6 - Alya
Marzia n'avait pas réussit à dormir de la nuit.
Installée sur l'un des canapés du salon, elle faisait défiler sur un écran devant elle des pages d'informations. La veille, elle avait précieusement noté le nom du salon de tatouage dans un coin de son esprit : « l'autre côté de la lune ». Visiblement, Viktor avait voulu lui donner un style rétro.
Marzia trouva uniquement la date d'ouverture du salon et les validations qui lui permettaient d'être ouvert. Tout était en ordre. Aucune mention d'un atelier secret dans le sous sol... à quoi s'attendait-elle ? Les activités illégales n'étaient évidement pas répertoriées dans la base de donnée.
La jeune femme se redressa et fit une recherche sur le nom Viktor Creek.
Il été étrangement à peine plus vieux qu'elle. Après ne pas avoir continué ses études une fois les années obligatoires passées, Viktor avait ouvert son propre salon de tatouage sans aide extérieur. Elle se doutait que son entreprise illégale devait lui rapporter pas mal d'argent.
Marzia s'enfonça dans le dossier moelleux du canapé. Rien, dans tout ce qu'elle avait lu, n'était étrange. Enfant unique, élevé dans une famille ayant toujours vécu sur Zetenia... c'était bien beau, mais comment avait-il apprit à créer des machines et des intelligences artificielles ? Ce n'était pas quelque chose qui s'apprenait d'un claquement de doigt, et aucun des ses parents ne travaillaient dans ce domaine. D'après la base de donnée, en tout cas.
La jeune femme soupira. Elle se creusait le cerveau pour un rien : ce n'était pas ses affaires. Mais elle ne pouvait enlever les images du dragon enflammé de son esprit. Et le regard de Viktor. A chaque fois qu'elle l'avait croisé, Marzia y avait décelé la même lueur flamboyante, derrière un masque de glace.
Elle jeta machinalement un coup d'œil à son poignet : depuis l'incident de la veille, aucun de ses nouveaux amis n'avaient essayé de la contacter.
Marzia se leva d'un mouvement vif. Il fallait qu'elle bouge. Rester enfermée, alors que son esprit était aussi rempli, n'était jamais une bonne idée... et le temps était parfait pour une ballade. Elle enfila ses bottes, sa veste, puis sortit de la maison en traversant la jolie terrasse.
Elle descendit jusqu'au centre ville à pied. Appréciant l'air qui fouettait son visage et la température ni trop chaude, ni trop froide, Marzia se rendit soudainement compte qu'elle n'avait pas mangé depuis la journée précédente. Cette réalisation fut comme un déclic – immédiatement, son ventre manifesta sa faim. Elle décida de se rendre dans un petit restaurant qu'elle avait repéré plus tôt.
Le détour la fit passer devant le salon de tatouage. Elle s'obstina à en ignorer la devanture. Un courant d'air la fit frissonner : Marzia resserra sa veste autour d'elle. Son regard dévia malgré elle vers le salon. L'autre côté de la lune.
Elle prit une inspiration et, sans réfléchir, s'avança devant la porte. Elle tenta de la pousser, mais elle était fermée à clé. Alors, la jeune femme chercha du regard un écran dans le mur pour signaler sa présence, mais elle ne trouva que celui de l'immeuble avoisinant.
Marzia secoua la tête. Elle regrettait déjà son geste. Mais d'un autre côté, elle savait qu'elle ne pourrait pas se vider la tête avant d'avoir obtenu les réponses à ses questions. Quel était l'indicateur qui différenciait un humain d'un robot ? Y en avait-il vraiment un, ou lui avait-il délibérément menti ?
Elle pouvait tout aussi bien signaler ce trafic illégal aux autorités de la ville. C'était sûrement la solution la plus simple. Mais une petite voix, au fond de l'esprit de la jeune femme, la rendait réticente à cette idée.
— Marzia Wolf, c'est ça ? Tu es revenue pour t'excuser ?
Marzia fit volte face en entendant la voix familière. Si son regard avait été une arme, Viktor Creek aurait été réduit en pièce. Elle ouvrit la bouche pour répliquer – mais les mots ne lui vinrent pas. Elle l'observa donc rapidement. Des sacs dans les mains, il était planté devant elle, aussi froid que la veille. Marzia devina grâce à l'odeur alléchante que les sacs contenait son repas. Cela réveilla sa propre faim de plus belle, mais elle l'ignora.
