Vraiment ?, s'enquit-elle.
Marzia haussait toujours les sourcils, amusée. Et étrangement heureuse que sa tentative pour l'atteindre ait marché. Viktor sauta à son tour du muret. Il l'observa un instant, avant de faire un geste de la main.
— C'est par là.
☆ ☆ ☆
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top