Chapitre 6 : comme deux pigeons sur un fil électrique
Ce n'est pas le froid qui paralyse mon être tout entier, mais la douleur. Le vigile avait pris bien soin de me balancer contre la voiture et comme si le retournement de tous mes viscères ne suffisait pas, un coup dans le menton me donne l'impression de mâcher mes propres dents. Ce n'est pourtant que lorsque je suis assez loin de Lucille et de Zade qui suffoque à l'intérieur, que je m'arrête et me plie à demi.
C'est quand on croit qu'on est immunisé face à la douleur, qu'elle revient en galopant.
Je crache un caillot ensanglanté sur le sol et me redresse en agrippant ma propre taille de mes mains. L'heure tourne et mon plan vient d'être sérieusement compromis... J'aurais dû tuer Nick. À l'heure qu'il est, la police doit déjà être prévenue...
Ou pire encore.
Judd.
Mon souffle se bloque dans mes poumons en pensant à lui.
Et quand je me redresse face à une baie vitrée où miroite mon reflet désamorcé, je vois ce que tout le monde voit et déteste.
Pas ce que j'aurais aimé devenir.
Enragée, je renifle et ouvre ma bouteille d'eau que je déverse sur un mouchoir. Je m'essuie le sang qui recouvre mon visage, ma gorge et ma poitrine et frotte mes ongles jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien qui reste.
Sourire n'est pas compliqué. Prendre soin de ses apparences non plus. Ça m'a demandé deux ans d'apprentissage avant de rencontrer Judd. Deux longues et pénibles années où j'ai dû effacer tout ce que j'étais. La petite fille apeurée qui a connu la misère, la mort et la famine avant d'être complètement aveuglée par la colère et de pourchasser sa propre vengeance.
Les hommes comme Judd ont forcément une faiblesse...
Et un lourd après-midi de juillet au bord d'une piscine dans le country-club où je travaillais me l'avait vite révélé... Enfin, plutôt grâce à sa main qui avait fouetté mes fesses, quand j'ai pensé à lui servir du poison.
Il ne m'avait pas reconnu. Moi, la petite fille qui tenait la main de ses parents qu'il venait de dépouiller, une décennie plus tôt... Et pourtant il voulait quelque chose de moi.
Et moi, je voulais tout de lui. Surtout sa vie, son sang, ses yeux et sa tête sur une pique.
Les mots de Nick reviennent en galopant.
Traînée. Pute. Sans valeurs.
Des milliers d'hommes font ce que je fais... Toutefois, ils en sortent toujours comme des héros puissants et tombeurs de femme.
L'injustice me noue la gorge, tandis que je finis de me débarbouiller. Je me remets du rouge-à-lèvres, m'arrange les cheveux en frottant ma frange contre mon front pour la décoller et rentre tranquillement dans le magasin encore rempli de monde.
Non. Pour cette simple et unique raison, je continuerai mon plan... Même si la seule aide que j'aurais pu avoir ce soir est un junkie qui se retrouve handicapé et que je me plonge tout droit dans un piège...
Je préfère mourir, plutôt qu'abandonner.
***
Il y a un an, jour pour jour, j'ai fait la rencontre de Zade Nehemiah Alridge. De cet homme qui se démarquait de la foule de courtiers en bourse avec un seul détail...
Il ne souriait pas.
Il n'y avait aucune hypocrisie sur son visage. Aucune émotion, quelle qu'elle soit, d'ailleurs. Il se tenait simplement sur le balcon de l'immeuble où se déroulaient les pré-festivités d'un gala de charité... Près d'une grande blonde aux yeux plus verts encore que de la jade, que j'identifiais rapidement comme étant la Skylar.
Abandonnée par Judd, qui m'avait fait sa demande, il n'y avait pas une heure, je devais me contenir pour ne pas vomir sur le buffet, tant j'étais écœurée par le massif diamant qui ornait mon annulaire...
Et étrangement, regarder Zade aidait pas mal à retrouver mon calme.
Les rayons des lumières étincelaient sur ses cheveux d'un blond cuivré alors qu'il écoutait d'une oreille distraite ce que l'héritière de l'empire Saint George avait à lui dire. Son smoking impeccable moulait son corps svelte à la perfection. Sa posture, quant à elle... Lui donnait l'impression qu'il n'avait pas plus envie d'être là que moi...
