EPILOGUE
18h : overdose de cocaïne planifiée et tentative de suicide interrompue par une revancharde aux plans aussi allumés qu'elle.
21h00 : je me fais tirer dans le bras pour récupérer sa caisse familiale.
00h00 : je me fais soigner par la même furie qui m'a mis dans le pétrin dans un premier temps.
03h15 : je récupère des mains d'un prêtre une clef dont la valeur bancaire dépasse le plafond.
04h40 : je braque le coffre-fort de l'homme qui a ruiné ma vie.
Enfin.
J'essaye.
Le visage noyé dans ma paume, je me frotte si violemment l'œil qu'il manque de se décrocher de l'orbite.
— Réfléchis, Zade, réfléchis...
Bloqué depuis au moins un bon quart d'heure devant l'écran qui refuse de se déverrouiller, peu importe ce que je tente de faire, je peux déjà sentir le contact froid des menottes autour de mes poignets quand les flics m'auront attrapé.
Il fallait le voir venir, après tout. C'était évident que ça allait se finir comme ça.
Je me suis toujours dit que si je devais aller en prison un jour, une femme en serait la cause.
On commet des choses insensées pour elles... Non ?
Je l'ai su dès la minute où des femmes comme l'héritière Saint-George sont rentrées dans mon champ de vision. Bien loin de la doctrine monogame que mon père a essayé de m'inaugurer durant toute mon enfance, je suis arrivé à Baltimore avec la faiblesse d'un putain de bleu.
Voilà ce que ça me coûte d'écouter l'une de ces maudites tentatrices...
Une blessure par balles, en manque et au bord de devoir abandonner plus d'argent que Judd a en sa possession.
N'est-ce pas fantastique ?
— Et merde.
Le genou tressautant, je redresse le regard vers le coffre-fort presque complètement vidé par Ella. À défaut de quelques billets qui jonchent encore le sol parmi quelques gouttes de mon propre sang, il n'y a plus rien qui reste.
À part ce foutu ordinateur qui vaut le double de ce que j'avais avant ma ruine.
Je me lève et ma chaise tombe à la renverse, sous le coup. J'effectue quelques tours sur moi-même, ma main valide portée à ma bouche, tandis que l'autre continue de s'égoutter par terre.
Il me manque trois mots de passe et une identification supplémentaire avant d'accéder à la première phase forfaitaire des actions. Et même si je les avais, ça me prendrais des heures avant de pouvoir tout transvaser sur mes comptes que je viens de brouiller.
— Merde, merde, merde !
La rage noue mon estomac au point où je lance un violent coup de pied dans la chaise qui cogne contre l'un des murs en métal renforcé. Je reviens à nouveau vers le bureau en bois massif et me mets à fouiller les tiroirs jusqu'à en jeter les feuilles qui s'y trouvent.
Je sais que Judd fumait. Il n'aimait pas l'admettre, prétendait même qu'il avait arrêté, mais il continuait en secret. Je n'ai jamais compris pourquoi c'était si important pour lui de ne pas l'avouer. Qu'est-ce que le monde pouvait possiblement avoir à foutre qu'il s'empoisonne sur une cigarette ? Que ce soit sur de la nicotine ou de la naphtaline, du moment qu'il suffoque, l'idée m'est, au contraire, des plus agréables.
Je pousse un cri de joie lorsque je tombe sur un paquet où il n'y en a plus qu'une avec un briquet et m'effondre sur le tapis en m'empressant de l'allumer.
La première bouffée que j'inhale n'est pas comparable à l'oxygène qui m'est vital... Ma tête en percute même le dossier du siège de bureau.
Ce n'est pas la cocaïne qu'Ella cache entre ses seins, mais tout composant chimique capable d'anesthésier mes organes en furie fera l'affaire.
Oh, doux poison.
Tant pis, si l'empreinte de mes doigts laisse des traces pourpres sur le tube. Tant pis, si ma blessure n'en guérit pas. Je peux presque l'oublier et c'est ce qui compte.
Quand j'ouvre les yeux, néanmoins, ma joie retombe lorsque je fais face au portrait de Judd. Il en a un accroché dans chaque pièce de la maison dans laquelle je suis entré jusqu'à présent.
Il est horrifiant.
Pas spécialement grand, ni petit, sa silhouette efflanquée est soulignée par un demi-sourire que ses yeux ne parviennent pas à retranscrire. L'émotion, en revanche, n'est pas pour autant effacé de ses traits. La présence de rides autour de sa bouche marque sans pitié ses intentions. Son propre corps le trahit, lorsqu'il s'affiche en photo, mais dans la vraie vie, il le masque avec des longues phrases aux mots complexes et aux gestes apaisants.
Judd est le monstre que personne ne voit venir, car il n'a pas une carapace effrayante, mais une fourrure douce qui inviterai Alice à prendre le thé avec la Reine de Cœur.
L'enfoiré.
Je me redresse péniblement en retirant mon mégot de ma bouche et grimace avec satisfaction lorsque j'écrase le feu sur ses deux yeux, trouant la toile.
— Pour tous les mensonges que tu as dit.
Je recule d'un pas pour regarder le résultat, satisfait, et c'est à ce moment précis que des mots s'ancrent dans ma tête :
"Tu sais ce qui est bien avec la Bourse, Zade ? C'est qu'à tout moment... N'importe qui peut hériter de la fortune d'autrui. C'est si facile."
Je lance le restant de la cigarette dans la poubelle et marmonne :
— N'importe qui...
L'autre partie de la Bourse... C'était que les règles s'appliquent à tout le monde.
Même aux millionnaires aux comptes en banque impénétrables.
Je n'ai même pas eu le temps de sourire que je me précipite à nouveau vers le coffre-fort. J'arrache la clef biométrique du contact et le place dans le lecteur de l'ordinateur.
— Allez, allez, allez...
Quatre fenêtres cryptées s'ouvrent à moi, mais je n'ai pas besoin de faire quoi que ce soit que les mots de passe s'intègrent d'eux-mêmes. Je regarde l'heure tandis qu'une page après une autre s'affiche et que les données défilent sur des schémas que je reconnais très vite comme les actions en Bourse.
