CHAPITRE BONUS

Deux jours plus tard, Baltimore, Maryland.

La vraie question est : qu'est-ce qu'on fait avec trois cents millions de dollars ?

La première étape, c'est de donner la moitié, et exactement la moitié, à celle qui a eu l'idée de consacrer une nuit entière à se venger de Judd foutu Bucklan.

La seconde, c'est d'essayer de ne pas se faire attraper.

Rester discret, le temps que les choses se tassent, et puis se barrer, vite fait et bien fait, de cette monstrueuse ville qu'est Baltimore.

Et... Ensuite ?

La tête basculée sur un oreiller, je tourne le regard vers Ella, qui elle, un pot de Ben & Jerry's saveur cookie dough à la main, scrute la télé en enfonçant un peu plus sa chevelure brune dans le creux du matelas.

"Rester discrets, le temps que les choses se tassent, puis, se faire la malle au paradis."

Deux jours sont passés depuis le braquage. Deux jours où on est venus se réfugier dans un hôtel, à l'autre bout de la ville, en attendant qu'on récupère.

Dans une grimace, je porte ma main à ma tempe encore engourdie sous le choc de la balle, avant de m'arrêter lorsque je sens mon corps entier réagir sous la douleur. Entre les bandages, les médicaments et le restant de drogue sans laquelle mon système immunitaire mène une quête vengeresse bien à elle, je n'ai pas encore eu le temps de bien comprendre ce que je suis.

Un millionnaire.

Un voleur peut-être, mais un millionnaire avant tout. 

Un argent intraçable, propre, qui n'attend qu'à être dépensé.

Mais en quoi ?

Ella, enroulé dans un peignoir blanc duveteux qui l'enveloppe comme un cocon, tourne à son tour sa tête dans ma direction et je sens l'insistance dans ses prunelles me brûler la peau.

Enfin, si ce n'est la fièvre, bien sûr.

Qu'est-ce qu'il y a ?

Rien.

Un sourire orne ses lèvres et elle repose sa cuillère dans sa glace.

Dis-moi, Zade.

Les croûtes sur son visage commencent à s'effacer et les bleues laissées par les sacs d'argent sur ses épaules, dénudées par la taille du peignoir, jaunissent. Bientôt, plus aucune trace du braquage ne figurera sur elle et tout ceci ne serait plus qu'un souvenir qui nous lie dans un pacte bien unique.

Je sais qu'il y a un truc qui ne tourne pas rond dans ma tête, mais j'aime voir les stigmates de son combat contre Judd.

C'est d'ailleurs avec cette arrogance qu'elle se redresse sur les coudes et arque les sourcils.

Tu veux compter à nouveau ?

Sans que j'aie eu le temps de répondre, elle saute du lit et ramène les grands sacs de marque dans lesquels on avait enfoncé les cinquante millions de dollars récoltés en liquide depuis le coffre-fort.

Il y a quelque chose d'incroyablement excitant à voir une femme enfoncer ses mains dans une masse de billets partiellement tachetés du sang des blessures qu'elle t'a forcé à avoir.

Il se peut que quelques-uns soient tombés en cours de route, mais... Tout est là.

Près d'un demi milliard de dollars.

Dans un reniflement, je parviens à me redresser à mon tour alors qu'elle tire un billet de cent d'une liasse et l'agite devant mon nez.

Tu veux un petit déjeuner ?

Je veux un tas de choses.

Mal à l'aise, je parviens néanmoins à m'asseoir et tapote sa place à mes côtés pour qu'elle lâche l'argent, l'espace d'une seconde. 

Je voulais te demander quelque chose...

Quoi ? 

Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Comment ça ?

La jeune femme passe une main dans sa frange et prend une minute pour déposer à nouveau les sacs et revenir à son pot de glace.

Si on fait le calcul de tout ce dont on a envie, tout ce pour quoi on est prêt à payer, et même, toutes les conneries qu'on risque d'acheter, simplement parce qu'on peut le faire... Ça fait quoi ? Cinq ? Dix millions grand maximum ? 

Ça dépend de ce que tu veux.

Il reste au moins plus d'une centaine de millions d'euros... Qu'est-ce que tu veux en faire ?

Moi ?

Je lève les yeux au plafond avant de hocher la tête.

Après notre escapade sur le chemin de fer et mon coup de fil avec l'héritière Saint-George, on a fait ce qu'on a pu pour vite se mettre à l'abri. Entre cacher Lucille pour que les autorités ne nous retracent pas et ne pas avoir l'air de John Wick de retour au Continental après avoir frappé une armada de Russes en colère, on a essentiellement passé notre temps à dormir et recoudre nos blessures.

Du moins, Ella s'est occupée de tout.

Mais rien de plus.

Et si dans les films, les braqueurs finissent toujours par une grande fête pour célébrer leur victoire...

Nous, on apprend à connaître notre chambre d'hôtel par cœur. 

Ce calme est en train de me tuer.