Et nos regards se sont croisés. J'aurais voulu détourner le mien, me laisser noyer dans la flûte de champagne que je tenais, mais je restais bloquée. Même mes paupières ne se sont pas closes. Mon corps entier rentrait en contact avec qui il représentait et il a fini par s'excuser auprès de Skylar pour venir à ma rencontre.
Il savait déjà qui j'étais. Un sourire en coin accompagnait sa salutation et il m'avait indiqué tous les regards qu'on m'adressait d'une main dédaigneuse.
"Ne les écoute pas. Personne ne vaut quelque chose, ici."
Et c'est tout ce qu'il m'a dit. Pas de bonjour, pas de présentations... J'ai connu son nom, que lorsque Judd a fini par le crier pour qu'il le rejoigne dans un petit groupe de hauts friqués en costume de pingouin... Il avait doucement effleuré mon bras de sa main et s'était éloigné en cueillant un toast sur un plateau argenté.
Je n'ai jamais oublié ce moment. Ces quelques mots sortant de sa bouche avec tant de hargne et de bienveillance à la fois. Sa peau chaude contre la mienne qui m'avait permis de ne pas m'écrouler dans ce guet-apens dans lequel je me suis moi-même plongé dans une revanche dont je ne voyais même plus le point final...
Une seule rencontre... Cette rencontre, et j'ai su que je ne devais pas lâcher.
Et puis, je l'ai revu, un vendredi soir, à la sortie d'un restaurant, en bien différente forme que lors du gala. Il avait envoyé un si grand coup de poing dans le visage de Judd que, même si j'étais déjà assise dans la voiture, j'ai entendu l'os de son orbite se briser.
Mon plan est né, au moment où nos regards se sont à nouveau croisés...
C'était le destin. Un signe.
Ça ne pouvait pas être autrement.
Et ça m'arrache un sourire alors que j'essuie un ruissèlement d'eau ensanglanté sur son torse nu.
— Quoi ? rugit-il, la voix à moitié étouffée par l'objet qu'il serre entre ses dents pour ne pas crier.
— Rien. Reste tranquille.
— J'aimerais t'y voir...
— Je t'ai apporté un vêtement de rechange, arrête de grogner.
J'essore sa chemise que j'utilisais jusque-là comme serviette, tandis qu'il attrape le rechange en question.
— Tu te fous de moi ?
— On n'a pas encore l'argent, me défendis-je en soupirant. Tu pourras te payer des chemises Armani demain matin, mais pour l'instant, il te faudra te contenter de ça.
Comme une unique réponse, il tourne vers moi le dessin affiché sur le gros pull gris... Et je dois me faire violence pour ne pas éclater de rire.
— "Pas touche à ma tirelire !" ? Vraiment, Ella ?
— C'est mignon. Tu as vu le petit cochon ? Il te ressemble un peu, je trouve.
Quand il abaisse le vêtement, bien trop large pour lui, je tombe face à la colère imprimée sur son visage violacé et je ne retiens pas mon euphorie plus longtemps.
— Retourne au magasin et trouve-moi autre chose !
— Désolée de te l'annoncer, petit cœur, mais c'est fermé.
— Je ne ferai rien du tout habillé comme ça !
— Alors, tu resteras torse-nu. Il fait six degrés. Tu penses que tu tiendras le coup ?
Il m'insulte, mais je me venge en lui attrapant son bras blessé et sa tête retombe contre la vitre.
— Putain !
— La bonne nouvelle, c'est que ça arrêté de saigner.
— Je dois aller à l'hôpital.
— Et déclarer une blessure par balles ? Les flics t'y attendent surement, qui plus est. Non, on a pas d'autres choix que de continuer. Avec cent cinquante millions de dollars, tu pourras t'offrir des soins en diamant à Dubaï, dès la première heure demain matin, si tu veux.
J'arrache le plastique des emballages de pansement avec mes dents et déroule les bandelettes après avoir désinfecté la plaie. Je m'apprête à le soigner, quand soudain, ses doigts se serrent avec vigueur autour de mon poignet. Je relève la tête vers lui et tombe face à ses pupilles dilatées à outrance.
— J'ai besoin de soins, Ella... Maintenant.
— Et je fais quoi, à ton avis ? Des crêpes ? Reste tranquille, j'ai dit, c'est bientôt fini.
— Mais c'est fini. Tu ne le comprends pas ? Ton plan entier s'est écroulé pour cette putain de caisse qui n'a aucune valeur comparée à trois cents millions de dollars ! Réveille-toi un peu ! C'est fini, le Pays des Merveilles !