— Je suis venue parce que j'ai quelques questions à te poser et que si tu ne souhaite pas y répondre, je n'hésiterai pas à aller parler de tes activités criminelles aux autorités.
Tandis qu'elle laissait échapper ces paroles, la jeune femme remarqua la surprise grandir dans les yeux de son interlocuteur. Elle avait mit plus de menace dans ses paroles qu'elle ne l'avait voulu : mais il l'avait mérité. Il ne la connaissait pas et pourtant, il n'avait pas même prit la peine de la vouvoyer.
— Mes activités criminelles ?
Son ton était plus amusé qu'effrayé. Viktor se dirigea vers la porte du salon et la déverrouilla grâce à son empreinte digitale. Il s'y engouffra, ses sacs dans les mains, et retint la porte du bout du pied en se retournant. Son visage était dénudé de tout amusement : la froideur avait reprit le dessus.
— Alors, tu viens ?
Marzia l'observa un instant. Le suivre chez lui alors qu'elle venait d'ouvertement le menacer n'était peut être pas la meilleure chose à faire. Elle n'avait pas pensé à cela. Et s'il tentait de l'attaquer ?
Non, jaugea-t-elle. Elle savait qu'il avait reconnu son nom de famille lorsqu'elle s'était présentée : elle l'avait lu sur son visage. Il ne tenterait rien. Il aurait trop à perdre... encore plus que si elle le dénonçait aux autorités.
La jeune femme s'avança finalement à sa suite. Sans une parole échangée, ils traversèrent le salon jusqu'à la porte qui menait aux escaliers.
— On peut discuter ici.
Viktor ne se tourna pas vers elle, mais secoua négativement la tête.
— J'ai quelque chose à faire à l'atelier.
Elle serra les dents mais accepta de passer devant lui lorsqu'il lui tint la porte. Elle descendit rapidement les marches, nerveuse et perdue. Elle n'avait pas préparé de questions précises à lui poser. Dans d'autre circonstances, elle se savait capable d'improviser en paraissant complètement sûre d'elle, mais... Viktor la rendait mal à l'aise. L'ambiance autour d'elle changeait à chaque fois qu'il était à côté.
Les lumières de la grande salle s'allumèrent lorsqu'elle y pénétra et elle entendit les pas du garçon derrière elle. Il posa ses sacs sur la table la plus proche, mais se dirigea ensuite rapidement dans la pièce du fond en glissant :
— Attends moi ici.
Marzia haussa un sourcil. C'était elle qui avait un moyen de pression sur lui, et il lui donnait des ordres ? Elle ne releva cependant pas. Son attention s'était focalisé sur l'odeur qui sortait des sacs. Elle s'approcha, jeta un coup d'œil à l'intérieur. Pourquoi avait-il acheté autant de nourriture ? Il y en avait largement trop pour lui tout seul, et il n'avait pas pu prévoir qu'elle allait venir. Attendait-il quelqu'un ?
La jeune femme attrapa un tabouret et s'assit dessus, le dos droit. Viktor réapparut à cet instant – mais il n'était pas seul. Une femme l'accompagnait. Marzia se figea en les observant approcher. Elle douta un instant, mais l'évidence la frappa : la femme était un robot. Sa démarche était étrange. Son sourire trop joviale. Le robot la salua d'un geste de la main, mais la jeune femme ne répondit pas.
Viktor tira deux tabourets et invita le robot à s'asseoir. Puis il s'installa en face de Marzia.
— Qu'est ce que tu fais ?
Le jeune homme haussa les sourcils tandis qu'il s'affairait à sortir la nourriture du sac.
— Je ne vais pas laisser mon repas refroidir juste parce que tu as décidé de t'inviter ici.
Marzia croisa les bras. Ce n'était pas ce que voulait dire sa question, et il le savait pertinemment. Le robot la toisait sans une once de méchanceté ; seulement de la curiosité. Il la rendait mal à l'aise.
— Je m'appelle Alya, la salua-t-elle.