Ella ramène ses jambes sous elle et continue à passer la pulpe de ses doigts sur la liasse qu'elle a gardé. Le vernis noir de ses ongles est en train de s'écailler et le sang coriace, celui d'une première bataille, qu'une douche ne peut effacer, sillonne le creux. 

Tu penses qu'on devrait faire quoi ? Commencer une organisation criminelle, parce qu'on ne peut plus revenir en arrière ? Investir dans des hommes de mains, devenir les personnes les plus craintes du pays ?

J'attends qu'elle finisse de se rallonger à mes côtés avant de sourire dans sa direction.

Ce n'est peut-être pas si con que ça. On devrait faire comme Robin des Bois. Passer de ville en ville, prétendre s'intégrer dans la haute société, repérer les arnaqueurs et les fraudeurs, les dépouiller et retourner l'argent à ceux qui le méritent.

Non, grogne Ella en agitant sa cuillère. Les riches marchent par réseau. Impossible de s'en prendre à un sans déclencher une alerte chez les autres.

Tu y as déjà réfléchi ? m'étonné-je en lui lançant un coup d'œil en coin.

Tu oublies qui je suis, Zade.

Ça, c'est impossible.

La jeune femme étouffe un petit rire en enfonçant une bonne dose de glace dans la bouche avant de reprendre :

Peut-être quelque chose de moins prétentieux. On risque d'oublier pourquoi on le fait et ne rien être d'autre que des voleurs, le restant de notre existence...

Voyez-vous ça, Ella Sloane a une conscience !

Bien sûr que j'ai une conscience. Je voulais récupérer ce que Judd m'a pris. Pas me lancer dans une haine contre la façon dont marche la société. Je comprends comment ça marche et pour l'avoir vu de l'intérieur... Je sais que ce genre de systèmes est impossible à abattre.

Je me roule sur le côté pour lui faire face et fronce les sourcils.

Toi ? Croire dans le mot "impossible" ? Après Lucille ?

Ella arque la main pour passer ses doigts dans les mèches blondes qui retombent dans mes yeux et le coin de sa lèvre se fend dans une fossette en guise de sourire.

Je sais ce que je peux accomplir. Lucille allait demander un sacrifice, mais il en valait la peine.

Je lui brandis mon plus beau doigt d'honneur avec mon bras blessé et elle bascule la tête en arrière tout en s'esclaffant.

On dit qu'il y a toujours un calme après la tempête, toujours un moment de répit, une règle universelle, un équilibre ancré dans l'ADN de chaque être vivant. Parce que c'est comme ça, pas vrai ? Où serait la justice, s'il n'y avait pas un temps pour panser les blessures et rester allongé, le temps de réaliser à quel point on est blessé ?

Plus je regarde Ella, plus je réalise à quel point elle n'a jamais appris à avoir ce moment de calme.

Elle a toujours été la tempête... 

Et elle a appris à vivre dedans, malgré le chaos.

Si je te donnais un petit million en plus... finit-elle par murmurer, en plantant ses dents dans sa lèvre inférieure. Est-ce que tu me pardonnerais ?

Je ne sais pas, feignis-je en grimaçant.

Hey. C'est toi qui me dois déjà vingt ans de ta vie, je te rappelle, je te fais plutôt une belle faveur.

Tu es sûre de ça ?

Ella recouche sa tête sur l'oreiller et je manque de m'étouffer sous la longueur de ses cheveux que je repousse d'une main.

Pour être plus honnête... J'ai toujours rêvé d'avoir un hôtel particulier.

Un hôtel particulier ? marmonné-je en essayant de déloger mes doigts de ses mèches.

Quelque chose de grand, avec des hauts plafonds et une terrasse sur le toit où je pourrais regarder des couchers de soleil et les étoiles la nuit.

Tu ne veux pas plutôt d'un observatoire avec un microscope géant ?

Si tu veux te moquer, monsieur le courtier en Bourse, fais le bien. C'est "télescope".

Je souffle, agacé, mais elle reprend en étendant ses bras au-dessus de nos visages.

Je voudrais vivre comme une duchesse, avec des meubles que je ferais moi-même et une infinité de plantes.

Une décoration qui laissera à désirer, donc.

Je me prends un violent coup de coude dans les côtes et ricane avant de saisir mon paquet de cigarettes de ma poche.

Et toi ? siffle-t-elle, les yeux plissés à demi alors que j'allume difficilement ma clope sous les crampes. Qu'est-ce que toi, tu comptes faire ?

L'idée d'un hôtel particulier n'est pas mal, je dois avouer. Mais les plantes, c'est non. 

_ Pas étonnant. Tu ne fais pas un pas devant toi sans te faire tirer dessus, alors prendre soin d'un cactus...

C'est bien de comparer une mission suicide organisée par la pire fiancée au monde à la prise en charge d'une plante.

Tu sais ce que tu peux en faire, de ton avis ?

Je tousse sous la fumée qui noie mes poumons, mais avant que je n'aie le temps de la poser dans le cendrier déjà plein, Ella me la prend des mains et en tire une bouffée.

Comme toute fin de braquage devrait se passer.