Il ne faut pas être un génie pour travailler dans le milieu, c'est ce qu'on m'a dit à mon premier jour. Ce n'est rien d'autre que de l'analyse et un bon flair pour le désastre. Le hic, c'est qu'il ne faut jamais regarder l'argent.
Il faut rester lucide.
Et des millions de dollars peuvent rendre bien aveugle.
Je renifle en tapotant nerveusement le plan du bureau avant de brusquement me redresser lorsque l'écran se stabilise enfin.
— OK... OK. OK.
Ce n'est peut-être pas l'accès au compte en banque ou encore un intermédiaire de transfert comme j'avais voulu accéder initialement, mais...
Ça fera l'affaire pour le moment.
Les actions de Judd sont incroyablement bien organisées. Les schémas pointent tous vers le haut comme s'ils n'avaient pas été conçus une seconde pour l'échec. Les chiffres sont à l'effigie de son égo, ou du moins celui qu'il croit qu'il a.
Tout ce que je vois, ce sont les preuves économiques de ses vols.
Des vies s'affichent devant mes yeux.
La mienne.
Celle d'Ella.
La rage m'assaille au point où je manque d'éclater la souris dans mon poing serré. J'aurais aimé avoir le temps d'être en colère. De pouvoir détruire autant que cet enfoiré a détruit. De brûler cette maison. De le traquer. De le faire vivre tout ce que j'ai dû traverser depuis qu'il m'a escroqué. Pendant un bref instant, je revois même tout ce que j'ai dû endurer. La perte de tout ce qui m'est cher, la façon dont je me suis terré dans cette chambre d'hôtel et du début de la drogue. Les pilules, l'alcool, les lames de rasoir et le flingue que j'ai laissé sur la table pour suivre une démone en robe écarlate, presque douze heures auparavant.
Toute ma vie, mon père m'a enseigné qu'il ne fallait jamais s'en prendre aux autres, peu importe ce qu'ils te font en retour ; et je l'ai détesté pour cette unique raison. Rentrer de l'école avec un coquard et des côtes enfoncées parce que d'autres garçons me harcelaient m'avaient valu un sermon. Il n'y avait pas de victimes, selon lui, et il fallait que je me comporte mieux, parce qu'ainsi, ils me laisseraient tranquille.
Le grand homme qu'il croyait être... se serait fait berner par Judd en beauté.
Mais il est temps d'arrêter de croire à ses principes...
Car la vengeance est de la couleur du sang qui coule à travers mes bandages, ce soir.
Je prends une rapide inspiration en craquant ma nuque, conscient que l'heure n'attends pas la fin de mes pensées et retourne sur la page du cours de marché en marmonnant :
— Propriétaire des actions...
Zade N. Alridge, l'imbécile du siècle.
Mon nom s'affiche automatiquement dans la barre de recherche avec mon action investie et le taux de créances dans des chiffres critiquement rouge.
Ma ruine est sublime... Presque aussi pourpre et aiguisée que les talons d'Ella, ce soir.
Je souffle sur mes mèches pour dégager ma vue et souris en misant l'entièreté du contenu des biens de Judd sur la débâcle dans laquelle il m'avait attiré :
— Je trinquerai à ta santé, Judd.
Les chiffres défilent tandis que mon souffle se bloque dans mes poumons, mais j'ai à peine le temps de me redresser pour contempler le résultat qu'Ella débarque dans le bureau.
— On doit partir, Zade.
Ses yeux brillent avec tellement d'intensité que je reconnais tout juste son regard calme du début de soirée.
Ou c'est peut-être seulement moi qui le remarque pour la première fois ?
D'un coup de pied, elle se débarrasse de ses talons, ce qui force mes yeux à descendre de quelques centimètres, mais je n'y accorde pas trop d'importance. Je la rejoins dans le bureau alors qu'elle est penchée sur le plan de travail avec un stylo à la main et fronce les sourcils.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Judd sait.
Mon cœur s'immobilise dans ma poitrine.
— Quoi ?
— Il sait. Il est au courant de ce qui se passe. Il a dû voir que quelqu'un était en train de pénétrer dans ses comptes et maintenant, il lance ses chiens à notre recherche.
— Je...
Ella redresse brusquement la tête et jette son stylo dans la pièce après avoir déposé sa lettre sur le bureau.
— Ce n'est pas grave, tu n'as pas réussi, tant pis, on prend ce qu'on a déjà et on se tire.
— Qui te dit que je n'ai pas réussi ?
Les lèvres légèrement écartées, la garce écarlate dont le plan foireux nous a conduit tous les deux à cet instant précis se mue dans la perplexité. Et si son visage paraît toujours être marqué par l'arrogance et la confiance en soi, quelque chose de purement innocent vient éclaircir ses traits.
— Tu... Tu as réussi ?
J'écarte le bras qui n'a pas été la victime collatérale de cette soirée et réponds avec un sourire plus large que l'univers.
— Tu n'as pas demandé de l'aide à n'importe qui.
Soudain, une alarme retentit, coupant le pas qu'Ella essayait de faire dans ma direction. Le bruit est si violent et perçant qu'il me déchire les tympans au point où je me recroqueville sur moi-même.
— Merde.
— C'est quoi ce bordel ?!
— Quelqu'un vient de rentrer de force dans la maison. Ramène-toi !
Je n'ai même pas le temps de réfléchir qu'Ella attrape ma main et commence à me tirer à travers la multitude de pièces et de couloirs qui fournissent la maison, mais arrivé à la porte, je l'arrête.
— Attends, il faut que je termine quelque chose !
— C'es trop tard pour ça !
— Je te rejoins dans une minute, il faut vraiment que je fasse ça, insisté-je tout en me libérant doucement de son étreinte.
Les lumières s'éteignent, l'alarme aussi et alors qu'on remonte tous les deux nos nez vers le plafond, quelques voix nous parviennent depuis les tréfonds des couloirs. Ella se tourne donc vers moi et grogne tout en secouant ses cheveux :
— D'accord, mais dépêche-toi, on n'a plus de temps !