Marzia mit quelques secondes à réagir. Sa voix était moins assurée lorsqu'elle répondit :
— Bonjour.
Cette femme était un robot. Elle faisait la conversation à un robot. Marzia avait pourtant l'habitude des machines qui parlaient, et n'avait pas de problèmes avec elles. Mais Alya ressemblait comme deux gouttes d'eau à un être humain.
— Je... tu peux m'appeler Marzia.
— Ravie de faire ta connaissance, Marzia.
La jeune femme remarqua que Viktor suivait la conversation avec intérêt, même s'il était toujours occupé à défaire les sachets de nourriture. Il croisa son regard et s'éclaircit la gorge.
— Pose moi tes questions.
Elle ignora le regard du robot qui la scrutait sans relâche.
— C'est une commande pour un acheteur ?
— Oui. Elle est presque prête.
Marzia ne put cacher sa nervosité en présence du robot. Elle posa son regard sur les aliments disposés sur la table sans rien ajouter.
— Et tu peux lui parler directement, elle comprend tout ce que tu sous entend.
La jeune femme releva vivement la tête.
— C'est un robot. Une commande. Je ne sous entend rien.
— Elle est humaine.
Marzia poussa une exclamation étouffée. C'était lui qui l'avait créé, et il osait sortir des propos pareils ? Mais elle n'eut pas le temps de répondre avant qu'Alya prenne à son tour la parole :
— J'ai une conscience. Mon corps est artificiel, mais pas mon esprit. Mais je peux aller manger ailleurs si ma présence te dérange.
Son ton n'avait rien de venimeux. Au contraire, il était compréhensif, et la jeune femme se prit à culpabiliser. Les paroles du robot raisonnèrent dans son esprit. Elle les avaient déjà entendu quelque part. Soudain, le souvenir lui revint.
Leur corps est celui d'un robot, mais leur conscience celle d'un homme.
Cette phrase avait été prononcées des dizaines de fois aux informations lorsque la catastrophe de Dreelia avait eut lieu. Elle était restée gravée dans l'esprit de Marzia... tout comme les images prises sur les lieux.
Elle posa la main sur sa nuque. Son regard se durcit.
Marzia n'était pas là pour faire la conversation à un robot. Elle était là pour obtenir des informations, pour s'assurer que ce qui s'était passé ne se reproduirait pas. Viktor observait avec attention les différentes émotions passer sur le visage de la jeune femme : ses traits, à lui, étaient impénétrables.
— Je veux savoir si ce que tu m'as dit hier est vrai. S'il existe bien un indicateur pour faire la différence entre robot et humain.
Viktor attrapa une fourchette et commença à manger. Alya fit de même. Bien que la nourriture lui paraisse plus qu'alléchante, la jeune femme ne baissa pas le regard sur la table. Elle voulait une réponse concrète.
— Oui. Il y en a un.
Elle l'observa fixement pour lui signifier qu'elle voulait en savoir plus. Il se contenta de reprendre une bouchée et secoua presque imperceptiblement la tête.
— Mais je ne le divulgue qu'à mes clients. Ensuite, libre à eux de le dévoiler à qui ils veulent. Peut-être devrais-tu demander à ton amie d'hier.
Marzia décela une pointe de sarcasme dans sa voix. Il savait parfaitement que Rhysa ne risquait pas de lui reparler de si tôt : pas après ses actions de la veille. Mais la jeune femme était décidée à obtenir une réponse.
— Je peux ?, s'enquit-elle en désignant un petit sachet de nourriture qu'elle ne connaissait pas. Elle n'avait pas encore goûté à toutes les spécialités de la planète.
Viktor hocha la tête en lui jetant un regard.
Elle se servit sans plus de commodité. La nourriture était épicée. Elle en reprit rapidement, préparant une nouvelle question dans sa tête. Mais Viktor la prit au dépourvu.
— Alors, Marzia Wolf, qu'est ce que tu viens faire sur notre planète ? Tu t'es lassée de la capitale ?
Elle avait eut raison. Il connaissait bien son identité.
— Peut-être bien.
La réponse avait fusé sans qu'elle puisse y réfléchir à deux fois. Alya l'observa avec attention.
— Viktor m'a montré des images de la planète-capitale. C'est magnifique.