Je te garde ça, les blessés devraient faire la sieste.

J'attrape une poignée des couvertures pour la caler sous ma tête et en faire un double oreiller et la regarde tirer sur le mégot comme si ça lui avait manqué. 

Combien de choses est-ce qu'elle était censée interdire à son corps de ressentir, rien que pour avoir une chance à sa vengeance ?

Par combien de sacrifices allait-elle encore passer, pour guérir ?

Ella intercepte mon regard adouci à son égard et elle hausse un sourcil.

Pourquoi est-ce que ça t'importe ce que je fais de ma part de la fortune ? Tu as déjà critiqué mon envie d'aller à Paris, maintenant mon hôtel...

C'est parce qu'aller en Europe après un braquage, c'est vraiment cliché et tu le sais.

Et alors ? Je ne t'ai jamais demandé de venir avec moi.

Une minute de silence suit ses paroles et soudain, la pièce semble plus lourde. Ce n'est pas à cause des rideaux en velours épais tirés ou encore la lampe de chevet allumé, alors que le soleil doit déjà être levé, sans oublier la fumée...

Parce que nous le savons tous les deux.

Dès que les choses sont plus calmes...

Nos chemins se séparent.

Pourquoi est-ce que mon coeur se pince autant, face à cette idée ?

Dans un revers de poignet, Ella écrase le mégot dans le cendrier et recouche sa tête près de la mienne. C'est d'ailleurs dans un geste automatique que je viens presser ma tempe contre la sienne.

On peut avoir deux hôtels particuliers, tu sais, murmuré-je, au creux de son cou.

Hm hm, répondit-elle en cachant tout juste un frisson.

L'un en face de l'autre. Dans une rue en Angleterre.

En Angleterre ?

D'accord, pas en Angleterre, rigolé-je face au ton écoeuré dans sa voix pourtant claire.

C'est le retour du silence, mais cette fois-ci, il n'est pas lourd. Il est même plutôt apaisant. Je glisse ma main le long de son bras et parcourt la ligne de son coude jusqu'à ses doigts que je regarde se rétracter un à un autour des miens, dans la même douceur que celle qu'offre sa peau. 

Et quand je remonte les yeux...

Ella a cette lignée de petits grainds de beauté le long de sa gorge qui remonte jusqu'à sa mâchoire. Des petits détails qu'il est impossible de voir la nuit, à Baltimore, quand on est trop occupé à survivre à des plans foireux. 

Je lui dégage un peu plus ses cheveux et elle presse son front contre le mien, bloquant nos regards comme s'ils étaient un cadenas et une clef.

On trouvera quoi faire de notre fortune, Zade... J'en suis certaine. 

Et c'est là que l'idée m'effleure...

La plus ridicule de toutes :

La première chose que j'ai envie d'acheter, c'est une couronne pour sa tête. Un diamant, pour chaque année perdue auprès de cette ordure de Judd.

Parce que les gens riches font des trucs cons avec l'argent...

Et avec Ella, je suis la personne la plus stupide qui existe au monde.

Je souris, mais ça ne dure pas longtemps lorsque je sens quelque chose de froid briser le contact avec ma peau brûlante.

Si tu laisses ta glace dans le lit et que je m'endors dessus...

Sans débloquer son regard du mien, Ella enfonce un doigt dans le pot et m'en tartinne sur le bout du nez avec un sourire satisfait.

Bien, monsieur Alridge. Ce sera tout ?

La jeune femme fait mine de se rouler sur le côté pour déposer le pot sur la chambre de nuit, mais je la rattrape par le poignet et ramène ses lèvres à une fraction de millimètre des miennes.

Son souffle.

Son odeur.

Je n'ai presque pas envie de sortir un jour de cette chambre.

Juste promets-moi de ne jamais être loin.

Ella attend une seconde, qui me paraît être une éternité, avant de pencher légèrement la tête et de m'embrasser. 

Est-ce que je t'ai un jour laissé tranquille ?

Et hop, comme annoncé, voilà un petit chapitre bonus du après 😎 et laissez moi vous dire que la trope duo braqueurs fall in love >>>> tellement envie d'en écrire plus mais bon, qui sait, peut être à l'avenir !

Parce que c'est IMPOSSIBLE de faire la fête quand, comme Zade, on s'est pris deux balles, qu'on a passé une nuit entière sur ses réserves et qu'elles sont bousillé par un mélange douteux de drogue 😅 ET quand on est potentiellement poursuivi par les forces de l'ordre de la ville 😂

Donc, je voulais écrire quelque chose de calme, et c'est tant mieux parce que même comme ça, Zade et Ella arrivent à dire des dingueries encore 😂

Bref, je voulais vous faire plaisir avec ce petit bonus 💙 merci encore pour tout ce que vous représentez, on est plus de 800 maintenant, c'est vraiment hallucinant ! Vous pouvez déjà découvrir mon nouveau roman, Once, We Flew, disponible sur mon profil (attention lisez bien les TW's !)

Je vous fait de grooooos bisous et à bientôt pour de nouvelles aventures ! 💙

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