— J'arrive.
***
— ... Ils doivent être au moins dix. Et ça, c'est seulement ce que je vois de ce côté.
Agenouillée sur le marbre, les jambes repliés sous elle, Ella observe discrètement ce qui se passe derrière les rideaux. Les lumières bleues et rouges des voitures de police déchirent les fenêtres et noient la pièce comme s'ils croyaient qu'ils allaient pouvoir nous débusquer ainsi.
Judd n'a pas fait les choses à moitié...
Je ne suis pas sûr qu'il aurait fait déployer autant de moyens s'il avait été question d'un enfant.
Mais sa fortune ?
Il ferait décidément tout pour elle.
Un genou posé à terre, je redresse mon menton au-dessus de l'épaule d'Ella pour jeter un coup d'œil sur les derniers hommes qui font irruption dans la maison, pas réellement certain de savoir si nous avons encore une option de sortie.
On est cuits comme des rats.
Le souffle court, je retiens mon cœur de battre trop fort en pressant ma main contre ma poitrine et murmure dans l'oreille d'Ella, toujours inerte face à la situation.
— C'est quoi ton plan, alors ? Est-ce qu'il y a une sortie secrète ? Un tunnel que tu as omis de mentionner ? Un toit qu'on devrait accéder et Frère Karel viendrait nous chercher en hélicoptère ?
— Ne soit pas ridicule, m'intime-t-elle alors qu'elle se redresse sur ses coudes.
— Oh, c'est vraiment ça qui est ridicule ? Et pas braquer le coffre-fort de ton fiancé après avoir volé une voiture prénommée Lucille et récupéré une clef biométrique chez un prêtre ?
— La ferme, tu m'empêches de réfléchir.
— Qu'est-ce qu'il y a à réfléchir ? On prend l'argent et on se tire par la porte de derrière. Je ne comprends pas pourquoi on attend !
— Parce que, Zade... La porte de derrière est une évidence pour eux. C'est là qu'ils nous attendront à coup sûr. On se jettera dans la gueule du loup !
Je marmonne quelques mots inaudibles et la laisse se remettre debout. Elle croise ses mains derrière sa nuque et fait quelques allers-retours sur elle-même sans même m'adresser un seul regard et je sais ce que ça signifie.
Pour la première fois depuis le début de la soirée...
Ella Sloane n'a pas de plan.
— Tu nous a fait rentrer ici sans avoir de sortie de secours ?
— Je ne savais pas qu'ils allaient débarquer aussitôt ! se défend-elle sans arrêter de marcher.
— Ça ne t'as pas traversé l'esprit que ça pouvait arriver ?
Sans m'écouter, elle frappe un coup dans une chaise qui tombe à la renverse. Je me lève à mon tour et traverse le couloir en la forçant à me suivre.
— On ne peut pas rester ici de toute façon. Ça ne sert à rien de s'énerver, il faut qu'on tente quelque chose.
— Non, Zade, pas par-là, on...
Sa phrase se mue lorsqu'on fait tous les deux face à trois types armés qui braquent leurs armes et les faisceaux de leurs lampes torches sur nous.
— Bien bien bien... Qu'avons-nous là ? susurre l'un d'eux dont le sourire sournois se reflète avec la lumière.
— Mademoiselle Ella Sloane, poursuit le plus grand d'une voix plus calme, vous êtes en état d'arrestation pour fraude, vol à main armé, tentative de vol et braquage. On vous suggère de bien sagement venir vous allonger au sol et de croiser les mains derrière la nuque. Ne rendons pas cette soirée plus compliquée qu'elle ne doit l'être.
— Vous aussi, monsieur, ajoute le troisième.
Fantastique.
Les lèvres pincées, je m'apprête à obéir, sentant la pression de leurs armes dans les plus infimes cellules de ma peau déjà trouée, quand Ella secoue la tête.
— Je te l'avais pourtant bien dit, Zade... Pas par là.
Elle lève un pan de sa robe noire sur sa jambe, là où elle avait caché l'arme que Frère Karel lui avait donné avec la clef et la pointe dans leur direction en tirant une balle qui loupe intentionnellement sa cible.
— Hey !
Et bien sûr, ils répliquent.
— Baisse-toi !
Ella m'attrape par la chemise et me tire vers le bas avant qu'un projectile me touche et je me retrouve parmi les débris de verre, une fois de plus.
— Pourquoi est-ce que tu sembles toujours autant vouloir te sacrifier quand on réussit ? s'époumone la jeune femme en couvrant sa tête de ses mains. On y était presque !
— Et toi ? Pourquoi est-ce que tu crois toujours que c'est une si bonne idée de tirer sur les gens ?! T'as un vrai problème !
— Si tu crois que je vais laisser la joie à Judd de nous voir derrière les barreaux avec sa fortune intacte...
On se regarde un instant.
— L'argent ! s'écrie-t-on en chœur.
Ella se redressa avec difficultés et m'indique la direction du dressing.
— C'est encore dans le couloir ! Mais il y a cinq sacs et...
Un autre coup fait exploser une lampe au-dessus de nos têtes et un cri de surprise déchire la fin de sa phrase.
— Je m'en occupe.
— Non ! rugit-elle si fermement que j'en lâche le flingue que Frère Karel lui avait donné. C'est à moi de faire ça, toi, tu dois sortir !
— Est-ce que tu as perdu l'esprit ?!
— Tu as un bras, Zade, mais deux jambes, alors barre-toi, je porte l'argent !
Sans me laisser de réponse, Ella tente de scruter les alentours pour voir si la voie est libre, tandis que le haut de son crâne se parsème des faisceaux des lampes torches des policiers. Ils ont beau crier en nous ordonnant de se lever et de se rendre, les mains en l'air, mais cette démone écarlate ne se dégonfle pas. Elle arrache un pan de sa robe en le plaquant contre ma blessure, ce qui me tire un grognement que je masque à peine.