— Elle est magnifique... si on aime être encerclé par des immeubles plus hauts les uns que les autres. La foule. Le ciel dissimulé par les publicités des grandes marques. Si on aime se sentir minuscule, au milieu de toutes les machines et technologies à la pointe de la mode.
Son ton amer sembla éveiller la curiosité de la femme-robot. Mais Marzia profita du silence qu'avait créé ses paroles pour demander à son tour :
— Et toi, tu es sur Zetenia depuis toujours. Ce n'est pas ennuyant ?
Viktor haussa simplement les épaules, éludant sa question. Elle persista.
— Mais tu as gagné le concours de créateur de machine... tu vas pouvoir visiter la capitale. Trouver un meilleur métier là-bas.
— Non.
Marzia se redressa sur son tabouret. La réponse avait été sèche, impulsive. Elle se rendit compte qu'il ne profiterait pas du prix qu'il avait gagné. Pourtant, l'opportunité était unique.
— Pourquoi ? Tu préfères continuer à créer tes robots illégaux ?
La jeune femme se rendit compte que l'air s'était peu à peu chargé de tension. Viktor la dévisageait sans répondre, et elle eut la désagréable impression d'être jaugée. Elle soutint son regard en oubliant la présence d'Alya à leur côté. Enfin, le garçon prit la parole, calmement :
— J'ai moi aussi une question. Pourquoi te mêles-tu autant de mes affaires ? Tes amis d'hier n'ont pas eut de problèmes avec cela, eux. Pourquoi détestes-tu les intelligence artificielles ?
Il posa sa fourchette sur la table. Marzia baissa les yeux sur le sachet vide devant elle.
— C'est à propos de Dreelia, continua-t-il. J'ai remarqué ta réaction à chaque fois que le sujet est abordé.
— Je veux simplement que ce qui s'est passé là-bas ne se reproduise pas ici.
Sa voix était sèche. Cette conversation prenait un détour d'elle n'aimait pas – elle n'était pas venue pour remuer des souvenirs. Mais Viktor, à son tour, semblait vouloir obtenir une réponse sincère de sa part.
— Tu connaissais l'une des victimes ?
La jeune femme savait que ses émotions n'étaient pas dures à lire. Elle était un livre ouvert. Sans qu'elle ne sache pourquoi, elle décida de répondre honnêtement.
— Ma mère.
Ses paroles laissèrent place à un silence. Elle croisa le regard de Viktor, qu'elle avait évité depuis un moment et se rendit compte qu'il la fixait sans rien dire. Elle secoua la tête : pourquoi s'attardait-elle ici ?
Marzia se leva brusquement du tabouret.
— Donne moi l'indicateur, s'il existe vraiment, et je pars.
Il prit tellement de temps à répondre que la jeune femme crut qu'il allait l'ignorer.
— C'est un tatouage. Sur l'arrière du bras. Une lune.
Elle hocha doucement la tête, soulagée d'avoir finalement obtenu la réponse qu'elle voulait. Elle ne vérifia pas : non seulement elle ne souhaitait pas s'attarder dans l'atelier, mais la petite voix dans son esprit lui assurait que Viktor lui disait la vérité.
Alors qu'elle se retourna pour se diriger vers les escaliers, la garçon se leva à son tour et la retint.
— Désolé pour ta mère. Mais mes intelligences artificielles n'ont rien à voir avec celles de Dreelia.
Marzia ne répondit pas, de marbre. Elle ne réussissait pas à croire ses paroles. Il insista en sentant qu'elle allait se dégager :
— C'est exactement comme les humains. Tu ne peux pas juger toute l'espèce à cause de ce qu'a pu faire une poignée d'entre eux.
La jeune femme fut un instant perturbée par la passion qu'il mettait dans ses propos. Ses pupilles brillaient du même feu que celui qu'elle avait remarqué le soir de la compétition. Enfin, elle se dégagea, lança un dernier regard à Alya.
Et Marzia partit. Elle se rendit compte après avoir passé la porte du salon de tatouage qu'elle était presque en train de courir. Voulait-elle a ce point s'éloigner du créateur du dragon incandescent, ou était-ce ses paroles qui l'avait tant perturbée ?
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