Je le soigne quand même. La douleur écrase ma poitrine, mais je ne lui montre pas. Toujours agenouillée à ses côtés, noyée sous le matériel que j'ai acheté pour le remettre d'aplomb, je me concentre sur chaque geste que j'effectue.
La pulsation de ses veines saillantes sous mes doigts.
Sa respiration excédée qui fait soulever son torse musclé et encore un peu tacheté de sang.
Le trou dans son bras que je recouvre avec son pansement.
Je crois que je lui dois bien des explications, pour son sacrifice.
— Lucille était ma grand-mère, lâché-je, tout d'un coup.
La main de Zade se détache de son front lorsqu'il hausse le bout du menton pour me regarder... Ce que je ne lui rends pas. Du moins, pas tout de suite.
— Elle avait offert cette voiture à mon père avant de mourir. D'où... D'où son nom.
— C'est ta caisse ?
— Je te l'ai dit, Zade... Judd collectionne les trophées.
Je finis de le soigner et m'assois, dos contre la portière, en face de lui.
— Il a beau être une enflure de première, il est loin d'être con... Il n'a jamais compris que tu étais la fille de quelqu'un qu'il a arnaqué ?
— En effet. Il n'a pas mis longtemps à le découvrir.
— Et alors ?
Je soupire en écartant les bras et lui montre la voiture.
— À ton avis ? Pourquoi est-ce que je n'avais pas accès à ce garage précisément ?
— Je... Je suis désolé, Ella.
— Tout le monde croit que j'ai tout fait par argent... Et dans un sens, c'est vrai. Mais Judd ne m'a pas donné un seul centime. Il m'a acheté des robes, des sacs, des bijoux. Il m'a fait voyager, manger dans des restaurants aux factures exorbitantes... Mais il a fait bien attention au moindre centime.
Je ris, amère, avant de poursuivre :
— Le karma est réel, tu vois ? Je me suis piégée dans les mailles d'un filet que j'ai cru étendre, alors qu'en réalité... C'était lui.
— C'est une belle prison, si tu veux mon avis...
Je le scrute un instant alors qu'il s'agite pour essayer de se redresser.
— Mes chaînes sont faites de perles Zade... ça ne veut pas dire qu'elles ne m'étranglent pas.
— Tu es son plus beau trophée... C'est ça ?
J'hoche lentement la tête et Zade pousse un juron en enfilant son pull. Heureusement qu'il y a au moins ça, pour me faire sourire. Un homme adulte avec un vêtement ridicule où un cochon énervé se protège d'un marteau, dégoulinant de pièces, en guise de transpiration.
— OK... Alors première étape : récupérer Lucille. C'est chose faite. Et la seconde ?
Il me tend la main pour m'aider à me relever et je la regarde pendant un instant.
Zade a l'air déterminé. A un point où ses pupilles se rétractent. Peut-être que c'est à cause du choc, la perte de son sang ou le fait qu'il n'a pas eu assez de drogue dans le sang, mais je me persuade que c'est par pure empathie.
Il faut un peu d'espoir pour redonner goût à la bataille, après tout.
— Deuxième étape... C'est retrouver Frère Karel.
— Quoi ?
Entre Avatar 2 en avant-première et un livre qui m'a anesthésié sous la douleur, je n'ai vraiment pas de chance de vous poster les chapitres ! Mais c'est là, le premier point de vue de Ella ! 😍
Un peu de background s'est imposé ! Nous avons là, le PDV de Ella sur sa rencontre avec Zade qui a été un peu plus émotionelle de son côté, visiblement ! 🤣🥰
On découvre en réalité qu'elle est en quelque sorte prisonnière de Judd... Alors ce n'est même plus une question d'argent, c'est une question de vie ! 😭 Récuperera t elle les deux, à la fin de la nuit ? 🤔
Zade est toujours grognon, mais avec son magnifique pull, il est adorable, n'est-ce pas ? 🤣🤣🤣🤣
Mais quelle est cette drôle de deuxième étape ? Pourquoi invoque t on un homme d'église, maintenant ? Des idées ? 🤔
N'hésitez pas à me dire en commentaires ce que vous en avez pensé et à me laisser une étoile ! En attendant, je vous dit à demain pour la suite ! Promis, je tiens le coup 🤣😍
Des bisoussssss ! 😘😘😘
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