Quand est-ce que la douleur va s'arrêter ?
— Écoute-moi bien, Zade, assène-t-elle en dégageant mes cheveux noircis par la sueur de mon front. Dans l'aile est de la maison, il y a une piscine intérieure qui mène directement à la plus petite parcelle du terrain. Il y a à peine cinquante mètres jusqu'à un buisson creux qui déboule sur un ancien chemin de fer. Tu me suis ?
— Piscine, buisson, chemin de fer, répété-je en hochant nerveusement la tête.
— Suis-le jusqu'à ce que tu n'en puisses plus.
— Et toi ?
Ella lève son bras en l'air et tire trois coups secs, forçant ainsi nos assaillants à sortir.
— Je te l'ai dit, je récupère le pognon.
— Je ne vais pas t'abandonner ici !
— Ne t'en fais pas, tu ne le feras pas, je te rejoindrai.
Je plisse les yeux à demi pour la sonder, alors qu'elle ne me regarde même pas.
Elle a trop d'assurance.
Elle ment.
— Qui crois-tu qu'on est ? Bonnie et Clyde ?
Un sourire des plus délicieux s'affiche sur le carmin de ses lèvres et c'est dans un murmure délicat qu'elle me répond :
— On ne va pas mourir pour notre fortune, nous.
Un coup de feu répond à son attaque et dans une nuée d'insultes, Ella me pousse dans la direction indiquée.
— File ! Maintenant !
Je manque de glisser sur les débris de verre, mais parviens à détaler.
— Plus un geste !
Je dérape plusieurs fois pour échapper au tirs en essayant de protéger ma tête avec mon bras, grimaçant sous le bruit des projectiles.
— Reste où tu es ! crie l'un un homme vêtu d'une chemise repliée sur ses coudes ainsi qu'un gilet par-balles.
— Ne t'arrête pas, Zade ! rétorque la voix d'Ella tandis qu'elle disparaît dans un couloir.
Ce qu'on ne dit pas dans les films, c'est à quel point c'est bruyant. Plus aucun bruit ne passe, face au coups de feu, il n'y a que leur anarchie qui règne. Tout est trop perçant. La façon dont les balles résonnent, quand elles touchent leur objectifs et qu'ils éclatent tout sur leurs passages. Dans l'obscurité, leurs faisceaux embrasés s'illuminent dans des flashs aveuglants qui m'éblouissent au point où je manque de disloquer mon épaule contre le battant d'une porte.
Ce n'est pas la meilleure journée pour mes bras.
Quand je débarque dans le salon, je fais face à un policier à peine plus âgé qu'Ella, occupé à pointer sa lampe torche dans toutes les directions, les yeux grandement écarquillés sous la panique. Je ne réfléchis pas à deux fois et le pousse pour franchir une porte qui me fait emprunter un escalier en spirale vers une section adjacente de la maison pourvue de baies vitrées et de pièces immenses.
Je cours à travers une bibliothèque.
— Arrête-toi !
Je cours à travers un gymnase.
— J'ai dit : arrête-toi ! s'écrie de nouveau le policier.
Et je débarque dans la pièce de la piscine en question.
Recouverte à moitié seulement avec une bâche protectrice, l'eau ondule sur une profondeur assez conséquente et me sépare de la porte qu'Ella m'avait indiqué.
Si proche.
Si proche...
— Stop !
Le bruit de l'enclenchement d'une balle me force à me figer sur place, les mains à l'écart de mon corps. Je pivote à demi vers le flic qui étend ses bras devant lui avec toute la menace qu'il a en lui.
Néanmoins, son manque de confiance en lui le fait haleter et trembler au point de plusieurs fois se raccrocher à son arme.
— Plus un geste ! Compris ?!
C'est la deuxième fois que ça se produit ce soir.
— OK, calme-toi.
— Ne me dit pas de me calmer !
— D'accord, d'accord. Regarde, je ne suis pas armé. Je n'ai rien fait, d'accord ?
En toute bonne foi, je lui montre que je n'ai sur moi que ma propre carcasse, mais il ne se dégonfle pas et pointe toujours son arme à bout portant.
— Tu fais un geste de travers et je n'hésiterai pas à tirer !
Il déloge une main pour farfouiller quelque chose dans sa ceinture de sécurité avant de faire un pas en avant et de jeter dans ma direction des menottes.
— Tu vas les mettre et me suivre.
— OK, Lucky Luke, ça marche... Tu as gagné. Je vais le faire.
— Et pas d'entourloupes !
Avec toute la précaution du monde, je pose un genou à terre pour tendre mes doigts vers l'objet, scrutant ses moindres réactions. Quand il craque sa nuque. Quand une goutte de sueur se met à perler le long de sa tempe.
Quand il essaye de contrôler les tremblements de la main qui garde son arme.
Je n'aurais pas dû prendre autant de cocaïne avec ces pilules et l'alcool... Parce que même si les effets se sont évanouis, le moment même où je me suis fait tirer dessus, ne laissant plus que le goût âcre et empoisonné de l'adrénaline en bouche, je ne suis pas certain de ce que je vois.
Si c'est lent.
Si c'est, au contraire, trop rapide.
Si c'est flou.
Je plisse mes paupières à demi et il crie :
— Dépêche-toi !
— C'est bon, c'est bon...
Mais dans la vie, il faut parfois dire merde et tenter le tout pour le tout.
J'attrape donc les menottes, mais les balance dans sa direction pour le déstabiliser.
Le coup part et sous le choc, mon dos percute la surface de la piscine.
Mon cri est instantanément coupé par l'eau qui envahit mes poumons alors qu'une force invisible et noirâtre me tire vers le bas. La surface paraît loin, alors qu'elle oscille au-dessus de moi. J'essaye de la rattraper, de tendre les bras et de pousser à travers la pression pour la retrouver, mais je touche le fond.
J'aurais voulu qu'Ella débarque cinq minutes plus tard, hier soir. J'aurais voulu avoir le temps de me foutre une balle dans le crâne et partir sans avoir le moindre souci supplémentaire. Parce que l'espoir tue plus que la mort elle-même...
Et c'est elle qui me noie en ce moment précis.
Mais étrangement je vis.
Coupé de tout oxygène, suffoquant sur l'eau qui envahit mes poumons à grandes goulées, aucune autre douleur ne paralyse mon corps. La seule nuée de sang qui teinte l'eau d'une nuance pourpre s'échappe de mon bras.
Il n'y a rien d'autre.
En piochant les dernières forces qu'il reste en moi, je pousse sur mes jambes et essaye de regagner la surface.
Je lutte, centimètre par centimètre, défilant à travers l'eau, comme si je menais le combat d'une guerre perdue d'avance. Mes muscles se tordent sous l'effort, mais je persévère, car personne d'autre que moi ne respirera à ma place.
Et quand je retrouve l'air libre...
Accroché à la bordure de la piscine, tremblant et crachotant, je m'agrippe au sol en tordant mes ongles.
Respire.
Respire.
Respire.
Sans forces, je plonge quelques fois encore, incapable de me retenir, incapable de me soutenir. Et même quand je parviens à retrouver ma stabilité au bout de quelques pitoyables tentatives, lorsque je porte ma main à ma temps, une vive brûlure m'arrache un cri de douleur.
L'enfoiré m'a tiré dans la tête...
Et pourtant, me voici avec une oreille sifflante et de l'eau dans les poumons.
Pourquoi est-ce que je suis incapable de crever, ce soir ?
Je réussis à me hisser sur la bordure, mon corps entier secoué par des tremblements que je ne contrôle plus et remarque que je suis seul dans la pièce. Tout ce que le flic a laissé, c'est son flingue au sol.
Respire.
Respire.
Respire.
Il a surement dû avoir peur de m'avoir tué et s'est barré sans demander son reste.
Un genou après l'autre, je me lève à quatre pattes avant de pouvoir être debout. Mes poumons, avares d'air, se gonflent au point où je ne vois plus clair, cependant d'autres cris d'alerte et de bruits de bottes sur le sol en marbre qui se rapprochent dangereusement vers la pièce dans laquelle je me trouve me force à accélérer mon rétablissement. Je recule et titube sur quelques pas avant de pouvoir pousser la porte en verre et de retrouver l'extérieur.
Mes vêtements sont encore trop chargés d'eau pour que mes pas soient fluides, mais je dévale le terrain aussi vite que je peux. Le froid mordant d'un début de matinée du Maryland s'empare de ma peau trempée, alors que je retiens à peine mes gémissements de douleur.
J'ai l'impression de lutter contre un spectre. Contre ses dents, contre ses coups.
Mais je cours et n'arrête pas.
Je dévale la pente en me laissant glisser sur le côté et la rosée encore congelée par les températures de cette nuit s'enfonce dans mes côtes.
Mon oreille siffle encore, à cause du coup de feu, et je suis à peu près sûr que le sang qui coule le long de ma nuque ne vient pas que de ma tempe meurtrie.
Il n'y a que de la douleur...
Il n'y a que de l'horreur.
Je tâtonne les buissons indiqués par Ella et parvient à frayer mon chemin à travers les branches et débarque, en effet, sur un chemin de fer.
Si on ne m'avait pas dit que ça existait, je n'aurais jamais cru que ça existait. Des arbres aux feuillages denses, sans oublier l'obscurité encore présente, recouvrent l'ancienne tracée de railles rouillées. Les tours de Baltimore percent à peine au loin, tant la verdure s'est emparée sur ce vestige de transportation.
À genoux sur les cailloux recouverts d'un petit lit de mousse, je geins en me redressant pour courir à nouveau.
Tant pis si mes poumons ne sont plus en état de le supporter.
Tant pis si ma cage thoracique est poignardée par des couteaux immenses.
Mes jambes grincent, mais je file droit comme on n'a jamais couru dans ce bas monde.
Néanmoins, plus je m'éloigne...
Et plus la solitude me gagne.
Il manque quelqu'un, me murmure ma conscience.
Je jette quelques coups d'yeux en arrière, sans m'arrêter et commence à geindre.
Je devrais retourner en arrière. Retrouver Ella. Pas la fortune, pas la drogue, juste elle. Et tant pis si j'y laisse le peu de vie qu'il me reste.
Retourne en arrière.
Retourne en arrière.
Retourne en arrière.
Je bascule ma tête en arrière et pousse une nuée d'insultes.
Je l'ai perdu pour de bon, n'est-ce pas ?
Mes pas diminuent. Mon souffle se rompt. Je ne perçois plus que l'obscurité des buissons, la miséricorde du clair de lune qui disparaît derrière les derniers nuages nocturnes. Je m'arrête et hurle jusqu'à tomber à genoux.
Je ne sais pas si c'est le désespoir qui éviscère ma gorge ou si c'est la réalisation qu'on est toujours seul, à la fin.
Mais quand je tourne la tête vers l'arrière...
Je la vois.
la voilà.
Elle court.
Deux sacs sur le dos et deux autres entre ses mains, elle court, les cheveux aux vent et les pieds nus.
Et elle rit.
Elle rit.
C'est le son le plus magique que j'ai pu entendre de ma vie.
C'est le même genre de rires que l'on a quand on est enfants. Quand le monde qu'on voyait n'est plus celui que l'on perçoit une fois adulte. Quand on voit les arbres, les épis de blé, que l'on entend le son des criquets à travers les hautes herbes et qu'on saute dans des rivières à peine profondes pour s'éclabousser... Que l'on pourchasse des arcs, même s'ils s'effacent du ciel avant même qu'on ait eu le temps de les attraper... Parce qu'il n'y a rien de plus pur que l'instant dans lequel on vit. On passe par des chemins, on emprunte des routes, on ne regarde pas l'heure dans la position du soleil, on fait des vœux devant des étoiles filantes, on prétend avoir déjà dix ans, alors qu'on en a seulement neuf.
Quand on a hâte de grandir, pour avoir la chance de faire plus encore. La sensation même de se retrouver propulsé à travers le temps et qu'une vague d'énergie nous assaille jusqu'à tard dans la nuit, au point de prétendre dormir quand les parents viennent vérifier si on le fait vraiment.
Ella rit par liberté.
Ella rit par innocence.
Ella a retrouvé tout ce qu'on lui a volé.
Alors, je me redresse et ris aussi.
Parce que j'ai passé mon entière existence à être trop pressé de grandir.
Je n'ai jamais apprécié ce que j'étais...
Mais je le fais maintenant et regrette ce que mon père a voulu m'apprendre.
De rire.
Tout simplement.
Les bras écartés, Ella laisse tomber les sacs et me dépasse en continuant à courir. La tête rejetée en arrière, ses cheveux battant la mesure sur son dos dénudé, la jeune femme poursuit le chemin de fer que plus aucun train n'a emprunté depuis longtemps.
— On est libres, Zade !
Elle fait demi-tour et me saute dans les bras, entourant ma taille de ses jambes et s'accrochant à mon cou en ignorant parfaitement de se faire mouiller, elle aussi. Elle est si légère que je la porte sans la sentir, tournoyant sur nous-même tout en criant notre victoire à l'aube qui se lève derrière l'horizon de railles.
— On est libres ! acquiescé-je, le souffle coupé, sans la lâcher.
— On est riches !
Elle plonge ses mains dans son décolleté qui déborde de billets et les jette en l'air pour nous féliciter avec un confetti onéreux.
La plus belle chose que j'ai un jour vu.
Je la dépose en grimaçant et elle me flanque quelques liasses entre les mains, un sourire des plus divins étirant ses lèvres.
— Je n'ai pas pu tout récupérer, mais... C'est ce que je te dois.
Je n'y prête pas attention. À la place, je les enfonce dans mes poches et saisis son visage entre mes mains en plaquant mon front contre le sien.
— Tu es un génie, Ella Sloane.
— Un génie libre ! précise-t-elle en gloussant.
— Libre. répété-je en l'embrassant fermement sur la joue.
On se replie tous les deux, paumes sur les genoux, parce que soudainement, il n'y a pas assez d'oxygène dans l'air.
— Ils vont nous rechercher.
Ce n'est pas une question, car j'en connais la réponse. Je sais que je serai à présent un fugitif pour le restant de mon existence.
Mais étrangement, ça ne me fait pas peur.
Je vais pouvoir profiter de chaque moment que m'offre le monde, comme si c'était le dernier.
— Peut-être. Mais est-ce que c'est important ?
— On est les rois du monde !
Ella passe une mains dans ses cheveux, même si sa frange retombe immédiatement sur son front, et revient vers moi en posant ses mains sur mes épaules.
— On est plus que ça... Les gens veulent être des rois. Des princes et des princesses. Des anges ou des démons. Ils se qualifient en seigneurs et divinités parce qu'ils ne savent pas à quel point être humain est suprême. Je suis humaine, Zade. Et tu l'es aussi. Laissons-les construire des châteaux et gouverner le monde... Nous, on le dérobe, parce qu'il nous appartient sans qu'on ait besoin de titres.
Mon sourire se dissipe de mon visage et je me contente d'hocher la tête.
Elle n'a jamais eu autant raison...
Accepter d'être humain est la sensation la plus exquise du monde...
Si seulement on prenait plus le temps de la savourer.
Ella me tapote l'épaule avant de me contourner et de revenir vers les sacs d'argent qu'elle a laissé tomber, un peu plus loin.
— J'ai pu récupérer peut-être quarante millions et laissé le reste aux flics. Et toi ?
Je la rattrape par le poignet en la faisant valser sur elle-même et porte sa montre à mes yeux.
— Dans... Trois heures et trois quarts d'heure précisément, nous serons les fiers propriétaires de deux cent cinquante millions de dollars. Hors taxes.
Ses yeux dont le soleil levant accentue la teinte onyx se mettent à pétiller.
— Tu as réussi ?
— J'ai racheté les actions de ma ruine. Quand le cours du marché reprendra à neuf heures, toute la fortune de Judd me sera transmis. Je n'ai pas réussi à faire le transfert bancaire, mais...
— Quelle importance, la fortune est à nous !
Je ricane en la suivant jusqu'aux sacs et essaye d'ignorer le sang qui s'échappe de ses pieds blessés. Après tout, courir pieds-nus sur des cailloux avec près de cinquante millions de dollars sur le dos doit probablement laisser quelques séquelles.
— Pas d'importance. Tu as raison.
— On est en vie parce que c'est toujours le cas, non ?
Je lui indique mon bras qui a enfin arrêté de saigner, surement grâce à ma chute dans la piscine, et elle roule les yeux au ciel.
— L'exception qui confirme la règle.
Ella s'accroupit en rassemblant ses cheveux d'un côté de sa nuque et j'administre un petit coup de pied dans l'un des sacs.
— Alors... On se départage la moitié ?
— Comme convenu.
— Tu me rends donc tout ce que Judd m'a volé ?
— Et plus, ajoute-t-elle avec un petit clin d'œil.
— Tu me dois encore quelque chose d'autre, tu sais ?
— En plus de ça ? Tu deviens gourmand.
Elle agite une liasse devant moi que j'attrape tout en gardant sa main dans la mienne.
— Tu sais très bien quoi.
Ses yeux se figent dans les miens et elle coince sa lèvre inférieure entre ses dents.
— Vraiment, Zade ?
Je m'accroupis en face d'elle et souris.
— Vraiment.
Ella n'a que du silence à me donner et je sais très bien ce qu'il veut dire...
Ce qu'elle ne sait pas, c'est que je ne veux rien d'elle, en réalité.
Rien d'autre à part de l'honnêteté.
Je prends une rapide inspiration en baissant les yeux vers son annulaire et lui retire doucement sa bague de fiançailles.
— Je te donne vingt ans de ma vie si tu me dis ce que tu as fait de ma drogue.
— Pourquoi tu te retrouves toujours à parier ta propre vie, Zade ?
— Et pourquoi tu ne me réponds pas ?
Douze heures précisément se sont écoulées depuis qu'elle est venue me proposer son plan. Douze heures qui l'ont exposé pour ce qu'elle est vraiment.
Une rêveuse.
Et s'il y a un crime qu'on ne commet pas...
C'est celui d'arracher l'espoir à des rêveurs.
— Je l'ai jeté, souffle-t-elle alors que sa frange embusque ses yeux brillants.
Je lui souris alors de nouveau, cette fois-ci avec plus de sincérité, lui dépose sa bague dans sa paume avant de fermer son poignet et de planter un baiser sur ses doigts.
— On dirait bien que je te dois plus que vingt ans, alors.
On s'échange un coup d'œil entendu et elle me tend les lanières de deux sacs fourrés.
— Voilà pour toi. J'espère que tu en feras bon usage.
— Et toi ? Qu'est-ce que tu vas en faire ?
Ella hausse ses épaules graciles et rejette sa tête en arrière en indiquant les dernières étoiles qui figurent encore dans le ciel.
— Je ne sais pas. Il serait peut-être judicieux de rester à Baltimore pendant au moins deux jours, histoire de ne pas se jeter dans la gueule du loup dès le début et de partir plus tranquillement.
— À quoi penses-tu ?
— J'ai toujours voulu aller en Europe.
Un rire m'échappe et elle redresse la tête, ses sourcils froncés comme si elle était vexée.
— Quoi ?
— C'est trop cliché.
— Est-ce que je t'ai demandé ton avis ?
— Non, mais tu l'as quand même. Et ce sera quoi la suite ? Paris ? Les baguettes ? Les croissants ?
— D'accord, grogne-t-elle en enfonçant sa bague de fiançailles dans l'un de ses sacs. C'est quoi le scénario idéal, selon toi, dans ce cas ?
Je me redresse en frottant les cailloux de mes paumes et secoue la tête.
— Peu importe quoi. Tout sauf ça.
— Je n'aurais jamais cru que quelqu'un comme toi ne sache pas ce qu'il ferait avec autant d'argent.
Touché.
Je frotte mes narines du bout du bras, avant de passer mes mains sur quelques billets.
— Je viens de passer des jours entiers sans rien d'autre que ma propre putain de vie... Il se peut que j'ai revu ma définition de "tout avoir"... Alors c'est un peu compliqué de vouloir, à ce point.
— Ah oui ?
Ella se penche et enfonce sa main dans une des poches du bagage pour en sortir un téléphone à l'écran fissuré.
— Peut-être que tu ne veux rien qui s'achète avec de l'argent, mais autre chose.
— Quoi ?
— Qui, plutôt.
Le front plissé, elle tambourine quelques fois sur mon écran avant de me tendre l'appareil à nouveau.
Et quand je le reprends pour voir de quoi il s'agit, Ella se met debout.
— Tu ne l'as jamais rappelé, je te l'ai dit.
Le numéro de Skylar.
— Tu as lancé tes propres dés depuis le début, Zade, poursuit-elle en se penchant pour ramasser sa part du butin. Tu crois toujours à l'avance ce qu'on peut penser de toi. Tu serais choqué de savoir à quel point tu as tort.
Skylar.
— Appelle-la. Vraiment.
Elle passe sa main dans mes cheveux qui s'égouttent encore pour les essuyer de mon front, tandis que mon regard est toujours rivé sur l'écran.
— J'ai réussi à survivre en pensant à moi avant tout, Zade. En ignorant ce que les autres peuvent bien dire. Ce n'est pas toujours agréable, et les poignards dans le dos ne sont pas faciles à cacher, mais c'est ce qu'il faut faire. Mais tu sais ce que j'ai appris ce soir ?
Ses doigts s'attardent sur ma peau et défilent le long de la ligne de ma mâchoire jusqu'à mon menton qu'elle redresse vers elle.
— Parfois, il faut s'arrêter... Et réaliser qu'on est un reflet dans les yeux de quelqu'un d'autre. Mais... c'est à nous de le regarder et de le façonner pour qu'il soit assez beau pour deux.
Sans me laisser le temps de répondre, elle appuie sur l'icône d'appel et s'éloigne.
— Merci pour ce soir, Zade. Et... J'espère que ça va aller pour toi, maintenant.
Elle se tourne à demi et rit doucement :
— Ne parie plus ta vie, à l'avenir, d'accord ? Elle est plus précieuse que tu ne le crois.
Je porte le téléphone à mon oreille tout en l'a regardant zigzaguer entre les rails rouillées du chemin de fer, sans pouvoir trouver quoi que ce soit à dire. Vingt-six lettres composent l'alphabet pour créer des millions de mots différents...
Mais pas un seul ne parvient à frayer son passage à travers mes lèvres.
Certainement pas quand on décroche.
— Pour ton propre bien, Ella, tu as intérêt à avoir un sacré argument pour m'appeler si tôt...
— Skylar. articulé-je avec difficultés.
Elle retient son souffle.
— Zade ?
Skylar a toujours eu une voix claire. Quand elle parle, c'est comme entendre des proses d'anciens temps. Ça doit sûrement venir de son éducation, teinté du vieil argent familial et des repas à quinze fourchettes... Mais un seul roucoulement de sa part peut faire vriller n'importe quelle âme.
Et pourtant, c'est à moi qu'elle parle.
— Skylar, je...
Mes paupières ne clignent pas, tant mes yeux sont fixés sur Ella qui continue toujours de s'éloigner. Peu importe s'ils commencent à se fatiguer et à brûler...
J'ai peur qu'une seule fraction de seconde d'obscurité me plonge dans un monde où je suis seul sur ces railles rouillées.
— Tu as du retard, tu sais ? tance à nouveau Skylar avec un léger rire. Il me semble que tu me dois des croissants.
Je passe ma langue sur mes lèvres déchirées et plante plus profondément dans mon téléphone.
— Je... Je suis désolé.
Je l'entends retenir son souffle et pose un genou à terre pour ouvrir légèrement l'un des sacs. Certains billets sont couverts de sang et très franchement, à ce point de la soirée, je ne sais pas si c'est le mien ou celui des flics qu'Ella a si miraculeusement réussi à semer.
— Pourquoi ? ose l'héritière Saint-George.
— De t'avoir jugé.
Elle garde le silence, tandis que je ferme doucement le sac.
C'est insensé de ne pas réussir à trouver les mots, dans ce genre de moments. Dans la Bourse, il faut toujours savoir ce qu'il faut dire et j'ai passé toute ma carrière à apprendre à ne jamais venir à court de vocabulaire.
Mais à cet instant précis ?
Je sais simplement ce que je dois faire.
Et non ce que je dois dire.
Dans un grognement, je me redresse, charge mes épaules encore tendues avec ma part du butin et rejette légèrement la tête en arrière pour prendre une grande inspiration.
Seigneur, ce que l'air est pure, le matin...
— Est-ce que tu te rappelles le jour où toi et moi, on s'est rencontrés pour la première fois, Sky' ? C'était... C'était à un de ces galas à la con où... Où l'on mettait au enchères des rencards. Et évidemment avec toi sur le podium... tous les hommes présents dans la salle étalaient leurs chéquiers et leurs comptes en banque.
— Où tu veux en venir ? s'agace-t-elle légèrement.
— Un vieux con avait réussi à avoir le plus gros gain sur toi. Sept-cent mille dollars, si je m'en souviens bien ? Sept-cent mille qui sont rentrés dans la poche de ton père, plutôt que la charité en question.
— Toi, tu avais placé cinq cent mille.
— Tu aurais voulu que ce soit moi qui l'emporte ?
Je souris quand je l'entends rire, mais elle finit quand même par répondre avec plus de tranchant :
— Je m'en fous de l'argent, Zade.
— Je sais. Je sais maintenant. C'est pour ça que je suis désolé. Désolé d'avoir été comme tous les autres et... Désolé, tout simplement. Je te souhaite vraiment de... De trouver l'homme qui sera différent.
— À ce que j'entends, tu pourrais l'être.
Douze heures peuvent faire la différence dans la vie de quelqu'un.
Je secoue donc la tête et renifle en enjambant les rails envahies par les mauvaises herbes aux piquants acérés.
— Je n'y connais rien en amour, Sky', à part une chose... C'est que ça ne devrait jamais commencer comme ça.
Je siffle pour alerter Ella qui se retourne à demi et alors que je lui fais signe de m'attendre, mon ancienne amante souffle dans le combiné :
— Promets-moi un jour de m'expliquer comment, dans ce cas.
— Promis.
— Et Zade ?
— Oui ?
— T'es un sacré connard.
— Je sais.
Elle raccroche et je range mon téléphone dans la poche arrière de mon pantalon avant de venir attraper l'un des sacs d'Ella pour le porter moi-même.
— J'ai pas sacrifié mon bras pour Lucille pour que tu ne m'emmènes pas avec !
Je lui adresse un clin d'œil tandis que ses yeux se mettent à briller et un sourire magnifique vient orner ses lèvres.
Le genre qui a volé n'importe quel cœur avant de s'emparer de celui qu'elle vient de dérober.
Le genre qui me fait oublier pendant un instant que je ne suis pas recherché par les forces de l'ordre pour avoir volé près d'un demi-milliard de dollars avec elle.
Le genre qui me fait marcher sur un chemin de fer abandonné à ses côtés.
Un véritable tour de magie, n'est-ce pas ?
— Je suppose que tu as mérité un dernier tour avec elle... En effet.
— Excellent.
Il est six heures du matin.
Et tout ce que Judd retrouvera dans son coffre-fort...
C'est un pull qui dit "pas touche à ma tirelire".
J'échange un sourire avec Ella et sort un billet généreux de ma poche trempée que je claque contre son bras dénudé.
— Je t'offre un café ?
FIN.
J'ai un grand problème avec les épilogues... Même déjà écrits au préalable, je ne peux me résoudre de les poster !
Mais il le faut bien un jour alors le voici 🫣😂
Dans cet énorme chapitre Zade et Ella traversent tout, et plus encore 😅 on peut clairement dire que le pauvre Zade s'en est pris plein la gueule, non ? 😂
• entre les coups de feu qu'il semble attirer, et les courses poursuites, ça fait beaucoup en seulement douze heures non ? 😂
• malgré tout, l'alliance entre Zade et Ella a été la clef de leur réussite ! À savoir si ça marche sur le long terme... Qui sait ? Mais leur aventure s'arrête pour cette nouvelle, parce que la vie est faite ainsi non ? Ne pas savoir ce qui se passe le lendemain ?
Douze chapitres en tout, pour les douze coups de minuit d'Ella et Zade, mais en plus de récupérer leur fortune et assouvir leur vengeance, ils ont quand même réussi à regarder ce qu'il y a de bon en l'un et l'autre. Qu'avez vous pensé de leur duo ?
Quel genre de futur prévoyez vous pour eux ? 😊 je serais bien curieuse de connaitre vos théories !
Aussi, qu'avez vous pensé de ce concept, une nouvelle pour chaque cap d'abonnement Wattpad atteint ? Car si ça vous a plu, je pense faire la même chose plur les 1000 abonnés ! J'ai d'ailleurs l'idée en question, mais il faudra un peu de temps je pense 😂 pour ceux qui ne le sont pas, n'hésitez pas à venir me suivre !
Merci en tout cas pour l'accueil que vous avez fait pour Zade et Ella, TSTR a ete grave amusant à écrire, j'espère vrm que ca vous a plu !
En tout cas, ça s'arrête ici... Je reprends bientot le reste, par exemple mardi vous pouvez vous attendre à un chapitre de Stains Lever Fade (ça faisait longtempsssss !) au plaisir de vous retrouver après tout ce temps !
De gros bisous, et merci encore pour tout ! N'hésitez pas à glisser l'histoire dans vos listes si ça vous a plu !
Tschuss !
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